ou la Charia victorienne
relookée
«La
question sociale, la question de l’exploitation, de toutes les
formes d’exploitation...exige une vision globale de l’humanité ».
Madeleine Rebérioux
« Il
est vrai que l'histoire n'est pas une science ». Antoine Prost
« L'assimilation
n'est plus à la mode. Multiculturalisme et bilinguisme sont à la
mode depuis les années soixante-dix. L'idée que l'on pourrait
produire un brave petit anglais ou anglaise à partir d'un immigrant
mal dégrossi est désormais considérée comme du pur chauvinisme,
du racisme et de l'impérialisme culturel, voire du génocide
culturel ».
Ibn
Warraq « Pourquoi je ne suis pas musulman » (édité en
Suisse en 1999).
La pensée libre devrait
être étouffée mais elle réapparaît malgré les tonnes de leçons
de morale du régime. On bavasse de tout et de rien, on sépare
violences religieuses et violence intrinsèque à la loi du profit.
On pense éliminer les problèmes races en rayant le terme du
vocabulaire. On montre du doigt les déshérités comme s'ils étaient
les responsables des défaillances et de l'incurie du système. Le
passant lambda, le blogueur moyen, le commentateur au bas des
articles des journalistes bourgeois, je le lis, je me fiche de ses
opinions politiques. D'ailleurs ce n'est souvent pas l'expression
d'une opinion politique, mais un sentiment, un désarroi, un appel au
secours, un sentiment de solitude avec souvent les délires
qu'inspire la solitude. Je me pose la question : est-ce la
question importante par rapport à tel événement ou fait divers ?
Après le suicide-meurtre (par le père) d'une famille surendettée
dans le Nord, je lis cette remarque – incomplète et biaisée - et
je trouve qu'elle va au fond de nos fantasmes et de nos questions
sans réponse pour la période actuelle ; je n'ai en outre
aucunement envie d'insulter cet anonyme. J'essaierai de lui répondre, quoique mes réponses soient déjà, triviales, dans le titre.
«le suicide c'est le
sort réservé aux Français en mal d'existence. La priorité de nos
gouvernances étant d'accueillir dignement ceux qui, dans un avenir
proche, nous imposeront leurs us et coutumes ».
HISTOIRE ET CONQUETES
RELIGIEUSES
L'analogie en histoire
est toujours spécieuse, entachée de parti pris idéologique. Les
événements peuvent se répéter deux fois mais jamais dans le même
contexte. L'historien professionnel lui-même n'a pas un raisonnement
différent du lecteur lambda. Il raisonne par analogie avec le
présent, transférant au passé des modes d'explication qui peuvent
convenir surtout au présent, mais pas forcément à l'avenir1.
Mais les sociétés successives et civilisations demeurent
comparables, heureusement, comparer fait partie de la réflexion et
du discernement, de même qu'aucune société, aucune civilisation
n'est éternelle. La forme nationale même démocratique, présentée
comme une valeur refuge par ceux qu'on nomme nouveaux « phobiques »
en tout genre, n'occupe que peu de temps dans l'histoire de
l'humanité. Le mélange des peuples est une constante de l'Antiquité
au Moyen âge. Au sommet des territoires conquis ou des royaumes ce
ne sont même pas des autochtones (natifs du coin) qui disposent du
pouvoir. Au Xe siècle, deux frères vikings sont rois de Sicile.
Depuis le début du 19e siècle, un beau-frère de Napoléon,
Bernadotte, est à l'origine de la lignée de l'actuel roi de Suède.
On peut être viking et roi d'Italie, comme français et roi de
Suède ! L'histoire n'a pas de patrie ni de lignée sanguine de
souche ! Mais mais... les héritages culturels ressortent
toujours.Ce qui n'empêche pas le multiculturalisme de contenir une
partie de la solution de la fin des clivages nationaux bornés. Bien
qu'il fasse parfois de justes constats de la déliquescence
culturelle et éducative du « modèle français »2,
A Finkielkraut est creux, il se choque de la phrase célèbre du
parolier du groupe rock Grateful Dead : « Vous êtes
terrifiés par vos propres enfants car ils sont nés dans un monde où
vous serez à jamais immigrants »3.
C'est un peu vrai, si l'on écarte la guimauve de gauche universelle
et musicale, les prolétaires – qui ne sont pas tous spécialement
immigrés ni issus de l'immigration – se vivent depuis leur origine
de classe (pas leur identité, terme imbécile) comme « de
passage », avec la peur du lendemain, de l'expulsion de leur
logement, du suicide terrible, comme cette famille de 5 personnes
dans le nord exécutée par le père pour cause de surendettement, où
personne n'ira protester ou compatir comme les artistes pour les
migrants. La vie de prolétaire est une vie d'immigration permanente,
de nomade comme le dit le snob Attali. Rien n'est sûr sous le règne
d'un salariat de plus en plus destructeur, où les premiers tombés,
chômeurs et réfugiés refoulés, ne peuvent compter sur aucune
solidarité, chacun restant sur sa motte castrale. Avec les
chansonnettes religieuses pour lot de consolation.
Petit détour historique.
Au septième siècle, les conquérants arabes de la Sicile fermèrent
un certain nombre d'églises et de monastères, en tolérant
l'ouverture de certains contre paiement d'un tribut. Ils se
montrèrent tolérants alors que le christianisme semblait en voie de
disparition.
Certains, tel l'émir
Abdul Kassem Ali eurent l'intention de conquérir la Campanie et les
Pouilles. Les villes italiennes s'enrichissaient alors des énormes
butins collectés dans la Péninsule. Cette prospérité grandissante
attira d'Afrique un grand nombre d'émigrants arabes. L'agriculture
et le commerce s'épanouirent. En Sicile se développa la culture du
coton, des grenadiers, des bananiers, des palmiers-dattiers et de la
canne à sucre. Palerme devint une des plus grandes agglomérations
d'Europe avec ses 350.000 habitants et ses 500 mosquées vers la fin
du 8ème siècle. Sous une succession de princes arabes, la Sicile
connut 27 ans de bonne administration. Les émirs arabes avaient pour
habitude de réunir autour d'eux une foule
d'astronomes,d'architectes, de savants et de poètes. Puis les
discordes politiques intérieures entre clans africains contaminèrent
la Sicile qui fût démembrée : « Alors la Sicile fut de
nouveau la proie du désordre. Tout fut à recommencer. Mais, cette
fois-ci, ce ne furent ni les Grecs, ni les Romains, ni les Byzantins,
ni les Arabes qui rétablirent l'ordre et l'unité. Ceux qui firent
se lever une nouvelle aube sur la Sicile, ce furent les Normands »4.
Poursuivons notre voyage
possiblement analogique.Venus du bled de Hauteville-le-Guichard, dans
la presqu'île du Cotentin, descendants des nombreux vikings qui
avaient peuplé la France au Xe siècle, deux frangins de la famille
Tancrède, Roger et Robert, s'avisèrent d'aller chercher fortune
plus au sud. En pleine époque du Saint Empire germanique (n'y voyez
aucun parallèle) ils réussirent à former une troupe de soudards
pour aller combattre les Grecs d'abord, puis les princes italiens.
Leurs rapines furent couronnées de succès grâce à l'étrier qui
leur permettait de supporter une armure plus lourde. Robert devint
rapidement comte des Pouilles puis invita Roger à le rejoindre. Les
deux frangins se querellèrent immédiatement, le partage en deux de
la Sicile ne mit pas fin à la lutte pour le pouvoir. Roger triompha,
chassa son frère, et s'empressa de remettre la religion musulmane à
sa place, secondaire :
« Roger employa les
années qui suivirent à conquérir la partie méridionale de l'île
à consolider les parties qu'il détenait déjà, en érigeant des
châteaux forts à tous les points stratégiques. Il sut s'attirer la
bienveillance des populations en faisant preuve de tolérance dans le
domaine religieux et en traitant les chefs arabes avec magnanimité.
