Première
partie : les bouc-émissaires musulmans et le martyre des curés
catholiques
Du point de vue du
prolétariat en révolte et de la théorie marxiste, la tentative
révolutionnaire en Espagne arrive trop tard en Europe. Pourquoi
d'abord ? Parce que la révolution mondiale commencée en Russie
et en Allemagne en réaction à la guerre mondiale a été stoppée
au milieu des années 1920. Pourquoi ensuite ? Parce que
l'Espagne, petit pays du sud de l'Europe est désormais encerclé par
le fascisme italien, le nazisme allemand et des démocraties
complices de la bourgeoisie espagnole. A chaque commémoration, c'est la commisération anti-fasciste qui l'emporte dans l'interprétation des événements. On veut accessoirement nous faire croire à un sursaut possible du prolétariat alors que la contre révolution a quasiment triomphé dans les pays industriels les plus importants.
On exalte depuis des décennies le martyre du « camp républicain », la gloire des « brigades internationales » - cette invention stalinienne - accessoirement les crimes des agents du stalinisme. Les anarchistes vantent l'expérience des collectivisations pour faire oublier que leurs chefs étaient entrés dans le gouvernement républicain certes mais surtout bourgeois. Les critiques des Trotsky et Munis sont considérées comme anecdotiques. On assomme les enfants des écoles et les lecteurs ignorants avec des tonnes d'images glorifiant la dernière grande révolution, ou plutôt une belle « guerre révolutionnaire » « anti-fasciste » hélas défaite par le méchant Franco, que dieu ait sa peau.
On a fait tout retomber sur le dos du parti stalinien dans l'historiographie/hagiographie post 68. Simpliste. Pourquoi ne nous a-t-on pas expliqué pourquoi ce parti stalinien, qui n'était rien à la veille du 17 juillet 36, pas plus gros qu'un groupuscule gauchiste en France 2016, a pris un tel envol et engrangé autant de futurs "commissaires politiques" criminels? Et si la réponse se trouvait dans "l'apolitisme" religieux de ce vieux pays anarchiste agrarien, comme nous l'expliquera probablement Grandizio Munis dans notre seconde partie, consacrée à dépouiller les poncifs de l'espagnolade.
On exalte depuis des décennies le martyre du « camp républicain », la gloire des « brigades internationales » - cette invention stalinienne - accessoirement les crimes des agents du stalinisme. Les anarchistes vantent l'expérience des collectivisations pour faire oublier que leurs chefs étaient entrés dans le gouvernement républicain certes mais surtout bourgeois. Les critiques des Trotsky et Munis sont considérées comme anecdotiques. On assomme les enfants des écoles et les lecteurs ignorants avec des tonnes d'images glorifiant la dernière grande révolution, ou plutôt une belle « guerre révolutionnaire » « anti-fasciste » hélas défaite par le méchant Franco, que dieu ait sa peau.
On a fait tout retomber sur le dos du parti stalinien dans l'historiographie/hagiographie post 68. Simpliste. Pourquoi ne nous a-t-on pas expliqué pourquoi ce parti stalinien, qui n'était rien à la veille du 17 juillet 36, pas plus gros qu'un groupuscule gauchiste en France 2016, a pris un tel envol et engrangé autant de futurs "commissaires politiques" criminels? Et si la réponse se trouvait dans "l'apolitisme" religieux de ce vieux pays anarchiste agrarien, comme nous l'expliquera probablement Grandizio Munis dans notre seconde partie, consacrée à dépouiller les poncifs de l'espagnolade.
Peu des admirateurs de la
légende dorée veulent admettre que la phase 1936-1939 fût surtout
le terrain d'entraînement enfumé en vue de la reprise de la guerre
mondiale, même si des historiens officiels le reconnaissent, même
si la revue Bilan – éditée par les maximalistes italiens réfugiés
en Belgique – expliquait déjà tout cela dans le désert des
chants creux des Fronts populaires et le bruit des avions de combat
des armées ennemies dans le ciel espagnol. Bilan est une revue
d'intellectuels difficile à lire, alambiquée, qui ne parvient pas à
une clarté dans l'énonciation politique comme un Trotsky, ou un
Munis ; tiens on en parlera de celui-là dans la deuxième
partie. Il expliquera très bien aux bisounours gauchistes ou
lambdas, mieux que Bilan, ce qui s'est passé réellement en Espagne
au plan politique, pas en radotant les divagations « apolitiques »
des anarchistes et des poumistes. Ce fût à peu près comme en Syrie
aujourd'hui. Oui oui. Où l'on verra comment les contributions
politiques du passé peuvent aider à mieux comprendre le présent.
Marx et Engels disent quelque part dans le Manifeste de 1848 que,
sous le règne capitaliste « tout peut se transformer en son
contraire ». Hé oui : plouf la destruction de l'Etat
bourgeois, plouf le défaitisme révolutionnaire, plouf l'armement du
prolétariat, plouf l'internationalisme, plouf la généralisation,
plouf la fraternisation, etc. au pays de la concrétisation du
chantage anti-fasciste.
Commencés comme une
tentative révolutionnaire - après des années d'intenses violences entre les classes (un millier de mineurs tués dans les Asturies en 1934), les événements d'Espagne de la fin des
années 1930 n'exhibent pas seulement un prolétariat isolé du
prolétariat mondial, et de ce fait conduit à des violences stériles
et criminelles dans une spirale et sur un terrain - celui des
armes – où la bourgeoisie est invincible (je sais vous allez dire,
il est devenu horriblement pacifiste, mais attendez la deuxième
partie et vous allez voir comment mon vieux camarade Munis vous
mettra les yeux en face des trous). Passons sur le fait que le
prolétariat s'est levé -ce qui est déjà un mensonge - « pour
défendre la République » contre un coup d'Etat pas encore
nommé fasciste1.
Immédiatement l'Etat
bourgeois parlementaire va tout faire pour lui retirer les armes à
la classe révolutionnaire (encore très agraire) laquelle avait été
en chaparder aux putschistes vu que les « autorités
démocratiques » refusèrent de lui en fournir. Jamais la
bourgeoisie espagnole du versant républicain ne permettra un
armement autonome du prolétariat. Elle laissera jardiner les
autogestionnaires anarchistes, mais pour l'encadrement militaire :
obéissance et soumission.
