Par Berger
Cahiers du
Bolchevisme, PREMIERE ANNEE N°27, organe théorique du Parti Communiste Français, (S.F.I.C.)
15 septembre 1925
Prix du numéro : 1 fr.
REDACTION ET ADMINISTRATION : 142 Rue Montmartre,
PARIS
……..
En fouinant
dans mon fonds d’archives, qui comporte plusieurs numéros des Cahiers du
Bolchevisme, je suis tombé sur cet article assez exemplaire d’un effort de
documentation du point de vue du combat politique prolétarien, sans prendre les
lecteurs pour des imbéciles. Elles semblent loin les années 1920, et pourtant
ce qui est décrit apparaît si proche de la réalité actuelle, tortueuse, opaque,
avec d’autres compétiteurs en lice qui ont remplacé les anciens colonialistes
(encore présents pourtant) ; mêmes rivalités communautaristes et
religieuses, même inexistence d’organisations du prolétariat, pas aussi
sanglant… Le PCF de 1925 était de plus en plus opportuniste, mais son organe
théorique bien avant de sombrer sous le nom infâme de Cahiers « Maurice
Thorez », contient bien des pépites, que je vous révèlerai… au
compte-goutte en fonction de l’actu.
JLR
Le dessin du journal satirique "Le Rire"(1894-1950...) moque le sanguinaire Sultan Abdul Hamid sous la dictature duquel ont été massacrés par dizaines de milliers les Arméniens mais aussi des populations arabes qui subissaient le joug et la terreur de l'Empire Ottoman.
Le dessin du journal satirique "Le Rire"(1894-1950...) moque le sanguinaire Sultan Abdul Hamid sous la dictature duquel ont été massacrés par dizaines de milliers les Arméniens mais aussi des populations arabes qui subissaient le joug et la terreur de l'Empire Ottoman.
………
Différent
en cela des pays qui lui sont attenants au Sud et à l’Est, la Syrie, dont le
mandat est actuellement dans les mains de Français, se trouve à un niveau
relativement élevé de culture politique. Les débuts du mouvement national
syriaque se rapportent à 1860, date à laquelle l’un des notables de Syrie,
Bustros Oslami, fonda le premier journal politique, intitulé : Nphi Souria
(La Flûte Syriaque). Ce n’est que quarante cinq ans plus tard que le mouvement
politique prit une extension vraiment
sérieuse. Le despotisme d’Abdul Hamid, qui opprimait cruellement le peuple
syriaque, qui entravait le développement économique de la Syrie et qui livrait
les habitants , privés de tous leurs droits, à l’arbitraire effréné des pachas,
incita les intellectuels syriaques à participer activement au mouvement
émancipateur qui s’allumait à l’époque dans toute la Turquie. Les
révolutionnaires venus de l’Egypte, fuyant les féroces persécutions des
autorités turques, lançaient au peuple de Syrie des appels éloquents où étaient
peints les tourments subis par le peuple, le joug sous lequel il gémissait et
les possibilités du renversement du sultan :
« Musulmans !
La tyrannie est le plus affreux des péchés, il faut que les fidèles y mettent
fin. Et vous, qui n’êtes point musulmans, oubliez les discordes passées :
vous avez la science, il faut qu’elle vous aide à rétablir l’unité…
réunissons-nous autour du mot d’ordre : Vive la Nation ! Vive la Patrie !
Nous voulons vivre libres et fiers ! »
Telle est la
conclusion de l’appel lancé en 1866 par Alouakeli, chef de l’organisation
clandestine égyptienne. Cette appel nous montre les particularités essentielles
des conditions politiques de la Syrie ; elles ont permis aux Tucs de
dominer la Syrie pendant des siècles, c’est elles encore qui sont de nos jours
à la base de la domination française. C’est l’existence d’une profonde
mésentente entre deux religions qui ont déchiré la population de Syrie en deux
camps hostiles, grâce à l’activité séculaire de l’Iman et des prêtres
catholiques. Il ne s’agit pas seulement de l’hostilité professée par une
majorité musulmane, se trouvant à un niveau inférieur de développement
économique et culturel, à l’égard d’une minorité chrétienne «économiquement et
culturellement supérieure ; non, nous assistons ici à des rivalités, des
intrigues, des chicanes auxquelles sont mêlées pour le moins 27 religions et
sectes constamment à couteaux tirés, sur un petit territoire, et constamment en
train d’exciter l’un contre l’autre les divers éléments de la population, ce
qui entraine sans cesse des désordres politiques, des querelles, des excès, des
troubles[1].