Sa tolérance à l'égard de la religion musulmane ne l'empêcha pas
de faire tout son possible pour restaurer le christianisme. Il fonda
des évêchés, fit venir des moines d'outre-mer et entoura l'île
d'une ceinture d'églises. (…) Son fils, Roger II, le premier
Hauteville à porter le titre de roi de Sicile (…) plus qu'un
guerrier intrépide : « … aimait l'art autant que la
guerre et, outre les innombrables services qu'il rendit à la
population, il fit traduire d'arabe en latin les écrits de Ptolémée,
patronna la rédaction d'une géographie universelle, transféra les
ossements de Virgile du Pausilippe au Castel del Ovo à Naples (…)
« Si les Normands étaient des guerriers prodigieux, ils furent
des bâtisseurs non moins extraordinaires. Leur domination fut
marquée par la construction des châteaux, des églises et des
cathédrales dont ils couvrirent l'île, autant que par les palais et
villas qu'ils érigèrent dans le voisinage de leur capitale. Ces
guerriers nordiques, encore à moitié barbares bien que chrétiens,
firent irruption dans un des pays les plus civilisés du monde. Mais
la stabilité et la prospérité qu'ils apportèrent avec eux
permirent aux arts (…) de s'épanouir peut-être comme jamais
auparavant »5.
On pourrait ainsi
continuer longtemps jusqu'à notre époque, ce qui montrerait que le
cadre national n'a été que provisoire dans la grande transhumance
universelle, mais nous laisse dubitatif dans l'obstination de la
bourgeoisie à maintenir ce cadre face à son échec à réinstaurer
un fédéralisme moyenâgeux de type européen autarcique. Rien ne
pourrait par conséquent nous empêcher de constater que la
comparaison « analogique » serait mal venue avec nos
guerriers terroristes actuels qui ne font pas du pillage une
nécessité mais l'apologie du meurtre et du suicide religieux. Je
montrerai à la fin que l'effondrement de l'islam sera sans doute
bien plus important que celui du 6,
leur appel d'air à l'ouverture des frontières aux millions de
victimes des guerres capitalistes, n'est pas simplement de
l'irresponsabilité, mais une manière de faire croire que le
capitalisme pourrait être encore progressiste. Ces collabos d'un
système qui s'étouffe dans sa décadence, ne sont pas du tout les
annonciateurs d'un monde nouveau mais des prébendiers d'une
caricature de l'internationalisme du prolétariat, lequel n'a jamais
été l'apologie de la fuite des populations subissant les guerres,
et s'échappant sans pouvoir les combattre ni politiquement ni
socialement. Réduites à l'état de mendiants ou de maraudeurs ?
catholicisme, devenu réellement
superfétatoire. Et que si tous les enchanteurs d'un islam tolérant,
stalinisme recyclé, de Médiapart à Rue 89 et au pitre
interchangeable Joffrin ne font que s'inspirer de la guimauve d'un
historien d'extrême droite
CLASSES DANGEREUSES ET
MIGRANTS
Dans son célèbre
ouvrage – Classes laborieuses et classes dangereuses7
(1958) – Louis Chevalier commence par expliquer, ce qui lui
vaudrait aujourd'hui le qualificatif de facho, que la prolifération
des crimes s'explique surtout par l'arrivée massive de migrants qui
viennent s'entasser dans les villes au 19e siècle. La population de
Paris a fait plus que doubler en un demi-siècle sans que les
possibilités de logements et d'emplois aient beaucoup évolué. Le
nombre d'habitants était passé de 600 000 en 1800 à plus d'un
million en 1850. Au contraire, l'ouvrage d'Engels, près d'un siècle
plus tôt, qui s'était penché lui en temps réel sur les conditions
déplorables de vie de la classe ouvrière pour en relever l'aspect
révolutionnaire, ne s'était pas attaché à cet aspect
« pathologique » dans le cours du développement du jeune
capitalisme, les différentes formes du crime, comme maladie sociale,
n'avait pas retenu particulièrement son attention, la seule
véritable classe dangereuse, et pas un lumpenprolétariat de
coupe-gorge, était la classe des fabriques et du salariat.
Au 21e siècle, si les
prisons regorgent toujours des derniers arrivants sur le territoire,
cela n'est pas dû au croupissement initial inévitable des premières
urbanisations industrielles, mais un aspect de la collaboration des
partis de gauche et des syndicats au maintien des inégalités en
même temps que de l'impuissance des Etats nationaux à absorber les
nouvelles populations, comme on le voit plus brutalement en ce
moment.
A la veille de l'an 2000,
deux auteurs, Stéphane Béaud et Michel Pialoux – Retour sur la
condition ouvrière – avaient assez bien décrit le déboussolement
des « proles » des ouvriers immigrés déjà
assimilés au salariat : « Cette fraction de classe
particulière que constituent les enfants de l'immigration
post-coloniale se retrouve « coincée » entre, d'un côté,
un héritage ouvrier racorni, peu attirant, et, de l'autre, un
héritage colonial à la foi mal connu d'eux et traumatisant ».
En réalité, depuis une
quinzaine d'années, voire plus, l'héritage colonial ne fait plus
que tapisserie, largement dépassé, voire sublimé par les exigences
islamiques, qui sautent par-dessus l'héritage colonial tout en ne
pouvant pas expliquer comment il se fait que Mahomet descende, comme
nous tous, de l'homo-sapien. Mais, plus grave encore est le fait que
les proles des ouvriers immigrés, en grande partie, n'ont plus
l'occasion de « se prolétariser », comme nombre de
proles « de souche »8
ni de trouver du travail
à foison hors des services et du job de vigile très grand et
musclé.
Le terme « classes
dangereuses » aurait été inventé au mitan du 19e siècle par
un certain A.Frégier, et adopté rapidement par la bourgeoisie
anglaise pour qualifier les pauvres et les ouvriers qui, chacun à
leur façon, menaçaient l'ordre social. Pour se protéger la société
victorienne enfermait les deux catégories soit dans la prison soit
dans la Workhouse. C'est au milieu des années 1970 que le stéréotype
de classe dangereuse réapparaît, modernisé, sous celui de
délinquants, de membres d'une underclass qui portent baggy et
sweatshirts à capuche. La criminalité est donc encore le fait des
déshérités mais pas des criminels en col blanc et autres
banksters. En 2007, un rapport de la police britannique fournissait
les caractéristiques typiques du détenu moyen au moment de son
incarcération : 12% des détenus étaient sans abri, 31%
étaient au chômage, et 40% n'avaient pas de diplôme officiel. Les
détenus adultes hommes d'origine africaine ou antillaise purgent des
peines d'incarcération qui sont 44% plus longues que celles des
hommes blancs ; cette dernière estimation pouvait être
considérée comme déformée par un sondeur antiraciste primaire car
n'était pas précisé la nature du crime ni le niveau de
socialisation du détenu9.
L'islam est présenté
aujourd'hui comme la principale religion servant de couverture aux
violences dans les faits divers comme dans les crimes des bandes
armées terroristes au service d'un impérialisme ou d'un autre. En
réalité toutes les religions ont été des vecteurs de guerre et le
restent. En Inde les fanatiques hindouistes s'attaquent aux musulmans
et aux chrétiens. En Birmanie, les bouddhistes persécutent la
minorité musulmane des Rohingyas. La chrétienté bat certainement
des records historiques dans le massacre des populations :
croisades, conquêtes coloniales et dernièrement au Rwanda en 1994,
des prêtres dirigeaient le génocide.