Comme la bourgeoisie
mondiale, la bourgeoisie espagnole a tiré les leçons de
l'expérience en Russie, de son point de vue. Un risque d'extension
révolutionnaire ? Il suffit d'inverser : on va inventer
les brigades internationales. Ainsi au lieu d'initier un mouvement
révolutionnaire dans leur propre pays et d'animer une vie et des
organes politiques non militarisés, des milliers de jeunes ouvriers
seront conviés à venir au casse-pipe (la majorité des tués au
combat étaient des BI) , non pour venir participer à la création
de Conseils ouvriers, organes classiques du double pouvoir, mais pour
s'enrégimenter aux ordres de miliciens staliniens et anarchistes2.
Sortons du bla-bla de
l'hagiographie post-stalinienne et artistique. Le camp républicain n'est pas
simplement la proie des vilains agents de Moscou (des collègues trop zélés), il a besoin de
bouc-émissaires (comme le camp d'en face le fasciste), pour éviter
un massacre des patrons3,
ce ne sont pas les juifs qui sont désignés mais les curés et les
nonnes ; on les massacre à tour de bras, ils « symbolisent »
des siècles d'oppression, dit-on. Mais ces massacreurs laïcs nous
rappellent trop les bouchers de septembre pendant la révolution
française, qu'Engels avait décrits comme des petits bourgeois
sanguinaires et sans vergogne.
Tout est double et
trouble dans cette révolution avortée avant d'avoir commencée.
L'internationalisme est travesti en antifascisme dans un combat dont
les impérialismes européens tirent les ficelles. L'extension
espagnole est centripète quand l'extension révolutionnaire en
Russie était centrifuge. L'expression politique des ouvriers est
soumise aux désidératas des partis gouvernementaux. Beaucoup
d'engagés volontaires dans cette mystification belliciste
préfèreront taire leurs désillusions sur le terrain pour ne pas
porter tort à « la cause », sauf ceux morts au combat
inégal, totalement inégal ; armement minable face aux
franquistes et la pire des armées mexicaines...
Le monde entier est
focalisé sur la violence interne, les violences spectaculaires de la
scène ibérique ; comme si la révolution prolétarienne ne
pouvait être qu'une succession ou un entassement de violences sans
fin, et hélas, de violences perverses, stupidement vengeresses
contre des gens sans défense et si visibles avec leurs robes
noires ; violences nullement constitutives de l'accouchement
d'une autre société. C'est déjà, dans l'impasse espagnole, une
violence de guerre, qui vise à l'élimination primordiale des
sacrifiés ou des héros, et surtout qui écarte toute notion de
classe sociale pour justifier une guerre à venir encore plus grande,
plus sacrificielle encore, non contre le capitalisme, mais contre le
diable étranger au taux de profit : le nazisme et son petit
frère le fascisme. Alors surgit, la main sur le cœur,
l'antifascisme cette prière commune des ouvriers et des bourgeois,
comme de l'autre côté c'est la lamentation des (braves) ouvriers et
des bourgeois en uniforme (eux aussi). L'antifascisme n'avait pas
encore inventé l'antiracisme, mais le fascisme lui sait déjà très
bien se servir non du racisme (théorie fumeuse) mais du
bouc-émissaire « étranger » ; les juifs c'est bon
pour l'Allemagne, quand, au début de la « révolution
espagnole », les criminels...c'est les arabes. Vous verrez où
Georges Bush et ses successeurs ont puisé leur inspiration, ainsi
que les concepteurs de Daesh4.
Après on reparlera des violences internes, anti-révolutionnaires,
pathologiques, néo-religieuses et cathartiques ; qui avaient
existé en Russie, de façon moins importante, des cadavres avaient
été déterrés dont celui de Raspoutine mais pour voir s'il été
vraiment si bien membré que le pensait la cour du tsar.
OU L'APPARTENANCE
RACIALE DEVANCE LE MARTYRE RELIGIEUX DANS LA GUERRE D'ESPAGNE
Vous lirez par après un
certes long extrait d'un historienne espagnole qui explique mieux que
je n'aurais pu le faire comment il n'y a pas eu non plus « guerre
civile » en Espagne, même si des civils y ont été mêlés
(car selon le classique marxisme une guerre civile met aux prises des
classes sociales et est potentiellement la naissance d'une
révolution). Cela commence comme une lutte grave entre fractions
bourgeoises, où le prolétariat a cru pouvoir jouer à la fois le
rôle d'arbitre et de meilleur butteur, mais c'est d'abord un
massacre organisé par des militaires qui se servent de soldats
arabes, car on ne pourra pas dire que Franco a commencé par faire
tuer des espagnols par d'autres espagnols, mais qu'au fond il a sauvé
l'Espagne des « criminels rouges », qui, d'ailleurs
étaient surtout des étrangers « brigadistes », certes
embrigadés, grâce à des troupes supplétives, sans subconscient
« chrétien », comme les péquenots en uniforme
versaillais qui ont zigouillé en 1871 les ouvriers parisiens... Tout
est double. Trouble. Avec les multiples ouvrages qui glorifient ou
« arrangent » la soit disant « révolution
espagnole », on reste dans le déni du plus honteux, de ce qui
doit resté caché pour les idéologues modernes et perpétuellement
révisionnistes.
« La
représentation du Maure dans les troupes coloniales et la guerre du
Rif.
La création dans les
colonies de corps constitués par des soldats autochtones sous le
commandement d'officiers européens n'était pas une nouveauté. La
France les avait créés depuis longtemps en Algérie, l'Angleterre
aux Indes et dans d'autres régions de son Empire. En Espagne, après
la campagne militaire de 1909 et face aux croissantes et violentes
protestations populaires contre l'envoi des troupes péninsulaires,
l'idée de recruter et d'organiser des forces marocaines s'imposait
de plus en plus en tant que moyen d'épargner les vies des soldats
espagnols.
