Les
murs du lycée Buffon ont encore les reflets d'heures de gloire, ses
lycéens résistants fusillés par les nazis comme des traces de
vedettariat de cette ribambelle de personnages célèbres, l'idiot
politique Sartre, le curé philosophe Clavel (que nous avons failli
avoir pour prof) et le lycéen Cohn-Bendit. Ce fût surtout un des
principaux lycées « agités » en mai 68 où écrémèrent
de futurs journalistes et caricaturistes, où l'idée de coordination
des comité d'action estudiantins prit naissance. Ce fût aussi le
creuset de la vocation révolutionnaire d'une poignée de lycéens
pour toute une vie. Le lycée Buffon aujourd'hui ne ressemble plus
qu'à un couvent de jeunes filles en fleurs, devenu mixte et bcbg.
Que
les débats politiques y furent intenses, que ces jeunes lycéens
firent preuve d'une maturité
politique rarement vue en milieu
scolaire petit bourgeois est indéniable, parce qu'ils étaient le
produit d'une époque particulière ébranlée par la force
tranquille de la classe ouvrière dont mai 68 ne fût que le pic,
parce qu'il entra beaucoup de dérision dans le lycée et ses
alentours. Notre éveil à la politique mûrit en effet contre le
système paternaliste dans les moqueries, moquerie des profs
ringards, moqueries des aspirants chefs gauchistes et du vieux barnum
stalinien ; pitié pour les années de guerres et de galère de
nos parents. Nous ne nous sentions pas anarchistes pour autant, même
si on en comptait déjà un, notoire pervers narcissique avant
l'heure (il y en a toujours dans les mouvements contestataires).
Là
se trouve l'origine de nos « Robin Goodfellow » et leurs
limites oserai-je ajouter... Après la disparition de son alter ego,
Dominique Cotte, Robin nous refile sur farce book un texte
commémoratif à la gloire de leur couple méconnu : « 1976-2016
regards sur les 40 ans écoulés » avec la couverture de
« Communisme ou Civilisation »1.
Triste anniversaire plutôt mystifié et peu mystifiant pourtant.
La
trajectoire de « C ou C » jusqu'à « RG » est
pourtant restée fort académique comme à leurs 2.
débuts lycéens. Le
questionnement de ce groupe de jeunes lycéens intelligents,
brillants et moqueurs procède par une démarcation avec les trois
pôles politiques dominant le milieu politique prolétarien post-68
et en référence à la révolution russe, hors du charivari des
pitres trotskiens et gauchistes en tout genre : Pouvoir Ouvrier
(issu de S ou B), le bordiguisme et RI
Refusant
« l'activisme », ils vont se consacrer à une étude de
l'oeuvre de Marx, projet qui me fît fuir. J'en avais terminé avec
le lycée et, rapidement marié, père de famille et engagé dans la
vie active, je n'avais nulle envie de retourner à la scholastique.
L'époque est favorable aux célèbres doctrinaires inconnus, c'est
ainsi que ce « petit noyau » bute d'abord sur les fous
furieux semi-alcooliques de « Groupe Communiste Mondial »
pour ensuite prendre son envol sous des cieux brésiliens plus
cléments. Tout en se proposant un « retour à Marx » (le
vrai, l'infaillible) le petit noyau se démarque des erreurs
prévisionnistes des derniers mohicans bordiguistes et surtout de ces
« ultra-gauches » de RI « qui se consacrent
principalement à des questions d'organisation ». La saga
d'emblée a aussi un parfum d'invariance quoiqu'ils en disent. Le
remake bordiguien n'est pas loin, surtout sur les positions les plus
avalées par les activistes gauchistes : la défense du
militantisme syndical retors et des libérations nationales
frauduleuses ; en revanche, ce qui donne un semblant de
radicalité « ultra-gauche » (à l'époque, maintenant on
peut dire maximaliste) à nos académistes qui viennent de quitter le
lycée pour l'université, c'est une saine critique du capitalisme
russe et de la comédie éternelle du front unique antifasciste qui
les démarque du gauchisme bourgeois et néo-stalinien. Il est
curieux que dans ce bilan de 40 ans nos mémorialistes narcissiques
n'analysent pas plus leurs fonds baptismaux. Je me souviens des
discussions nuitamment assis sur le plancher de mon deux pièces à
Vanves où les pères de RG polémiquaient vivement en tonnant « le
parti c'est la classe » air bordiguiste impayable contre Hébert