On jase sur un grand
remplacement comme saloperie de l'extrême droite pour assurer
(quoiqu'elle ait en partie raison) qu'on va vers une invasion et une
islamisation totale des sociétés européennes, quand cette nouvelle
« religion des pauvres » n'ira plus très loin et que la
bourgeoisie veut surtout, à l'aire de la flexibilité chérie
utiliser le drapeau islamique comme grand remplaçant... du
stalinisme. Avant le « grand enfermement » religieux10,
je vous propose de goûter encore, après avoir donc osé la
comparaison avec les invasions normandes et sarrasines du Moyen âge,
les us et coutumes de la charia... victorienne.
Plus que les lendemains
du massacre de la Commune de Paris, plus que la longue période de
réaction stalinienne des années 1930, la période victorienne peut
présenter des ressemblances avec notre époque de retour du refoulé
religieux et des porte-cierges de l'idéologie dominante de Obama à
Hollande jusqu'aux petits séminaristes islamo-gauchistes. Ce n'est
pas pour rien que le maximalisme issu de la gauche de la IIIème
Internationale a soutenu depuis 1945 que le gauchisme (trotskismes et
variétés d'anarchisme) était bourgeois. Sous couvert
internationaliste il aura contribué à dissoudre toute spécificité
de classe ouvrière, ce qui ne serait pas négatif en soi si cette
classe se considérait en autarcie, ou n'avait été selon
l'acception stalinienne qu'une compil de corporations, mais comme le
prolétariat n'est pas une communauté, chevauche toutes les classes,
lesquelles sont toutes susceptibles d'y tomber, mais il resteront
historiquement des traîtres définitifs en ayant contribué derrière
les puissants à saper sa confiance en soi. Ils se battent d'ailleurs
au profit du pouvoir existant en dénonçant un pouvoir inexistant,
qu'ils n'ont pas connu ni subi, le fascisme. Exactement comme les
curés combattaient la laïcité sous le règne de la reine Victoria.
On présente l'époque
victorienne comme totalement réactionnaire, ce qui est abusif. Cette
époque coïncide avec la révolution industrielle et la nécessité
de la mise « en ordres » de la société, affirmant la
délimitation des classes sociales et surtout la nécessité de
dompter la toute nouvelle classe ouvrière, qui avait les moyens de
ne plus subir le knout comme les classes paysannes.
Il fallut mettre fin à
l'ignoble « Bloody code » dans les premières décennies
du 19e siècle, code sanguinaire et sans pitié qui ne différenciait
aucunement entre les types de crimes ; tous, depuis le plus
petit larcin jusqu'au meurtre, incluant les offenses au droit de
propriété, étaient condamnés à la peine capitale. Un rapport de
la Royal Commission en 1837 réduisit considérablement l'application
erratique de la peine de mort. A la même époque l'industrialisation
massive déplaça les populations de la campagne vers la ville. La
dangerosité rurale primaire, des vagabonds et bandits de grand
chemin, fût remplacée plus communément par des crimes urbains
associés à une délinquance de classe ouvrière encore peu
socialisée et pas organisée ; sans syndicats, il arrivait que
pour tout dialogue des ouvriers tuent des patrons11.
La bourgeoisie et la
noblesse victoriennes avaient l'impression que la criminalité
augmentait, et justement la fin du « Bloody code »
correspondait à la nécessité de hiérarchiser les condamnations
plutôt que de pendre et torturer à tout va, pour éviter les
émeutes d'une nouvelle classe vraiment dangereuses celle-là et
moins facile à domestiquer que la paysannerie.
L'irrationalisme
britannique reste légendaire. A côté de progrès indéniables,
demeurent des lourdeurs idéologiques. Contrairement à la
bourgeoisie française qui avait développé une police centralisée
depuis 1789, ce n'est qu'en 1829 qu'est créée une police
métropolitaine sous l'égide de Robert Peel. On avait considéré
jusque là que créer des forces de police était une atteinte à la
liberté individuelle ! Comme de nos jours, interdire aux
migrants de venir en Angleterre serait anti-libéral, c'est pourquoi
la bourgeoisie anglaise laisse le sale boulot à sa consoeur
française.
Chaque réforme
britannique s'accompagne du poison idéologique des classes
exploiteuses. La création de la police se justifie donc face à une
« classe criminelle », truands et ouvriers confondus12.
Bien avant le capitalisme
musulman de l'Iran ou de l'Arabie Saoudite, le crime à l'époque
victorienne est ce qui vient contrarier l' « ethos »
protestant (cf. Max Weber). La mentalité capitaliste, sous couvert
de la religion, devient sacrée : le travail rime avec le bon
ordre, le crime (grève ou vol) est synonyme de désordre, donc la
lutte de la classe exploitée est un blasphème.
Autre paradoxe
britannique qui se retourna contre les classes dominantes, on pensait
que l'exhibition de l'exécution publique des criminels servirait de
leçon pour que chacun respecte le « bon ordre », au
travail surtout13.
Or, au contraire, à travers ce spectacle le criminel était élevé
au rang de héros, idole des foules qui se déplaçaient en masse
pour voir son exécution, non pour le siffler mais pour l'applaudir14.
Dickens, qui avait assisté à des exécutions, décrit une
fascination mêlée de répulsion. Or, ce que ne comprennent pas les
auteurs ou historiens britanniques qui rapportent ce phénomène,
c'est qu'il s'agit, un peu comme les premiers chrétiens face aux
lions, d'une prise de conscience de classe primitive, qui,
confusément, comprend qu'elle ne pourra pas tolérer longtemps le
« bon ordre », que, à leur façon criminelle, les
bandits condamnés – victimes finalement eux aussi – montrent que
la violence est nécessaire, qu'il ne faut plus... se laisser faire.
Et en même temps que le condamné, personnage devenu légendaire,
était bien seul... et toujours condamné seul. Comme s'il valait
mieux envisager que tous les prétendus « criminels »
contre le « bon ordre » se liguent...15
La période victorienne
est dominée par une Reine qu'on dit sévère, mais légère de la
cuisse, quand tout est bouleversé en Europe, où se déroule au même
moment un véritable printemps des peuples en lutte pour la
démocratie, et qui va provoquer en Angleterre également l'éclosion
des divers linéaments du mouvement ouvrier vers la maturité de
classe confiante en elle-même : socialisme utopique,
anarchisme, syndicalisme. La plupart des grands bâtiments modernes
et fonctionnels de Londres sont bâtis au cours de la deuxième
moitié du règne de Victoria. L'industrie et la conscience de classe
progressent en dépit des querelles religieuses16.
Paradoxale période
victorienne où cette reine porte 22 ans le deuil de son mari mais
couche avec un domestique. Bernadette Soubirous voit la vierge à
Lourdes en 1858. Les missionnaires contribuent au sale boulot des
colonisateurs en Afrique. Le siècle voit le triomphe de la peinture
religieuse, Ingres en France et préraphaélites en Angleterre. Les
prussiens se révoltent contre les français au nom du roi et de
dieu. C'est pourtant le siècle où progresse le plus vite l'esprit
des Lumières, où la déchristianisation traverse surtout la classe
ouvrière. La science remplace la religion et devient même une
nouvelle religion, le scientisme, voué à décliner au siècle
suivant. Napoléon avait déjà commencé à placer la religion aux
ordres du pouvoir sécularisé ; sous le Concordat le
catholicisme n'est plus considéré religion d'Etat17.
Le rom antisme perdure en
la première moitié du dix-neuvième. Il était une réaction très
religieuse, mystique face à l'échec des idéaux de la révolution
française18.