Pour le recrutement on
recourait à des proclamations dans les souks et à des agents
locaux, les « Maures amis », que l'on désignait
couramment sous le nom de « Maures pensionnés » du fait
qu'ils étaient à la solde de l'Espagne dont ils recevaient une paye
mensuelle. Lorsqu'on disposait de plusieurs « Maures amis »
dans un village, une fraction de tribu ou une tribu, on constituait
ce que l'on appelait « le parti espagnol », dont la
mission, outre de renseigner les autorités sur l'état d'esprit de
la population et créer parmi celle-ci une ambiance favorable à
l'avance des troupes espagnoles, consistait à favoriser le
recrutement de soldats pour l'armée espagnole et à former des
« harkas amies », c'est à dire des groupes irréguliers
d'hommes armés qui, sous le commandement du caïd de la tribu,
assistaient les troupes espagnoles dans l'occupation de nouveaux
territoires.
Les quatre années
antérieures à 1921 avaient donné de mauvaises récoltes et, par
conséquent, entraîné la famine dans le Rif et beaucoup de Rifains
s'enrôlaient dans les forces espagnoles pour fuir la misère.
Cependant, si les enrôlements étaient nombreux, les désertions ne
l'étaient pas moins. Beaucoup ne s'enrôlaient que pour obtenir un
fusil et recevoir une instruction militaire, d'autant plus que la
récolte de 1921 s'annonçait excellente, et ce fut le cas. Grâce à
cette circonstance, tant les tribus récemment « soumises »
que celles qui, en principe, l'étaient depuis des années, purent se
joindre au mouvement de résistance des tribus « insoumises »
contre l'occupation. Dans le Rif central et oriental, les troupes
marocaines de la police indigène et des regulares rejoignirent
également le mouvement.
Dans les mois suivants
(fin 1921-année 1922), à mesure que les forces espagnoles
reprenaient péniblement, face à une résistance farouche, quelques
positions perdues – reprises symptomatiquement décrites par le
haut-commissaire, le général Berenguer, comme la Reconquista –
les corps de la police indigène et les regulares étaient
laborieusement reconstitués avec de nouvelles recrues ou même
d'anciens déserteurs qui exprimaient leur repentir et justifiaient
leur désertion par la peur des représailles des gens de leur
fraction ou de leur tribu contre leurs familles. Même si ces
pressions existaient, il n'en était pas moins vrai que les
espagnols, eux aussi, menaçaient de razzier les maisons et les biens
des nouvelles recrues et des déserteurs réadmis, dans le cas où
les premiers auraient l'idée de déserter et les seconds celle de
récidiver.
Sur
la base de ces « méthodes » et des recrutements
effectués dans d'autres régions, en particulier parmi les tribus du
Protectorat français, les unités de regulares formaient
en 1926 cinq groupes (20 tabors, c'est à dire 45 compagnies et 15
escadrons). Ces troupes contribuèrent en 1926 à l'écrasement du
mouvement de résistance rifain dirigé par Mohammed ben Abd-l-Krim
El Khattabi et les années suivantes à la « pacification »
du Rif, c'est à dire la répression des tribus qui avaient participé
au mouvement.
Le
comportement des troupes marocaines de la police indigène ou des
regulares était en
général celui du colonisé qui sert dans les forces armées du pays
colonisateur et à qui on demande, en échange d'un salaire, de
participer à la répression de son propre peuple. Dans les
territoires « soumis », la vieille et traditionnelle
méthode de la razzia contre les villages ou hameaux où les
indicateurs avaient signalé la moindre agitation était toujours
largement pratiquée ; dans les territoires « insoumis »,
limitrophes de la zone occupée, les razzias contre les populations
soupçonnées d'aider ou de fournir des contingents d'hommes aux
« harkas ennemies » étaient également fréquentes.
La
solde insuffisante et les retards pour la toucher étaient compensés
par les profits des vols et des pillages. Les viols et autres abus
étaient monnaie courante. Couverts et protégés par les chefs, les
délits des soldats restaient impunis. Cependant leur tolérance à
l'égard des vols et des abus, n'empêchait pas les chefs de
maltraiter les hommes. Les insultes, les brimades et même les coups
dont ils étaient l'objet créaient chez eux un ressentiment profond
envers leurs supérieurs. Beaucoup désertaient, d'autres attendaient
l'heure de la revanche. C'est ainsi qu'en 1921, à Annoual la police
indigène, dont une partie avait déjà fait défection pendant le
combat et tiré contre les officiers, déserta en masse et rejoignit
les combattants des tribus soulevées du mouvement de résistance
rifain faisant feu sur la cohue des soldats espagnols qui fuyaient
affolés à la débandade.
L'IMAGE
DU MAURE DANS LA GUERRE D'ESPAGNE OU LA RECONQUETE A L'INVERSE
Les
Maures dans l'armée coloniale espagnole. Avant
le 18 juillet 1936, les forces militaires dans la zone du Protectorat
espagnol s'élevaient à quelque 40 000 hommes dont 9000 dans les
troupes régulières et 8000 environ dans les forces supplétives.
Les
opérations militaires en Espagne et la nécessité de disposer de
nouveaux contingents amenèrent les autorités franquistes à une
réorganisation et une augmentation accélérée des troupes
marocaines. En octobre 1936, quelque 15 000 avaient déjà été
recrutés. Au printemps de 1937, des 62 961 hommes qui arrivèrent du
Maroc, 35 089 étaient des marocains. Au cours des deux dernières
années de la guerre civile, les marocains recrutés pour l'armée
franquiste étaient aussi nombreux que ceux qui avaient traversé le
Détroit au début de la guerre civile. Le nombre total de ceux qui
ont participé à la guerre civile a été, d'après certains
auteurs, de 70 000 ; de 100 000 dont 75 000 auraient été
recrutés en dehors du Protectorat espagnol pour d'autres. D'autres
sources donnent le chiffre de 80 000.
