« Il
faut être bête, il ne faut pas être systématique, et ceci aussi
est indispensable pour ne pas faire de carrière : il faut dire
ce que l'on voit ».
Charles
Péguy (Note conjointe)
« Une
grossièreté ne peut être chassée que par une grossièreté plus
grande ».
Johann
Wolfgang von Goethe (Conversations avec Eckermann, p.179)
« (le
poète Béranger) sans toutefois désirer le retour du pouvoir
despotique (de Napoléon)...Maintenant sous les Macrons, il ne semble
guère à l'aise. Et c'est vrai la génération a perdu sa force !
Et le français d'aujourd'hui veut voir sur le trône de grandes
figures, quitte à prendre part volontiers, lui aussi, au
gouvernement et à dire son mot quand il lui plaît ».
(conversations avec Eckermann p.442 ; j'ai remplacé Bourbons
par Macrons).
Natacha
Polony a raison, on vire les vieilles « élites »
politiques pour mieux préserver les élites économiques.
Etonnez-vous après la fabrique du produit Macron et la nomination de
son cortège d'obligés godillots – les « bébés Macron »
- qu'il n'y ait qu'un peu moins du quart des électeurs inscrits qui
se rendent aux urnes dimanche prochain ! Que les derniers jours
finalisant cette longue et harassante comédie électorale du
rajeunissement bourgeois affairiste aient été consacrés par les
médias à déterrer à nouveau ce terrible vieux fait divers
concernant le meurtre du petit Grégory (avec pour cause une jalousie
de clan familial ouvrier pour le père de Grégory, qui « avait
réussi » en devenant « chef » !?) passe
l'entendement de Goethe et Victor Hugo. Les DJ des médias auraient
pensé le truc en se disant que la masse des électeurs étant
saoulée de politicaillerie il valait mieux lui jeter les os du
pauvre petit malheureux en guise de distraction juridico-policière à
défaut de perdre l'audience pour les publicitaires, que je n'en
donnerai pas ma main à couper.
Ils
sont pour la première fois de l'histoire française nombreux à
ramasser leur veste, députés et assistants parlementaires et à
conchier violemment leurs anciens veautants, les Guaino et Cie en
passe de se faire « étendre », mais pas sur les matelas
Dunlopillo. On ne va pas les plaindre, ils le savaient dès le moment
où ils avaient été « élus » par ces bœufs
disciplinés, produits centenaires du système d'encadrement
infantile. Ils s'en accommodaient volontiers sans se moquer
ouvertement tant que le principal clan DJ d'en haut permettait
l'élection de toutes ces chèvres obligées du mercato
économico-politique capitaliste.
La
saga macronesque est si pitoyable qu'elle ne mérite même pas les
supputations et prévisions catastrophistes qui alimentent
l'opposition décatie des néos PCF, FdeG, PS et variétés de
syndicalistes. La déliquescence de la politique est bien la rançon
d'années de sous-politique moraliste communautariste, antiraciste de
salon et de fantasmes fâchistes. Ridiculisée, l'élite bourgeoise
se prend à rêver de vote obligatoire, ce qui la ridiculise plus
encore. L'abstention s'est avérée même la plus forte dans les
quartiers ouvriers à dominante immigrée de première ou dernière
génération, remettant à leur place bobos socialos et gauchos
défenseurs aléatoires d'un vote immigré bien de chez nous.
J'ai
préféré donc l'allégorie avec l'ami Goethe. Il reste l'un des
plus grands littérateurs de tous les temps dont la force réside en
arrière-fond sur un esprit scientiste. Il est le premier défaitiste
révolutionnaire de l'histoire, dont Lénine a pu s'inspirer. On lui
a reproché de ne pas avoir servi dans l'armée prussienne et les
vieux hobereaux prussiens lui en veulent toujours d'avoir accepté
d'être décoré de la Légion d'honneur par Napoléon. Goethe n'est
pas un pré-fasciste. Les extraits que je vous joins sont tirés de
l'édition Gallimard 1941 patronnée par Drieu La Rochelle, au
service du sémillant Otto Abetz. Ils n'ont pas pu changer nombre de
remarques malicieuses et profondes contre une certaine Kultur
allemande, ni éliminer ses éloges sur le chanteur Béranger que les
nazis haïssaient. Au détour d'une causerie, Goethe nous surprend
toujours en émettant des invariants de la politique et de la
psychologie humaine, et aussi... les « identités »
nationales !.
oOo
« …
L'entretien s'est tourné vers la nouvelle littérature française.