Pourtant, il a produit Saint-Simon, lequel quittant la sphère de
l'individu en vient à critiquer les conséquences sociales de la
révolution industrielle, et donc à jeter les linéaments du
socialisme. La religion est historiquement défaite face à la
perspective socialiste qui va s'affirmer désormais de plus en plus
au plan social comme au plan politique. Comme l'a fort bien dit un
auteur : « A force de chercher le chaînon manquant, le
monde religieux s'est trouvé inquiété quant à la possibilité
qu'Adam et Eve pouvaient être un peu plus poilus que la moyenne,
marchaient à quatre pattes, et vivaient en haut d'un arbre en
s'épouillant sans trop se poser de questions à propos d'un
quelconque fruit de la connaissance ».
Après la défaite de la
Commune de Paris, séparant
l'Eglise de l'Etat, on retombe dans les bigoteries ; l'année
1873 est l'année des pèlerinages, liée au sursaut patriotique et
religieux au lendemain de la défaite de 1870 mais plus encore à
l'éradication de la population ouvrière de Paris par le massacre
des Versaillais. La religion ne tient pas les ouvriers en odeur de
sainteté, vieux traumatisme remontant aux premières « classes
dangereuses » indistinctes19.
La loi de séparation de
l'église et de l'Etat, déjà effective aux Etats-Unis à la fin du
18ème siècle, est plus significative dans la vieille Europe en
1905 ; elle est une grande étape dans l'histoire de l'humanité,
alors qu'elle est encore très accommodante pour les religions
officielles ; quand tant de sectes à notre époque pleurnichent
pour être tolérées et financées, certaines y parvenant plus ou
moins en étant présentes dans les rouages de l'Etat (cf. la
scientologie en Amérique, mais aussi les Témoins de Jéhovah en
France). La pudibonderie de la bourgeoisie anglaise, héritée de sa
période charia victoria dans sa défense du voile musulman illustre
tout à fait comme les Etats modernes, intégristes pétromonarchiques
comme démocratiques oligarchiques ont besoin DES RELIGIONS et n'ont
aucun scrupule à les financer. Le prolétariat était resté méfiant
quant à l'application de cette loi, et il avait raison, mais savait
qu'on ne peut en finir avec les religions qu'avec la fin du
capitalisme, s'il n'est pas remplacé par un autre capitalisme20
Les confusionnistes à la
Baubérot qui vantent la tolérance à l'égard de l'islam comme une
fidélité à l'esprit de sa version cool et multiple de la loi de
1905, veulent absolument faire admettre que les religions sont
éternelles et dans le fond démocratiques les unes avec les autres
et si tolérantes qu'il faut encourager l'Etat à les entretenir.
C'était à un poil près la position des politiciens les plus
républicains au moment de l'affaire Dreyfus. Désirant ménager les
puissances d'argent, ils avaient exploité comme dérivatif
l'anticléricalisme, l'anticléricalisme scolaire. La bonne société
catholique s'était discréditée avec la condamnation outrancière
du bouc-émissaire Dreyfus, l'université laïque avait été obligée
de recruter ses cadres enseignants chez des familles protestantes et
juives. Comme aujourd'hui, dans le 9-3 en particulier il est de bon
ton de recruter chez les familles musulmanes dont le fils a réussi à
être diplômé, même s'il est salafiste21.
La science n'a pu
supplanter la foi. Elle n'est qu'un outil mais par sa méthode, le
doute permanent, elle a fini par faire plus progresser l'humanité
que les religions avec leurs certitudes superstitieuses , hypocrites
et excluantes.
POURQUOI DE NOMBREUSES
FEMMES SE LAISSENT-ELLES EMBRIGADER DANS L'ISLAM SOFT OU HARD
On le sait et je vais le
rappeler ici, la période victorienne est un sommet pour l'oppression
de la femme dans un pays en pleine vague d'industrialisation, et
toujours le même paradoxe avec cette période bâtarde –
réactionnaire et progressiste – c'est à ce moment-là que va se
poser la question d'une libération des femmes, à la fois de
l'oppression sociale et mâle.
La comparaison nous saute
encore inévitablement à la figure ; mais l'histoire n'est-elle
pas un va et vient incessant à la réflexion entre le présent et le
passé ? Un pays sans armée de grande puissance comme
l'Allemagne a tout intérêt à utiliser une religion qui encadre
mieux les ouvriers étrangers qu'il va surexploiter que n'importe
quel vieux barnum syndical ; il y a d'autres moyens que les
armes pour s'imposer au plan international, c'est pourquoi pour
l'essentiel derrière Greenpeace il y a la bourgeoisie teutonne22.
Le port du voile comme
celui de la burqa, si estimé en Angleterre et en Allemagne, n'est
pas une fuite à l'égard du monde, mais une affirmation personnelle
avant d'être communautaire ou politique, qui colle pleinement avec
le libéralisme économique triomphant... sur des salaires au rabais
et une flexibilité...nomade. Je l'ai déjà souvent remarquer :
portez vous-même un voile ou un masque quelconque et vous verrez
combien vous intriguez vos semblables, ce qui est le propre du
carnaval – étonner – fonctionne à fond. La plupart j'en suis
convaincu ne croient pas plus à Mahomet que je ne crois à Jésus
Christ. L'apparition généralisée du voile en Europe occidentale
n'est qu'un produit de marque. Depuis la fin des années 1970 les
ados ne veulent porter que « de la marque »
vestimentaire. C'est l'habit qui fait le moine, c'est le voile qui
fait le jean. Le marquage commercial fonctionne avec l'impératif de
l'imitation, pourquoi n'en serait-il pas de même avec le voile
spectaculaire et tentaculaire ? Même si personne n'a osé
encore le voile nike, il est divers, coloré, souvent érotiquement
disposé laissant apparaître de beaux cheveux et des boucles de
jais, sauf pour les moches et les pots à tabac. Le voile obéit donc
plus à la dictature des marques qu'à la dictature du Coran. Il
choque comme choquaient dans les sixties les jeans passés à la
javel ou les premiers baggys des années 80. Il n'est pas uniquement
le symbole de la servitude féminine, comme le rappelle Ibn Warraq
(p.376), il est surtout symbole de possessivité d'une
« marchandise » ; la femme au 21ème siècle ne
reste-t-elle pas la plus essentielle marchandise de l'homme, qu'il la
vête chez Dior ou à l'étal folklorique de la porte de Montreuil ?
Leur voilage tient plus
du comportement anarchiste de défi que d'une sereine et profonde
croyance qui, comme la sagesse, n'a ni besoin de provoquer ni de se
faire valoir. C'est une mode et qui disparaîtra comme la mode
islamique, comme la mode des casquettes ouvrières et des chapeaux
haut de forme des bourgeois d'avant-guerre.
L'histoire de la plus
vieille nation capitaliste – cf. l'article de Victor Hugo que j'ai
reproduit dans mon message blog de juillet 2014 - l'Angleterre,
montre comment la classe dominante peut alterner période de pruderie
extrême et période de relâchement des mœurs. Autant aujourd'hui,
la bourgeoisie britannique nous joue la farce du multiculturalisme –
à Londres des policières portent le voile islamique et des
quartiers entiers ressemblent à Islamabad – autant à l'époque
victorienne l'irlandais était considéré comme un sous-genre humain
(préjugé qui n'a pas non plus vraiment disparu pour les
ex-colonisés en France), autant la femme n'était qu'un objet. Les
femmes anglaises obtiennent le droit de vote en 1869, les françaises
presque un siècle plus tard, mais dans les deux cas, cela ne
changera rien à leur condition d'oppressions.