Attirés
surtout par la promesse de hauts salaires, les marocains au début
furent nombreux à s'enrôler dans l'armée franquiste. Les mauvaises
récoltes des années précédentes rendaient le recrutement facile
aux caïds. C'est au Rif oriental, dans les tribus de Kelaïa, où
les recrutements étaient déjà une tradition, que ceux-ci ont été
les plus massifs. Dans d'autres régions du territoire – Rif
central, Ghomara et Jebala – le recrutement rencontra des
résistances et les autorités franquistes du Protectorat furent
obligées de faire appel à des moyens coercitifs. Les caïds qui
montraient la moindre opposition étaient menacés de représailles
ou exécutés.
A
la fin de 1936, le recrutement est devenu de plus en plus difficile.
La population voyait qu'aucun des regulares
passés
en Espagne ne revenait. Les familles restaient sans nouvelles et sans
argent. En outre, les autorités avaient pour principe de ne pas leur
faire part des décès. Beaucoup de marocains enrôlés dans les
troupes espagnoles refusaient de traverser le Détroit pour aller
combattre en Espagne.
Pour
pallier ces difficultés et pousser le recrutement, les autorités
franquistes du Protectorat ne faisaient pas seulement appel aux caïds
à leur solde mais à d'autres collaborateurs : le mouvement
nationaliste marocain, allié de Franco, le Khalifa et le Grand
Vizir ; les confréries religieuses comme celle des Derkaoua qui
avait beaucoup de partisans dans le Rif. Cependant, malgré ces
appuis, la résistance au recrutement persistait. Beaucoup, refusant
de s'enrôler, fuyaient en zone française. Ainsi donc, parler de
volontaires marocains dans l'armée franquiste ne correspond pas tout
à fait à la réalité.
Le
retour du Maure ou les Maures contre les « rouges ». En
1936, lorsque les miliciens – des ouvriers, des paysans – qui
défendaient la République espagnole les armes à la main se sont
trouvés face au Maure, cette fois-ci non plus sur les champs de
bataille d'Afrique mais dans la Péninsule même, les visions
terrifiantes du passé – ce qu'eux-mêmes avaient vécu ou que
leurs pères, leurs grands-pères leur avaient raconté – leur
apparurent alors : le Ravin du Loup – revers sanglant subi par
l'armée espagnole le 27 juillet 1909 -, Annoual – la plus grosse
défaite subie par l'armée espagnole au Mroc (22 juillet 1921) -,
Mont Arrouit. Dans des régions comme les Asturies où le
gouvernement avait eu recours (sous la conduite de Franco) aux
troupes du Maroc – la Légion et les regulares
pour
écraser la révolte des mineurs en 1934, le souvenir du Maure était
encore frais dans les mémoires.
Tout
comme au Maroc où la solde insuffisante était compensée par le vol
et le pillage, les militaires franquistes, pour tenir leurs troupes,
encourageaient des pratiques analogues en Espagne. La prise d'une
ville ou d'un village prenait des caractères de razzia : entrée
à feu et à sang, pillages, destructions, incendies, assassinats de
la population civile, viols. Les atrocités des troupes marocaines
sur le sol de la Péninsule ibérique ne différaient pas de celles
commises dans les douars rifains avec la complicité ou même
l'encouragement des officiers espagnols. Mais le « rebelle »
qu'il fallait exterminer était désormais le « rouge ».
Sachant
la terreur que le « Maure » inspirait chez les soldats
espagnols, Franco utilisa les troupes marocaines non seulement comme
chair à canon, mais aussi comme arme psychologique contre le peuple
espagnol. Il s'agissait de démoraliser et de terroriser les soldats
qui combattaient dans les rangs républicains. Plus les actes de
barbarie commis par les marocains seraient nombreux, moindre serait
le courage pour les affronter.
En
plus du viol et du pillage, encouragés par leurs supérieurs,
d'autres actes de cruautés et de violence servaient d'exutoire à
leur exaspération. On a souvent répété que les atrocités
commises par les troupes marocaines en espagne au cours de la guerre
civile étaient dictées par le désir de vengeance contre les
espagnols. En exterminant le « rouge », on exterminait
l'Espagnol en général, l'oppresseur. Il s'agissait pour eux de tuer
des espagnols, de décharger leur ressentiment, leur haine, de donner
libre cours à leur désir de vengeance pour les vexations, les
mauvais traitements. Ceci peut être vrai en partie. Mais il est tout
aussi vrai que les soldats marocains n'auraient pu commettre ces
atrocités sans la tolérante complicité ou même à l'instigation
de leurs supérieurs espagnols. Les actes de cruauté des troupes
marocaines convenaient parfaitement aux desseins des cadres
militaires franquistes dont la majorité, formés dans la guerre
coloniale en Afrique, concevait la lutte contre le « rouge »
dans la Péninsule comme une prolongation de la lutte coloniale
contre le « rebelle » rifain.
Les
actes de barbarie qui ont le lus traumatisé la population espagnole
et sont restés indissolublement associés au comportement des
troupes marocaines en Espagne au cours de la guerre civile de
1936-1939 ont été les éventrations, les décapitations, les
mutilations – amputation des oreilles, du nez, des testicules, etc.
Ces actes de sauvagerie, courants dans la guerre coloniale, n'étaient
pas seulement pratiqués par les marocains, mais aussi par les
légionnaires, tant espagnols que d'autres pays européens. Au cours
de la guerre du Rif (1921-1926), une photo largement reproduite dans
la presse et devenue célèbre montrait plusieurs légionnaires
tenant à la main des têtes de combattants rifains. Les mutilations
– particulièrement des oreilles, des testicules – étaient
courante parmi les soldats de la Légion. Si la publicité faite aux
atrocités des marocains a été plus large, c'est parce que, d'après
l'image du Maure qui prévalait, les actes de sauvageries ne
pouvaient être commis que par des « sauvages ». Ces
actes, quoique condamnables, étaient considérés comme presque
« normaux » lorsqu'ils étaient commis en Afrique,
puisque les victimes étaient des « sauvages » ;
mais lorsqu'ils étaient commis en Europe contre des européens
« civilisés », on les considérait comme inadmissibles.
Les atrocités n'étaient pas mises sur le même pied. Si les
victimes étaient les habitants d'un village ou d'un douar rifain ce
n'était pas pareil que lorsqu'elles étaient d'un village ou d'un
hameau de Castille.
