"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

lundi 10 juin 2013

QUI VA RAMASSER LE CACA DU PETIT CAILLERA ?


NOTES DE LECTURE DE LA REVUE ECHANGES
sur mon livre: Immigration et religion (ed du Pavé,sept.2012)

Voici un livre qui ne devrait pas laisser indifférent le milieu dit révolutionnaire. Jean-Louis Roche comme à son habitude ne ménage personne. Sa démarche comme il le dit lui-même, est d’attirer l’attention sur « les immigrés qui sont les principaux prosélytes d’une religion conquérante, policière du temps humain ».
Jean-Louis Roche tout au long de son livre va opposer l’obscurantisme de l’islamisme, d’abord à la civilisation grecque, puis ensuite à la science. Le livre nous apprend beaucoup sur l’islam.
Il va jusqu’à établir des passerelles bien fragiles entre l’islam et le nazisme. Mais là où l’auteur perd pied, c’est quand il veut définir le nouveau prolétariat :
« Excepté dans les grandes aires géographiques comme la Chine ou l’Inde, dans les pays dits développés à l’époque moderne, la classe ouvrière ne provient plus pour l’essentiel de la paysannerie, comme dans les pays à économie faible (mot oublié à la frappe) d’Afrique ou du Moyen-Orient. Elle provient de la scolarisation de la jeunesse en général ».
Jusque là pas d’importantes divergences avec Jean-Louis Roche ; mais la suite nous réserve quelques surprises : « Ce ne sont pas ces immigrés, petits bourgeois vaillants et opiniâtres – qui ont les moyens de payer très cher leurs études dans le cadre huppé de l’Université britannique au reste) qui posent problème mais les enfants de la génération immigrée précédente installée en France depuis moins de deux générations, qui estiment que tout leur est dû car ils sont « français » mais, largués du système scolaire, voient avec répugnance la « condition ouvrière » . Ensuite p.150, il oppose ce brave travailleur qu’est le père, gagnant son pain à la sueur de son front, aux jeunes des banlieues, c'est-à-dire les cailleras ou racaille, il n’emploie pas ces termes mais on les devine.
Nous avons longuement débattu à Echanges de cette question au moment de la révolte des banlieues (voir notre brochure, avril 2006), pour conclure que cette jeunesse sans emploi qui n’a que sa force de travail à vendre est bien prolétarienne et d’origine prolétarienne.
Que ces jeunes n’envisagent pas de travailler en usine, ce n’est pas un phénomène nouveau ; tout prolétaire gagnant sa vie à la sueur de son front ne souhaite pas que son fils ou sa fille tombe dans l’esclavage salarié. La réponse c’est que plus de 90% d’entre eux n’aurons que cette possibilité pour vivre. Ici nous sommes confrontés à la question sociale, pas à un problème historico-ethnique.
« Dès qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste » (Karl Marx, Manuscrits de 1844).
Gérard Bad

MA REPONSE :