La condition féminine
dans la société victorienne présente bien des aspects d'oppression
comparable à la charia, mais le dépassement de cette condition de
femme « désincarnée »23
(corps perçu comme abritant une âme pure et innocente comme un
enfant) va nous permettre de comprendre que la femme musulmane peut
aussi s'échapper de la prison religieuse comme la femme victorienne
a pu s'échapper d'une société étouffante soutenue par une
religion arriérée ; avec cette différence que, n'en déplaise
aux bourgeoises féministes, c'est sous la pression et avec
l'éclosion de la force ouvrière, et surtout des révolutions du
début du 20e siècle que la question de l'émancipation politique
des femmes, pas seulement des nanties pour leurs hobbies, sera
véritablement posée, comme elle ne pouvait pas l'être avant.
C'est au cours de la
vague de printemps des peuples de 1848 que les femmes commencent
d'ailleurs à prendre la parole dans la rue, les associations et les
journaux24.
Le chemin sera encore long. Saint-Simon prêchait l'émancipation
jumelle des prolétaires et des femmes depuis le début des années
180025.
Contrairement aux interprétations ou aux lacunes des féministes
bourgeoises, la question du vote des femmes est liée au mouvement
ouvrier, lequel ne néglige jamais vraiment cette question. Même si
l'Angleterre a précédé la France d'un siècle pour accorder le
droit de vote aux femmes – ce qui n'avait nullement révolutionné
le cas de la femme anglaise – la problématique redoutée par la
plupart des ouvriers engagés dans le syndicalisme et le socialisme
(la femme vote pour les curés) était une réalité, comme est une
réalité l'autorité de l'imam chez les musulmanes, même pour les
questions les plus intimes26.
Cette opinion dominante chez les ouvriers électeurs depuis peu
n'était pas réactionnaire parce que la plupart des femmes ne
travaillaient pas encore et n'étaient pas au fait de la réalité
sociale cloisonnée aux tâches ménagères ou de larbinage chez les
bourgeois. Michelet, dans son cours au Collège de France en 1850 se
fait l'écho de cette idée, accusant les femmes de l'échec de la
République en incriminant « leurs liens avec les prêtres » ;
mais comment interpréter cette prise de position puisqu'elles ne
votaient pas... sauf celles qui portaient la culotte jusque dans
l'urne (non encore isolée) !
Michelle Perrot transmet
une explication qui va plus loin et décoiffera nos
fémino-gauchistes : « le passage d'une conception
familialiste du vote, qui faisait du père de famille le représentant
« naturel » des siens (…) à une conception
individualiste, selon laquelle le vote est un acte personnel,
indépendant et potentiellement secret (secret entériné
ultérieurement par l'obligation de l'isoloir, la loi de 1913
parachevant cette évolution juridique et symbolique)27.
C'est George Sand la magnifique qui se gausse avant tout le monde des
féministes bourgeoises (M.Perrot est très désagréable dans sa
façon de rapporter l'attitude de George Sand) : « ...le
refus de George Sand d'être la candidate (au Parlement) de « ces
dames » n'est pas seulement répugnance de star à être
manipulée – elles l'avaient officiellement choisie sans l'avoir
consultée – mais adhésion à une conception différente et, à
certains égards, plus moderne du droit de suffrage et de l'avenir de
l' « individue »-femme. Sand fait de l'obtention des
droits civils un préalable absolu. « Les femmes doivent-elles
un jour participer à la vie politique ? Oui, un jour, je le
crois avec vous, mais ce jour est-il proche ? Non, je ne le
crois pas (…) La femme étant sous la tutelle et dans la dépendance
de l'homme par le mariage, il est absolument impossible qu'elle
présente des garanties d'indépendance politique, à moins de briser
individuellement et au mépris des lois et des moeurs, cette tutelle
que les moeurs et les lois consacrent ». « Il convient de
ne pas commencer par où l'on doit finir ». « Quant à
vous, femmes qui prétendez débuter par l'exercice des droits
politiques (…), quel bizarre caprice vous pousse aux luttes
parlementaires, vous qui ne pouvez pas seulement y apporter
l'exercice de votre indépendance personnelle ? (…) Vous
prétendez représenter quelque chose, quand vous n'êtes pas
seulement la représentation de vous-mêmes ».
La question de
l'émancipation des femmes, si elle apparaît secondaire pour la plus
longue partie de l'histoire du mouvement ouvrier, c'est parce qu'elle
relevait d'une question de type maximaliste, qui ne pourrait être
réglée définitivement (comme le racisme) qu'après la destruction
du mode de production capitaliste. Il ne faut pas oublier que c'est
au tout début des années 1900, Pouget dans La Guerre sociale et
Rosmer dans la Bataille syndicaliste qui se battent contre les
attitudes rétrogrades au sein du mouvement ouvrier (contre les typos
lyonnais en particulier) ; que c'est le jeune PCF qui présentent
des femmes dans ses municipalités en se moquant de la légalité
excluante des femmes prolétaires, comme des bourgeoises, mais qui
ont toujours détenu le pouvoir vénal.
AUX ORIGINES DU
MULTICULTURALISME MORALISTE ANTIRACISTE
Ces origines peuvent être
multiples. Les uns diront que c'est Mai 68 qui a ouvert la voix
(sensibilité droite caviar), les autres également (sensibilité
gauche caviar). Disons que c'est un peu comme au début de la période
victorienne, après une époque de chienlit, les Etats doivent se
ressourcer avec une morale, et c'est tant mieux si cette morale
dissout apparemment les classes.
Autrement on peut aussi
évoquer l'époque où l'impérialisme américain bombardait
joyeusement le Vietnam, où deux « révolutionnaires »
ont montré leur souci de respecter les minorités, Lyndon Johnson et
Richard Nixon :
« La politique
d'affirmative action, c'est à dire de discrimination positive en
faveur des minorités, a été introduite aux Etats-Unis en 1965 par
le président démocrate Lyndon Johnson. Le but affiché était
d'obtenir « non seulement l'égalité comme un droit et un
principe, mais l'égalité comme un fait et un résultat ». A
l'origine, il était entendu que les mesures d'aides particulières
en faveur des minorités devaient être transitoires, le temps de
leur permettre de rattraper la majorité. Le président républicain
Richard Nixon introduisit ensuite une politique de quotas ,
notamment dans le système éducatif, destinée à protéger les
minorités »28.
Toutes mesures que nous
aurions qualifiées de type union nationale en temps réel, comme
chez nous, en veille ou en temps de guerre où il n'y a plus qu'une
nation sous le tas de cadavres des minorités diverses.
LE POGNON, LE GRADE ET LA
RELIGION
La religion n'est plus
simplement un opium du peuple, elle est comme l'opium, elle peut
rapporter gros, elle est utile à la marche du système. Tout comme
elle sert de carburant aux « minorités » « lésées »,
petits dealers de banlieue qui ne vont pas s'abaisser à travailler
pour des salaires minables, grands dealers criminels des cartels de
la drogue. La drogue et son commerce servent autant les armées
démocratiques que celles qu'on nomment terroristes djihadistes.
L'armée américaine a vu l'utilité de la circulation de la drogue
au temps des massacres au Vietnam pour doper ses soldats, les achats
d'armes par les gangs rivaux sont accessibles grâce à la vente de
la drogue à l'échelle élargie.