Même
si l'aide des troupes étrangères à Franco, par exemple les troupes
italiennes dont le nombre s'est élevé à quelque 60 000 hommes, a
été dénoncée et condamnée, ces troupes étaient après tout,
européennes. La Légion, malgré ses méthodes sauvages, était
également composée d'européens. S'agissant des troupes marocaines,
plus que leur qualité d'étrangères, ce qui a le plus profondément
choqué était le fait que ces étrangers étaient des « Maures ».
Plus d'un dirigeant républicain a dénoncé la présence des
« Maures » en Espagne après huit siècle de
Reconquista... ! Même si certains ont essayé de comprendre,
d'expliquer les diverses causes qui avaient amené ou obligé ces
marocains à s'enrôler dans les rangs de l'armée franquiste, ce qui
est resté profondément ancré dans la mémoire collective a été
simplement leur intervention, leur comportement dans la guerre civile
espagnole de 1936-1939. C'est ainsi que cette guerre civile a
contribué à perpétuer et à renforcer l'image du Maure ».
L'historiographie de gauche devenue "antiraciste" tait le fait que la dénonciation des fascistes était en effet couplée avec celle des "Maures"; seule la revue Bilan en fait mention: "A la lutte contre les fascistes et les "maures" (opposons) la fraternisation" (cf. Bilan n°38).
L'historiographie de gauche devenue "antiraciste" tait le fait que la dénonciation des fascistes était en effet couplée avec celle des "Maures"; seule la revue Bilan en fait mention: "A la lutte contre les fascistes et les "maures" (opposons) la fraternisation" (cf. Bilan n°38).
Tout
cela est très intéressant et équilibré. Cette histoire occultée
des premiers « hommes de main », « tueurs de main »
de Franco, peut satisfaire l'antiraciste bobo d'extrême gauche, mais
le reproche qu'on peut faire à cette auteure – quoique excusable
pour un écrit dans la mode de l'antiracisme de la fin des années
1980 – est de ne pas développer sur « l'utilisation »
faite de ces mercenaires « arabes » par Franco5.
Pourquoi est-ce qu'il utilise cette « main d'oeuvre
criminelle » au début de son coup d'Etat ? La première
réponse coule de source : la plus grande partie de l'armée
classique n'a pas envie de tirer sur son propre peuple, même si
celui-ci a fait un choix électoral qui déplaît à la grande muette
et à la bourgeoisie latifundiaire espagnole ; de nombreux officiers loyalistes ont été exécutés par Franco tout de suite,
preuve qu'une grande partie de l'armée nationale n'était pas gagnée
au putsch. Après, lorsque le sang aura suffisamment coulé, l'armée "séditieuse" sera suffisamment énervée par la muleta de la fausse
guerre civile, pour relayer les « regulares ». La
deuxième réponse nous a été fournie par l'auteure : la bourgeoisie
aime à faire un lien simpliste entre le présent et un lointain
passé de guerres de religion, des combats de corsaires aux
conversions forcées pour justifier le « sacrifice national »
d'un côté et « antifasciste » de l'autre, mais dans les
deux cas un tantinet « islamophobe » comme le décrète
la doxa bourgeoise de nos jours, voire « raciste colonial »
comme on ne doute pas du contenu des récriminations de « plus
d'un dirigeant républicain » dont les propos ne sont pas
rapportés ni par les historiens ni par les arrogants journalistes
superficiels qui ignorent cet épisode de la répression franquiste.
Si l'on en croit l'historienne espagnole, tout cela reste enfoui dans
la mémoire collective pudique du peuple espagnol6.
OU
LE MARTYRE RELIGIEUX SERT A COUVRIR LES CRIS DES OPPOSANTS
TROTSKYSTES ET POUMISTES TORTURES
Le
massacre des prêtres commence très tôt. Je ne sais plus dans
quelle presse anarchiste, j'ai dû lire que la « révolution
espagnole » était la plus anticléricale de toutes. Il n'y a
pas de quoi être fier, ni en faire un titre de gloire quand on voit
que ce sont des djihadistes qui se chargent aujourd'hui de ce sale
boulot « laïc » ou un Etat (cf. les moines de
Tibéhirine). Si les masses arabes devaient officier à une
révolution du même type, ce serait aussi crétin de flinguer par
milliers les imams ou les ayatollahs... à la place des institutions
capitalistes. J'ai longtemps pensé que cela avait pu se produire à
cause de l'arriération de l'Espagne, pays encore à dominante
agricole et pays par conséquent d'émigration. On va voir grâce à d'autres auteurs que rien n'est spontané et que les exécutions
successives arbitraires obéissent à une logique politique interne
toute...stalinienne.
Face
à l'émoi international, le gouvernement républicain désapprouva,
mais laissant faire l'humeur des dirigeants des « comités
antifascistes » locaux, une génération antifasciste très
anticléricale au point d'oublier que les curés ne sont pas chefs
d'Etat ni patrons, ni généraux.
JF
Berdah écrit : « Le fait est pourtant que cette “fureur
populaire” a largement été médiatisée - et exagérée - par la
presse conservatrice, puis par les thuriféraires de l’Espagne
franquiste, en Espagne comme à l’étranger, tant l’opposition à
la jeune démocratie suscitait d’aversion. S’il est vrai que des
actes de violence furent commis en avril-mai 1931, jamais ces actes
ne prirent les proportions évoquées par le journal monarchiste ABC
ou le quotidien britannique The
Times :
un bilan rapide des actes violents commis sous la Seconde République
entre avril 1931 et juillet 1936 montre en effet que 2 225
assassinats politiques furent perpétrés durant la période, en
partie par les anarchistes, mais aussi et surtout par les militaires,
les gardes civils et autres gardes d’assaut, à commencer par les 1
200 mineurs tués lors de l’insurrection des Asturies en octobre
1934. Ce qu’il importe toutefois de souligner, c’est que cette
violence ne s’exerça pas de façon ininterrompue, mais qu’elle
connut aussi des moments de répit, les soubresauts étant alimentés
par la radicalisation des forces politiques de droite comme de gauche
et par l’incapacité des institutions républicaines à contenir le
débordement des extrêmes".