Si, maintenant encore, selon l’affirmation d’un homme politique de Syrie, il est
impossible d’éclaircir la question des partis syriens sans parler de questions
confessionnelles, cela est d’autant plus vrai pour ce qu’il en était, il y a
une vingtaine d’années. Toutefois la révolution jeune-turque de 1908 a permis à
divers comités et groupes de s’unifier, ne fût-ce que pour un temps.
Cette
révolution du 24 juillet 1908, qui força Abdul Hamid à proclamer la
Constitution, élaborée dès 1876, mais qui, à l’époque, avait été mise au
rancart, fut également pour la Syrie un signal de révolte. La Constitution
provoqua partout une allégresse sans exemple : « On se félicitait de
la victoire si facilement obtenue ; on oubliait les souffrances passées.
Musulmans, chrétiens et juifs s’embrassaient avec effusion. Dans les villes, on
voyait les femmes débarrassées de leurs voiles participer à la joie des foules
de manifestants » (La Syrie, livre du docteur Georges Somais, Paris, 1921,
p.56). Les exilés revinrent en Syrie et prirent une part active à la formation
du Gouvernement révolutionnaire. Dès les premières élections générales, la
Syrie envoya au Parlement des délégués nationalistes dont le mandat était d’exiger
la réforme radicale de l’Empire Ottoman et l’octroi de l’indépendance la plus
large à certaines de ses parties.
Mais cette unanimité
fut éphémère. Après la Révolution de 1908, si facilement triomphatrice, Abdul
Hamid fît en avril 1909 une tentative contre-révolutionnaire qui échoua après
une lutte brève, grâce à l’énergique intervention d’Enver bey, le chef du parti
jeune-turc. Le nouveau gouvernement jeune-turc était nettement nationaliste ;
la bourgeoisie turque, héritière d’un féodalisme pourri du sommet à la base,
espérait encore pouvoir sauver et maintenir la plus grande partie de l’Empire
Ottoman. Au lieu de l’émancipation nationale espérée par les nationalistes
arabes qui avaient soutenu les Turcs dans leur lutte contre le sultanat, les
capitalistes turcs voulurent assimiler par la violence les provinces arabes.
La langue
turque fut la seule admise officiellement, les fonctionnaires arabes furent
autant que possible remplacés par des fonctionnaires turcs et l’armée fut
réformée de façon que les paysans et les prolétaires arabes (seuls mobilisés,
vu la pratique du remplacement) pussent être envoyés loin de leur pays natal.
Les impôts, et en tout premier lieu l’aschar, impôt agricole, particulièrement
lourd pour la paysannerie, furent perçus encore plus impitoyablement que jadis
et sensiblement majorés.
Cette
politique oppressive provoqua un nouveau réveil de l’action libératrice
syrienne ; ce mouvement fut réduit par tous les moyens. Un « Comité
de Réforme », constitué dans la période où le premier cabinet
révolutionnaire, celui de Khiamal pacha, était au pouvoir, et qui avait pour
objet de défendre les revendications de la Syrie, fut dissous sans autre forme
de procès, au début de 1913. Le télégramme de protestation envoyé à ce sujet au
grand-vizir par 1.300 personnalités syriennes reçut une réponse laconique, dans
laquelle il était fait usage des
expressions suivantes, bien caractéristiques :
« … Le
Gouvernement a déjà publié la liste des réformes qu’il croit possible d’octroyer.
Nous vous invitons à mettre en garde la population en lui faisant savoir que
quiconque se laisserait entrainer à des manifestations séditieuses sera traduit
devant un Tribunal militaire qui prononce sentence dans un délai de deux
heures. Les autorités militaires ont reçu à cet effet des instructions strictes »
(Correspondances d’Orient, 16 mai 1913).