Un autre élément doit
nous interroger : si une société a tant besoin, dans toutes
ses classes sociales, de consommer de la drogue (quelle qu'elle soit,
même le pinard) c'est que le bon dieu n'est pas le bon dealer. On le
dit à la marge, mais la croyance des voilées comme des djeuns
n'apparaît pas très croyable lorsqu'on les croise aux rayons des
supermarchés. Personne ne nous fera croire de plus que les engagés
pour le djihad en Syrie y vont comme les brigades internationales
allaient généreusement risquer leur vie contre le fascisme en
Espagne ! Ils y vont pour deux choses : le galon et le
pognon. Nos sans diplômes de banlieue, potaches réduits au rôle de
livreur de pizzas ou de dealers hors classe bonne clientèle de la
maison BMW, qui ne craint pas les paiements en liquide, sont donc eux
aussi divisés en deux catégories : ceux qui réussissent dans
le deal et ceux qui doivent se faire migrants guerriers. Entre les
deux, les intellectuels fainéants – les curés de tout acabit,
inventeurs des religions depuis les origines ont surtout inventé un
moyen de faire travailler les autres à leur place – jouent les
postiers et les pourvoyeurs de chair à canon.
Ce que je dis aux jeunes
prolétaires désoeuvrés (je me fous de la nationalité ou pas)
c'est ceci : l'islam radical s'exporte grâce aux pétrodollars
de l'Arabie Saoudite, et vous êtes comme les collabos de Pétain à
quelques mois de la libération, qui croyaient le règne de Hitler
éternel, vous êtes perdus d'avance.
Sans diplômes, voués à
des métiers de merde ici, vous aspirez à gagner du galon, quoique
militariste et risqué pour votre longévité, et surtout à palper
un argent facile dans une vie sans ennui consacrée au désir
reptilien d'exploser ou gorger ses semblables, comme vous en avez
rêvé dans la cour de classe primaire, OK, mais écoutez-moi.
Il y a eu un autre deal
qui finira aussi mal que les petits deals de quartier, le « Pacte
du Quincy » (lisez sur wikipédia), un fameux deal
américano-saoudien :
« Le deal sous-tendant cette alliance
pouvait se résumer de la manière suivante : le monopole
américain sur le pétrole saoudien en contrepartie de la sécurité
militaire assurée par les Etats-Unis. Il faut comprendre que se
profile alors la Guerre froide et qu’il n’est pas question de
permettre à l’Union soviétique de prendre pied dans la région
qui contient les plus grandes réserves pétrolières avérées de la
planète. A cet égard, les déclarations des responsables américains
sont instructives dans la constante qu’elles révèlent par-delà
les Administrations américaines. Comme le déclara en juin 1948, le
secrétaire américain à la Défense de l’époque, John Forrestall
: « L’Arabie doit désormais être considérée comme incluse
dans la zone de défense de l’hémisphère occidental ». Avec
le début de la Guerre froide, le nouveau président démocrate Harry
Truman (1945-1952) se voulut plus explicite encore dans une
lettre adressée à Ibn Saoud en date du 31 octobre 1950 : « Aucune
menace contre votre royaume ne pourra survenir sans constituer un
sujet de préoccupation immédiate pour les Etats-Unis ». Le
changement d’Administration américaine avec le président
républicain Dwight David Eishenhower (1952-1961) ne fit que
confirmer ce grand deal. La « doctrine Ike »
reposait plus que jamais sur l’idée cardinale selon laquelle on ne
met pas en difficulté les alliés pétroliers du « Monde
libre », ce qui revenait à leur assurer une sorte de garantie
d’immunité, sinon d’impunité. C’est selon. Ces assurances
américaines seront par la suite renouvelées par le président
démocrate John Fitzgerald Kennedy (1961-1963) dans une lettre
adressée à son successeur le roi Faysal, en date du 25 octobre
1963 : « Les Etats-Unis apportent leur soutien
inconditionnel au maintien de l’intégrité territoriale de
l’Arabie saoudite ». La base de cette alliance stratégique
était encore résumée en ces termes à la fin des années 70 par
Marshall Wylie, un diplomate américain : « Nous avons
besoin de leur pétrole et eux de notre protection ». Cette
alliance stratégique fut formalisée en ces termes par le président
démocrate Jimmy Carter (1977-1981) dans son discours sur l’Etat de
l’Union du 23 janvier 1980 : «Toute tentative, de la part de
n'importe quelle puissance étrangère, de prendre le contrôle de la
région du golfe Persique sera considérée comme une attaque contre
les intérêts vitaux des Etats-Unis d'Amérique. Et cette attaque
sera repoussée par tous les moyens nécessaires, y compris la force
militaire ». On ne pouvait être plus clair. Le fait est qu’à
l’époque, les Américains ne se préoccupaient pas véritablement
du fait que le royaume saoudien n’était pas précisément un
modèle de régime démocratique. Et ce, d’autant moins que les
Etats-Unis allaient largement utiliser à leur profit les deux
qualités essentielles faisant de ce royaume un partenaire
stratégique indispensable, deux qualités qui se combinaient alors
opportunément : la première résidait dans le fait que ce régime
ultra-conservateur sur le plan politique et religieux était apparu
en mesure de faire obstacle à la vague montante, dans les années
50-60, du « nationalisme arabe » à caractère
républicain. Lequel s’exprima sous une forme résolument
anti-colonialiste d’abord - notamment avec le panarabisme
« socialisant » de Gamal Abdel Nasser en Egypte -, puis
anti-impérialiste ensuite, ce qui ouvrait une « fenêtre
d’opportunité » inespérée au développement de l’influence
soviétique dans la région ».(lu sur Atlantico)
Ce pacte impérialiste devait se terminer récemment
et a été renouvelé, avec un bémol, la fin du tout pétrole est
prévue pour dans 53 ans. Les pétromonarchies le savent et
prépareraient l'après-pétrole, nommé oecuméniquement et
écolobobologiquement « transition énergétique en marche ».
ON prévoit l'installation de quatre centrales nucléaire d'ici 2020,
mais aussi aux Emirats la construction de la centrale solaire à
concentration la plus grande du monde. Des Emirs appellent à faire
des économies budgétaires déjà. On se marre. Le royaume des
pétromonarchies, sans l'or noir, c'est le désert, le retour des
chameaux à la place des limousines de rue. Des milliardaires assis
sur le trottoir à moins qu'il n'aient déjà pris l'avion comme
migrants « dans le besoin de sauver leur peau » vers
leurs châteaux en Europe, en partant ils laisseront même à la
poussière du temps la pierre noire. Personne ne pourra plus les
sauver de la faillite, ni Mahomet ni l'ami américain. Et qui pourra
payer nos petits soldat djihadistes et les faire monter en grade,
même s'ils sont venus diplômés depuis l'Occident sacrilège qui
risque encore de s'en tirer avec les vieilles ficelles du capitalisme
rentier et bankable, à moins que le prolétariat en révolution
n'ait commencé à faire fuir les immigrés capitalistes du CAC 40
vers les campings pour Bédouins ?
Enfin, face à mon interlocuteur anonyme, je tiens à
lui dire que je ne crois pas possible une invasion ou un triomphe de
l'islam, non à cause de tout ce qui lui est prêté en bien ou en
mal, mais parce que le capitalisme est trop malade pour pouvoir
compter dessus, à moins que ce soit pour une extrême onction.
NOTES
NOTES
1« ...notre
lot à nous, hommes blancs d'Europe occidentale, intégrés à des
groupes de très vieille culture. Or, comment nous, historiens,
pourrions-nous nous aider, pour interpréter les démarches des
hommes d'autrefois, d'une psychologie issue de l'observation des
hommes du XXe siècle ? » Lucien Febvre. L'analogie est
une faiblesse du marxisme vulgaire, mais aussi sa force. « Les
essais d'ego-histoire, malgré tout leur intérêt, nus en
apprennent moins sur les historiens que la lecture de leurs
livres », Antoine Prost.