Après
avoir décrit longuement la préméditation et la planification de la
violence extrême par Franco et ses sbires, l'auteur ajoute :
«Cet acharnement à punir et à réduire l’ennemi réel ou supposé
ne doit pas faire oublier que la violence et la répression furent
pratiquées dans la zone républicaine avec une intensité souvent
comparable durant les années 1936-1939. L’échec du soulèvement
militaire dans les villes et les régions restées fidèles à la
République, ainsi que l’état de chaos dans lequel se trouva
plongé l’État républicain, peuvent certes être avancés comme
facteurs déterminants de l’explosion révolutionnaire de l’été
1936 ; ils ne suffisent pas cependant à expliquer, et encore
moins à justifier, les excès qui furent commis par centaines à
l’encontre des prisonniers militaires et des personnes dont le seul
crime était d’appartenir aux classes “bourgeoises”, au clergé
ou aux partis de droite. Les spoliations de biens - hôtels,
journaux, usines, habitations privées - de même que les incendies
d’églises et les assassinats qui se multiplièrent dès le 19
juillet à Madrid, en Catalogne et en Andalousie furent le fait de
bandes isolées, mais aussi de milices armées recrutées par les
partis politiques et les syndicats".
La
machinerie tortionnaire stalinienne ne s'était pas encore mise ne
branle comme elle le fera après l'insurrection ouvrière du 3 mai
1937 :
«
À la différence notable des généraux rebelles, le gouvernement de
Madrid condamna sévèrement ces excès par la bouche de son chef,
José Giral, et celle surtout du président de la République, Manuel
Azaña. Le 23 août, après plusieurs semaines de violences
incontrôlées et le massacre des prisonniers nationalistes à la
prison Modèle de Madrid la veille même, des Tribunaux populaires
purent enfin être créés, avec l’appui du PSOE, dans le but de
mettre un terme à cette anarchie. Mais la légalité républicaine
se heurta à la toute-puissance des partis et des syndicats
révolutionnaires au niveau local, au point qu’il fut extrêmement
difficile d’empêcher la poursuite des exactions perpétrées dans
les geôles privées dépendant directement de ces derniers. Il
semble pourtant que ces débordements allèrent en se réduisant dès
la fin de l’année 1936 sous la pression des dirigeants socialistes
et nationalistes, et que certaines formations d’extrême gauche
prirent même l’initiative d’appeler à un arrêt de la violence,
à l’exemple de la FAI anarchiste à Barcelone. Ainsi, selon une
étude récente, 90 % des assassinats commis en Catalogne durant
la guerre le furent entre le mois de juillet et le mois de décembre
1936. Cela ne signifie pas, à l’évidence, que toute forme de
violence cessa jusqu’en 1939, mais que cette dernière s’exerça
dans le cadre plus réglementé - quoique souvent aussi brutal - du
Servicio de
Investigación Militar,
après la militarisation de la justice, au mois d’août 1937 ».
La
répression physique menée par le SIM et les autres organes de
sécurité aux mains des stalinistes (ou tchekas)
invoquait l'éradication des ennemis de la République forcément
tous fascistes mais s’étendit largement aux propres
rangs de la révolution à partir du mois de mai 1937, d’abord
contre les trotskistes ou apparentés au sein du POUM (dont le
leader, Andrès Nín, est assassiné par le NKVD), ensuite contre les
anarchistes et tous les opposants à l’ordre « antifasciste ».
Le
massacre des religieux peut paraître « apolitique »,
comme le dit souvent Munis face aux exactions anarchistes :
« Une
ambiguïté qui dérive du fait que cette violence, tout en
véhiculant des motivations - et en quelque sorte sa légitimation -
à partir de la sphère du politique donc publique, a,
originellement, des mobiles d'une autre nature qui, dans une certaine
mesure, peuvent se ramener à la sphère de l'affectivité et du
privé. Si ceci est vrai en général, la particularité du phénomène
consiste dans la qualité spécifique de la violence qui se conjugue
dans ce cas avec la violence politique, et que nous pouvons définir
dans un premier temps, quoiqu'il s'agisse d'une entité
ultérieurement décomposable, comme une violence religieuse »7.
«
Le calcul le plus digne de foi, réalisé par Monseigneur Montero
Moreno dans un travail publié en 1961 et qui énumère une par une
les victimes de cette violence, en spécifiant l'identité, la
condition religieuse, la date, le lieu et, souvent, les circonstances
de la mort, fournit les chiffres suivants : clergé séculier
4184 victimes, religieux 2365, religieuses 283, soit un total de 6832
victimes. Il s'agit d'un bilan nettement inférieur aux chiffres
diffusés pendant la guerre ; les 16000 victimes, par exemple,
dont parle Paul Claudel dans sa fameuse poésie Aux martyrs espagnols
dont on peut supposer (même si, sur cet aspect, des évaluations
partielles plus récentes en confirment la validité substantielle)
qu'ils inclurent des victimes de la guerre et non pas strictement de
la persécution (…)
les
assassinats atteignirent dans certains cas la dimension d'une
véritable extermination. Dans celui de Barbastro, par exemple, 88%
du clergé fut éliminé, 66% dans celui de Lérida, 62% dans celui
de Tortosa. Dans d'autres, c'est environ la moitié : 48% à
Malaga, 49% à Minorca, 55% à Segorbe, 48% à Toledo. Mêmes les
grands diocèses urbains apparaissent durement touchés, surtout si
l'on considère qu'à des pourcentages inférieurs correspondent des
chiffres beaucoup plus importants en valeur absolue. A Madrid, 334
prêtres furent tués (30%), 279 à Barcelone (22%), 327 à Valence
(27%)".
L'homologation
de la violence qui vise les membres de l'Eglise sous la rubrique
violence politique fut proposée par certaines des plus hautes
autorités de la République, immédiatement après l'explosion de
fureur anticléricale, avec des justifications aussi désarmantes que
typiquement staliniennes : « Si l'Eglise ne s'était pas
alliée à l'armée rebelle, elle aurait pu faire entendre du haut de
ses clochers les invocations chrétiennes de paix, au lieu de
décharges de guerre, et il n'y aurait pas eu de persécution
religieuse »8.