Il fût question de l'intérêt chaque jour croissant que les
français prennent aux ouvrages allemands .
« Les
français, dit Goethe, font très bien de commencer à étudier et à
traduire nos écrivains, car restreints comme ils le sont et dans la
forme et dans les sujets, il ne leur reste pas d'autre moyen que de
se tourner vers l'étranger. Si l'on peut nous reprocher, à nous
autres allemands, une certaine absence de formes, pour la matière du
moins, nous leur sommes supérieurs. Les pièce sde Kotzbue et
d'Iffland sont si riches d'idées qu'ils auront longtemps à y
cueillir avant que tout soit épuisé. Mais ce qui leur agrée
surtout, c'est notre idéalisme philosophique, car tout ce qui est
idée est susceptible de servir à des fins révolutionnaires.
« Les
français, poursuivit Goethe, ont de l'intelligence et de l'esprit,
mais pas de fond et nulle piété. Ce qui leur sert à l'instant
même, ce qui peut contribuer au bien de leur parti, voilà ce qui
leur convient. Aussi, lorsqu'ils nous louent, ce n'est point en
reconnaissance de nos mérites, mais seulement parce qu'ils peuvent,
à l'aide de nos idées, accroître la force de leur parti. »1
(p.82-83)
« …
Chacune des deux nations, répondit Goethe, a ses qualités et ses
défauts. Ce qu'il y a de bon chez les anglais, c'est que tout chez
eux tourne au pratique ; mais ils sont pédants. Les français
sont intelligents, mais pour eux tout doit être positif, sinon ils
le rendent tel. Pourtant ils sont dans la bonne voie en ce qui
concerne la théorie des couleurs ; un de leurs savants les plus
remarquables touche la vérité de près. Il enseigne que les
couleurs sont inhérentes aux choses. Car, ainsi que dans la nature
il existe un quid produisant l'acide, il existe de même un quid
produisant la couleur. Assurément les phénomènes ne sont pas
encore expliqués par là, mais ce savant, toutefois, replonge
l'objet au sein de la nature et le libère ainsi de l'étroitesse des
mathématiques. »
« Et
puis, continua Goethe, on veut du nouveau ! A Berlin comme à
Paris, le public est le même partout. Chaque semaine, une infinité
de pièces nouvelles sont écrites et portées sur scène à Paris,
et l'on est toujours obligé d'en supporter cinq ou six mauvaises
avant d'être dédommagé par une bonne.
« Le
seul moyen de maintenir aujourd'hui le théâtre allemand à sa
hauteur, ce sont les tournées d'acteurs étrangers. Si j'étais
encore directeur, je remplirais toute la saison d'hiver en engageant
les meilleurs artistes des autres pays. Ainsi, non seulement toutes
les bonnes pièces reviendraient constamment, mais l'intérêt du
drame se porterait davantage encore sur les acteurs ; on
pourrait comparer, juger ; le public y gagnerait en
perspicacité, et nos propres acteurs ne laisseraient pas d'être
stimulés et tenus en haleine par le jeu remarquable d'un hôte de
distinction. Comme je l'ai dit : des tournées d'acteurs
étrangers, encore et encore ! Et vous serez étonnés du profit
qui en résultera pour le théâtre et le public. » (p.133-134)
« Après
que nous nous fûmes divertis de cette plaisante anecdote, le
chancelier mit la conversation sur la situation nouvelle qui s'était
créée à Paris entre le parti de l'opposition et le parti
ministériel. Il débita presque mot à mot un vigoureux discours
qu'un démocrate des plus hardis avait tenu contre le ministère au
cours de sa défense devant le tribunal. Nous eûmes une fois de plus
l'occasion d'admirer l'heureuse mémoire du chancelier. A ce sujet,
et particulièrement sur la loi contre la presse, une longue
discussion s'engagea entre celui-ci et Goethe. Le thème était
riche, Goethe, comme à l'ordinaire, se montra un aristocrate
modéré ; son ami, ainsi qu'il l'a toujours fait jusqu'à ce
jour , paraissait prendre le parti du peuple.
