Suite passionnante: vous l'aurez remarqué, Andrea Graziosi non seulement renouvelle l'étude du déroulement de la contre-révolution, rejetant l'hystérie bourgeoise qui charge systématiquement le parti bolchevique de toutes les horreurs, en majeure partie dues à une société arriérée, mais il souligne comme notre maximalisme l'erreur de s'être emparé de l'Etat, et, en même temps le souci de responsabilité de Lénine grâce à la NEP et au traité de Brest-Litovsk (que les néo-anars comme Sabatier avaient dénoncé stupidement comme "coup d'arrêt à la révolution). Olivier moi avions été lui porter la contradiction à la fin des années 1970 lors de la sortie de sa plaquette aux Cahiers Spartacus).
Et surtout plus étonnant, dépassant nos superficielles analyses sur la décadence, il 'utilise pas cette notion mais "régression" du fait de la guerre de 1914. Remarque fondamentale qui détruit toute la pesante idéologie bourgeoise qui accuse systématiquement la révolution en Russie. Oui famine et massacres ne sont pas à mettre simplement sur le dos de Staline! L'ensemble du capitalisme est entré en régression historique et les démocraties ont laissé faire famines et massacres pendant 50 ans!
JLR
traduction: Jean-Pierre Laffitte
(...)
En juillet, alors
que, selon, Rakovski, il y a eu plus de 200 révoltes en 20 jours, ce mouvement
a atteint son deuxième apogée (le premier, en décembre 1918, a coïncidé avec la
chute de Skoropadski)43. Il est bien connu que ces révoltes, et
plus souvent les actions de bandes d’insurgés, étaient accompagnées par un
certain nombre de pogroms antisémites féroces. La population urbaine russe a
joué un rôle actif dans certains d‘entre eux, et, dans les semaines qui ont
suivi, les troupes de Denikine ont encore perpétré de nouveaux massacres.
Cependant, du moins dans le cas des pogroms populaires et paysans, nous avons
affaire, je crois, aux conséquences de l’explosion du “national-socialisme”
spontané mentionné ci-dessus dans des conditions de régression générale et de
barbarisation[44]. En août, les
bolcheviks ont été vaincus. Les partisans et les paysans ukrainiens ont alors dirigé leur fureur
contre Denikine, qui avait été capable de conquérir l’Ukraine en partie grâce à
la politique erronée des bolcheviks contre leur propre armée de partisans et
aux “trous” ouverts dans le front Rouge par la révolte de Hryhoriv et la
persécution de Makhno[45].
Il a souvent été
soutenu que les révoltes paysannes de 1918-19 n’ont exprimé clairement aucun
programme unifié, et que les mouvements ruraux en général seraient, par
définition, incapables d’élaborer des programmes. Mais, s’il est vrai que nous
avons affaire à de fortes variations régionales et nationales, de même qu’à de
nombreuses nuances idéologiques différentes prenant racine dans les différentes
visions du monde des leaders paysans et des atamans, le fait que les villages
aient exprimé à l’époque une série de requêtes montrant une homogénéité
surprenante me semble indéniable. Les points principaux de ce “programme” commun
étaient les suivants :
a)
Le tcherny peredel [le partage noir]. En
Russie, c’était souvent la commune paysanne (obchtchina) qui le réalisait, et qui retrouvait ainsi un nouveau
souffle. En Ukraine ou en Sibérie, ce sont les assemblées paysannes et d'autres
institutions traditionnelles qui s'en chargeaient.
b) La fin des
réquisitions, du monopole d’État sur les céréales et sur les autres denrées
alimentaires, et le retour à un marché libre. Aussi inhabituel que cela puisse
paraître, à cette époque, les révoltes paysannes se déroulaient sous la
bannière du libre-échange. Cependant, celui-ci était généralement identifié au
marché local[46]. Les paysans
demeuraient fermement opposés à la “spéculation” “étrangère” et aux
“spéculateurs” et ils établissaient ainsi une distinction qui correspond bien à
celle entre marchés et capitalismes introduite par Braudel dans The Wheels of commerce [Les roues du
commerce].
c)
Des
soviets libres, c'est-à-dire l’autonomie politique. Partout, cela signifiait
des soviets sans communistes. Dans les premières limites du village, les juifs
et les Moscovites (moskali,
c'est-à-dire les étrangers) ont été ajoutés à la liste. L’extrême popularité de
ce slogan en 1919 (les cosaques anti-bolcheviks avaient déjà été
“prosoviétiques” en 1918) indique que, en 1918-19, le mythe soviétique s’était
fermement implanté dans les campagnes (son attrait provenait probablement de la
capacité à décider – par exemple, en matière de paix et de terres – en
association avec les soviets après la révolution d’Octobre). La Sibérie
occidentale et l’Oural, où résonnaient en 1919 des slogans en faveur de l’Assemblée
constituante, et Tambov, où Antonov la contestait encore en 1921, étaient des exceptions
majeures.
d) Pas de sovkhozes
et pas de communes imposés d’en haut (il ne s'agit bien entendu pas de communes
paysannes). Ce concept s'énonçait également comme un non à la nationalisation et un oui
à la socialisation de la terre, le premier étant souvent identifié à la
réintroduction du servage et le second n'étant généralement qu'un sobriquet
pour le partage noir. La haine des paysans envers les communes bolcheviques
était si aiguë qu'elle rayait le terme même de communia du langage politique acceptable.
e)
Le
respect de la religion, ainsi que pour les coutumes et les traditions locales
et nationales.
En particulier,
dans sa partie économique, ce programme pouvait être défini comme
“socialiste-révolutionnaire”. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il
s’agissait de l’expression précise et directe des revendications du PSR, qui,
par exemple, n’incluaient pas les soviets libres. Cela ne signifiait pas non
plus que le PSR, en tant qu’organisation politique, détenait la direction de
l’insurrection paysanne. D’après les rapports du VChK, nous serions tentés de dire
que ce programme exprimait ce que nous pourrions appeler l’idéologie
socialiste-révolutionnaire générique (eserovchtchina)
qui prévalait alors dans les milieux populaires, et souvent aussi intellectuels,
russes, sibériens et ukrainiens [47].
La brutalité et la
violence exceptionnelles pratiquées par toutes les parties impliquées a
constitué une autre des caractéristiques essentielles de ces événements (dire
cela ne veut pas dire que l’on devrait oublier qui était, à la fois en général
et au cas par cas, l’agresseur).
De leur côté, les
paysans et les bandes rebelles, qui disposaient souvent de leurs propres
“unités spéciales”, ont commis des excès sauvages, symbolisés par les tortures
médiévales infligées aux juifs. La profondeur des idées de Bounine et la
réalité de la régression provoquée par la guerre et par les conflits
civils et nationaux qui ont suivi ont été ainsi une fois de plus prouvées.
L’autre camp (les
bolcheviks dans notre cas, mais les Blancs n’étaient jamais les derniers et ce
sont eux qui souvent menaient le jeu), outre ses tortures systématiques pour
réquisitionner les céréales, a même ressuscité les flagellations de masse à la
Araktcheiev, dénoncées par Herzen et par Saltykov-Chtchedrine. En conformité
avec les usages des temps modernes et de la Première Guerre mondiale, ces
flagellations s’accompagnaient de la destruction de villages entiers (ceux qui
étaient identifiés comme étant des « nids de bandits ») ; de
l’exécution des otages (c'est-à-dire des proches des “bandits” présumés) ;
de la décimation des hommes adultes (A. Kolegaïev, l’ancien commissaire
socialiste-révolutionnaire russe à l’Agriculture, envoyé avec Rakovski en
Ukraine au début de 1919, et qui est ensuite devenu un membre du soviet militaire
révolutionnaire (RVS) du Front sud, s’est enquis du pourcentage d’hommes
adultes exécutés dans la région du Don)[48], et des
représailles massives. L’exécution de douzaines, voire de centaines, de paysans
pour chaque communiste mort était souvent l’objet d’une menace et elle était
parfois mise en pratique.
Une fois de plus
avec l’exception possible de l’Asie centrale, cette férocité a atteint son pont
culminant dans ce qui était alors appelé le Front du Sud : l’Ukraine
orientale et méridionale, le Don et le Caucase du Nord[49]. Le fait qu’il
s’agissait de zones céréalières majeures, et par conséquent du théâtre de réquisitions
beaucoup plus rigoureuses, y est certainement pour quelque chose. Mais c’est le
facteur national qui a joué un rôle encore plus important.
En raison de leur
expérience de cette violence, l’évolution susmentionnée de la direction
bolchevique dans ces régions s’est déroulée à un rythme beaucoup plus rapide.
Dans un milieu où l’antagonisme entre
le nouveau régime et une grande majorité des populations locales était
particulièrement aigu, la cooptation d’éléments d’origine populaire, possédant peu
ou pas du tout de bagage idéologique, mais qui étaient prêts à faire ce qui
leur était demandé, a bientôt pris des caractéristiques tout à fait spécifiques.
Elles étaient déterminées par un autre “facteur” loin d’être marginal :
Staline. En tant que commissaire aux Nationalités et, par conséquent,
responsable des territoires non-russes, et en tant que membre le plus influent
du RVS du front Sud, Staline dirigeait sur place le processus de sélection
mentionné ci-dessus. Ses produits ont été les Vorochilov, les Boudienny et les Evdokimov,
souvent personnellement corrompus (par exemple, le père de cette “école GPU du
Caucase du Nord”, qui était peut-être la matrice la plus importante des
tortures et des tortionnaires des grandes purges)[50].
Ces hommes ont
joué un rôle fondamental dans la formation de la suite personnelle de Staline
et de ses méthodes. Bien sûr, d’autres suites personnelles se sont alors
cristallisées autour d’autres dirigeants importants comme Trotski, mais elles
étaient plus restreintes et moins cohérentes pour un certain nombre de raisons
qui ne peuvent pas être discutées ici[51].
Très vite, l’usage
du terme droujina (les compagnons du
prince) qui renvoie au processus de formation de l’État à des époques révolues,
m’a semblé approprié pour décrire ces phénomènes. C’était amplement justifié
par les réalités de l’époque[52]. Ce n’est que
plus tard que j’ai découvert que ces proto-staliniens, dans leurs lettres
privées, s’adressaient aux autres avec le terme d’“ami” (droug) tout en réservant à Staline le titre de “notre principal
ami” (nash glavnyi droug). Ce ne sont
là que des mots et ils ne peuvent prouver la validité d’aucune hypothèse, mais
je dois avouer que cette découverte m’a en même temps surpris et plu[53].