2Sa
critique ne porte pas contre l'école...française, mais il
s'acharne contre les jeunes arabes fouteurs de merde en classe. Or
dans la période précédente à la réaction stalino-islamiste,
l'école républicaine après la guerre de 45, n'avait pas cessé de
reproduire les inégalités. Qu'aujourd'hui les jeunes « issus
de l'immigration » la bafoue est tout à fait dans la
continuité des cancres fils d'ouvriers des fifties et des sixties,
et qu'ils se sabordent eux-mêmes en refusant d'apprendre le minimum
est certes une double peine, mais qui s'en plaint dans la
bourgeoisie ; sinon qui fera chauffeur routier, balayeur ou
vigile ?
3cf.
L'identité malheureuse, p.136. Finkielkraut apparaît comme un
vieux ronchon et mal placé pour critiquer, puisqu'il soutient les
colons israéliens.
4Benoist-Méchin :
« Frédéric de Hohenstauffen ou le rêve excommunié »
(ed académique Perrin 1980). Cette analyse dithyrambique d'un
multiculturalisme fructueux au Moyen âge, pour partiellement vraie
qu'elle soit, est grandement exagérée sous le règne du pillage et
du commerce à main armée ! Il n'est pas étonnant qu'elle
soit le fait d'un historien classé à l'extrême droite et
ex-pétainiste, bien qu'avec de réelles qualités d'historien
classique. L'extrême droite, comme le fascisme, a toujours eu des
accointances fraternelles avec les régimes autoritaires qui
gouvernent au nom de la superstition oligarchique. La tendance à
idéaliser l'islam d'un âge d'or de l'Espagne mauresque date, selon
Ibn Warraq, du prosélytisme des réfugiés juifs européens
fraîchement arrivés en Europe occidentale au 19e siècle (p.291).
ET lire p.328 le relativisme de l'apport de la civilisation
islamique dans le chapitre : « La science grecque et la
civilisation islamique » (« Pourquoi je ne suis pas
musulman, ed L'âge d'homme, 1999).
5cf.
Benoist-Méchin p.396 et suiv. Et NB : « les rois
normands recrutèrent leurs ministres parmi tous les peuples du
monde, mais plus spécialement parmi les arabes de Sicile ».
R.Dati et N.Belkacem ne sont donc pas des exceptions !
6Baubérot,
sociologue en vue dans les milieux islamologues, jette la confusion
totale sur la laïcité et contribue à l'intox dominante faisant la
laïcité un instrument de l'extrême droite (comme partout est
ainsi ridiculisé le mouvement Pegida en Allemagne, avec fachos de
service chargés de faire la déclaration régulière qui sert à
ridiculiser un mouvement « contre l'islamisation » qui
n'est ni intolérant ni fasciste ; l'intolérance est plutôt
au pouvoir). « A force de centrer la laïcité sur l'identité
de la France, on lui a permis de devenir un marqueur de la droite
extrême » nous serine Jean Baubérot dans « Les 7
laïcités françaises » (2015). Pour tuer son chien, dire
qu'il a la rage. L'identité de la France il s'en fout le
prolétariat, sans nier les apports des diverses cultures ni leur
hiérarchie – par ex. la société du XIXe siècle est
incontestablement supérieure à celle du Xe siècle. Non ? -
Invoquer à tout bout de champ les « fachos » sert à
empêcher de réfléchir à la place d'un Etat irresponsable et qui
a pour toute conscience le pognon ! La soit disante identité
des ouvriers est une vision réductrice assez anti-marxiste –
pourquoi Marx leur donnait-il pour tâche la dernière révolution
universelle alors ? Madelaine Rébérioux refusait cette
identité étriquée : « Elle
revendique un regard spécifique de l’historien qui, contrairement
aux organisations ouvrières, ne perçoit pas la classe ouvrière
comme seule pourvoyeuse d’identité. Mieux, elle déclare: «Le
concept de classe n’est pas le seul que nous ayons à mettre en
oeuvre. Tout travailleur intègre d’autres dimensions que celles
de sa classe. Il est membre d’une famille, il vit dans une
collectivité locale; c’est un immigré de fraîche date, porteur
d’une autre culture, ou il est inséré dans une région
anciennement industrialisée ».Madeleine
Rebérioux : de l'histoire ouvrière à l'histoire sociale
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00666810/document
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7Dont
le titre de deux classes bien séparées est communément interprété
sans le et : classes laborieuses, classes dangereuses. Ce qui
est une interprétation voire réduction politique pour un marxisme
sommaire ou un libéralisme couard.
8La
souche peut être immémoriale, mais par exemple l'auvergnat à
Paris se pointe surtout vers 1900, et il est probablement de souche
arabe, vu sa couleur de peau, et le fait que Charles Martel n'a pu
arrêter les sarrazins qu'à Poitiers. Les vrais parisiens sur
plusieurs générations sont très rares.
9Des
détenus d'origine paysanne, plus frustres, sont susceptibles d'être
plus barbares, non encore débarrassés de croyances tribales. Dans
les îles comme la Réunion, les rixes et meurtres au couteau
étaient plus fréquent qu'ailleurs il n'y a pas si longtemps, mais
semblent rattrapés par le taux de criminalité en métropole
désormais, à Paris comme à Marseille.
10Je
n'ai pas trouvé le roman de Houellebecq ni intéressant ni
convaincant ni capable de faire rayonner un espoir quelconque, ni
comique. Au moins aussi sidérant que Charlie Hebdo.
11Ce
qui sera encore le cas en Russie à a veille des deux révolutions
qui ont débuté le 20 siècle !
12Comme
de nos jours toute violence ouvrière est assimilée au terrorisme
ou une grève à du « chantage » (blackmail).
13Sous
Napoléon, environ 70% de la vie d'un homme étaient consacrés au
travail. L'empereur estimait que l'ouvrier peut travailler tous les
jours puisqu'il mange tous les jours. En 1900, ce n'est plus que 50%
de la vie qui est mobilisée par le travail et de nos jours en
France 14% ! Les loisirs, comme l'a dit Paul Yonnet, ont
clairement une fonction de substitution à la religion. ET Mothé de
dire : « la liberté est un temps d'achat » !
quand la publicité isole l'individu dans sa classe d'appartenance.
14Lire
Jonathan Parry, « Crime – what is crime ? Norme et
criminalité à 'aube de l'ère victorienne ». Comment
esquiver le parallèle avec les tueurs Merah et Coulibaly ?
Vedettes et références des banlieusards morveux, comme ce
collégien qui tirant sur sa prof avec un pistolet à billes,
hurlait : « Allahou Akhbar ! ». On a les héros
qu'on mérite, mais il ne s'agit pas de bribes à la formation d'une
classe mais d'un attrait pour l'engagement militaire et pour la
pognon qui va avec.
15Or
le mouvement ouvrier se démarque toujours en général des révoltes
de la racaille au 19ème comme au 20ème. Les repris de justice
forment en général de bons auxiliaires de police et dans les
périodes de révolution le lumpen marche toujours avec la
bourgeoisie. Les nazis recrutent leur premier personnel dans ces
milieux interlopes. Lors de l'accident « du travail » de
trois manouches, qui revenaient encagoulés d'un casse, qui se sont
tués malheureusement au volant de leur voiture volée et qui a
donné lieu à une émeute dans un bled nommé Moisans, aucun
prolétaire ne s'est senti solidaire naturellement de ces milieux
qui échouèrent dans leur chantage à la libération d'un des
frères truands. Hélas cet épisode est venu confirmer que beaucoup
de ceux que certains présentent comme de saints nomades ne peuvent
vivre hors du capitalisme que par le brigandage, c'est à dire avec
la même mentalité d'accaparement cynique que ledit système. Qu'il
ne faudra pas qu'ils comptent sur la victoire de clocher de l'esprit
multiculturaliste communautariste !
16Eclosion
du chartisme (1838 à 1848). Fondation des TUC (trades union
congress) années 1860.