« Je
ne suis nullement inquiet pour les français, dit Goethe. Leurs vues
ont atteint le niveau élevé de l'histoire universelle, et leur
esprit désormais ne peut plus être opprimé d'aucune manière. La
loi restrictive n'aura qu'un effet bienfaisant, d'autant plus que ces
restrictions ne touchent pas l'essentiel, mais visent seulement les
personnes. Une opposition sans frein sombrerait dans la platitude.
Les entraves l'obligent à être spirituelle (sic ! JLR), et
c'est là un très grand avantage. Il peut être excusable et bon
d'asséner brutalement son opinion, mais à condition que la raison
soit de votre côté. Mais un parti n'a pas raison absolument, et
cela, du seul fait que c'est un parti ; pour lui, par
conséquent, mieux vaut adopter une manière indirecte, et sur ce
point les français ont été , de tout temps, de grands maîtres. Je
dis à mon domestique, sans plus : « Jean, retire mes
bottes ! », il me comprend. Mais si je me trouve avec un
ami auquel je veuille demander le même service, je ne puis
m'exprimer aussi directement, je dois songer à une tournure de
langage plus courtoise et plus aimable pour l'engager à me rendre ce
service. La contrainte excite l'intelligence et pour ce motif, comme
je l'ai dit, une loi qui limite la liberté de la presse est plutôt
faite pour me plaire. Les français jusqu'ici ont toujours eu la
réputation d'être la nation la plus spirituelle, et ils méritent
de le rester. Nous autres allemands, nous disons volontiers tout ce
que nous pensons, et c'est pourquoi nous ne nous sommes guère
distingués dans l'ordre de l'allusion.
« Les
partis parisiens, continua Goethe, pourraient être encore plus
grands qu'ils ne le sont, s'ils étaient plus libres et s'ils se
montraient plus tolérants, les uns envers les autres. Au point de
vue de l'histoire universelle, ils ont atteint un niveau supérieur à
celui des anglais. Le parlement, chez ces derniers est un ensemble
puissant de forces qui s'affrontent et se paralysent, et où les
larges vues de l'individu isolé ont de la peine à se faire jour,
comme nous le voyons à propos de Canning2
et des nombreuses tracasseries que l'on fait à ce grand homme
d'Etat. »
« Il
est rare que les français accueillent un ouvrage avec une aussi
complète adhésion que nous le faisons nous. Ils ne s'accommodent
pas volontiers du point de vue de l'auteur : même chez le
meilleur, ils trouvent facilement quelque chose qui n'est point selon
leur goût et que l'auteur aurait dû traiter différemment ».
(p.184).
« Ce
qui se manifeste chez les individus, se reproduit dans des
collectivités. Les abeilles, qui forment une série d'êtres
particuliers se joignant les uns les autres, produisent en tant que
communauté quelque chose qui est un aboutissement et qui doit être
considéré comme la tête de l'ensemble : la reine. Le secret
de cette opération s'explique difficilement, mais je puis dire que
j'ai mes idées là-dessus.
« C'est
ainsi qu'un peuple produit ses héros qui, pareils à des demi-dieux,
veillent d'en haut pour la
défense et le salut de tous. Ainsi les
énergies poétiques des français se sont rassemblées en Voltaire.
Ces chefs de file sont grands dans la génération au sein de
laquelle ils opèrent. Plusieurs prolongent leur durée, la plupart
sont remplacés par d'autres et oubliés par la postérité. »
(p.221).
« Nous
avons parlé politique à propos des troubles qui continuent de sévir
à Paris, et de la folie ambitieuse des jeunes gens qui les pousse à
vouloir jouer un rôle dans les plus hautes sphères de l'Etat.
« En
Angleterre aussi, dis-je, il y a quelques années, lorsque l'on
décidait de la question catholique, les étudiants ont cherché à
intervenir en rédigeant des pétitions ; seulement, on s'est ri
d'eux et l'on n'en a tenu aucun compte.
« L'exemple
de Napoléon, dit Goethe, a singulièrement réveillé l'égoïsme
chez les jeunes gens de France qui ont grandi sous ce héros, et ils
n'auront de cesse qu'il n'ait surgi un nouveau despote dans lequel
ils voient en réalisé à son point culminant ce qu'ils désirent
être eux-mêmes. Le malheur, c'est qu'un homme comme Napoléon ne
renaîtra pas de sitôt, et j'en suis à redouter qu'il ne faille
encore sacrifier quelques centaines de milliers d'hommes avant que le
monde retrouve sa tranquillité.