La révolution
bourgeoise, qui combinait en Turquie des aspirations capitalistes nouvelles
avec les méthodes mêmes dont s’était servi l’ex-pacha, ne tarda pas à perdre
tout crédit parmi les masses. Sous la pression des nationalistes turcs, deux
grands courants politiques se cristallisèrent bientôt qui, par la suite, devaient
servir de base à deux grands partis : d’un côté les Arabes mahométans, qui
estimaient être une fraction de la grande nation arabe et qui habitaient toute
la région méridionale de l’Empire Ottoman : le littoral de la Méditerranée
(Syrie et Palestine), la Péninsule Arabique, la Région du Tigre et de l’Euphrate
(Irak) jusqu’à la frontière persane ; ces Arabes mahométans opposaient à l’expansion
turque l’idée de l’indépendance des Etats arabes (c'est-à-dire mahométans).
Quant aux chrétiens habitant la Syrie, ils se trouvaient sous l’influence de la
mission française, qui depuis longtemps déjà se préparait un terrain parmi eux,
et ils étaient orientés sur l’Europe, ou, pour mieux dire, sur la France. Pour
centre politique, le mouvement pan-arabe avait Damas pour centre spirituel, la
Mecque, où résidait Hachmid-Hussein, descendant du prophète, instigateur du
mouvement, qui briguait la royauté et le califat.
La déclaration
déposée « en leur propre nom et au nom des pays dont ils étaient les
représentants » par les 35 parlementaires arabes, faisait de Hussein « le
chef religieux de tous les pays arabes ».
Le mouvement
francophile prit d’autres formes : il arbora le pavillon de l’indépendance
des diverses régions habitées par des chrétiens. Ainsi surgit le mouvement en
faveur de l’indépendance du Liban et le « Parti national libanais »,
avec, pour centre, Beyrouth, mais pour moteurs principaux les Comités étrangers
créés à Paris, New York et Sao-Paulo (en effet, grâce à l’importante émigration
libanaise, de fortes colonies de Libanais, restés en rapports étroits avec leur
pays, se formaient dans les deux Amétiques). Le parti national obéissait aux
directives des Français qui le subventionnaient. Il n’avait de commun avec le
mouvement national arabe qu’une haine égale pour la Turquie.
Lorsqu’éclata
la guerre, ces partis estimèrent que le moment d’agir était venu. Les Comités
firent preuve d’une activité fébrile, l’un et l’autre camp s’orientant sur l’Entente,
Hussein négocia avec les Anglais, les Libanais appelaient les Français. Dès le
début de la guerre, Syriens et Libanais se mirent sous la protection française,
et on les vit en grand nombre s’engager dans les armées de leur protectrice.
Les Turcs
persécutèrent avec une égale rigueur aussi bien les Arabes, disposés à se
contenter d’une autonomie restreinte dans le cadre de l’Empire Ottoman, que les
chrétiens amis des Français. En septembre 1915, onze nationalistes notoires
furent exécutés à Beyrouth ; en avril 1916, vingt nationalistes furent
condamnés à mort à Damas, et quelques-uns pendus ; mêmes exécutions à
Jaffa, Jérusalem et Nabussah. Des milliers d’incarcérations et d’extraditions,
des vexations sans nombre : on mettait le feu à des villages entiers, on
bâtonnait les habitants. Les généraux turcs, énergiquement soutenus par les
Allemands, essayaient de résoudre la question syrienne aussi « radicalement »
que l’arménienne et la grecque. Les militants du mouvement libérateur arabe
surent dignement mourir pour leur idéal. Au pied de la potence, ils criaient,
soit « Vive l’Arabie indépendante ! soit « Vive la France ! ».
Les Turcs ne s’arrêtèrent pas devant la dernière sanction, la plus terrible :
ils essayèrent de prendre par la famine les régions révoltées. La cessation du
ravitaillement de ces régions les transforma bientôt en de véritables
cimetières. Après deux ans, la population de la Syrie avait diminué de près d’un
tiers. Les soldats français y trouvèrent un peuple mourant de faim. Les
habitants les accueillirent en libérateurs.
En effet,
beaucoup d’entre eux pensaient que les Alliés, à l’adresse desquels ils avaient
entendu tant de louanges proclamées par les chefs révolutionnaires, apportaient
avec eux la liberté. C’est que les chefs s’étaient laissé duper par les
promesses solennelles des Français et des Anglais, et puis bon nombre de
leaders libanais étaient tout simplement achetés par le gouvernement français.
Les partis
attendirent que les Alliés tinssent leur promesse. Les nationalistes arabes
excipaient le traité passé par l’Angleterre avec Hussein en 1915 ; le
Comité libanais soumettait en février 1919, au Conseil des Dix, les
revendications suivantes :
1°
Indépendance du Liban ;
2°
Reconstitution de ses frontières historiques et naturelles ;
3° Concours
amical de la France.