qui, imbibé de la réflexion critique des vieux de Pouvoir Ouvrier
(Véga, Souyri, Vouvray, etc.), se moquait de ces sentences
bordiguiennes. Etrange que nos mémorialistes en herbe estiment que
PO disparaît « parce qu'il n'aurait pas vu ses effectifs
croître comme ceux des gauchistes ». Que certains des vieux de
PO se soient rêvés de nouveaux Lénine, je suis là pour en
témoigner, mais ce n'est pas la raison de la fin de PO. Pouvoir
Ouvrier est certainement ce qui est sorti de mieux de S ou B, mais il
fut aussi son chant du cygne ; S ou B comme PO ont constitué
dans les années de contre-révolution prolongée un effort
incontestable de réappropriation de la théorie marxiste hors du
stalinisme et du trotskysme queuiste, mais avec leurs limites :
Chaulieu avait pompé le conseillisme ringard de Pannekoek avant de
tout renier, et ses ex-collègues de PO, intellectuels distingués
eux aussi, ne croyaient plus au rôle révolutionnaire de la classe
ouvrière. Nos mémorialistes en herbe n'ont pas un mot pour
l'épisode de la fondation par les jeunes de PO de la « Gauche
marxiste », et c'est dommage, non pas pour l'inutilité et la
misère théorique de ce groupuscule3,
qui ne fut qu'une variante du gauchisme, mais parce que c'est face à
ce marais politique qu'ils ont grandi. Leur mentor Hébert avait été
à la fondation de ce groupe, ce à quoi je poussais moi aussi contre
la mollesse de vieux de PO. Hébert était notre mentor à
Hébert et moi dans le film "Le spectre du communisme" 1973 |
En
réalité de la dérision au cynisme on ne peut sauter que dans
l'académisme. Refusant « l'activisme » des bordiguistes
et du CCI, nos mémorialistes ne font que perpétrer un marxisme en
chambre. Bien sûr ils ont beau jeu de dire que l'activisme n'a servi
à rien, que les minorités activistes « ultra-gauches »
ont perdu leur temps quand la « priorité était au travail
théorique ».
Or ce
n'est pas tout à fait vrai. Si les bordiguistes ne peuvent
qu'ânonner les mêmes textes sacrés tout en restant souvent, et
étonnamment, proches de la réalité de la classe ouvrière, le CCI
tout en étant très actif dans les dernières vagues de luttes
ouvrières classiques, a poursuivi un indéniable travail
d'approfondissement politique malgré les quolibets des sectaires et
les aléas de ses scissions, et ses textes restent référentiels
même si ce qu'il en reste n'est plus qu'une secte policière de ses
affidés. Preuve en tout cas qu'une activité de propagande envers la
classe ouvrière n'empêchait pas en même temps de réfléchir au
futur communiste, plus projeté que clairement réaliste à la fin du
XXe siècle.
LE
LUXEMBURGISME, voilà l'ennemi !
Nos
mémorialistes narcissiques se flattent d'avoir systématisé une
analyse moderne du capitalisme dégagée de la césure luxemburgiste
de 1914. L'étude d'ampleur sur les crises du capital au XX e
Marc Chirik |
Le
dit luxemburgisme reste cependant au plus près de la réalité des
contradictions, crises et de la décadence du capitalisme actuel4
que les chiffrages abscons de nos économistes en chambre. Sous
l'aspect orthodoxe pointe hélas à nouveau la névrose invariante
néo-bordiguienne qui fait rhabiller Marx en tenue de rap. Puisque
Marx et Engels n'ont fait que des bonnes analyses du même
capitalisme (déjà affirmé) à leur époque donc du nôtre 150 ans
après ! Je rappelle qu'au temps de Marx on dansait plutôt la
valse que le Lindy Hop. Marx reste donc un invariable sur les
questions syndicales, parlementaires et nationales puisque la date
fatidique de 1914 a volé en éclats et ne justifierait plus un
déplacement des conceptions politiques « tactiques ».
Bon je veux bien... admettons que 1914 ne signifie plus qu'une longue
(et malheureuse) succession d'épisode d'un capitalisme unilatéral
fait de guerres, de crises et de moins en moins de révolutions, nos
mémorialistes égotistes peuvent-ils nous expliquer comment le
prolétariat et ses défenseurs pourraient à nouveau aller caracoler
à la tribune de n'importe quel parlement, nous montrer quelle grève
n'a pas été trahie par un seul syndicat radical et nous expliquer
leur lamentable soutien à l'indépendance de la Catalogne ?