Je tiens à remercier la revue Echanges et G.Bad, que je ne connais pas, pour cette critique fraternelle et sans haine. Echanges, en publiant régulièrement critiques de publications et de livres, ou annonces de telle ou telle parution, sans exclusive – malgré l’étiquette infâmante qui lui est collée d’être « conseilliste » - assume honnêtement son rôle de boîte à lettres centrale du maximalisme. Ou de ce qu’il en reste d’individus sectaires, de cénacles repliés sur eux-mêmes ; pour certains farouchement arcboutés sur des certitudes plus mystiques que marxistes  quand d’autres pensent garder pied sur terre en s’accrochant à la moindre lutte trade-unioniste.
Venons-en au sujet de ce livre. G.Bad me fait un bien grand honneur d’estimer que ce livre « ne devrait pas laisser indifférent le milieu dit révolutionnaire ».  Lequel milieu est plus habitué à maintenir ses œillères pour ne pas déranger son plaisir de penser la tête dans le sable. Tel militant ancien du CCI croisé à une réunion de Controverses à Paris m’avait répondu qu’il n’achetait pas mon livre sur l’histoire du maximalisme « de peur d’être démoralisé » ! Téméraire mais pas courageux ! On sait que dans les sectes il est interdit de lire les livres qui sortent de la ligne ou mettent en cause l’orga…sme. Dans les 70, un type du PCF qui lisait autre chose que l’Huma, Libé par exemple, frisait l’exclusion. Hélas je n’attends plus rien de ce milieu pour « faire avancer » la lutte de classe, ou du moins contribuer à renforcer la confiance en soi de la classe ouvrière. Mon livre sur l’immigration s’inscrit dans un effort pour sortir des généralités bien pensantes sur l’immigration en général, et je regrette que G.Bad ne se soit pas centré sur l’essentiel de mon ambition : creuser comment la focalisation sur l’immigration avec la greffe religieuse + la campagne idéologique communautariste américaine, aident puissamment à activer la division voire la partition du prolétariat en entités séparées, sans aucune honte à en aborder les questions qui fâchent ou que le militantisme pudibond écarte comme possible péché véniel.
Le problème de l’immigration et de la religion reste vaste et complexe, et à moi tout seul je n’ai pu qu’en pointer contradictions et questions sans réponse, ou réponses filandreuses. Peut-être aurais-je dû développer le pourquoi le capitalisme n’intègre plus, mais si c’est pour ressortir des simplismes, style « il est en crise » ou « en décomposition », cela ne résout rien. Rien ne remplacera tôt ou tard la réflexion collective de classe, dans partis ou cercles conséquents.
Ponctuellement je peux répondre ici à G.Bard. Nulle part je n’établis « des passerelles bien fragiles entre l’Islam et le nazisme », je n’ai jamais défendu la théorie simpliste de certains : islam = nazisme. Historiquement chacun correspond à un moment différent de la société mondiale. Page 302 je glisse simplement que « leur fascisme vert n’est qu’un fascisme de pauvre » ; et je ne m’appesantis pas sur les liens du Mufti de Jérusalem avec Hitler durant la guerre.
Je ne vois pas où je perds pied en disant que la classe ouvrière provient pour l’essentiel désormais de la scolarisation de la jeunesse, c’est un fait, et même une bonne chose puisqu’on leur apprend à lire et que l’expérience de la grève et de l’action collective  les jeunes futurs prolétaires l’ont vécue au cours de leurs manifs lycéennes. Et je vais même plus loin (et G.Bad me comprendra vu ce qu’il dit en fin d’article), contrairement au père, issu de la paysannerie, le fils lycéen a des potentialités pour être moins soumis et non dépendants des intellectuels (jadis c’était simplement ceux qui savaient lire et écrire).  Le lycéen moderne est cependant, par cette éducation ambiguë (on lui faite croire à l’ascenseur social), par certains côtés une proie de choix pour la société de consumation, l’hédonisme tout de suite, une propension au mépris du travail manuel….
J’ai plutôt l’impression que G.Bad perd pied lui-même lorsqu’il me cite – opposant la beurgeoisie immigrée aux cailleras (je ne crains pas les termes non plus) – sans argumenter sur ce qui le « surprend ». Je sépare en effet les petits arrivistes immigrés qui se rendent complices de la hiérarchie et s’y intègrent même trop bien, et ceux qui, appelés naturellement, à finir prolétaires du rang – jeunes des banlieues et la partie caillera – qui se considèrent étrangers au prolétariat et n’imaginent pas « y tomber ». Ce n’est pas moi qui oppose le père immigré bosseur à son fils Rastignac ou apprenti dealer, c’est la réalité qui se déroule sous nos yeux. Cela fait partie du même genre de difficultés qui frappent la jeunesse prolétaire salariée, employée de bureau : la perte ou le refus d’identité prolétarienne. G.Bad est très présomptueux de déclarer que 90% de ces jeunes seront réduits à y aller travailler dans l'usine! Même pas, de plus en plus une majorité n'est ni intégrable ni intégrée à la production. Plus que leur dégoût ou répugnance individuelle face au travail salarié (aliéné) travail, prédomine le REJET, l'EXCLUSION par le Capital de masses croissantes de djeuns et des plus vieux. Aspect violent de la phase actuelle de décadence du capitalisme qui ne peut être esquivée en disant "ils font partie quand même de la classe"; surtout quand on connaît le résultat de seulement deux années de chômage sur n'importe quel individu (la haine et l'accolade aux fantasmes politiques les plus réacs) et l'état d'esprit ultra réac des assistés qui n'ont jamais travaillé et ne travailleront jamais. Hé G.Bad faut sortir du microcosme parisien!
Je ne vois donc la surprise que du côté de G.Bad. Et c’est elle qui m’inquiète à mon tour.  Il fait référence à de longs débats dans Echanges au moment des émeutes banlieusardes en France les plus notoires. Je possède à peu près tous les numéros d’Echanges. J’ai bien sûr lu, et critiqué dans mon journal PU version papier les analyses… fluctuantes d’Echanges sur la jeunesse banlieusarde et associés cailleras. Pas terrible d’en conclure que cette « jeunesse sans emploi » « est bien prolétarienne », quand certains sont régis moralement par de véritables caïds "national-religieux". Je ne pense pas encore que les voyous aient fait ou fassent partie du prolétariat. Ils sont, si on ne les mélange pas avec les émeutiers impulsifs, une lie de cette société de classe, un gibier louche du lumpen, pour partie des amis de la police… Bien sûr dans le milieu conseilliste et moderniste, il existe une tradition d’inclure tout révolté ou tout « blouson noir » (cf. les articles de S ou B et de PO sur les "blousons noirs révolutionnaires" des fifties…), mais c’est toujours une projection d’intellectuels vagabonds. On frôle ici la dilution "con-munisatrice" d'un supplétif subversif au prolétariat dans "les gens" ou la "non-classe" à la Bitot, n'est-ce pas? Tout le monde ne peut pas faire partie du prolétariat. Il y a une conscience et une dignité d'appartenance de classe qui s'opposent complètement à la confusion, pourriture et  perversion intrinsèque des bourgeois.
Misère de misère, en plus de la pérennité de la voyoucratie, voici que s’en mêlent les divers intégrismes, que çà fout le bordel et qu’il y a bien, hélas, une interférence « historico-ethnique », cher G.Bad, que nous n’avions même pas imaginé en 1968, te souviens-tu ?
Eluder le problème en citant une phrase stupide du jeune intello Marx en 1844, qui fait référence à la fuite du jeune paysan face à l’embrigadement pour le travail en usine, n’est pas de nature à éclairer le novice caillera dont la devise est « il faut fuir le travail comme la peste ». Qui ramasse son caca ? Et qui lui sert son Mac Do ? Le travail en soi est nécessaire sous le capitalisme, réalisation et création sous le communisme.
Avec mes fraternelles salutations.