Les deux
partis présentaient de volumineux memorandums, rédigeaient des résolutions
protestataires et organisaient des manifestations ; ils envoyaient
délégation sur délégation aux conférences ; en fin de compte le parti
national arabe se décida, non sans être soutenu par les Anglais, à faire une
démarche révolutionnaire.
Les puissances
signataires des traités de Versailles et de Sèvres furent placées devant le
fait accompli : le couronnement et l’avènement au trône arabe, à Damas, de
Feyçal, fils cadet de Hussein. Mais, au dernier moment, l’Angleterre refusa à
Feyçal le concours qu’elle lui avait promis. La royauté arabe essuya un fiasco
pitoyable, et l’arbitraire illimité des « libérateurs français »
sévit dans toute sa force.
Les méthodes des nouveaux dominateurs ne différaient que fort peu de celles d’Abdul Hamid et de Djémal pacha, qui, comme on sait, joua pendant la guerre un rôle de bourreau. Prison, déportations, privation des droits civiques, sévère censure, strict contrôle policier et militaire, toute cette machine oppressive força le parti national arabe à rentrer sous terre et lui fit perdre le gros de son influence, encore importante en 1920.
Les méthodes des nouveaux dominateurs ne différaient que fort peu de celles d’Abdul Hamid et de Djémal pacha, qui, comme on sait, joua pendant la guerre un rôle de bourreau. Prison, déportations, privation des droits civiques, sévère censure, strict contrôle policier et militaire, toute cette machine oppressive força le parti national arabe à rentrer sous terre et lui fit perdre le gros de son influence, encore importante en 1920.
Seuls, les
partis francophiles jouissaient de la protection et du concours des occupants,
car ils étaient, en Syrie, les avant-postes de la France et servaient de
paravent à cette dernière[2].
Les représentants de ces partis occupèrent toutes les fonctions publiques et
gouvernementales, commandèrent la milice, etc. Les notables, c'est-à-dire les
gros propriétaires, les gros négociants, etc., qui, dans le temps, savaient
seuls trouver un langage commun avec les Turcs , s’entendirent fort bien
avec les Français, car ceux-ci ne songeaient nullement à restreindre leurs
opérations et à léser leur bien-être. Les notables surent se rendre utiles aux
occupants ; c’est ainsi qu’ils étaient prêts, le cas échéant, à jouer
devant les généraux français le rôle convenu de représentants du peuple,
exactement comme jadis devant les pachas turcs.
Le mouvement
légal, c'est-à-dire francophile, se rallie autour de plusieurs partis dont les
opinions diffèrent dans les questions suivantes :
1° Attitude à
l’égard du mandat français : il faut remarquer que tous les partis
officiels reconnaissent en principe le mandat français que récusent seuls les
nationalistes arabes, pour la plupart anciens membres du « Parti National
Arabe », des musulmans, que l’on appelle « extrémistes » et « fanatiques »,
mais qui représentent les trois quart de la population.
Parmi les
partis officiels, il y en a qui sont opposants, c'est-à-dire qu’ils critiquent
le mode actuel de mise en pratique du mandat : ils exigent des réformes
économiques, une réforme agraire, une diminution du corps expéditionnaire
français. Près de la moitié des journaux arabes qui paraissent à Beyrouth
appartiennent à cette manière « d’opposition ». Les principaux de ces
organes sont : Al-Abrar, Ray-el-thoui[3]et
le grand journal Alifba, paraissant à Damas.
Les autres
souscrivent aveuglément à tout ce que fait le gouvernement mandataire ;
leurs journaux sont : la Syrie, l’Orient, le Réveil, paraissant en langue
française, et l’Elborg, en langue arabe. On retrouve ces deux mêmes tendances
dans les Parlements des divers Etats syriens. Ne représentant aucunement le
peuple, tel et tel parti n’a de succès aux élections que grâce au Gouvernement
français, qui a confiance en lui et de qui il a su se faire bien voir, en se
servant pour cela, en premier lieu, des calotins, tout-puissants en Syrie ;
2° Position à
l’égard des questions administratives et surtout celle de l’unité de la Syrie.