Un de
mes lecteurs, ex-membre du Groupe communiste mondial, qui republie
sur Face book des textes ronéotés bordiguiens classiques, n'est pas
aussi borné puisqu'il est estomaqué lui aussi par ce conservatisme
irréaliste et finalement très réac, aboutissement de tout
académisme qu'il se proclame marxiste ou sportif : « Ils
ont fumé la moquette quand ils ont rédigé leur texte sur la
Catalogne » !
Reprenant
la notion fumeuse de Marx et Trotsky de « révolution
permanente », alors que la révolution ne peut pas être
permanente en soi, « la république démocratique est l'ultime
champ de bataille pour le prolétariat » !? C'est du
gradualisme ou inconséquent ? Supposons que la révolution
éclate lors d'un début de guerre mondiale, dans cette configuration
le régime le plus démocratique équivaut aux pires régimes de
dictature sur la société, donc l'ultime confrontation n'a pas lieu
alors sur mettons le terrain parlementaire ou des rigolos
syndicalistes, mais les armes à la main ! On a pu lire au cours
de ces 40 années de zig-zags académiques tant de bizarres
annotations. Que la révolution ne pourra se produire que dans la
plus pure démocratie est une de ces bizarreries qui reflète bien
plutôt un état d'esprit petit bourgeois loin des réalités
mouvantes, et cet aveuglement à ne voir le capitalisme que dans des
colonnes de chiffres mais pas les gangs même plus nationalistes qui
revendiquent une indépendance nationalo-régionale pour s'en mettre
plein les poches.
Il
n'y a pas de quoi se moquer de la disparition ou de l'étiolement des
groupuscules (ou couples d'individus) révolutionnaires les plus
sérieux. C'est comme ça. C'est surtout le produit de l'impuissance
du prolétariat à relever la tête et de son appétence à se
laisser encore acheter. Une réflexion est à mener publiquement sur
cet échec et sur des inquiétudes légitimes pour la perpétuation
de la tradition révolutionnaire. Vous pouvez être d'accord, et moi
aussi, avec le dernier paragraphe, promettant l'abolition du
capitalisme, sauf avec le radotage du parti léniniste qui doit
prendre le pouvoir, et le vague prolétariat se servir surtout de sa
force militaire (?). Car tout n'est pas si simple. Un coup de clairon
« optimiste » sur 40 ans d'académisme dans son petit
coin de banlieue, ne peut remplacer une estimation de la place réelle
du prolétariat aujourd'hui (hors de la forfanterie sur son nombre
majoritaire présumé par Robin veuf) ni empêcher une réflexion sur
son atonie. Et la dernière trouvaille – rallier les classes
moyennes - n'est pas de nature à nous rassurer d'autant que toutes
les révolutions jusqu'à nos jours ont été menées par la petite
bourgeoisie.
NOTES:
1http://www.robingoodfellow.info/pagesfr/rubriques/Anniversaire.pdf
2Révolution
Internationale, actuel CCI. J'ai su par Raoul qu'à l'époque ce
groupe de Toulouse, absent en mai à Paris, tint des permanences
post 68 dans un café du boulevard Pasteur près de Buffon, preuve
que l'ébullition dans ce lycée attirait aussi nos révolutionnaires
de tradition marxiste. Je ne sais si Robin et Hébert ont été à
ces permanences, mais leurs attaques contre le « décadencisme »
n'en étaient pas moins virulentes, et m'ont longtemps fait hésiter
à rejoindre les « fossiles » de RI.
3Voir
mon histoire de ce groupe sur mes archives maximalistes.
4L'insistance
du CCI sur la notion de décadence (notion définie par la première
Internationale communiste) est un apport fondamental, je dirai même
indiscutable pour qui connaît un peu l'histoire antique des
sociétés humaines. Chaque société successive détruit la
précédente tombée en décadence, c'est à dire en faiblesse et
incapable de préserver ses plus belles réalisations. La
bourgeoisie mondiale moderne procède de même, elle règne par le
mensonge « humaniste » le plus éhonté mais, à la
différence des sociétés archaïques, détruit systématiquement
moralement et psychologiquement ce que le capitalisme originel avait
produit de meilleur : le prolétariat.
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