« Mais
au-delà des circonstances de fait, il restait comme explication, et
justification, de cette violence exercée contre le clergé une
motivation politique : l'Eglise est ennemie de la République,
l'Eglise s'est rangée du côté des militaires rebelles contre le
peuple qui s'opposait au coup d'Etat, et donc contre la République ;
le peuple, en son nom, frappe ses ennemis et parmi eux, justement,
aussi les membres de l'Eglise. Certes il est bien clair que cette
explication a quelque fondement parce qu'au-delà des prétendues
justifications relatives à l'intervention armée du clergé, il est
indubitable que la responsabilité de l'Eglise espagnole, dans le
passé proche et plus lointain, son indifférence fondamentale aux
conditions des classes les plus pauvres et, au contraire, sa
solidarité avec les classes dominantes, son soutien aux formules
politiques les plus antidémocratiques, sa belligérance non armée
contre la République ont toujours davantage exaspéré la haine
anticléricale, qui aurait ensuite explosé quand les forces
réactionnaires, alliées traditionnelles de l'Eglise, allaient
tenter d'étouffer dans le sang la victoire du Front populaire. Comme
le problème qui se pose est celui de la nature de cette violence, il
importe peu d'objecter qu'au fond l'Eglise espagnole était
réactionnaire de façon moins homogène qu'on ne le présente et que
la viser globalement fut une erreur politique, à l'exclusion du cas
basque ».
La
destruction des églises ne fut pas souvent l'effet d'une
irrésistible furie populaire mais une opération systématique,
délibérée, des autorités républicaines locales comme s'il
s'agissait d'un simple acte administratif.
La
pression politique, le chantage stalinien, plagiant l'hystérie
jacobine, a conditionné cette violence détournée contre les
édifices religieux, protégeant ainsi l'Etat : « La
signification attribuée aux destructions des lieux de cultes et des
images sacrées était tellement forte que, d'après les témoignages,
on incendiait l'église paroissiale dans certains endroits davantage
pour éviter d'être suspectés par les comités révolutionnaires
d'autres localités, d'une adhésion trop timide à la cause
républicaine que sous une impulsion forte et authentique à
accomplir cette action ».
« Même
les assassinats des prêtres, par leur fréquence, peuvent avoir
revêtu la signification symbolique d'un brevet révolutionnaire et,
également, la fonction d'un don sacrificiel de la communauté, qui
la mettait à l'abri de "problèmes plus graves". Une telle
hypothèse semblerait validée par les nombreux cas de villages où
l'unique victime de la révolution fut justement le curé ».
« Tant
les destructions d'églises - comme exécution d'une décision
administrative - que les assassinats de prêtres - surtout ceux, dont
abondent les témoignages de la Causa general, commis contre l'habit
et non contre la personne - pourraient être considérés comme des
violences purement politiques, au moins dans la mesure où
l'anticléricalisme peut être considéré comme une option
proprement politique. Mais la frontière entre ce qui est
anticlérical et ce qui est antireligieux, et ce qui appartient en
tant que tel à la sphère du religieux et non du politique, est très
ténue. Dans les causes de béatification des religieux tués durant
la guerre civile espagnole, conservées dans les Archives Secrètes
du Vatican - cent dix huit ont été instruites - les témoins
insistent beaucoup sur les déclarations des meurtriers selon
lesquelles l'acte qu'ils commettaient était motivé essentiellement
par la haine de la religion. Mais il est légitime de se méfier de
tels témoignages car la motivation antireligieuse est une condition
sine qua non du procès de béatification pour cause de martyre,
comme le sont tous ceux relatifs à la guerre d'Espagne ».
« La
destruction est en effet souvent précédée de mutilations ou
d'autres faits profanateurs. Parmi les plus fréquents, nous trouvons
par exemple l'ablation (dans le cas de statues) ou le percement (dans
le cas de tableaux) des yeux des images , l'amputation, ou mieux,
l'imitation d'une amputation, des organes sexuels masculins, le fait
de traîner les statues à travers les rues, comme l'on faisait
d'ailleurs parfois avec le cadavre du prêtre, les coups portés aux
effigies saintes avec des fouets et des bâtons. Cette
personnification des images saintes, qui atteste l'inassouvissement
du geste symbolique, rejoint parfois des niveaux extrêmes dans
lesquels, sous le comportement moqueur et offensif contre les
croyants, transparaît le besoin d'une communication, même sous une
forme agressive, avec la divinité ».
Le détournement contre la religion - sous forme d'un encouragement aux passions torves héritées d'une société baignant depuis une dizaine d'années dans des rapports de classe ultra-violents, rythmés par la petite bourgeoisie anarchiste face à des gouvernements dictatoriaux, société encore marquée par la féodalité - les caciques et un clergé odieux - date du premier mois de ce qu'on croyait être une révolution; ce que le poumiste Josep Rebull a bien vu le 30 juillet 1936: "il n'est pas évoqué de détruire le capitalisme et sa forme de domination politique, mais il est déclaré "qu'est nécessaire la réquisition des biens de l'église et de toute la réaction". Cette attaque partielle sans que fût posée la question du pouvoir ne pouvait aboutir qu'à faire payer par la classe ouvrière ces biens de l'église et des réactionnaires" (p.50, Espagne 1937, Josep Rebull, la voie révolutionnaire, Spartacus 2014). Pas besoin d'être sur place pour saisir l'infamie et la supercherie - une restauration bourgeoise de la vengeance paysanne anarchique visant les personnes - et la "Gauche communiste" de Bilan de dénoncer ces violences stupides: "La destruction du capitalisme n'est pas la destruction physique, et même violente, des personnes qui incarnent le régime, mais le régime lui-même" (cf. Bilan n°38, janvier 1937).