- « Après une courte digression politique, nous en revînmes bien vite à parler de Daphnis et Chloé . Goethe fit l'éloge de la version de Courier comme absolument parfaite. « Courier a bien fait, dit-il, de respecter l'ancienne traduction d'Amyot et de s'y tenir, en améliorant seulement quelques passages, en l'affinant un peu et la rapprochant de l'original. Le vieux français est si naïf et s4adapte si bien au sujet qu'il ne sera pas facile de faire en n'importe quelle autre langue une traduction plus parfaite de ce livre. »
- Nous avons parlé ensuite des ouvrages personnels de Courier, de ses feuilles volantes et de son plaidoyer à propos de la fameuse tâche d'encre sur la manuscrit de Florence .
- « Courier est doué d'un grand talent naturel, dit Goethe, qui ressemble par certaiNS côtés à celui de Byron ainsi qu'à ceux de Beaumarchais et de Diderot. Il a de lord Byron la promptitude à s'emparer de toutes choses qui pourraient lui servir d'arguments ; de Beaumarchais, l'habileté chicanière ; de Diderot, la dialectique, et à cela s'ajoute qu'il est aussi spirituel qu'on peut l'être. Quant à la tâche d'encre, il ne semble pas qu'il ait tout à fait réussi à se disculper ; et ses tendances n'ont pas un caractère assez positif pour qu'on puisse le louer sans réserve. Il se querelle avec le monde entier, et il n'est guère facile d'admettre que certaine faute, certain tort ne soit pas aussi de son côté . »
- Nouas avons parlé ensuite de la différence entre le concept allemand de Geist (esprit) et le sens du mot esprit en français. « L'esprit français, dit Goethe, se rapproche de ce que nous, les allemands, désignons par Witz : les français exprimeraient peut-être notre Geist par esprit et âme. Le mot allemand implique l'idée de productivité, que ne rend pas le mot français esprit.
- Voltaire, observai-je, a pourtant ce que nous appelons Geist, au sens allemand de ce mot. Puisque le mot français esprit ne rend pas cette idée, comment les français l'exprimeraient-ils ?
- Dans un cas aussi éminent, répondit Goethe, ils l'expriment par le mot génie.
- Je lis en ce moment, repris-je, un volume de Diderot, et je suis stupéfait de l'extraordinaire talent de cet homme. Et quelles connaissances, quelle puissance oratoire ! On pénètre du regard dans un vaste monde agité, où l'on donne à l'autre du fil à retordre, où l'esprit et le caractère sont astreints à un exercice si constant que tous deux ne peuvent manquer de devenir agiles et forts. Quels hommes ont eu les français en littérature au siècle dernier, c'est extraordinaire ! J'en suis stupéfait dès que j'y jette un regard.
- C'était là, dit Goethe, la métamorphose d'un siècle littéraire qui avait grandi depuis l'époque de Louis XIV et qui s'épanouissait enfin dans toute sa fleur. Mais ce fut Voltaire qui stimula les esprits comme Diderot, d'Alembert, Beaumarchais et autres, car pour être quoi que ce soit à côté de lui, on devait être de taille, et il n'y avait pas à lâcher prise. » (p. 343-344)
«Pour quelques années
encore, il n'y a pas à envisager une action par la littérature et
l'on ne saurait, pour l'instant, rien faire de mieux que de préparer
en silence quelque chose de bon pour un avenir plus paisible ».
- « Du reste, continua-t-il, Béranger dans ses poésies politiques s'est montré le bienfaiteur de son pays. Après l'invasion des Alliés, les français ont trouvé en lui le meilleur organe de leurs sentiments réprimés. Il les a redressés en évoquant les multiples souvenirs de leur gloire militaire sous l'Empereur, de qui la mémoire est demeurée vivante dans chaque chaumière, et dont le poète affectionne les grandes qualités, sans désirer toutefois le retour de son pouvoir despotique. (…) Chemin faisant, Goethe se montra plein d'une douce aménité. Il manifesta le plaisir d'avoir noué d'aussi charmantes relations avec Ampère ; il s'en promettait les effets les plus bienfaisants pour la connaissance et la diffusion de la littérature allemande en France. .