Les uns d’entre ces partis sont les protagonistes d’une autonomie maximum de
chaque région ; les autres aspirent à la création d’une Syrie indivise
additionnée, au Sud, de la Palestine, au Nord, de la Silicie. Les tentatives
séparatistes sont particulièrement vives au Liban, qui jouissait déjà d’une
certaine autonomie sous la domination turque. Les uns veulent que soit fondé un
« Grand Liban », Etat indépendant, allié de la grande France ;
les autres estiment que ce grand Liban n’est qu’un subterfuge français pour s’avancer
dans l’Orient méditerranéen et compléter ainsi les possessions françaises de l’Afrique
du Nord (Paul Pich : la Syrie et la Palestine, Paris 1924) ;
3° Enfin, les
partis diffèrent quant aux idées politiques qu’ils défendent et qu’ils veulent
réaliser.
En premier
lieu, il faut signaler les royalistes. C’est un groupe de notables qui s’intitulent
« Parti National Libanais » et qui voient une solution de la question
syrienne dans l’élection d’un roi, monarque constitutionnel. La dignité royale,
bien entendu, serait héréditaire. La couronne serait donnée à un représentant
de la dynastie des Orléans, qui depuis plusieurs siècles déjà ne trouve pas à
se placer en France et qui est prêt à prendre la nationalité libanaise, pourvu
qu’il y ait au Liban un peuple à pressurer. Ce parti est d’ailleurs très
faible.
Il y a un
autre parti qui veut proclamer la République Libanaise sous le protectorat
français.
L’idéal d’un
troisième groupe est un système de self-gouvernement municipal, une espèce de
démocratie communale.
Il y a, enfin,
des politiciens qui prennent le nom de socialistes et même d’ « extrémistes ».
Ils rappellent la bourgeoisie libérale qui prospérait en Europe, il y a
quelques décades. Ils combattent la gentilhommerie et l’aristocratie,
préconisent l’égalité devant la loi, des possédants et des non-possédants,
défendent l’impôt progressif et, au contraire des chefs des autres partis, sont
des libre-penseurs, des athées, des francs-maçons. Il leur arrive de critiquer
le Gouvernement, de se lamenter sur les souffrances du malheureux peuple ;
mais il ne leur arrive jamais de se bouger le bout du doigt pour organiser un
parti ouvrier ou même, ne serait-ce qu’un parti populaire.
Tels sont les
partis existant en Syrie. Ils sont tous composés des représentants des
propriétaires féodaux, des capitalistes, de la petite bourgeoisie, enfin, dont
la position est très précaire. Quant aux paysans et aux prolétaires, qui
subissent des violences affreuses, ils ne possèdent pas de partis politiques,
ils n’ont pas de journaux.
Un essai a été
fait, en vérité, pour créer des partis ouvriers. Le 11 mai 1907, à Beyrouth, sous Abdul Hamid, une manifestation
socialiste se déroula assez paisiblement, d’après le témoignage du Dr Georges
Somais, dans son livre La Syrie ; le Gouvernement n’osa pas attaquer les
manifestants, qui jouissaient des sympathies de l’opinion publique. Avant et
après la guerre, de nombreuses tentatives ont été faites pour organiser un
parti ouvrier, mais elles ont toutes échoué par suite de l’insuffisance des
ressources et par suite des obstacles sans nombre soulevés soit par le Gouvernement,
soit par les autres partis.
Cela n’empêche
pas que les semences du communisme aient été apportées en Syrie. Parmi les
intellectuels qui ont fait leurs études en France et qui s’y sont trouvés en
contact avec les communistes français, il y a des hommes qui voient clairement
le fond de la politique rapace et exploiteuse du Gouvernement actuel et qui ne
peuvent être satisfaits par aucun des partis existants.
Les partis
francophiles puisent ouvertement à la caisse française. Le Gouvernement de la
République favorise la création de groupes et de partis sans cesse multipliés
et qui lui sont avantageux par ce qu’ils empêchent que l’un de ces partis
devienne assez puissant pour le gêner. Les subsides, qui au commencement
étaient versés directement par le haut commissaire, sont maintenant remis aux
destinataires par les ordres religieux, jésuites ou capucins. Le Gouvernement
gratifie de sa bienveillance le socialisme petit bourgeois, et quelques-uns des
journaux « socialistes » se voient même accorder des allocations. En
effet, leurs tirades humanitaires et égalitaires détournent on ne peut mieux l’attention
des masses populaires des causes véritables de leurs infortunes et les
maintient dans la loyauté. (Le rédacteur de l’un de ces journaux, après avoir
maintes fois proclamé son « socialisme » et même son « bolchevisme »,
bien que modéré, ne disait-il pas dernièrement qu’on ne peut refuser au
Gouvernement de la « bonne volonté ».
