Il reste de vieilles croyances anarchistes selon lesquelles
le paysan aurait un potentiel révolutionnaire. Selon cette lubie le paysan,
être près de la terre, serait incontestablement le dernier humain plus près de
la vraie vie contre l’industrialisme forcené pour un retour aux vrais choses de
la vie. Tant de jacqueries du passé abonderaient en faveur de cet être révolté
traditionnellement contre les puissants, les accapareurs, les féodaux puis les
atroces banquiers. La dernière parodie
de jacquerie paysanne passée de mode
n’aurait-elle pas été la pantalonnade écolo du promu député le moustachu
intellectuel recyclé du Larzac, José Bové ? Luttant contre les OGM
criminels d’un capitalisme pourtant soucieux de nourrir une humanité finissante
et affamée à condition de démultiplier les profits sans égards pour la
traçabilité des produits de la terre, de la mer et de Mac Donald.
L’intellectuel anarchiste marginal, hors des réalités du
capitalisme finissant peut toujours se bercer des citations de l’apôtre de la
paysannerie primitive, Tolstoï, rétif au modernisme, presque bolchevique, qui
espérait un retour salvateur à la « terre » : « La
conscience des hommes ne peut pas être apaisée par de nouvelles inventions, mais
seulement par une vie nouvelle »[1] .
Concédons qu’il y a une part de vrai dans cette distance prise avec la
copulation de la science et du profit. Mais pour l’essentiel, c’est du pipeau d’intellectuel déphasé avec
la réalité d’une classe sac de patates, dénuée de conscience universelle, âpre
au gain et à l’impérialisme territorial. La classe paysanne, non reconnue comme
véritable classe par le marxisme, a toujours été une classe servile vis-à-vis
des dominants. Elle resta soumise sous le règne de la féodalité du moment qu’on
lui promettait de la protéger et de continuer à exploiter ses ouvriers
agricoles, pauvres du cru ou immigrés. Avec le règne de la bourgeoisie, les
grandes exploitations fermières, si bien nommées – le paysan même petit est
fier d’être « exploitant agricole » - ont prospéré et prospèrent
toujours même en enfumant l’atmosphère des pires produits chimiques de
l’industrie capitaliste.
En France, cette sous-classe bénéficie toujours des
cajoleries des politiciens électoraux même si son nombre a périclité
considérablement, sauf dans les campagnes où les gros paysans font toujours la
loi avec le soutien entier de l’appareillage judiciaire parasite. La conscience
du paysan dans la société de consumation marchande et de consultation fictive se
résume à un individualisme foncièrement foncier, même si quelques originaux
socialisant ne confirment pas la règle. Le paysan jaloux des riches est motivé
par le besoin effréné de toujours plus de terre, de bestiaux, l’envie de
s’accaparer sans témoin des biens du
voisin. Le secret de l’enrichissement est la vitesse. Un jeune
« exploitant agricole » sait qu’il doit profiter vite, à condition
que les banques lui octroient des crédits, même faramineux, pour se doter du
matériel agricole performant. Les vieux paysans le voient arriver comme un
corbeau de mauvais augure et s’ils ne peuvent pas le tuer au moins
s’empressent-ils de le menacer s’il tente de déborder de ses terres.
Le paysan moderne s’endette donc, et s’endette royalement.
Il est pain béni pour les banques qui lui fournissent immédiatement crédit à
vie, sachant que la naïveté primaire fait bon mariage avec l’appât du
gain…capitaliste. Mieux le paysan est comme toujours son propre patron, du
moins c’est ce qu’il croit jusqu’au jour de la faillite. Il décide quand il
veut d’aller semer le blé, même le dimanche car les curés ne font plus la loi.