- « Ampère, ajouta-t-il, a naturellement une si haute culture qu'il a laissé loin derrière lui les préjugés nationaux, les appréhensions, les jugements bornés de ses compatriotes, et qu'il est bien plutôt par son esprit un citoyen du monde qu'un citoyen de Paris. D'ailleurs, je vois venir le temps où ils seront des milliers en France à penser comme lui. » (p.442)
- « On a comparé fort justement l'Etat à un corps vivant composé de plusieurs membres : ainsi la capitale d'un Etat ressemblerait au cœur, d'où la vie et la santé affluent en chacun des membres proches ou éloignés ; mais si les membres sont très éloignés du cœur, le flux vital sera perçu de plus en plus faiblement. Un français, homme d'esprit, je crois que c'est Dupin, a ébauché une carte de l'état de civilisation de la France, et mis sous les yeux, à l'aide de couleurs plus claires ou plus sombres, le degré plus ou moins grand d'instruction des différents départements. Or il se trouve, dans les provinces du midi surtout, situées loin de la capitale, des départements entiers marqués tout en noir, signe de l'ignorance dans laquelle ils sont plongés. Cela serait-il arrivé si la belle France, au lieu d'un grand centre unique, en avait dix d'où émanent la lumière et la vie ? (p.491)
- (6 mars 1830) « Je prévois, a-t-il dit, que des événements importants se préparent à Paris. Nous sommes à la veille d'une grande explosion. Mais comme je n'y peux rien, il me plaît de les attendre avec tranquillité, sans me laisser chaque jour inutilement troubler par l'allure rapide du drame. Je ne lis maintenant pas plus le Globe que Le Temps, et ma Nuit de Walpurgis n'en progresse que mieux. »
« (4 mai 1827)
Grand dîner chez Goethe, en l'honneur d'Ampère et de son ami
Stapfer. La conversation fut animée, joyeuse et variée. Ampère
eut avec Goethe un long entretien sur
Mérimée, Alfred de Vigny et
autres esprits distingués. On a beaucoup parlé aussi de Béranger,
dont Goethe rappelle souvent les incomparables chansons. En
discutant pour savoir si les joyeuses chansons d'amour de Béranger
valent mieux que ses chansons politiques, Goethe émit l'opinion
qu'un sujet purement poétique en général est autant supérieur à
un sujet politique qu'une éternelle et pure vérité de la nature
l'est à un programme de parti.
Puis
il parla de l'état de la jeune littérature française, qui
l'intéresse beaucoup. « Ce que les français, dit-il,
considèrent à propos de leurs nouvelles tendances littéraires
comme une nouveauté, n'est, au fond, rien d'autre que le reflet de
ce que la littérature allemande a voulu être et est devenue depuis
cinquante ans. Le germe des pièces historiques qui chez eux
représentent quelque chose de nouveau, se trouve déjà depuis un
demi-siècle dans mon Goetz . D'ailleurs,
ajouta-t-il, les écrivains allemands n'ont jamais pensé et n'ont
jamais écrit avec l'intention d'exercer une influence quelconque sur
les français. Moi-même je n'ai jamais eu que mon Allemagne devant
les yeux, et c'est d'hier seulement, ou d'avant-hier, que j'ai songé
à tourner mes regards vers l'Occident pour voir ce que pensent de
moi nos voisins d'Outre-Rhin. Mais aujourd'hui encore, ils n'ont
aucune influence sur ma production. Même Wieland, qui a imité le
style et la forme des français, est resté au fond toujours
allemands, et il supporterait mal la traduction. » (p.505)
« Même
Béranger, hasardai-je, n'a exprimé que les milieux de la capitale
et son propre moi.
- Mais c'est aussi un homme dont l'expression et le caractère valent quelque chose. Il y a en lui ce qui forme une personnalité intéressante. Béranger est une nature fort heureusement douée, solide sur ses bases, qui s'est formée purement par elle-même et qui avec elle-même vit en complète harmonie. Il ne s'est jamais demandé : quel est l'esprit du temps ? Quel est le moyen d'agir ? Qu'est-ce qui me plaît et que font les autres ? Afin de chercher à les imiter. Il a toujours agi d'après sa propre nature, sans se préoccuper de ce qu'attendait le public ou tel ou tel parti. Sans doute, à certaines époques douteuses, il a prêté l'oreille aux sentiments, aux aspirations et aux besoins du peuple ; mais cela n'a fait que le confirmer en lui-même, lui persuader que son propre moi se trouvait en harmonie avec le peuple. Jamais cela ne l'induisit à exprimer autre chose que ce qui déjà s'agitait dans son propre cœur.