Beaucoup de
partis hostiles à la France vivent aux crochets d’autres gouvernements, surtout
de l’Angleterre ; du reste, ils ne vont pas plus loin que le pan-arabisme,
qui revient à la domination de l’aristocratie indigène dans l’état arabe.
Outre l’absence
d’un parti arabe vraiment national, l’indifférence professée par l’opinion
publique européenne de toutes nuances à l’égard de la question syrienne ou son
hostilité vis-à-vis de toutes les solutions de ce problème qui ne sont pas
celles actuellement appliquées, font que les intellectuels de Syrie se
rapprochent du communisme. « Nous nous sommes adressés déjà à tous les
partis de l’opposition en leur demandant de donner place dans les colonnes de
leurs journaux à des articles expliquant l’exacte situation de la Syrie, dit l’un
des chefs nationalistes, et ils ont tous refusé de le faire, sauf le Parti
communiste, qui les publia dans l’Humanité ». Les noms de Cachin et
Berthon sont très populaires en Syrie.
Cette idée
communiste que l’ouvrier et le paysan de Syrie doivent eux-mêmes prendre en
mains leur destin et que, seuls les prolétaires et les paysans unis peuvent
arriver à affranchir le peuple syrien, cette idée a pris profondément racine
parmi les opprimés : on peut s’en rendre compte d’après la campagne de
calomnies dont le bolchevisme fait l’objet dans la presse. Cette campagne est
loin d’être intelligente et adroite. Elle fait usage de mensonges ridicules et
qui n’ont plus cours en Europe, elle se contredit à tout bout de champ et ses
ineptes élucubrations n’arrivent qu’à un seul résultat : celui de mettre à
nu la peur croissante éprouvée devant le flux de sympathie populaire à l’égard
du communisme.
Tous les
adeptes du mouvement d’émancipation national et de la révolution sociale du
prolétariat prévoient la prochaine formation, en Syrie, d’un Parti communiste
appelé à conduire les masses dans la lutte pour la liberté.
[1]
Le petit tableau ci-contre donne une idée des principales religions de Syrie,
sans mentionner les sectes moins importantes et sans indiquer le nombre exact
des adeptes :
MUSULMANS
Sunnites : 1.500.000
Shiites :
100.000
Nosairites : 350.000
Druzes
: 85.000
Izmaélites :
25.000
Sectes moins importantes : 40.000
En tout : 2.100.000
CHRETIENS
Minorites : 300.000
Orthodoxes : 225.000
Melchites : 90.000
Grégoriens : 35.000
Catholiques : 20.000
Sectes moins importantes : 30.000
En tout : 700.000
Ces données sont empruntées aux dossiers du haut
commissaire français et se rapportent à 1922.
[2]
Dès le 25 août 1924, au cours d’une discussion à la Chambre au sujet de la
ratification du traité de Lausanne, le président de la Commission
gouvernementale, mis au pied du mur par les communistes, rapporta le témoignage
d’un indigène de la Syrie pour confirmer les belles choses qu’il disait sur les
bienfaits des Français en Syrie : « savez-vous qui est celui qui a le
plus contribué à l’entrée des Français en Syrie ? Le beau poète
Chécri-Gaouem, si populaires parmi les
Arabes et dont le frère a été exécuté par les Turcs. Il y a quelques jours, je
l’ai rencontré ; nous nous sommes entretenus des réformes qu’il est
indispensable d’apporter au mandat. Il s’est confondu en remerciements
chaleureux à l’adresse de notre pays qui a affranchi le sein du joug criminel
sous lequel il a gémi des siècles durant ».
[3]
La presse politique a commencé à se développer pendant la révolution turque et
a pris une grande extension après la guerre. A Beyrouth, où il n’y a que
150.000 habitants, paraissent 15 journaux quotidiens (dont 3 en français) et de
20 à 25 éditions périodiques. Damas possède 7 quotidiens ; presque dans
chaque ville de Syrie paraissent un ou plusieurs périodiques. En ce sens, la
Syrie a devancé la culture égyptienne.
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