Il convient
également de noter qu’une grande partie des cadres moyens et inférieurs de
cette droujina étalent originaires
des centres urbains du Donbass, dont le caractère “colonial” a déjà été
mentionné. Au printemps de 1918, les gardes rouges de Lougansk, Kharkiv,
Ekaterinoslav (aujourd'hui Dniepropetrovsk) et Makeevka (Makiivka), dirigés
alors par Vorochilov, avaient fait retraite vers l’est devant l’offensive
allemande. Ils se sont retrouvés à Tsaritsine (aujourd'hui Volgograd) où ils
ont formé le noyau de cette Armée X qui
– comme Trotski l’a immédiatement remarqué – devait procurer à Staline un bon
nombre de fidèles hommes de main.
Comme l’attestent
les recueils périodiques (svodki) que
le VChK avait commencé à préparer pour la direction bolchevique[54], la disparition
du danger Blanc (également perçue par une grande majorité de la population
rurale) et la politique de militarisation extrêmement impopulaire adoptée par
le parti, ont été la cause en 1920 de l’explosion de l’eserovchtchina que j’ai déjà mentionnée. Je pense que l’on peut
affirmer sans risque de se tromper que la plus grande insurrection paysanne
depuis l’époque de Pougatchev a eu lieu à cette époque. Elle a atteint don apogée
en 1921, et elle ne s’est apaisée qu’une année plus tard.
Les différences entre
la Russie, l’Ukraine, la Sibérie et les pays cosaques, étaient à nouveau significatives.
Elles avaient de nombreuses causes, allant des événements des années précédentes
– il y avait eu des régions épuisées et des régions dont l’énergie était encore
relativement inexploitée – à la diversité des politiques des bolcheviks. En Russie
par exemple, les réquisitions ont été imposées à des villages entiers, ce qui a
favorisé leur réaction unifiée. En Ukraine, au contraire, le gouvernement a
suivi encore une fois l’approche des kombedy
afin d’obtenir le contrôle d’un monde que les bolcheviks n’avaient pas été encore
capables de pénétrer.
La combinaison de
ces facteurs contribue à expliquer, je crois, à la fois la férocité des combats
ukrainiens, qui opposaient souvent la majorité du village à sa minorité, et la
faiblesse relative du mouvement ukrainien général en comparaison par exemple de
celui de Sibérie occidentale (pour comprendre cela, il suffit de rappeler
combien d’armées Makhno avait réuni entre 1918 et 1920 et combien de cadres et
d’hommes il a perdu en luttant contre les Allemands, les bolcheviks, et
Denikine).
Dans un document,
qui a été récemment publié et qui provenait de l’État-major général soviétique
du début de 1921[55], S. S. Kamenev
rapportait à Trotski que trois types de “banditisme” étaient alors à l’œuvre :
1.
Six
grands “feux” avec des milliers d’insurgés armés qui bénéficiaient du soutien
actif de la population locale et qui pouvaient être rejoints par des milliers
d’autres combattants si et quand la situation l’exigeait (c’est-à-dire l’Antonovchtchina dans la province de
Tambov, avec environ 15 000 petites groupes[56] ; la Sibérie
occidentale, avec 50 à 60 000 rebelles armés ; l’Ukraine de la rive droite,
avec environ 2 500 partisans, principalement des nationalistes ; l’Ukraine de
la rive gauche, où Makhno commandait encore près de 1 500 hommes ; l’Asie
centrale, avec ses quelque 25 000 à 30 000 “basmatchi”[57] ; et le
Daghestan, où près de 5 000 rebelles opéraient au printemps 1921)[58].
2.
Une
pluralité de bandes plus ou moins importantes qui agissaient sur tout le
territoire national, qui étaient liées à la population locale, mais qui ne
bénéficiaient pas de son soutien actif.
3.
Un
banditisme criminel au sens propre du terme, dont la répression était fortement
soutenue par la paysannerie.
En réalité, la
première catégorie aurait dû inclure le Kouban, où une grande révolte,
déclenchée à l’été 1920, venait d’être réprimée, et toute la partie orientale
de la côte de la mer Noire, qui, au printemps 1921, était encore en partie
contrôlée par les “Verts”[59].
Comme en 1919, les
révoltes et leur répression ont été toutes deux extrêmement brutales. En hiver,
les paysans sibériens arrosaient d’eau les communistes et les prodotriady qu’ils capturaient dans le
but de les transformer en statues de glace pour l’“éducation” de leurs
camarades. Quelques mois plus tard, en juin 1921, Toukhatchevski menaçait de
gazer les “bandits” qui se cachaient dans les bois de Tambov, contre lesquels
le gaz a certainement été employé en août[60].
Plus généralement,
les communistes ont recouru, à une échelle qui excédait celle de l’année
précédente, à des exécutions de masse de plusieurs centaines d’individus. Parfois,
cela était fait ouvertement. À Tambov par exemple, des groupes composés de vingtaines
d’otages ont été exécutés à plusieurs reprises à de courts intervalles sur les
places principales des villages afin de “convaincre” les habitants de la
nécessité de dénoncer les “bandits” et leurs familles. Dans d'autres cas, le
secret était de mise et les victimes étaient tuées par des tirs de mitrailleuse
devant des fosses communes ouvertes. À la fin de 1920 par exemple, le
gouvernement a conféré l’Ordre du Drapeau rouge à Evdokimov, dont il a déjà été
fait mention. L’ordre du jour(*)secret, rédigé par
Frounzé, louait les performances de l’“expédition” d’Evdokimov, lequel avait
exécuté près de 12 000 personnes en quelques jours[61]. Dans ce cas
particulier, les individus exécutés étaient des Blancs, et non pas des paysans.
Evdokimov était cependant à la tête du département spécial du Front du Sud, il
avait été engagé dans des combats avec des rebelles paysans au cours des mois précédents,
et peu après il avait codirigé la liquidation du “banditisme” ukrainien (comme
nous le verrons, il a également dirigé en 1930 la répression des révoltes
anti-collectivisation dans le Caucase du Nord).
À la fin de 1920,
Ordjonikidze, Kossior et d’autres dirigeants,
ont organisé ce qui est probablement la première déportation de masse des
éléments “peu fiables” des villages. Des milliers de cosaques, répartis en
trois catégories sur la base de leur supposée “dangerosité” ont été alors
déportés vers le Nord. Quelques mois plus tard, cette pratique a été reprise et
perfectionnée par Antonov-Ovseenko et Toukhatchevski à Tambov. C’était sur
cette expérience que Staline s’est appuyé lorsque, dix ans plus tard, il a
décidé d’étendre le même traitement à l’ensemble du pays avec la
dékoulakisation[62].
Les répressions de
cette ampleur étaient généralement l'apanage des unités spéciales créées au
cours des années précédentes. En 1921, les services spéciaux des différentes
armées, les détachements de l’armée pour le ravitaillement, les unités
spéciales, les troupes du service intérieur, etc., comptaient plusieurs
centaines de milliers d’hommes, parfois d’origine très douteuse (des déserteurs
et d’autres types de délinquants étaient utilisés pour compléter leurs rangs).
Parfois,
l'armée était appelée à intervenir, mais chaque fois que cela a été possible,
le choix s’est porté sur des unités choisies comme la cavalerie de Boudienny,
employée contre Makhno et les villages ukrainiens qui le soutenaient. Ce n'est
que dans les cas les plus graves, comme à Tambov, que des troupes régulières ont
été déployées[63].
Même si les marges
d’erreur sont particulièrement élevées dans ce cas, il est raisonnable supposer
que, entre 1918 et 1921, les victimes des combats et de la répression dans les
campagnes se sont comptées par centaines de milliers[64].
C’est cette
ampleur même qui a incité le parti à essayer de comprendre son ennemi. Ceci
peut expliquer pourquoi, entre la fin de 1920 et le début de 1921, les
communistes ont analysé la situation sociale et économique dans les campagnes avec
une certaine perspicacité. C’est pour des raisons évidentes que le KP(b)U est
allé encore plus loin. À bien des égards, ses résolutions étaient plus proches
des études de Chayanov[65] que des analyses
de classe de la tradition marxiste et des documents officiels ultérieurs.
En fait, ces
résolutions présentaient la campagne – dont la part de la population avait
atteint de nouveau la barre de 86 pour cent datant de 1897 – comme le royaume
de « la petite économie paysanne du type consommateur naturel », le
produit même de la “régression” historique mentionnée plus haut. Et elles
parlaient d’un village transformée en « un “État” de type féodal,
indépendant et auto-suffisant », qui était hostile au nouveau régime
bolchevik et prêt à le combattre non seulement pour la terre, mais aussi
« pour l’équivalent de son propre travail » (c'est-à-dire à ne pas
renoncer docilement aux fruits de son labeur, déjà grandement réduits par la
guerre et les réquisitions, qui avaient provoqué une diminution de 30 pour cent
des terres cultivées et d’énormes pertes d’animaux, de machines, d’outils, et
ainsi de suite )[66].
Ces “nouveaux”
villages se trouvaient face à un parti bolchevik qui, à son tour, avait été
profondément affecté par trois années de guerre contre les Blancs et contre la grande majorité de la population[67], ainsi que par le
processus de construction de l’État qui avait été mis en œuvre dans des
conditions extrêmes. En son sein s’était cristallisé un noyau dur et militarisé
de quelques dizaines de milliers de personnes. Il était dirigé par un groupe
très restreint de grands chefs qui avaient pu survivre aux vicissitudes de
1918-1921.
Ainsi qu’en
témoignent les protocoles du Politburo, ce groupe – environ une centaine de
personnes, parmi lesquelles Trotski a été très tôt un homme isolé – a continué
à diriger le parti jusqu’au milieu des années 1930[68]. En conséquence,
il a partagé la responsabilité collective dans les choix fondamentaux opérés à
la fin des années 1920 et au début des années 1930, ce qui explique au moins en
partie pourquoi tous les efforts de réforme, jusqu’au dernier, entrepris en URSS après 1953 se sont attaqués
au stalinisme violent des purges mais ont laissé intacte la période fondatrice
précédente.