- « Vous le savez, je ne suis pas, en général, un ami de ce que l'on nomme les poésies politiques, mais celles qu'a faites Béranger, je les goûte. Chez lui, pas de mots pour ne rien dire, points d'intérêts seulement imaginés ou imaginaires. Il ne vise pas à côté de la cible, mais ses objectifs sont toujours des plus marqués et toujours d'importance. L'affectueuse admiration qu'il a pour Napoléon, le souvenir des grands faits d'armes qui eurent lieu sous l'Empire, et cela à une époque où le souvenir était une consolation pour les français plutôt déprimés ; ensuite sa haine contre la domination des curés et contre l'obscurantisme qui, avec les jésuites, menace de faire une fois de plus éruption : voilà pourtant des choses auxquelles on ne peut refuser son assentiment. - Et quelle maîtrise chez lui dans la façon de traiter chacun de ces sujets ! Comme il le tourne et le retourne en lui-même avant de l'exprimer ! Et puis, quand tout est bien mûri, quel esprit, quelle ironie et quel persiflage, et quelle chaleur aussi, quelle naïveté et quelle grâce ne déploie-t-il pas à chaque instant ! Ses chansons, bon an mal an, ont versé la joie à des millions d'individus, elles sont à la portée même de la classe ouvrière, tout en s'élevant fort au-dessus du niveau commun, si bien que le peuple, au contact d'une grâce si spirituelle et si noble, s'habituera et se verra contraint à penser plus noblement et mieux. Que voulez-vous de plus ? Et peut-on vanter de plus chez un poète ?
- Il est excellent, sans doute ! Répliquai-je. Vous savez comme je l'aime depuis des années ; aussi pouvez-vous penser quel bien cela me fait de vous entendre parler ainsi de lui. Mais s'il me fallait dire lesquelles de ses poésies j'aime le mieux, ce sont pourtant ses poésies d'amour que je préfère aux politiques, où les faits visés et les allusions ne me sont pas toujours très clairs.
- C'est votre affaire ! Répliqua Goethe. Les poésies politiques d'ailleurs n'ont pas été écrites pour vous : interrogez les français et ils vous diront ce qu'il y a de bon là-dedans. Une poésie politique, dans le meilleur des cas, doit être considérée toujours comme l'expression d'une nation particulière et, le plus souvent, comme l'expression d'un certain parti ; mais aussi, quand elle est bonne, est-elle adoptée d'enthousiasme par cette nation et par ce parti. De même il faut toujours voir dans une poésie politique le produit de l'esprit d'une époque ; celui-ci, naturellement, est passager, et une fois disparu, il fait perdre à la poésie cette valeur qu'elle tenait des circonstances. Du reste, Béranger avait la partie belle ! Paris, c'est la France. Tous les principaux intérêt de sa grande patrie sont concentrés dans la capitale, y trouvent leur vie propre et leur vrai écho. Aussi, dans la plupart de ses chansons politiques ne doit-on nullement le considérer comme le simple instrument d'un parti, mais ce qu'il combat est en général d'un tel intérêt pour la nation que le poète est presque toujours écouté comme la voix du peuple. Chez nous, en Allemagne, rien de pareil ne serait possible. Nous n'avons aucune ville, nous n'avons même aucune région dont nous puissions affimer : Ici, c'est l'Allemagne ! Si nous posons la question à Vienne, on nous répond : ici, c'est l'Autriche, et si nous le faisons à Berlin, on nous répond ; ici, c'est la Prusse ! C'est seulement il y a seize ans, lorsque nous voulions enfin nous débarrasser des français qu'on retrouvait l'Allemagne partout. C'est alors qu'un poète politique aurait pu exercer une action générale ; mais ce n'était pas nécessaire. La misère commune et le sentiment général de honte avaient éveillé dans la nation quelque chose de démonique. L'enthousiasme que le poète aurait pu sucsiter s'était réveillé partout de lui-même. Toutefois je ne disconviens pas que Arndt, Körner et Rückert n'aient eu quelque influence .