PS: Par contre, il ne faut pas négliger un souci, qui est je pense derrière la maladresse de Bad, non pas de refuser l'amalgame mais le souci d'expliquer à ceux et celles qui sont au bord du chemin. Je me reproche en particulier, à la fin du débat à Lille avec les grévistes de PSA, de ne pas avoir fait l'effort de m'impliquer plus par rapport aux jeunes anti-travail. Dans un face à face improbable grévistes/spectateurs, un grand nombre de moineaux et hirondelles du quartier, vêtus de noirs, plutôt genre marge et blancs de peau, étaient présents; deux ou trois filles étaient intervenues pour s'étonner de la "perte de temps" à faire grève pour des "jobs de merde". Ma première réaction fût d'ignorer, la deuxième de penser que c'étaient des connes immatures, la troisième un repli frileux dans ma situation de bien installé du salariat garanti et rodé à la polémique politique, la quatrième de laisser répondre José le gréviste, qui, avec des mots simples, sans mépris, a fort bien répondu, mais incomplètement et sans soulever le moindre enthousiasme, vu l'air hébété des jeunes. J'ai regretté de ne pas avoir essayé d'élever le questionnement à un problème de société où on (les ouvriers corporatifs à la traîne des garde-chiourmes syndicaux) laisse tomber ces jeunes marginalisés, où on est incapable de leur susciter espoir et rêve. Il suffisait, pour faire parler ces muets et ces mulets, peut-être simplement de les provoquer: "vous pensez vous nourrir comme les moineaux?"; "papa et maman vont vous nourrir toute la vie?"; "croyez-vous que la solution individuelle soit la meilleure pour se sortir de la merde?"; "nous on est peut-être des vieux cons aliénés mais vous alors comme jeunes cons immobiles vous êtes champions?", etc. Non, sérieux pour les prochaines fois, je me promets de les "réveiller".

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