L’idéologie concernant
ce parti au sein du parti a été également profondément transformée par le
“guerre civile”[69], laquelle a
“sélectionné” certaines de ses parties originelles, tout en rendant d’autres obsolètes
et en leur trouvant de nouveaux substituts. Bien au-delà de l’empreinte de
l’expérience militaire en tant que telle, les événements de 1918-1922 ont rendu
acceptable un niveau extraordinaire de coercition vis-à-vis de la population et
ils l’ont imposé comme étant nécessaire. Un profond dégoût et même de la
rancune à l’égard de la démocratie en général – et pas seulement envers la démocratie
”bourgeoise” – se sont ainsi emparés de ce groupe de personnes et des expressions
comme « échec de la démocratie (krakh
demokratsii) », faisant référence à la fois aux “partis petits-bourgeois”
et à l’idée même de la démocratie, sont devenues des lieux communs qui
résumaient les leçons de la guerre (les dirigeants bolcheviks entendaient par
là l’inadéquation totale, et même la nocivité, de l’idée même de la démocratie
dans la “réalité” que la “guerre civile” avait mise à nu devant leurs yeux, dissipant
leurs illusions d’avant 1917).
Dans les régions
non-russes, ce krakh était accentué
par le facteur national[70]. Son fond commun
était cependant la peur éprouvée par le nouveau régime à l’égard de ses
“sombres” masses paysannes, dont l’on ne pouvait pas douter de l’hostilité
(incidemment, les dirigeants mencheviks tels que Martov partageaient eux aussi
ce sentiment, convaincus qu’ils étaient que la politique bolchevique avait
provoqué un glissement radical vers la “droite” des masses rurales)[71].
Un culte insistant
de la force de la volonté, de la détermination, et du chef – le vojd’ –, était le pendant(*) naturel de ce dégoût envers les masses et
de l’image de soi comme étant celle d’un groupe isolé et souvent détesté de
“conquérants” (c’est le terme employé par Lénine). Comme dans le cas du mépris
à l’égard de la démocratie, ces idées étaient bien sûr présentes dans le
bagage idéologique originel des bolcheviks. Mais, avec le temps, elles étaient
devenues quelque chose de différent et elles avaient acquis une nouvelle
qualité. Pour Petrovski, un ancien député bolchevik à la Douma et, en 1921, le
président du nouvel État ukrainien, le communisme était devenu « une
simple question de gouvernement fort et de détermination à exécuter sa
volonté ». Beaucoup d’autres s’étaient convaincu que les paysans, comme
les paysans soviétiques, ne pouvaient être “attachés” au socialisme que par des
chaînes, ainsi qu’Ordjonikidze le rappellera en 1930[72].
Ces évolutions
sont bien illustrées par l’histoire inattendue d’un mot – konspiratsiia – qui mérite un petit détour. Les bolcheviks d’avant
1917 employait ce terme pour désigner l’ensemble des règles de secret et de
codes de conduite qui régissaient leur conspiration clandestine contre
l’autocratie tsariste, menée au nom du peuple opprimé. Mais une fois au
pouvoir, le terme n’a pas été abandonné. Konspiratsiia
est alors devenue le nom officiel du
rideau de mesures de secret par lequel le nouveau régime “socialiste” couvrait ses activités aux
yeux de la population hostile, contre laquelle toutes sortes de défenses
devaient être déployées[73].
Naturellement, ce
fond idéologique commun n’excluait pas de profonds contrastes et n’empêchait
pas le développement de stratégies politiques différentes. Il a été aussi le
point de départ d’évolutions psychologiques différentes au sein de la direction
bolchevique. Au moins une partie d’elle, qui coïncidait souvent, mais pas
toujours, avec sa fraction intellectuelle, considérait cette inimitié féroce
avec une population qu’elle avait rêvé de libérer comme une tragédie personnelle,
et elle tirait de cette contradiction (ainsi que d’autres causes, comme le recours
à la violence à grande échelle) une forte fragilité psychologique – ce qui est bien
attesté par les documents. Cette
faiblesse était généralement maîtrisée et elle n’empêchait pas l’execution de
la politique du parti. Cependant, elle survenait dans des moments de tension ou
sous l’influence de l’alcool, et elle provoquait dans la vie de tous les jours
des comportements incontrôlés qui étaient autrefois qualifiés d’“hystériques”
et qui étaient certainement jugés comme tels par ceux qui n’avaient pas de
problèmes similaires[74].
Parmi ces
derniers, il y avait certainement beaucoup d’hommes apparentant à la droujina stalinienne, laquelle était
déjà en 1920 une composante importante de la direction centrale bolchevique.
Le rôle de
son chef était au moins aussi important. En fait, en examinant les documents de
cette époque, il est difficile de croire que pendant une longue période,
peut-être sous l’influence des écrits auto-consolateurs ultérieurs de Trotski,
les chercheurs aient pu sous-estimer le statut de Staline avant 1924[75].
Certes, le rôle de
Staline dans la guerre n’était pas comparable même de loin avec celui de
Trotski. Mais les choses sont différentes en ce qui concerne le parti. Comme
nous le savons maintenant, Staline non seulement jouissait déjà d’un soutien
personnel large et varié, mais il dirigeait aussi personnellement les régions
non-russes du nouvel État et il a utilisé sa position après juillet 1919 comme
lieutenant de Lénine (c'est-à-dire comme successeur de Sverdlov) pour acquérir
un statut encore plus important en tant que futur dirigeant du parti
militarisé. C’est ainsi que très vite Staline a commencé à devenir le “Grand
Staline”, l’homme fort et raisonnable vers qui tout le monde pouvait se tourner
dans les années 1920 afin de discuter de problèmes personnels et politiques (ce
“tout le monde” incluait bon nombre des “hystériques” mentionnés ci-dessus). Ce
n'est pas un hasard si, au début de 1921, le VChK a adressé le premier
d’environ une douzaine d’exemplaires de ses rapports secrets périodiques sur
l’état du pays à Lénine et Staline,
et le second à Trotski et Sklianski[76].
Au cours de ces
mêmes mois du début de l’année 1921, ce parti militarisé, mais aussi épuisé et
incertain, a senti qu’il n’avait que deux choix : « soit, sans
attendre l’aide de la classe ouvrière européenne (…) déclencher une guerre
civile ouverte contre la masse de la paysannerie (…), ou bien, en faisant des
concessions économiques à la paysannerie, renforcer la base sociale du pouvoir
soviétique grâce à un accord avec les campagnes… »[77].
ENTRACTE (TRÊVE), 1922-1927
Une fois de plus,
grâce à l’intervention personnelle de Lénine, c’est la seconde possibilité,
c'est-à-dire la NEP, qui a été choisie. Il semble que ce choix ait été
précipité au début de février 1921 par les rapports sur l’Antonovchtchina, plutôt que par les rapports ultérieurs sur
Cronstadt, qui confirmaient une décision déjà prise[78]. Ce choix ne
s’est cependant pas fait sans opposition : surtout, mais pas
exclusivement, sur le front Sud, la résistance a été beaucoup plus forte que nous
avons l’habitude de le penser. Comme Osinski l’a écrit à Lénine en mai,
« le point de vue des “comités de réquisition des paysans pauvres” »
prévalait parmi les dirigeants locaux qui considéraient les paysans comme des «
saboteurs naturels du pouvoir soviétique » et pensaient que l’impôt en nature (prodnalog) était une ruse temporaire
pour apaiser les villages. Ces dirigeants fixaient souvent ce nouvel impôt à
des niveaux très élevés, en maintenant de
facto la réquisition précédente, et ils ont continué à imposer des corvées
de masse. En fait, des expressions comme « l’exécution des
réquisitions » étaient employées dans les svodki du VChK de l’été 1921 : il n'est donc pas surprenant
que les mêmes svodki, tout en notant
que les villages appréciaient le contenu de la NEP, ajoutaient que les paysans
l’accueillaient avec méfiance[79].
Ceci a engendré des
contradictions majeures dans la mise en œuvre de la nouvelle politique. Ces contradictions
auraient suffi à retarder de quelques mois son véritable début. Leurs
conséquences ont cependant été amplifiées par celles de la famine qui a frappé
le pays au début de l’été de 1921.
Cette famine a
exterminé près de cinq millions de personnes et elle a duré jusqu’en juin 1922.
La sècheresse y est certainement pour quelque chose. Pourtant, de nombreux
documents et études prouvent au-delà de tout doute raisonnable que, parmi les
facteurs décisifs, il y a eu les réquisitions des années précédentes, lesquelles
ont provoqué une diminution de la production et de la quantité des terres cultivées,
et la répression brutale des révoltes rurales, qui ont dévasté des villages et des
régions entiers. C’est à cause de cela que la faim a été particulièrement grave
dans certaines régions touchées par les plus grandes révoltes paysannes, comme
la Basse et la Moyenne Volga, ainsi que l’Ukraine méridionale (qui ont été
également frappées par la sècheresse)[80].
Les dirigeants
bolcheviks savaient d’ailleurs très bien que leur politique pouvait avoir de
telles conséquences. En 1920, par exemple, Rakovski a écrit que les
réquisitions de 1919 avaient causé un certain nombre de famines locales en
Ukraine. Au début de l’année 1921, la famine locale provoquée par « les
folles réquisitions de l’année précédente » était citée parmi les causes
de la révolte de Tambov. Paysans et ouvriers partageaient cette conviction et ils
tenaient le régime pour responsable d’une famine que – nous les entendons le
dire dans des rapports de police – le pouvoir soviétique employait pour les
tuer[81]. C'est ainsi qu’a
commencé à l’été 1921 une nouvelle vague de troubles de masse liés à la faim,
lesquels étaient à bien des égards la continuation directe de ceux qui avaient
été dirigés contre le communisme de guerre.
Au cours des mois qui
ont suivi, la faim et les maladies, davantage que la répression, ont lentement
étouffé ces troubles. Mais il a fallu attendre le début de l’été 1922 pour que
les svodki de police signalent un
tournant décisif et positif pour le gouvernement (cela a également été le cas dans
les villes qui, en juin, avaient été le théâtre de la dernière grande vague de
grèves)[82].