- On vous a reproché, remarquai-je un peu étourdiment, de n'avoir pas pris vous aussi les armes à cette heure grave, ou du moins de n'avoir pas prêté votre concours en tant que poète.
- Laissons cela mon bon ! Répliqua Goethe, le monde est absurde, il ne sait pas ce qu'il veut et il faut le laisser dire et faire. Comment aurais-je pu prendre les armes sans haine ? Et comment aurais-je pu haïr sans jeunesse ? Si cet événement était venu me toucher à vingt ans, sûrement je ne serais pas resté à l'arrière ; mais il eut lieu lorsque j'avais passé la soixantaine.
- « Et puis nous ne pouvons tous servir la patrie de la même façon, mais chacun fait de son mieux suivant ce que Dieu lui a donné. Moi, j'ai bien peiné pendant un demi-siècle. Je puis le dire, dans ce que la nature m'avait prescrit comme tâche journalière, ni jour ni nuit je ne me suis donné de repos, je ne me suis jamais accordé de distractions, mais sans cessé j'ai travaillé, j'ai recherché, j'ai agi de mon mieux et autant que j'ai pu. Si chacun peut en dire autant, tout le monde s'en trouvera bien.
- Au fond, ajoutai-je, pour le calmer, ce reproche ne devrait pas vous froisser, plutôt devriez-vous en concevoir quelque orgueil. Que veut-il dire, en effet, sinon que le monde a de vous une opinion si haute qu'il exige encore que celui qui a fait plus que tout autre pour la culture de sa nation aurait dû faire tout !
- Je ne tiens pas à dire ce que je pense, reprit Goethe. Il se dissimule sous ces bruits plus de malignité que vous ne l'imaginez. Je sens là renaître sous une forme nouvelle la vieille haine dont on me persécute depuis des années avec l'intention sournoise de me rabaisser. Je sais que beaucoup de gens m'en veulent, et qu'ils ne demanderaient pas mieux que de se débarrasser de moi. Or, comme on ne peut désormais s'en prendre à mon talent, on s'en prend à mon caractère. Tantôt on me dit orgueilleux, tantôt égoïste, tantôt plein d'envie à l'égard des jeunes, tantôt plongé dans les voluptés, ou bien encore sans christianisme, et enfin sans amour pour ma patrie et mes chers allemands. Vous me connaissez suffisamment depuis plusieurs années et vous savez ce qu'il en est de ces racontars. Mais si vous voulez savoir ce que j'ai souffert, lisez mes Xénies , et d'après mes réactions vous aurez une idée claire des moyens dont on s'est tour à tour servi pour m'empoisonner la vie. (…)
- « Encore si ce n'était que la masse bornée qui persécutait les hommes supérieurs ! Mais non ! - Les gens doués, les gens de talent se persécutent l'un l'autre. Platen vexe Heine, et Heine Platen, et chacun cherche à montrer l'autre méchant et odieux, alors que le monde est assez grand pourtant et assez vaste pour quon puisse y vivre et travailler en paix et que chacun a déjà dans son propre talent un ennemi qui lui donne assez bien à faire ! ». (p.511)NOTES
1Grand
pilleur devant l'éternel, Marx a souvent pompé Goethe, comme les
utopistes français, sans les citer, ainsi on peut déduire de
cette réflexion observée chez Goethe, la fameuse trilogie :
philosophie allemande, économie anglaise, politique française,
expliquant la formation de la pensée socialiste. Bordiga s'est
souvent inspiré du Faust de Goethe, et ici :
https://www.marxists.org/archive/bordiga/works/1951/doctrine.htm
2Georges
Canning, homme d'Etat britannique (1770-1827). Soutien Pitt pour
l'abolition de la traite des noirs mais pour couler la colonisation
française.Il défend la liberté de culte des catholiques irlandais
mais comme moyen de chantage pour obtenir un poste ministériel.
Est-ce le côté pervers narcissique de Goethe qui lui faisait dire
que Canning était un grand homme d'Etat ou la simple vision de
l'ambiguïté basique de tout politicien bourgeois ?
Un grands nombres d'articles sont des éléments d'instruction.
RépondreSupprimerCela est bon. L'intention est viscéralement dédié à la mort de la vieille société qui a du mal à mourir.
Très bien tout ça.
Mais ... Donc ?
Si on ne fait rien,
dénoncer revient à dire dans le vent que
"Ceci est en fait égal à cela" (et encore ça dépend)