Il agrandit son territoire sur le communal grâce à la loi trentenaire et peut
compter sur les tribunaux de classe et l’Etat fan de la propriété privée. Pourtant
les premières années du postulant à l’enrichissement terrien sont dures et
abêtissantes. Il faut sacrifier toute vie libre à la traite des animaux matin
et soir, compter sur une concubine qui accepte l’odeur de la merde, la
servitude de la nourriture de la volaille et les cancans étroits du village.
Les vignerons sont constamment en butte aux limites de territoire et aux
invasions ou vols des romanichels. Les éleveurs de cochons font face aux
pétitions contre les mauvaises odeurs par les riverains retraités planqués. La
paysannerie dans ses diverses composantes n’est que la guerre de tous contre
tous. Les exactions paysannes contre les préfectures de l’Etat et leurs
violences contre les « forces de l’ordre » bénéficient d’une
indulgence que ne connaissent pas les manifestations d’ouvriers. Pour
l’anarchiste moyen, habité par le souvenir du Larzac, du lac de Naussac, des
Pyrénées à Nantes, il s’agit d’une glorieuse lutte contre l’Etat
« prédateur », prolégomènes à un retour à la vraie vie, individualiste, cossue et au bon air, sans
les produits chimiques de la ville spoliatrice.
Les médias totalitaires compatissent aux deux catégories qui
seraient les plus touchées par le suicide final : la police et la
paysannerie. Pur mensonge, on dénombre
régulièrement un nombre plus fréquent de passage à l’acte de prolétaires.
Les policiers, universellement méprisés surtout par les
tribunaux, sont les nouveaux exploités de la « tolérance étatique »
face à une criminalité indispensable à l’achat de Porsche pour les avocats.
Pour quelques paysans qui recourent à la solution létale, au sommet de
l’endettement, les médias ne leur consacrent que la rubrique des chiens écrasés
en saluant leur dignité, hélas, et en
passant à l’info suivante.
Dans l’ordinaire du paysan la dignité n’a pourtant aucune
place. Dans la guerre de tous contre
tous, certains sont de véritables champions et ne font que concrétiser les
désirs de tous. Lorsqu’un paysan meurt normalement, ou prenant la retraite,
tous, autour vautour, vont tout faire pour récupérer ses terres, gage d’une
progression du cheptel et donc des bénéfices laitiers et consuméristes. Le
maire de base, souvent paysan lui-même, tête ou otage d’un clan villageois, se
battent comme cochons en foire, pour dénoncer un rival qui a mordu avec son
hangar sur le communal. Les tribunaux provinciaux sont remplis de requêtes pour
venger des poules écrasées par le tracteur de Martin.
Tolstoï a tort ici pour les besoins capitalistes du paysan.
Les nouvelles inventions, qui vont accroître son endettement, lui sont
indispensables. Les trayeuses électroniques de plusieurs vaches à la fois,
délaissant le tabouret et la branlette des pis
à papy labour, lui donnent des yeux de Chimène. Il va pouvoir enfin
regarder Koh-Lanta en même temps que les ouvriers privilégiés des villes.
Tranquilles eux après leurs sept heures peinards et leurs luxueuses 35 heures,
quoique sans compter le temps de transport. Son profit va être immédiatement
proportionnel aux milliers de litres de lait, même cradement filtré, qu’il va
refiler au camion du laitier. Le fumier Montesento existe aussi en France européenne.
La solidarité paysanne est incontestable devant les tribunaux
bourgeois, alliances ou mésalliances opportunistes visent à couler le
concurrent et à toucher de substantielles « indemnités ». De fait les
banques et les tribunaux sont les meilleurs alliés du paysan, du moins de celui
qui « réussit ».
Comme le flic bien dans sa peau, comme le patron qui
« prend ses responsabilités », comme le cadre du secteur public, le
paysan vote Sarkozy. Comme l’actionnaire ou le retraité chapeau le paysan vole
impunément et il est dans « son droit ». Toujours plus, telle est la
doctrine du paysan.
[1]
Cité par Georges Anquetil dans son très anti-homosexuel brouillon « Satan
conduit le bal » (1925).
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