C’est pourquoi cette
famine doit être considérée comme faisant partie intégrante de la guerre de
l’État contre les paysans, à laquelle nous avons affaire. Et c’est pourquoi, si
le changement de politique de Lénine a certainement joué un rôle majeur, cela a
été plutôt la grande famine de 1921-1922 qui a clos la période ouverte par 1918
ou, mieux, par 1914. Ce fait, déjà noté par quelques chercheurs comme Roger
Pethybridge, est confirmé aujourd'hui par des preuves d’archives et il soulève
la question de la révision de la chronologie acceptée[83].
La véritable NEP
n’a par conséquent duré que cinq années, et nous devons nous souvenir que, jusqu’en
1923-24, il y a eu encore des famines et
des révoltes d’ampleur certes locale, mais tout de même non négligeable.
Comment, de notre point de vue, cette très brève période, qui a fait l’objet de
tant d’études et qui a suscité tant d’espoirs, doit-elle être
interprétée ?
L’on a soutenu que
la NEP était un compromis entre les
forces qui étaient sorties victorieuses de la précédente Période de troubles. Ce
compromis aurait peut-être pu tenir. Mais, étant donné les équilibres fragiles
sur lesquels il reposait et les profondes animosités qui le sous-tendaient,
cela dépendait des choix des pouvoirs en place – lesquels avaient l’initiative.
Le départ prématuré de Lénine, peut-être le seul dirigeant intéressé à la
préservation de ce compromis et capable de le défendre, a irrémédiablement
affaibli cet hypothèse (outre le fait d’être un faible, Boukharine s’est
converti relativement tard à cette politique, Djerzinski n’était pas, selon ses
propres termes, un dirigeant politique, etc.).
Il faut également
rappeler que les deux acteurs les plus importants sur le terrain (trois, si
l’on prend en compte les nationalités) œuvraient résolument en fonction d’ordres
du jour très différents. D’un côté, au moins à partir de 1923-24, la politique
économique de l’État soviétique se concentrait sur des rythmes de croissance
élevés et déséquilibrés de l’industrie lourde, ouvrant ainsi la voie à une
crise d’approvisionnement. De l’autre, la politique d’“indigénisation” (korenizatsiia) menée avec vigueur par
les Républiques non-russes nourrissait l’animosité des minorités russes. Enfin,
la paysannerie tentait d’imposer ses propres vues sur le développement du pays.
Cela a été
possible parce que, au moins du point de vue socio-économique, la NEP a été en partie une victoire de cette eserovchtchina, à laquelle on a fait
référence à plusieurs reprises. Cela est bien illustré par le Code foncier de
la RSFSR de décembre 1922, ainsi que par le fait que, parmi les éléments
principaux, nous trouvons le chernyi
peredel (en Russie, l’obchtchina
paysanne contrôlait maintenant 95 pour cent des terres), le libre-échange
local, et une grande liberté d’action pour l’artisanat et la petite industrie[84]. La grande
industrie demeurait contrôlée par l’État, mais cela n’était pas en
contradiction avec les principes de l’éventail des idéologies auquel nous
sommes confrontés. En réalité, étant donné son orientation populiste et socialiste,
le contrôle d’État de la grande industrie faisait partie intégrante de cet
éventail, ainsi que le programme officiel de l’Antonovchtchina le prouvait[85].
Bien que d’une
façon plus contradictoire et limitée, la NEP répondait aussi aux aspirations
des paysans dans les questions relatives à leur patrimoine culturel
traditionnel. L’exemple le plus frappant est fourni par le national-communisme
des années 1920, et, en particulier, par sa version ukrainienne, laquelle était
l’héritière directe de la leçon que 1919 avait donnée aux bolcheviks.
Dans la mesure où
les paysans étaient concernés, au moins du point de vue de ses fondamentaux
économiques, la NEP était une démonstration vivante que – selon les termes de
Michael Confino – « leur utopie a fonctionné »[86]. Ils ont
recommencé à faire ce qu’ils avaient fait avant 1917, en reprenant leur
participation active et spontanée à l’urbanisation – du type sans séparation tranchée entre la
ville et le village – et à l’industrialisation. Cela est amplement démontré, entre
autres, par les données concernant les migrations paysannes saisonnières et la véritable
explosion des industries artisanales, stimulée par la concentration progressive
de l’État sur le renforcement des moyens de production. Au niveau
politique cependant, les bolcheviks n’ont pas cédé un pouce de leur pouvoir,
tandis que nombre de leurs choix dans le domaine de la politique économique
étaient en contradiction avec le compromis sur lequel la NEP reposait,
aggravant de ce fait les effets des souvenirs encore vifs du communisme de
guerre.
Sous leur relative
tranquillité, les années 1920 ont été ainsi marquées par une hostilité cachée
et pourtant palpable qui opposait l’État à la campagne. C’est à sa grande
surprise qu’un collègue russe a récemment découvert, dans les documents que les
villages envoyaient à Kalinine, que, même au plus fort de la NEP, « des
évaluations très amères et pessimistes de la politique soviétique dans les
campagnes étaient la règle et la critique positive l’exception… La brouille et la
méfiance étaient les conséquences les plus importantes de cette politique ».
Nous savons
désormais que les dirigeants soviétiques connaissaient très bien cet état des
choses : les svodki de l’OGPU,
ceux de la direction politique de l’armée portant sur les recrues paysannes, et
un certain nombre d’autres sources, leur fournissaient un tableau sans
ambigüité.
Les paysans, qui
étaient de facto, et en partie de jure, privés de leurs droits, se
sentaient comme des citoyens de seconde classe et ils étaient profondément
mécontents de la façon dont ils étaient traités par les patrons locaux, qui
continuaient souvent à apprécier les styles et les comportements “communistes
de guerre”. Lors des réunions publiques, les paysans demeuraient silencieux.
Mais une fois seuls, ils se plaignaient des impôts et des approvisionnements,
ils dénonçaient les mesures qui entravaient le développement de leurs exploitations
familiales, ils s’opposaient aux nominations faites d’en haut, ils demandaient
des élections, en particulier au niveau local, et ils réclamaient la même
protection sociale que celle que les lois garantissaient formellement aux ouvriers. Et ils continuaient à exprimer ces
demandes et ces plaintes en termes “socialistes-révolutionnaires”[87].
Le régime, qui
avait liquidé le PSR lors du procès de 1922, avait peur, il persécutait toute
expression des sentiments paysans et il faisait de son mieux pour empêcher la
formation de syndicats paysans dans les villages (c'est-à-dire ces Sojuzy trudovogo krest’ianstva qui
avaient été le squelette de l’Antonovchtchina).
Une minorité de dirigeants bolcheviks était en effet, au moins partiellement, en
train de changer d’avis. Et pourtant la prise de conscience de l’impopularité
du régime et de l’antagonisme entre son programme et les espoirs ainsi que les comportements
des paysans ont fait comprendre à la plupart des hauts responsables que, tôt ou
tard, ils devraient à régler leurs comptes à la fois avec les paysans et avec
les paysans-ouvriers, tout en neutralisant les paysans-soldats[88].
Ce règlement de
comptes a démarré au début de 1928. Les hommes rassemblés autour de Staline,
renforcés par la liquidation de la dernière opposition et stimulés par les
échecs répétés sur le front international, étaient confrontés à une crise
d’approvisionnement alimentée par la contradiction entre leurs ambitions et
leurs peurs, ainsi qu’entre leur politique économique et les réalités et les
besoins du pays. Ils ont décidé d’y remédier en ayant recours aux “vieilles”
méthodes de 1918-21 : les réquisitions, la violence et les tortures.
Cette politique a
déclenché immédiatement une vague de protestations paysannes. Les recrues de
l’armée ont été par exemple submergées par une avalanche de lettres de colère
venant de chez elles et qui se plaignaient des nouvelles mesures. Selon les svodki du Politupravlenie armii, cette avalanche a pris naissance en Ukraine
et dans le Caucase du Nord – où elle a pris des proportions considérables –
pour ensuite s’étendre à d’autres districts militaires, confirmant ainsi le
rôle particulier joué par les régions non-russes dans la résistance à la
politique stalinienne. Les 5 000 hommes de la garnison de Novotcherkassk
ont reçu des milliers de lettres en une seule journée[89].
Tout d’abord,
l’initiative de Staline a aussi rencontré une résistance considérable à
l’intérieur du parti et elle a été temporairement interrompue en 1928[90].
La brève accalmie qui
s’est ensuivie n’a pas cependant modifié substantiellement le cours des
événements. En quelques mois, l’opposition de “droite” avait été vaincue et
Staline a été libre de poursuivre sa politique antérieure avec une vigueur
renouvelée. L’on peut dire par conséquent que le second acte de la guerre
paysanne soviétique a été précipité par une poussée venant d’en haut. Il était donc complètement différent du
premier acte ; l’initiative était désormais entièrement entre les mains de
l’État et le second joueur a réagi, avec une vigueur décroissante, aux attaques
dirigées contre lui.
Je pense que l’on
peut affirmer que Staline a consciemment
décidé de rouvrir le conflit avec la paysannerie, lequel avait été reporté en
1921. En fait, l’exclusion des paysans du rationnement, réintroduite en
1928-29, a été en soi une déclaration de guerre indirecte[91]. Mais nous
disposons aussi de preuves directes que la direction soviétique
savait ce qu’elle faisait, même si elle ne pouvait pas prévoir comment le
conflit allait évoluer, ni comment il allait être résolu. Je citerai un échange
entre Boukharine et Vorochilov lors du plénum du Comité Central de juillet
1928. Le premier, qui avait demandé à ceux qui étaient présents d’imaginer
« un État prolétarien dans un pays petit-bourgeois qui refoule par la force
les paysans dans les communes » a été alors interrompu par Vorochilov dans
ces termes : « Comme en 1918-1919, par exemple ». « Alors vous
aurez une insurrection paysanne », a été la réponse de Boukharine[92].
Comme nous le
savons à partir des rapports de ses conversations avec Kamenev, Boukharine
s’est alors rendu compte que c’était précisément ce à quoi les staliniens
s’attendaient, convaincus, comme ils l’étaient, que cette fois – contrairement
aux sept années auparavant – ils pourraient facilement réprimer de telles
révoltes (le fait de faire couler le sang n’était pas considéré comme un
problème, ajoutait Boukharine)[93].