17Sous
Louis 18 (1814-1824) elle redevient provisoirement religion d'Etat.
Les lois de 1881-2 visent à établir un enseignement laïc, et
quelque peu antichrétien. Il faudra du temps pour remplacer tout le
personnel religieux par des laïcs. Le mouvement est
européen ; en Allemagne, il prend le nom de Kulturkampf (combat
pour la culture), lancé par le ministre des cultes.
Particulièrement rigoureuses seront les mesures contre les
religieux : "Guerre aux moines!", dit Paul Bert, en 1880.
Les républicains voient dans les congrégations religieuses, un
état dans l'état, favorable au Vatican, conservateur, influent
politiquement, socialement inutiles (à l'exception des religieuses
hospitalières qui sont irremplaçables pour l'époque). En 1901 la
loi bien connue sur les associations oblige les associations
religieuses à soumettre une demande d'autorisation. Sur les 600
demandes déposées, aucune ne fut autorisée. C'est l'armée qui
évacuera les moines de la Grande Chartreuse et quelques autres
monastères. Les biens des congrégations sont liquidés par l'état,
à bas prix.
18En
Angleterre, Byron, Shelley, Wordsworth, et Coleridge. En Allemagne
Schleiermacher. En France Chateaubriand.
19En
notre époque de vogue du terrorisme islamique, la répression des
grèves ouvrières par le meurtre est typique du gouvernement turc,
pakistanais, et des diverses cliques de tueurs islamiques ; ce
n'est pas pour rien qu'ils recrutent le lumpen venu d'Europe,
véritablement haineux vis à vis des travailleurs... qu'ils n'ont
jamais été.
20Voir
mon article sur ce blog du 1er juillet 2014 : La Bible combat
Shakespeare, reposant sur un admirable texte de Victor Hugo, un des
plus lus de ma série sur les religions. Grâce à Victor Hugo, pas
à votre modeste serviteur.
21Les
chausse-trapes à rebondissement de l'IUT de Seine Saint Denis
illustrent à souhait la hargne et les tensions ambiantes, mais ici
la noble religiosité a remplacé l'anti-cléricalisme faux-cul des
bourgeois de 1900 et le « bloc anti-religieux » de la
gauche de la belle époque...
22Et
derrière des ONG comme Médecins sans frontières, la CEE pour 20 à
25%.
23Elle
ne possède ni droit de vote, ni droit de porter plainte, ne doit
pas travailler ni disposer d'un compte bancaire. Les études
universitaires sont tenues pour inutiles aux femmes, surtout le
latin et le grec (sic. Les nouvelles lois de Belkacem en France
2015). Elle doit obéissance à son mari. Propriété de son époux,
elle ne doit rien révéler de son corps aux autres hommes. A la
plage elle doit se baigner tout habillée. Il est socialement
acceptable pour son mari de fréquenter les prostituées. L'âge
légal pour la mariage est 12 ans pour les filles et 14 ans pour les
garçons. La vente d'épouse est une coutume ancienne. Le père
choisit l'époux.
24George
Sand lance « La Cause du peuple ». L'allemande Louise
Otto, La Frauen-Zeitung » en avril 1848.
25Ils
sont vraiment originaux ces saint-simoniens ! Un de ses
dsicsiples , Prosper Enfantin (1796-1864) prêche légalité
des sexes mais se comportait en patriarche dans son éphémère
communauté socialiste à Ménilmontant. Il manifestait un intérêt
pour l'Orient, prônant la recherche de la mère.
26Une
anecdote personnelle : en vacances avec un couple d'amis dont
la femme est musulmane et enceinte, je lui indique qu'elle n'est pas
obligée de faire le ramadan pour un long voyage, elle me répond
qu'elle suit les conseils de son imam, un barbu qui ne connaît
probablement pas plus le métabolisme des femmes que le sexe des
anges. J'aurais été vexé à la place de son mari, normalement
premier confident dans un couple normal...
27Lire
sur le web son génial article « 1848 : la révolution
des femmes ». Elle se moque de la prétendue libération
britannique : « ...il s'agit moins d'une construction
anglo-saxonne du genre – il faut des femmes pour représenter des
femmes – à l'oeuvre dans le futur suffragisme anglais que d'une
vision encore relativement traditionnelle des choses ».
28Eric
Dupin : « L'hystérie identitaire », Le cherche
midi 2004. La bourgeoisie US est tolérante avec toutes les enclaves
sectaires qui militent pour l'effacement des classes même en
faisant des concessions à la religion nationaliste sur le terrain
d'un vaste supermarché du religieux. En 1943 la Cour Suprême a
donné raison aux Témoins de Jehovah qui refusent que leurs enfants
saluent le drapeau américain (p.108 du livre de E.Dupin).
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Marxisme et histoire en France depuis la Deuxième Guerre mondiale
(Partie I)
Par Guy Lemarchand
L’image aujourd’hui fréquemment
présentée du climat intellectuel en France depuis les lendemains de
la Deuxième Guerre mondiale jusqu’aux années 1970 est celle d’une
prédominance écrasante du marxisme, en particulier dans le domaine
des sciences humaines. Pour l’historiographie comme histoire de
l’histoire, il s’agit en fait de savoir quelle a été l’étendue
réelle de son influence sur les travaux historiques, comment cette
domination, si elle existe, s’est manifestée et de quel marxisme
l’on parle alors. Ainsi posées, ces questions constituent
elles-mêmes un enjeu idéologique et même politique. En effet
l’historiographie en France est encore assez peu développée. Elle
n’a pris son essor comme recherche systématique que depuis les
années 1975-1980. Cette situation facilite la persistance de vues
schématiques inspirées par la polémique politique récente plus
que par l’étude de la réalité des textes.
Deux
thèmes sont encore largement établis chez les historiens français.
C’est d’abord une confusion plus ou moins clairement exprimée
entre marxisme et stalinisme. À dessein, je me réfère par exemple
à un livre de la collection « Que sais-je » parce que
ces ouvrages des Presses universitaires de France connaissent une
grande diffusion, fondée à la fois sur la qualité de beaucoup
d’entre eux, la commodité de leur présentation et le tirage élevé
et les rééditions dont ils bénéficient. Rédigée par l’un des
maîtres fondateurs de l’historiographie1,
la première synthèse ample allant d’Hérodote à nos jours,
courte mais dense, consacre, à propos du marxisme, à peu près
autant de place à Staline qu’à Marx, Staline qui aurait écrit
sur l’histoire un « véritable discours de la méthode »,
et elle ne marque pas de différence entre les deux auteurs. Le reste
de la réflexion et de la recherche historique, « des pratiques
multiples renouvelées », y est opposé et les travaux de
l’école des Annales sont placés dans cette seconde
catégorie ne se réclamant pas explicitement de Marx. Enfin,
l’auteur suggère, sans le dire explicitement, que l’influence du
marxisme a été fortement prédominante pendant plusieurs décennies
après 1945. Un autre volume de « Que sais-je » consacré
aux diverses orientations des historiens2
va plus loin et parle de « crise de l’histoire » dans
les années 1960-1990, à cause de la querelle qui a sévi entre deux
types d’historiens. D’un côté il y a eu ceux qui avaient « un
engagement politique », à gauche, et ils ont donné une
histoire politisée derrière laquelle le lecteur devine le marxisme
agissant, tandis qu’en face se trouvaient les historiens restés
conformes à « la tradition positiviste ». Ces derniers
auraient refusé le manque d’objectivité, le dogmatisme et
l’intolérance caractérisant le premier groupe. Mais l’histoire
« partisane » aurait été très largement majoritaire
pendant un moment, car les auteurs placent dedans la « nouvelle
histoire » issue des Annales avec F. Braudel,
J. Le Goff, etc. