Comme France-Soir et les
agités du bonnet gauchistes, l'historien du maximalisme bordiguiste
Bourrinet nous avait habitué à des prises de position indignées
comme celle sur la mort de Clément Méric en 2013, un jeune bobo
antifa décédé bêtement dans une bagarre de rue, et qu'il nous
présentait comme une victime à honorer par le prolétariat1.
La mort malheureuse de ce jeune homme n'en faisait pas plus une
« victime du capital » que du « fascisme »
et nous n'étions pas obligé de le ranger parmi les martyrs du
prolétariat : « N’oublions jamais Clément Méric, mort
trop jeune pour participer aux combats décisifs de demain ! »,
texte compatissant s'appliquait à éplucher et sermonner les
avortons gauchistes antifascistes de façon obsessionnelle au lieu de
se contenter de dénoncer l'utilisation du drame par les médias, et
était signé ingénument: « des internationalistes », le
truc du petit bleu de la côte Ouest. Je crois être le seul à
m'être moqué ici de cet amalgame.
Sachant que cet ancien
militant du CCI est devenu hyper allergique au mot parti, on ne
s'étonnera point qu'il en répande les gratouilles un peu partout, à
partir de la poubelle du CCI en Belgique, Controverses. Voici
commémoré, à la façon de la presse bourgeoise « 100 ans de
Gauche italienne ». Avec des infos méconnues du gauchiste
moyen, des citations à la queue leu leu en veux-tu en voilà, qui
sont au demeurant très intéressantes pour celui qui n'y connaît
rien ou n'a pas lu les ouvrages précédents de l'auteur, fort
documentés. Vous saurez presque tout sur la vie en prison et hors
politique de Bordiga, mais vous ne saurez pas de quoi est mort
Vercesi. On vous raconte mariages et divorces des fractions vintages,
mais on débouche sur les affres du bordiguisme moderne.
Sous l'académicien
réside pourtant le petit démocrate antifasciste enfoui. De même
que son âme chétive d'éternel étudiant l'avait poussée à
quitter, choqué, le CCI qui se prétendit soudain « organisation
de combat », ce qui viole les combats de bibliothécaires, de
même il lui faut enterrer politiquement BILAN, dont il avait pompé
généreusement les analyses pendant des lustres, glorifiant le
courage et la solidité politique face en particulier à l'ahurissant
chantage à l'engagement antifa en Espagne pour aller au casse-pipe
au service d'une soit disant révolution, quoique nationale
bourgeoise. Bourrinet s'accroche donc aux branches les plus pourries
qui succombèrent au charme vénéneux de l'antifascisme, et qui,
jusque là, malgré des discussions huppées sur la période de
transition, ne raisonnaient pas en marxistes comme les membres de
Bilan ne s'en étaient pas apercus (les branches à Hennaut).
Voici ce qui nous est
servi :
Après nous avoir rappelé
les slogans suivants basés sur la « transformation de la
guerre impérialiste en guerre civile » :
- au volontariat opposer la désertion
- à la lutte contre les « Maures » et les fascistes, la fraternisation
- à l'union sacrée, l'éclosion des luttes de classe sur les deux fronts
- à l'appel pour la levée du blocus contre l'Espagne, les luttes revendicatives dans tous les pays et l'opposition à tout transport d'armes
- à la directive du solidarisme de classe opposer celle de la lutte de classes et de l'internationalisme prolétarien ».Bourrinet ne fait aucun commentaire sur ces slogans, limpides et seuls véritablement dignes de ce que des marxistes honnêtes pouvait dire au malheureux prolétariat dans l'impasse espagnole dans l'étau de la bourgeoisie républicaine et fasciste. Mais on verra pourquoi tout de suite : parce que c'est de la petite bière... contre-révolutionnaire » et surtout inapplicable à l'époque.En réalité nous assure Bourrinet Bilan est en souffrance, et heureusement les docteurs Tant mieux les plus proches de la croyance en une révolution démocratique nationale à défendre, au demeurant petites sectes, « coupent les ponts » avec ces « contre-révolutionnaires » :« Soutenue en cela par la minorité de la LCI de Belgique, et le GTM, un petit groupe mexicain, elle (Bilan) souffrit d'un isolement total. Affirmant qu'en dehors d'un parti de classe, il ne saurait y avoir de perspective révolutionnaire, appelant (comme le fit surtout Ottorino Perrone) à la « fraternisation » des armées impérialistes (mais aussi à une « aide humanitaire ») sur les deux fronts de la guerre en Espagne, les positions de Bilan et Prometeo apparurent à ses anciens alliés comme purement « contre-révolutionnaires » (selon les mots d'Adhémar Hennaut). L'Union communiste en France, la LCI en Belgique, la RWL (Revolutionary Workers League) oehleriste aux USA coupèrent les ponts avec la Gauche communiste italienne, qualifiée alors de « perroniste ». Ces désaccords, Adhemar Hennaut sut parfaitement (sic) les résumer :« (Leur) position à propos de l'Espagne n'est pas un hasard, mais une conséquence logique de toute l'idéologie (resic) de la Fraction. Elle a son point de départ dans la conception du rôle hypertrophié – totalitaire pourrait-on dire pour employer un mot à la mode – du parti. Si le rôle de la classe ouvrière dans la révolution se ramène en dernière analyse à s'en remettre à la sagesse du parti révolutionnaire, les possibilités révolutionnaires d'une situation ne pourront être déterminées qu'en fonction de l'existence ou de la non existence de ce parti. Si le parti existe, la situation prend une tournure ou en tout cas peut prendre une tournure révolutionnaire. Si par contre ce parti fait défaut, l'héroïsme le plus pur de la classe, son idéalisme le plus exalté doit se dépenser en pure perte. Tel est le mécanisme du raisonnement de la Fraction et qui doit l'amener à défendre les positions contre-révolutionnaires que nous connaissons : rupture des fronts militaires, fraternisation avec les troupes de Franco, refus d'aider au ravitaillement en armes des milices gouvernementales espagnoles. Et le caractère réactionnaire de ces positions n'est pas diminué par le fait que dans le cours de la discussion ceux qui les défendaient aient été amenés à reconnaître l'application immédiate de ces positions comme impossible, remettant leur application à une époque où les travailleurs espagnols se rendraient par eux-mêmes mieux compte du caractère désespéré de leur action contre Franco » (…) Affaiblie numériquement, la Fraction de gauche en sortit tout aussi affaiblie idéologiquement ».On lit ensuite un paragraphe qui veut ridiculiser le bilan théorique de Bilan sous prétexte qu'ils n'ont pas vu venir la guerre, mais étaient-ils les seuls ?
Voyons à présent la
présentation autrement plus sérieuse par la revue internationale du
CCI de la scission entre « révolutionnaires antifascistes »
et « contre-révolutionnaires »2 ,
même si on ne voit pas l'intérêt de qualifier de très important
le père Hennaut :
« La guerre d'Espagne a signé la rupture d'un
débat qui s'était poursuivi pendant six ans et que Bilan avait
amplement alimenté. La majorité de la "Ligue des Communistes
Internationalistes de Belgique" choisit l'appui à la guerre
antifasciste comme la minorité de Bilan et du groupe français
"L'Union Communiste". En fait, Hennaut, représentant très
important de la Ligue, écrira dans un document daté de février
1937 (et qui sanctionnait la rupture) :
"Nous savons que la défense de la
démocratie n'est que l'aspect formel de la lutte ; l'antagonisme
entre le capitalisme et le prolétariat n'en est pas l'essence
réelle. Et, à condition de n’abandonner en aucune circonstance la
lutte de classe, le devoir des révolutionnaires est d'y participer".
Une expression SUBSTANTIELLE de la lutte du
capitalisme contre le prolétariat est donc considérée comme une
expression FORMELLE de la lutte prolétarienne contre le
capitalisme...
Mais ce n'est pas toute la Ligue qui prendra cette
position. Une minorité, mais la majorité à Bruxelles, reste sur la
position de Bilan. Elle fut expulsée de l'organisation et s'est
constituée en "Fraction belge de la Gauche Communiste". De
1937 à 1939, elle a publié Communisme, revue mensuelle ronéotée ».
On voit ici aussi que
Hennaut n'est pas net politiquement et qu'il a un fil à la patte
avec la sacro-sainte démocratie bourgeoise (aussi sainte... que la
guerre civile espagnole), mais qu'il n'a rien compris, comme on la vu
plus à la position de Bilan sur la question du parti, voici ce que
nous en disons dans notre prochain bouquin sur la guerre d'Espagne :
«
C'est Bilan qui définit le mieux l'arlésienne de tous les groupes
léninistes et trotskiens : le parti absent cause de tous les
malheurs ; parti en tant que figuration et représentation d'une
maturité d'un prolétariat réellement en phase révolutionnaire, un
parti qui n'est pourtant jamais précurseur et qui ne s'invente pas :
« Nous savons fort bien que, presque toujours, les masses se
mettent en lutte derrière des chefs qui ne portent pas le drapeau de
leurs revendications immédiates et historiques et que c'est par la
suite, au cours même du mouvement, que l'élimination s'opère et
que le prolétariat parvient à se regrouper autour de l'avant-garde
consciente qui peut brandir le programme de la révolution communiste
uniquement parce que les travailleurs ont été portés, par les
situations, à acquérir la conscience de leur rôle historique (…)
Le parti de classe ne s'invente pas, il ne s'improvise pas non plus.
S'il n'existe pas, c'est que la situation n'en a pas permis la
formation »3.
Rien
à voir avec les accusations de totalitarisme par ce pauvre haineux
de Hennaut. En plus, à la façon d'un policier lors d'une GAV, ne le
voilà-t-il pas nous assurer que le coupable Bilan,
contre-révolutionnaire, « a avoué que ses slogans étaient
inutiles » !
Le
raisonnement de Hainaut est du même type que celui des socialistes
chauvins en 14 et des staliniens nationalistes en Espagne :
d'abord il faut faire la guerre et puis le slogan « fraternisation »
n'est pas crédible ! Et la bande à Hennaut, sans Bourrinet de
s'en aller voyager en Espagne pour participer au massacre des civils,
des curés et des fascistes ou pas, de ceux qui portent des cravates
ou un costard avec gilet. Hennaut et ses potes considéraient que le
devoir des révolutionnaires, pas des contre-révolutionnaires était
de participer au bain de sang espagnol, en taisant les milliers de
crimes perpétrés dès fin juillet 36 par des bandes armées à la
fois d'ouvriers arriérés et d'une population ivre de sang qui
montrait l'exemple déjà : massacrer les religieux comme
compensation à une victoire militaire contre Franco, comme les
hordes allemandes compenseront l'humiliant traité de Versailles en
massacrant les juifs. L'antifascisme adora massacrer les religieux et
les civiles, puis peu après adora aussi massacrer les tenants d'un
véritable internationalisme. Saluons ici le courage mais aussi la
témérité d'un membre de la Fraction qui, à Barcelone, au cours
d'une réunion du minable parti gouvernemental POUM (pim pam poum)
défendit les positions « contre-révolutionnaires »
listées par le monsieur l'historien, fût menacé d'être
zigouillé... pour complicité avec Franco.
Bilan
avait raison de reconnaître que les véritables positions
révolutionnaires étaient intenables – c'était comme demander
aujourd'hui de fraterniser avec daech – mais cela valait mille fois
mieux que de se rendre complice des bouchers antifascistes, de leur
guerre « nationale révolutionnaire », tenable selon les
miliciens Hennaut et Bourrinet.
La
critique de Hennaut de la conception du parti par Bilan est fausse, mais elle
n'est pas le sujet important ici. L'accusation de Hennaut revient à
remettre en cause le défaitisme révolutionnaire au nom d'une unité
nationale antifasciste en se basant sur le cliché grossier qui
dominait les informations de l'époque : Franco et ses troupes
étaient alors l'axe du mal incontestable. L'attaque de Hennaut était
vicieuse parce qu'elle intégrait les doutes de la majorité de Bilan
sur la possibilité de mettre en pratique des mots d'ordre qui
pouvaient vous faire passer pour collabo de Franco. La tentation est
grande aujourd'hui de comparer avec daech, rassemblement en meute de
tueurs suicidaires, comme le seront les kamikazes japonais pendant la
guerre mondiale suivante.
Or
la majorité de Bilan n'était pas vraiment hors de la réalité,
contrairement à sa minorité qui s'est précipitée à Barcelone
pour se rendre compte que c'était vraiment une... guerre
impérialiste. Des deux bords, la guerre d'Espagne est certainement
celle qui a connu les plus massives désertions. Les conditions pour
que l'appel à la fraternisation étaient présentes. Si l'armée
républicaine est faible car inorganisée et que les chefs ne sont
pas écoutés, du moins avant les militarisations successives au
court de l'année 1937, ses soldats sont mieux rétribués que
l'armée franquiste : dix pesetas par jour quand un soldat des
« nationaux » n'en perçoit que trois. Même quand la
discipline est renforcée dans les armées républicaines elle se
fonde davantage sur l'explication qu'en face où les pioupious sont
soumis à l'obéissance aveugle et condamnés s'ils désobéissent à
des punitions terribles. Comme dans toute guerre nationale ou
impérialiste, les généraux autorisent, dans les deux camps, leurs
inférieures à se payer sur la bête : pillages, viols, pour
améliorer l'ordinaire. Les troupes sont souvent face à face, l'arme
au pied et passent les nuits de garde à s'insulter. Il y aurait eu
des nuits de Noël, comme en 1914 où les soldats ennemis trinquèrent
entre eux. Les généraux des deux camps poussent le plus souvent à
des blitzkriegs pour éviter de trop longs face à face.
Le
chiffre des pertes aux fronts est lourd, côté « nationaux » :
110 000 hommes, côté républicains : 175 000. L'heure n'est
pas à la fraternisation. Ce sont les désertions qui se multiplient
particulièrement au sein des Brigades internationales moins
encadrées que les armées franquistes. Autre paradoxe qui n'est
jamais évoqué par la saga antifasciste, lorsque l'armée de Franco
fait des milliers de prisonniers, surtout soldats espagnols
républicains, elle ne les fusille pas tous mais... les intègre dans
ses rangs1.
La
fraternisation avancée par Bilan fût sans doute une pétition de
principe mais elle était la seule réponse révolutionnaire valable,
et pas un engagement impulsif sous la pression du tintamarre du « no
pasaran » : « Qu'au moins les massacres d'Espagne
nous fassent comprendre (pour) les éruptions de classe de
demain... » (Bilan n°36).
1
L'excellent livre Guy Hermet, p.266. La guerre d'Espagne (poche seuil, 1989)
1Publié
par le cercle journalistique oecuménique, Controverses, camion
poubelle du CCI :
http://www.leftcommunism.org/spip.php?article352
2
cf. Notes pour une histoire de la Gauche communiste, article du CCI
de 2006 : https://fr.internationalism.org/rinte9/italie. ET su toute la période la thèse excellente de Michel Roger publiée sous le titre: Les années terribles.
3Revue
Bilan, p.1080.
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