L’on peut ajouter
que Staline savait aussi que la combinaison de réquisitions excessives avec de
gros investissements industriels financés par des exportations massives de
céréales pouvait, en quelques années, provoquer une famine “artificielle”. En
fait, il l’avait d’ailleurs déjà dit en décembre 1925 dans d’un échange
polémique lors du XIV° Congrès du parti[94].
Il est plus difficile
d’expliquer pourquoi les directions national-communistes, et en particulier la
direction ukrainienne, ont soutenu la volte-face anti-paysanne de Stalin. Comme
je l’avais déjà présumé[95], un rôle
important a été joué par la désillusion qu’ont connue toutes les élites nationalistes dans leurs
relations avec leur propre paysannerie au cours de la “guerre civile”. Beaucoup
espéraient alors qu’une industrialisation rapide, accompagnée d’une
urbanisation, aurait construit en quelques années une base beaucoup plus solide
pour l’effort national, en résolvant une fois pour toutes le problème “maudit”
du caractère colonial des centres urbains les plus importants des républiques.
DEUXIÈME ET DERNIER ACTE, 1928-1933
Des documents
récemment découverts nous permettent de suivre, presque au jour le jour, le
développement de l’attaque que l’État a lancé contre la paysannerie avec la
dékoulakisation et la collectivisation. Je pense naturellement aux svodki de l’OGPU qui étaient alors
produits aussi souvent que quotidiennement, aux rapports des responsables du
TsIK[96], à ceux des
secrétaires locaux du parti au Comité Central, etc.
Certains de ces
documents, comme les rapports de Vareikis sur la Région centrale des Terres Noires,
de Balitski sur l’Ukraine, les svodki
récapitulant les données de 1930 relatives à la dékoulakisation, aux
déportations et aux troubles paysans, sont déjà sous presse. D’autres sont
publiés à un rythme croissant. Il est par conséquent possible de dresser désormais
un tableau succinct, mais suffisamment cohérent et solide, des événements tragiques
de 1929-1933, ce que je vais tenter de faire dans les pages suivantes (en ce
qui concerne l’année 1930, je m’appuierai sur mon introduction aux rapports de Balitski
publiés dans les Cahiers du monde – auxquels
le lecteur est renvoyé pour des informations plus détaillées)[97].
Comme le montre
son rapide redressement démographique et socio-économique durant la NEP, la
société rurale qui a été soumise à l’attaque de 1928-30 était encore forte.
Mais la paysannerie était beaucoup plus faible qu’à la veille de la Première
Guerre mondiale. À bien des égards, elle était même plus faible qu’en 1920-21
quand elle avait menacé la survie même du nouvel État bolchevik. C’était vrai
en termes relatifs – au cours de la NEP, l’État s’est renforcé davantage que
les campagnes ne se sont rétablies – et en termes absolus. Cet État lui-même
avait en effet désarmé des villages qui avaient été armés jusqu’aux dents en
1920-21, et il avait éliminé la plupart des chefs des bandes de partisans de
cette époque.
Ce sont les
« ennemis connus du régime » restants qui ont été la cible de la
première étape de la dékoulakisation. Il était envisagé l’arrestation et
parfois la liquidation des hommes de la première des trois catégories dans
lesquelles environ un million de familles “koulaks” (les guillemets sont
obligatoires) étaient distribuées[98].
Le sort de ces
familles – l’élite naturelle des
villages en termes “chayanoviens” – dépendait précisément de la catégorie à
laquelle elles étaient affectées. Celles de la première catégorie, privées de
leurs hommes, étaient déportées dans des régions lointaines. C’était également
la destination des hommes et des familles de la deuxième catégorie, tandis
que ceux de la troisième étaient déportés dans les limites de leurs propres
districts.
L’attaque a été
exécutée avec beaucoup de décision et de rapidité entre novembre 1929 et
février 1930. Elle a été précédée par de graves troubles provoqués par les
réquisitions – les approvisionnements d’après 1928 étaient en réalité des
réquisitions – et par les “nouvelles” méthodes qui les accompagnaient : au
cours de l’année 1929, il y a eu environ 1 300 troubles paysans en URSS
dans lesquels, ainsi que l’OGPU le remarquait le 28 décembre, la question
religieuse a joué un « rôle colossal »[99]. Cette résistance
croissante a certainement été un facteur majeur pour convaincre les dirigeants
soviétiques de la nécessité d’adopter des mesures extrêmes avec rapidité.
Les idées
directrices étaient la neutralisation de la paysannerie par l’anéantissement de
son élite (dékoulakisation) et le
regroupement du plus grand nombre possible de familles dans un nombre
relativement restreint de grandes unités collectives (collectivisation).
La première était
à maints égards une ré-application de la formule adoptée contre les Cosaques au
début de 1919, quand les documents centraux du parti parlaient de la nécessité
« de neutraliser les Cosaques par l’extirpation impitoyable de son élite »[100], une formule affinée
plus tard au Kouban et dans la région de Tambov.
Quant à la
seconde, l’on pensait à juste titre qu’elle faciliterait l’extraction de la
quantité désirée de céréales qui était jusqu’alors l’objet de conflits féroces
et interminables avec des millions de familles paysannes obstinées[101]. Il est possible
que cette idée ait été la contribution personnelle de Staline à la solution du
problème soulevé par Evgueni Preobrajenski avec son « accumulation
primitive du capital ». Certainement que Staline l’a fait dire à d’autres.
Les documents dont nous disposons prouvent
qu’au moins la première phase de l’attaque – la dékoulakisation – a été un succès.
Cela n’a pas dépendu uniquement de la brutalité et de la détermination. Le fait
indéniable, autant que désagréable est que, en exploitant les jalousies et les
tensions sociales existant dans les
villages, la dékoulakisation a réussi dans un premier temps à les diviser,
exactement comme les kombedy
l’avaient fait en 1918.
Il était implicitement
dit – ou du moins tout le monde l’entendait ainsi – que les possessions des
“koulaks” étaient à la disposition de ceux qui voulaient bien se manifester et
les récupérer. Comme les rapports mêmes de l’OGPU l’ont noté, cela a incité les
éléments criminels des villages à se joindre à un noyau de partisans jeunes et
plus ou moins enthousiastes. Les brigades de dékoulakisation, constituées dans
la précipitation, étaient ainsi infestées par « des éléments socialement
étrangers et souvent criminels ». Ces gens-là : « amenaient les
dékoulakisés nus dans les rues, les battaient, organisaient des beuveries dans leurs
maisons, leur tiraient dessus, les forçaient à creuser leurs propres tombes,
déshabillaient les femmes et les fouillaient, volaient des objets de valeurs,
de l’argent, etc. ».
Et donc, comme
Moshe Lewin l’a démontré il y a plus de 25 ans, la dékoulakisation a bien été
un pillage et une dévastation généralisés[102]. Son succès susmentionné
a par conséquent été politique, mais certainement pas économique, et il est
possible de soutenir que la “tradition” qu’elle a reprise était celle des
pogroms, en particulier celle des pogroms dont l’État était l’instigateur.
La continuité avec
les années 1918-1921 était également forte, et ce à plus d’un titre. J’ai déjà évoqué
les analogies avec les kombedy, la
décosaquisation de 1919, les déportations de 1920-21, la suppression de l’Antonovchtchina, ainsi que les tortures
employées pour obtenir des céréales, des
objets de valeur, et des arriérés d’impôts (en lisant les svodki de l’OGPU de 1930, de même que les documents de dix années
auparavant, les agissements des voyous du shérif de Nottingham viennent
immédiatement à l’esprit). En outre, la majorité des dirigeants de l’attaque
étaient issus de la “guerre civile” – des cadres promus qui siégeaient
maintenant dans les différents comités de région (okrug) et de district (raion).
Et le processus de promotion sociale d’éléments d’origine commune a pris à
nouveau de grandes proportions. Il était alimenté par la nécessité de
constituer un vaste appareil de répression et de contrôle dans les campagnes et
par les besoins de l’industrialisation forcée. Arrivé dans les villages, la
sélection des nouveaux cadres était régie par des principes similaires à ceux
qui avaient réglé le processus dix ans auparavant. Une fois de plus, ce sont les
plus impitoyables qui ont été favorisés[103].
Le bilan officiel
de la dékoulakisation parle de milliers de personnes réprimées et, souvent,
liquidées au cours des toutes premières semaines, et de 381 000 familles,
avec 1,8 million de membres,
déportées vers des régions lointaines en 1930-31. Parmi ces familles,
64 000 étaient originaires d’Ukraine, 52 000 de Sibérie occidentale,
30 000 de la Basse Volga, et 28 000 de l’Oural. Leurs destinations
étaient des villages spéciaux (spets
ou trudposelenie) qui ont été administrés
après 1931 par l’OGPU.
Les déportations
se sont poursuivies au cours des années suivantes. Dans un premier temps, après
le 20 juillet 1931, alors que le Politburo avait déclaré que, pour l’essentiel,
les “koulaks” des régions de collectivisation complète avaient été liquidés,
les déportés provenaient pour la plupart de régions nationales (Kazakhstan,
Nord-Caucase, Caucase, etc.). En mars 1932, par exemple, Bauman, depuis son
“exil politique” en Asie centrale, a demandé la déportation de 6 à
7 000 “koulaks” des régions productrices de coton locales. Mais, au cours
de cette même année, la détérioration dramatique de la situation dans les
campagnes et les craintes qu’elle a provoquées à Moscou, ont été à l’origine de
la recrudescence du phénomène à travers tout le pays. Le plan des déportations
de 1932, qui a été discuté par une commission du Politburo en avril, prévoyait le
bannissement de mai à août de 38 000 familles, dont 6 000 provenaient
d’Ukraine[104]. Pourtant,
268 000 paysans supplémentaires ont encore été déportés pour la seule
année 1933.
Le nombre de
personnes déportées vers de régions lointaines a donc été de 2,25 millions, tandis que grosso modo un nombre équivalent de
personnes ont été déportées à
l’intérieur des limites de leur district (certaines d’entre elles ont été à
nouveau déportées ensuite vers des régions lointaines). À ces chiffres, l’on
doit ajouter celui des personnes qui ont été expédiées directement au Goulag,
lequel, en juillet 1932, détenait près de 120 000 paysans.