Le détournement contre la religion - sous forme d'un encouragement aux passions torves héritées d'une société baignant depuis une dizaine d'années dans des rapports de classe ultra-violents, rythmés par la petite bourgeoisie anarchiste face à des gouvernements dictatoriaux, société encore marquée par la féodalité - les caciques et un clergé odieux - date du premier mois de ce qu'on croyait être une révolution; ce que le poumiste Josep Rebull a bien vu le 30 juillet 1936: "il n'est pas évoqué de détruire le capitalisme et sa forme de domination politique, mais il est déclaré "qu'est nécessaire la réquisition des biens de l'église et de toute la réaction". Cette attaque partielle sans que fût posée la question du pouvoir ne pouvait aboutir qu'à faire payer par la classe ouvrière ces biens de l'église et des réactionnaires" (p.50, Espagne 1937, Josep Rebull, la voie révolutionnaire, Spartacus 2014). Pas besoin d'être sur place pour saisir l'infamie et la supercherie - une restauration bourgeoise de la vengeance paysanne anarchique visant les personnes - et la "Gauche communiste" de Bilan de dénoncer ces violences stupides: "La destruction du capitalisme n'est pas la destruction physique, et même violente, des personnes qui incarnent le régime, mais le régime lui-même" (cf. Bilan n°38, janvier 1937).
Laissons
les croyants staliniens enterrer leurs morts ou glorifier leurs meurtres "anti-religieux". En négligeant
initialement de dénoncer plus fermement les massacres des hommes
d'Eglise le gouvernement bourgeois républicain comme ses soutiens d'extrême-gauche
facilitaient le massacre suivant : celui des derniers mohicans
révolutionnaires, les bolcheviks-léninistes avec Munis, les Amis de
Durruti et les anarchistes honnêtes, par le sinistre SIM.
Lorsque
Franco prend le relais du SIM stalinien, la flotte démocratique
anglaise laisse aux mains des sinistres franquistes les milliers qui
tentent de se sauver par mer :
«La
fin de la guerre, consécutive à la reddition des armées du Centre,
n’entraîna aucune diminution notable de la violence en Espagne,
bien au contraire. L’espoir un temps entretenu par le colonel
Casado, auteur d’un coup d’État désespéré, que le vainqueur
se montrerait magnanime à l’égard du peuple républicain et qu’il
n’exercerait aucunes représailles inutiles s’évanouit dès
l’entrée des troupes nationalistes dans Madrid et dans les
principales villes du littoral méditerranéen, le 28 mars 1939 et
les jours qui suivirent. Des dizaines de milliers de personnes
regroupées à Valence, Alicante et Carthagène, qui avaient espéré
jusqu’à la dernière minute que la flotte britannique arriverait à
temps pour les évacuer vers la France ou l’Afrique du Nord, furent
aussitôt victimes d’une chasse à l’homme de la part des soldats
nationalistes et des phalangistes, tragédie qui devait constituer le
prélude à une vague de répression sans précédent qui devait
durer au moins cinq ans »9.
à suivre...
notes:
1Parmi
les mille annotations géniales de Munis, on commencera par noter
celle-ci : « Les ennemis de la révolution n'ont pu
donner comme explication du soulèvement que les stupidités sur la
« trahison » et la « déloyauté » des
militaires, plus l'intervention italo-germanique. Comme si le
soulèvement militaire n'avait pas été un acte de loyauté vis à
vis de la société bourgeoise, précisément parce qu'il était
dirigé contre le prolétariat et la révolution sociale ! »
(p.127)
2On
crédite un peu trop les staliniens d'être le principal poignard
dans le dos de ladite révolution, mais on oublie les exactions et
meurtres anarchistes, en particulier la persécution des curés et
des meurtres de masse, au nom d'une curieuse laïcité ; comme
on va le voir plus loin.
3Qui
eux sont plus malins. Chazé raconte dans son bouquin chez
Spartacus, qu'à Barcelone, les bourgeois avaient revêtu le bleu de
chauffe pour marcher dans la rue.
4Mais
à chaque époque ses bouc-émissaires : les juifs sous Hitler,
les prêtres sous le FP espagnol, les femmes tondues à la
Libération en France, et de nos jours ne sont-ils pas pléthores et
le plus souvent en effet barbus, sauf Marine Le Pen, qui est
peut-être sans le savoir une femme à barbe, quoique barbante.
5Il
ne faut pas oublier qu'un général démocrate français le général
Juin a lui aussi utilisé lors de la bataille du Monte Cassino en
Italie, (1944) des goumiers marocains, des soldats algériens, des
tirailleurs tunisiens et sénégalais, présentés par la suite
comme des libérateurs de la France, mais qui s'étaient livrés à
des « maroquinades » : 2000 femmes et enfants
violés ainsi que 600 hommes. Les conditions de la guerre et
l'origine agraire suffisent-ils à expliquer ces viols et
violences ? La vengeance post-coloniale ? Le mépris
ethnique ? L'hédonisme soldatesque ? En avril 1945 à
Freudenstadt, les troupes françaises, y compris leurs goumiers
violent des centaines de femmes allemandes.
6Il
faut lire l'ensemble de sa contribution : L'image et le retour
du Maure dans la mémoire collective du peuple espagnol et la guerre
civile de 1936, par Maria Rosa de Madariaga (1988, article complet
sur le site Persée)
7Ambiguïté
de la violence politique : la persécution religieuse durant la
guerre civile espagnole (1936-1939) de Gabriele Ranzato (in Revue
Cultures & Conflits)
8Parmi
les nombreux témoignages allant en ce sens, celui de Hilari Raguer,
homme d'Eglise résolument
anti-franquiste, est particulièrement significatif. Il a écrit
dans son livre La espada y la cruz : "Bien que le nombre
et les circonstances aient été exagérés, bien que ce qui s'est
publié sur cette question soit très abondant et ait bénéficié
de circonstances politiques qui lui ont donné une très grande
divulgation (...), il faut pourtant admettre cette terrible réalité
historique : pendant de nombreux mois, il suffisait que
quelqu'un soit identifié comme prêtre, religieux ou simplement
membre d'une congrégation ou d'un mouvement apostolique, pour qu'il
soit exécuté sans procès".
9Jean-François
Berdah : Epuration et répression politique en Espagne pendant
la guerre d'Espagne (site Amnis, revue de civilisation
contemporaine.)
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