Les paysans
déportés ont envoyé des milliers de lettres poignantes de protestation chez eux
et aux autorités. Étaient particulièrement émouvantes les parties de ces
lettres concernant le sort de leurs
enfants qui, selon un document du Politburo de janvier 1932, mourraient à un rythme mensuel qui atteignait 10 pour
cent dans certaines régions. Bon nombre de ces lettres ont été récemment
publiées en même temps que celles de plusieurs membres du parti qui ont trouvé
le courage de dénoncer un État qui se disait “socialiste” tout en perpétrant de
telles horreurs[105].
Nous savons que,
pour les seules années 1932-33, près de 250 000 paysans déportés sont
morts. En 1930-31, la situation avait probablement été pire, ainsi que le sort
des enfants le suggère. En fait, en 1931, l’OGPU avait été chargé de
l’administration des colonies spéciales afin d’endiguer la catastrophe humaine
en cours et d’étouffer le scandale qu’elle soulevait. Au moins plusieurs
centaines de milliers de paysans et autant de nomades étaient déjà morts avant
que la famine ne frappe à l’automne de 1932[106].
La
collectivisation, qui a atteint son premier point culminant en février 1930,
quand prés de huit millions de familles ont été collectivisées, est venue dans
le sillage de la dékoulakisation. Les récalcitrants étaient menacés
d’exécutions de masse, une menace vraiment efficace étant donné ce qui s’était
produit seulement quelques années auparavant. Généralement, la violence et la terreur
étaient les méthodes habituelles. C’est aujourd'hui une expérience marquante
que de lire les rapports de l’OGPU, lesquels sont conformes aux descriptions
laissées par les victimes au point qu’ils sont presque interchangeables[107].
43 Vladimir A. Antonov-Ovseenko, Zapiski o grazhdanskoi voine, vol. 1–4
(Moscou, 1924–1933) et Khristian Rakovski, Bor´ba
za osvobozhdenie derevni (Kharkiv, 1920) sont probablement les récits
contemporains les plus intéressants, mais la littérature est immense et la
quantité de matériel désormais disponible dans les anciennes archives
soviétiques est encore plus grande.
[44] Selon différentes
sources, le nombre total de victimes des pogroms se situerait entre 50 000 et
200 000. Voir Elias Heifetz, The
Slaughter of the Jews in the Ukraine in 1919 [Le massacre des juifs en
Ukraine en 1919] (New York, 1921) ; I. M. Cherikover, Antisemitizm i pogromy na Ukraine, 1917–1918 (Berlin, 1923) ; Leo
Motzkin, ed., The Pogroms in the Ukraine
under the Ukrainian Governments, 1917–1920 [Les pogroms en Ukraine sous les
gouvernements ukrainiens, 1917-1920] (Londres, 1927) ; Pipes, Russia [Russie] : 110–12.
[45] V. A. Savchenko,
“Izmena ‘bat´ki’ Makhno i ‘zheleznaia metla’ L. D. Trotskogo”, Istoriia SSSR 2 (1990) : 75–90 ;
Vladislav Verstiuk, Makhnovshchyna :
selians´kyi povstans´kyi rukh na Ukraini (Kiev, 1991). La responsabilité de
Trotski dans la défaite de mai-juin a peut-être ouvert la voie à l’acceptation
par Lénine des manœuvres de Staline, lesquelles avaient été repoussées lors du
VIII° Congrès du Parti, mais dont le succès s’est manifesté lors de la crise du
Politburo de juillet.
[46] Les quotas
paysans dans le commerce des céréales à longue distance avaient déjà diminué en
1914-1917. Les nobles et les grands propriétaires fonciers avaient plutôt
réduit leurs ventes sur les marchés locaux, où la présence des paysans s’était
accrue.
[47] Mon ami Antonello
Venturi a répliqué à la surprise que j’ai montrée devant la prédominance de
cette eserovchtchina dans les rapports de la police secrète en faisant
remarquer qu’il n’y avait pas là de quoi s’interroger. Le PSR était un parti
populiste qui cherchait à faire écho aux revendications populaires, et surtout
paysannes. C’est donc le programme socialiste-révolutionnaire qui était
l’expression des sentiments populaires, et non l’inverse
[48] Genis,
“Razkazachivanie” : 47. Kolegaïev a également demandé que les khutors [fermes]
insurgées soient entièrement incendiées, dans Holquist, A Russian Vendée : 500.
[49] Le Front du Sud a
été créé en septembre 1918 pour remplacer le District militaire du Caucase du
Nord, formé en juillet. Cfr I. Kolesnichenko, “K voprosu o konflikte v
Revvoensovete Iuzhnogo Fronta”, Voenno-istoricheskii
zhurnal 2 (1962) : 39–47 et Isaak I. Mints, “Stalin v grazhdanskoi voine”, Voprosy istorii KPSS 11 (1989).
[50] RTsKhIDNI, p. 558
(Staline), op. 1, d. 1812, l. 3 ; M.A. Tumshis, “Eshche raz o kadrakh chekistov
30–kh godov”, Voprosy istorii, 6
(1993) : 190–91. Dans les anciennes archives du parti, on trouve de nombreux
documents datant du début des années 1920 qui dénoncent la corruption et le
copinage généralisés des cliques politiques et militaires au pouvoir dans les
villes du Sud. Voir par exemple le rapport de M. I. Muralova à E. Iaroslavski sur Stavropol, alors aux
mains d’une camarilla d’ivrognes corrompue et dégénérée protégée par le gubkom
du parti (dans Khlevniuk et al., eds., Perepiska
: 194). Concernant le style de vie de Vorochilov en 1919, voir Brovkin, Behind [Derrière] : 137. Sur celui
de Vorochilov et de Boudienny dans la konarmiia
et sur le “style” de la konarmiia,
voir le rapport de Piatakov à Trotski de décembre 1919 dans RGVA, p. 33897
(Sekretariat Presedatelia RVS SSSR), op. 2, d. 32, l. 533. Sur E. Evdokimov,
voir Vadym Zolotar´ov et Iurii Shapoval, “Kariera Kata”, Rozbudova Derzhavy 1 (1995) : 27-36.
[51] Les plus
importantes d’entre elles étaient probablement le caractère de Trotski, sa
“pureté” idéologique et sa nationalité ; le soutien de Lénine à Staline,
notamment de juillet 1919 à l’été 1922 ; les capacités personnelles de Staline
et son manque de scrupules, intellectuels ou autres.
[52] Bien qu’avec des
manières différentes, Edward Keenan et Moshe Lewin ont interprété les
développements post-1917 comme un “retour” vers le passé, à juste titre je
crois.
[53] Voir
“Epistolarnoe nasledie”, Voennye arkhivy
Rossii 1 (1993) : 404-11 et O. V. Khlevniuk, A. V. Kvashonkin, L. P.
Kosheleva, L. A. Rogovaia, éd., Stalinskoe
Politbiuro v 30-e gody. Sbornik documentov (Moscou, 1995) : passim. D’un
autre côté, c’est aussi du pur jargon mafieux et la coïncidence n’est pas
fortuite.
[54] Nicolas Werth,
“Une source inédite : les Svodki de la Tchéka-OGPU”, Revue des études slaves 66 (1994) : 27 ; V. P. Danilov et Alexis Berelowitch,
“Les documents des VČK-OGPU-NKVD sur la campagne soviétique, 1918–1937”, Cahiers du monde russe 35, n° 3 (1994) :
633–82.
[55] “Doklad
glavnokomanduiushchego vsemi vooruzhennymi silami Respubliki S. S. Kameneva
predsedateliu RVSR L. D. Trotskomu o sostoianii bor´by s banditizmom v raznykh
regionakh strany (9 fevralia 1921 g.)”, dans N. E. Eliseeva, ed., Povstancheskie dvizheniia na Ukraine. 1921
g. Komplekt dokumentov iz fondov TsGASA (Moscou, 1991). Je n’ai pu voir le Obzor Sekretnogo otdela VChK o vosstaniiakh
(“banditizme”) na territorii byvshej Rossii, daté du 11 décembre 1920,
qu’après que ces pages ont été écrites (dans TsA FSB RF, p. 1, op. 4, d. 159, ll. 1–23). Sur Antonov
et sur la Antonovchtchina, voir également Oliver Henry Radkey, The
Unknown Civil War in Soviet Russia [La guerre civile ignorée en Russie
soviétique] (Stanford, 1976) ;
N. E. Eliseeva, ed., Krest´ianskoe
vosstanie na Tambovshchine (1921–1922). Komplekt dokumentov iz fondov TsGASA,
(Moscou, 1991) et Danilov, ed., Krest´ianskoe
vosstanie v Tambovskoi gubernii.
[56] Il convient de
noter que certains des bolcheviks “ukrainiens” vaincus, comme Alexandre
Grigorievitch Chlichter, avaient gouverné la région de Tambov en 1920, prenant
leur revanche sur la paysannerie locale.
[57] Ce terme, qui
signifie littéralement bandits, était utilisé par les forces soviétiques pour
réprimer la guérilla locale. Il ne doit donc être utilisé qu'entre guillemets.
Les “Basmatchi” se qualifiaient
eux-mêmes de djigit, de combattants.
Bien sûr, certains d'entre eux se comportaient souvent comme de véritables
bandits, une vérité qui s'applique à tous les mouvements partisans de
l'histoire à des degrés divers.
[58] Le chiffre pour
les “basmatchi” est tiré du RGVA, p.
272, op. 2, d. 55, ll. 1–42 ; celui pour le Daghestan est tiré du svodka du VChK du 15 avril 1921. Marco
Buttino et V. P. Danilov m’ont aimablement montré ces deux documents. En
septembre 1922, il y avait encore plus de 20 000 djigits.
[59] Sur le mouvement
paysan de la côte de la mer Noire, voir N. V. Voronovitch, “‘Zelenye’
povstantsy na Chernomorskom poberezh´e”, Archiv
russkoi revoliutsii 7 (1922). J'ai trouvé deux documents du Comité de libération
du Gouvernement de la mer Noire dans les Archives du ministère des Affaires
étrangères italien et je les ai publiés dans Rivista di Storia Contemporanea 3 (1988) : 436–43.
[60] Pour la Sibérie,
voir le rapport d’I. Pavlounovski à F. Djerzinski dans RTsKhIDNI, p. 76
(Djerzinski), op. 3, d. 167, l. 90 ;
Danilov, ed., Krest´ianskoe vosstanie v
Tambovskoi gubernii : 16.
(*) En français dans le texte. (NdT).
[61] Alter L. Litvine,
“Krasnyi i Belyi Terror v Rossii”, Otechestvennaia
istoriia 6 (1993) : 46–62 et, évidemment, Sergei P. Melgounov, The Red Terror in Russia, 1918–1923 [La
terreur en Russie, 1918-1923] (Londres, 1925).
[62] N. Werth,
“Spetspereselentsy”, Colloque Nouvelles
directions de la recherche sur les années Trente, MSH, Paris, mai 1996 ;
Danilov, ed., Krest´ianskoe vosstanie v
Tambovskoi gubernii : 172 sqq. (voir en particulier les prikazy n° 130 et 171).
[63] Vnutrennie voiska sovetskoi respubliki,
1917–1922 (Moscou, 1971) ; G. F. Krivosheev, ed., Grif sekretnosti sniat (Moscou, 1993) et Pipes, Russia : 383.
[64] L’on a estimé que
1,8 million de soldats, y compris les blessés qui sont décédés ultérieurement,
et 1,5 millions de civils ont péri au cours de la Première Guerre mondiale.
Entre 1918 et 1922, 12,6 millions supplémentaires sont morts. Les pertes
militaires de la “guerre civile” n’ont été que de 800 000 et huit millions
de civils sont morts entre 1918 et 1920, c'est-à-dire avant la
famine. Les pires années on été 1920 et 1921, quand les taux de mortalité ont
atteint respectivement 45,4 et 39,8 pour mille (voir Alain Blum, Naître, vivre et mourir en URSS, 1917-1991
(Paris, 1994) : 88 sqq.). En Asie centrale, de 1 à 1,5 million de personnes ont
disparu entre 1917 et 1920. Certaines d’entre elles ont émigré, mais la grande
majorité a péri en raison des épidémies, de la famine et de la répression. Voir
M. Buttino, “Study of the Economic Crisis and Depopulation in Turkestan,
1917–1920” [Étude de la crise économique et la dépopulation au Turkestan,
1917-1920], Central Asian Survey 9,
n° 4 (1990) : 59–74.
[65] Daniel Horner, Basile H. Kerblay et Robert E.F.
Smith, eds., A. V. Chayanov On the theory
of Peasant Economy [A. V. Chayanov. Sur la théorie de l’économie paysanne],
(Homewood, IL, 1966) est l’édition classique anglaise.
[66] Kommunisticheskaia partiia Ukrainy v
rezoliutsiiach i resheniiach s´´ezdov i konferentsii, 1918–1956 (Kiev,
1958) : 91–101.
[67] Étant donné ses
liens traditionnellement étroits avec la campagne et son hostilité à l‘égard de
la politique bolchevique, à partir du printemps 1918, une grande partie de la
“classe ouvrière” a été ajoutée à la liste des ennemis du régime. Ce point a été
pleinement confirmé par les svodki du
VChK. Certains d’entre eux sont cités dans Brovkine, Behind [Derrière].
[68] Les membres du
Comité Central ont fait usage de leur droit de participer aux réunions
“normales” du Politburo jusqu’en 1934-1935. Voir Khlevniouk et al. (dir.), Stalinskoe Politbiuro : 183 sqq.
[69] Le terme “guerre
civile” sera probablement utilisé à l’avenir, pour des raisons pratiques. J’ai
cependant décidé de le mettre entre guillemets pour souligner son caractère
scientifiquement trompeur. Il ne s’agit pas d’une simple “guerre civile russe”,
mais d’un enchevêtrement de conflits nationaux et sociaux.
[70]
Ici,
l'explosion et les racines populaires indéniables des mouvements nationalistes
en Pologne, en Finlande, en Ukraine, etc., ont été parmi les facteurs
importants en jeu. Rafes, Dva : 135.
[71]
Cette
attitude était également partagée par un certain nombre de dirigeants bundistes
qui se sont opposés à la démocratie non seulement parce que les “masses”
polonaises et ukrainiennes se comportaient comme elles le faisaient, mais aussi
parce que leur propre peuple avait montré à plusieurs reprises sa préférence
pour les partis religieux et nationalistes.
(*) En français dans le texte. (NdT).
[72] Vestnik Narkomvnutrdel USSR 5 (Kiev, 1°
mai 1919) ; Alexander Berkman, The
Bolshevik Myth : Diary 1920–1922 [Le mythe bolchevik : journal
1920-1922] (Londres, 1925) : 174 ; Rafes, Dva
: 134 sqq. ; stenogramma du
discours d’Ordjonikidze du 24 mars 1930, RTsKhIDNI, p. 85 (Ordjonikidze), op.
1/sec. , d. 123, ll. 1–9. Plus
tard dans sa vie, Petrovski est devenu un antistalinien ardent.
[73] D’un point de vue
formel, du moins jusqu’à la Constitution de 1936, le rôle dirigeant du parti
était illégal. Le soin, qu’il a fallu mettre pour cacher le fait que les actes
et les décrets de l’État, du gouvernement et des instances judiciaires
supérieures, étaient souvent des copies des décisions antérieures du parti, a
été par conséquent un facteur important dans le développement de la konspiratsiia et de son appareil.
[74] Les centaines de
lettres des dirigeants bolcheviques datées d’après 1917, rassemblées par Kvachonkine,
Khlevniouk et cet écrivain pour Bol´shevitskoie
rukovodstvo. Perepiska, le deuxième volume de la série Dokumenty sovetskoï istorii, semblent aller dans ce sens. Lors d’un
séminaire à l’Université de Yale, Mark Steinberg a justement observé que ce
genre de comportement était courant dans les cercles intellectuels d’avant
1917. Et pourtant, je continue de croire qu’après la “guerre civile”, nous
avons affaire à une situation qualitativement différente.
[75] Moshe Lewin m’a
rappelé que Trotski qualifiait le Staline d’avant 1922 de “chef d’état-major”
de Lénine. Trotski, suivi par de nombreux historiens, a peut-être considéré
cette expression comme étant dédaigneuse. En fait, c’était une appréciation
précise du pouvoir et du rôle croissants de Staline.
[76] Sergo Mikoyan a
été le premier à attirer mon attention sur le “caractère raisonnable” de
Staline, en particulier dans les années 1920. Sur les relations Lénine-Staline,
voir Graziosi, “At the roots” [Aux racines] : 102, 129 ; Miklós Kun, Bukharin, ego druz’ja i vragi (Moscou,
1992) : 111 sqq. et Pipes, Russia:
464 sqq. Je pense que la proximité même de ces relations contribue à expliquer
la violence de la réaction de Lénine lorsqu’il a compris qu’il avait commis une
grave erreur dans l’évaluation de son lieutenant.
[77] Kompartiia Ukrainy v rezoliutsiiakh :
116 sqq.
[78] Danilov, ed., Krest´ianskoe vosstanie v Tambovskoi
gubernii : 14–15.
[79] Sergei V.
Tsakounov, V labirinte doktriny
(Moscou, 1994) : 24 sqq. ; pour les corvées, voir Graziosi, “At the roots” [Aux
racines] : 119 ; la lettre d’Osinski se trouve dans Perepiska : 204. J’ai pu consulter les svodki du VChK grâce au projet, déjà mentionné, dirigé par V.P.
Danilov.
[80] Harold Henry
Fisher, Famine in Soviet Russia,
1919–1922 [La famine en Russie soviétique, 1919-1922] (New York, 1927) ;
Kazuo Nakai, “Soviet Agricultural Policies in the Ukraine and the 1921–1922
Famine” [La politique
agricole soviétique en Ukraine et la famine de 1921-1922] Harvard Ukrainian Studies 6 (1982) : 43–61 ; Roman Serbyn, “The
Famine of 1921– 1923 : A Model for 1932–1933 ?” [La famine de 1921-1923 : un
modèle pour 1932-1933 ?] dans R. Serbyn et Bohdan Krawchenko, eds., Famine in Ukraine, 1932–1933 [La famine
en Ukraine, 1932-1933], (Edmonton, 1986) : 147–78 ; Pipes, Russia : 410 sqq. ; Markus Wehner, “Golod 1921–1922 gg. v Samarskoi
gubernii i reaktsiia sovetskogo pravitel´stva”, Cahiers du monde russe 38, no. 1–2 (1997) : 223–41.
[81] Rakovski, Bor´ba : 58–9 ; A. G. Shlichter, “Bor´ba
za khleb na Ukraine v 1919 godu”, Litopys
revoliutsii 2 (1928) : 96–135.
[82] Graziosi, “At the
roots” [Aux racines] : 116–17 ; “Rapport du département Information de
l’O.G.P.U. sur la situation politique et économique de la R.S.F.S.R. pour les
mois de mai et juin 1922,” dans N. Werth et Gaël Moullec, eds., Rapports secrets soviétiques (Paris,
1994) : 185–87.
[83] Voir aussi Lewin,
Russia, USSR, Russia [Russie, URSS,
Russie] : 42 et Wehner, “Golod.” Les principales épidémies n’ont également
cessé qu’en 1923.
[84] Voir aussi Sergei
A. Esikov et Lev G. Protasov, “Antonovskij Nep,” Otechestvennaia istoriia 4 (1993) : 61–72 à propos de la
coïncidence partielle entre la NEP de Lénine et le programme de l’Antonovchtchina.
[85] Les petits
producteurs ont généralement soutenu des formes fortes de contrôle sur la
grande production, c’est-à-dire des revendications “socialistes”, tout en
restant de farouches défenseurs de leur mode de vie. Ce comportement
contradictoire contribue à expliquer de nombreux paradoxes des deux derniers
siècles. Danilov, ed., Krest´ianskoie
vosstanie v Tambovskoi gubernii : 79-81.
[86] L’on devrait peut-être
dire : « leur utopie pouvait fonctionner ». En fait,
beaucoup de paysans, notamment les plus énergiques et/ou ayant des familles
plus nombreuses, étaient mécontents de la politique économique bolchevique car
elle leur liait les mains, elle réduisait la productivité et la production, et,
tandis qu’elle prétendait favoriser les éléments les plus faibles, elle
favorisait souvent la corruption et le copinage, comme dans le cas des fermes
collectives. Voir A. Stanziani, “Le cooperative di produzione in URSS,
1921-1928”, Annali della Fondazione
Einaudi, 22 (1988) : 237-264.
[87] Danilov et Berelowitch, “Documents” ; Andrea Romano, “‘Contadini in
uniforme’ e potere sovietico alla metà degli anni ‘20”, Rivista storica italiana 104 (1992) : 730–95 ; id.,
“Peasant-Bolshevik Conflicts inside the Red Army on the Eve of Dekulakization”
[Les conflits paysans-bolcheviks au sein de l’Armée rouge à la veille de la
déloulakisation], Forschungen zur
osteuropäischen Geschichte 52 (1994) : 95–121 ; M. Wehner, “‘Die Lage vor
Ort ist unbefriedigend.’ Die Informationsberichte des sowjetischen Geheimdienstes
zur Lage der russischen Bauern in der Jahren der Neuen Ökonomischen Politik
(1921– 1927)”, Jahrbuch für Historische
Kommunismusforschung (1994) : 64–87 ; Aleksandr Ia. Livshin, “Mestnaja
vlast´ glazami liudei 20–kh godov : pis´ma “snizu” epokhi Nepa” (l’on peut
trouver une version française de cet article dans in Communisme 42–44 (1995) : 95–114) ; Werth et Moullec, Rapports : 95–116 ; Kun, Bukharin : 229.
[88] Graziosi, “Stalin’s Antiworker” [L’anti-ouvrier de Staline] : 229–30.
[89] Les svodki du
Politupravlenie de l’Armée au printemps de 1928, qu’Andrea Romano m’a
aimablement montrés, seront publiés dans A. Romano et Nonna Tarchova, eds., Krasnaia armiia i kollektivizatsiia derevni
v SSSR, 1928–1933. Sbornik dokumentov iz fondov RGVA (Naples, 1996). Voir
également Roger R. Reese, “Red Army Opposition to Forced Collectivization,
1929–30” [L’opposition de l’Armée rouge à la collectivisation forcée, 1929-30],
Slavic Review 55, n° 1–2 (1996) :
24–45.
[90] Voir M. Lewin, La paysannerie et le pouvoir soviétique,
1928–1930 (Paris, 1968). En 1928, un parti de la NEP s’était développé à
côté du noyau militarisé produit par la “guerre civile”. Le premier était
quantitativement suffisamment fort pour défier avec succès le second, lequel
était cependant de loin supérieur en termes de volonté, d'endurance et de
leadership.
[91] S'il est vrai
que, pendant la Première Guerre mondiale, les paysans avaient été exclus du
rationnement dans toute l'Europe, personne n'a alors tenté de s'emparer de
leurs terres et de leurs animaux, et de leur voler la plus grande partie de
leurs produits. Dans les conditions existant en URSS durant les années 1930,
cette exclusion, maintenue jusqu’à l’abolition du rationnement à la fin de
1934, signifiait que l’État soviétique avait décidé formellement de ne pas
considérer les paysans comme des membres de sa collectivité. Concernant le
rationnement et ses conséquences, voir Elena A. Osokina, Ierarchiia potrebleniia (Moscou, 1993) et la thèse de Julie
Hessler, temporairement intitulée “Culture of Shortages : Exchange Practices
and Material Values in Russia, 1917– 1953” [La culture des pénuries : les
pratiques d’échange et les valeurs matérielles en Russie, 1917-1953]
(Université de Chicago), dont on m’a donné aimablement l’opportunité de lire
des parties.
[92]
Kun, Bukharin : 247. Sur la conviction
personnelle de Staline et des staliniens d’avoir été en guerre avec la
paysannerie, voir par exemple, Winston Churchill, La seconda guerra mondiale, vol. VIII, La battaglia d’Africa (Milan, 1970) : 111–12 ou bien les
déclarations de Jdanov en 1934 à propos de la “perezhitki voennogo perioda”
dans Khlevniuk et al., eds., Stalinskoe
Politbiuro: 55.
[93] Iurij G.
Fel´shtinskii, “Konfidentsial´nye besedy Bukharina”, Voprosy istorii 2–3 (1991) :182–203. À la fin de 1927, Boukharine
était lui aussi convaincu que l’État soviétique pouvait désormais écraser
facilement les koulaks. Il a alors dit à un syndicaliste italien que le parti
« avait la force, s’il le voulait, d’éliminer les koulaks en 24
heures ». Dans Aristide Delle Piane, Impressioni di un viaggio in URSS (Rome, 1933) : 91.
[94] “Iz ‘Pis´ma k
Fedoru’”, Politicheskii dnevnik 25
(Octobre, 1966) : 148 sqq. Durant l’été de 1928, le fait que la politique
stalinienne pourrait provoquer une famine a été ouvertement discutée (dans
Fel´shtinskii, ed., “Konfidentsial´nye” : 198).
[95] Graziosi, “G. L.
Piatakov” : 142.
[96] J’ai l’impression
que les rapports des responsables du TsIK sont généralement d’une qualité
humaine supérieure. Peut-être que certains membres des partis socialistes non
bolcheviques, non admis dans l'OGPU ou dans l'appareil du parti, ont trouvé
refuge dans celui de l'État. Mais ce n'est qu'une hypothèse.
[97] V. P. Danilov et
N. A. Ivnitskii, eds., Dokumenty
svidetel´stvuiut. Iz istorii derevni nakanune i v khode kollektivizatsii,
1927–1932 (Moscou, 1992) ; Danilov et Berelowitch, “Documents” : 657–676 ;
N. A. Ivnitskii, Kollektivizatsiia i
raskulachivanie (Moscou, 1994) ; Kolektyvizatsiia
i holod na Ukraini, 1929–1933 : Zbirnyk dokumentiv i materialiv, compilé
par H. M. Mykhailychenko et Ie. P. Shatalina, ed. S. V. Kul'chyts'kyi (Kiev,
1993) ; Werth et Moullec, Rapports:
116–31 ; Graziosi, “Collectivisation” ; V. N. Zemskov, “Spetsposelentsy,” Sotsiologicheskie issledovaniia 11
(1990) : 3–16 et id. “‘Kulatskaia ssylka’ v 30-e gody”, ibid., 10 (1991) :
3–21. Il faut souligner que ce tableau est très proche de celui dressé par
Viktor Kravchenko dans son ouvrage I
Chose Freedom [J’ai choisi la liberté] (New York, 1946) – peut-être le
meilleur récit personnel de ces années tragiques – et que certains de ces
documents sont disponibles au moins depuis les années 1950. Dans son livre
fondamental Smolensk under Soviet Rule
[Smolensk sous la domination soviétique] (Cambridge, MA, 1958), par exemple,
Merle Fainsod en a cité un certain nombre et a esquissé un tableau de la
collectivisation que les découvertes actuelles confirment amplement. Une partie
des documents de Smolensk a été publiée par Sergei Maksudov, éd., Neuslyshannye golosa. Archives Dokumenty
Smolenskogo. Kniga pervaia, 1929. Kulaki i parteitsy (Ann Arbor, 1987).
[98] Voir Grant M.
Adibekov, “Spetspereselentsy zhertvy ‘sploshnoi kollektivizatsii’”, Istoricheskii arkhiv 4 (1994) : 145–80,
où les documents sur les spetspereselentsy ont été publiés par
les osobaia papka du Politburo.
[99] “Kollektivizatsiia
: istoki, sushchnost´, posledstviia — beseda za kruglym stolom,” Istoriia SSSR 3 (1989) ; N. Werth, “Le pouvoir soviétique et l’Eglise
orthodoxe de la collectivisation à la Constitution de 1936,” Revue d’études comparatives Est-Ouest
3–4 (1993) : 43.
[100] Holquist, A Russian Vendée [Une Vendée russe] :
432–37.
[101] Comme Jim Heinzen
l’a fait justement remarqué, au moins jusqu’en 1929, ce n’était pas la seule
interprétation de la collectivisation. A la fin de la NEP, de nombreux
militants du parti, ainsi que certains spécialistes ruraux sans parti,
« soutenaient que la promesse d’une collectivisation généralisée de
l’agriculture était “rationnelle”, “moderne” et “progressiste” (je cite une
lettre personnelle). L’équivoque a
survécu de nombreuses décennies dans la littérature traitant de ce phénomène,
mais elle a été rapidement démasquée dans les villages par la réalité de
l’offensive stalinienne.
[102] Chersonskii
Okrotdel GPU, “Dokladnaia zapiska o sostoianii Khersonskogo okruga v sviazi s
kolkhoznym stroitel´stvom i posevkampaniei”, RTsKhIDNI, f. 85, op. 1/sek. , d.
123, ll. 10–21 ; Lewin, Paysannerie.
[103] Il y a eu
également des éléments de continuité avec les années 1920. Comme nous le
savons, déjà durant les années de la NEP « rien n’a alimenté davantage
l’animosité des paysans à l’égard de la politique soviétique que le style de
“direction” et le mode de vie des dirigeants bureaucratiques locaux ».
Dans Livshin, “Mestnaia vlast’”.
[104] RTsKhIDNI, f. 17,
op. 162 (osobaia papka Politbiuro),
d. 10, l. 126 et d. 12, ll. 30, 126.
[105] Adibekov, “Spetspereselentsy”: 176
; N.V. Tepcov, ed., “Ssyl´nye muzhiki. Pravda o spetsposelkakh”, Neizvestnaia Rossiia XX veka 1 (1992) :
183–269 ; Danilov et Berelowitch, “Documents” : 668–70 ; Werth et Moullec, Rapports : 132–34, 136–45, 356–74.
[106] Adibekov,
“Spetspereselentsy” ; Zemskov, “Spetsposelentsy” ; id. “‘Kulackaia ssylka’”;
id., “Zakliuchennye, spetsposelentsy, ssyl´noposelentsy, ssyl´nye i vyslannye”,
Istoriia SSSR 5 (1991) : 151–62 ;
id., “Sud´ba ‘kulatskoi ssylky’ (1930–1954 gg)”, Otechestvennaia istoriia 1 (1994) : 118–47 ; V. P. Danilov, ed., Spetspereselentsy v Zapadnoi Sibiri, 1930–
1938 gg. Dokumenty i materialy, 3 vols., (Novosibirsk, 1992–94).
[107] Comparer, par
exemple, les rapports mentionnés de l’OGPU avec les témoignages réunis dans Black Deeds of the Kremlin. A White Book
[Actes noirs du Kremlin. Un livre blanc], vol. I (Toronto, 1953) : 187–308 et vol. II (Detroit, 1955).
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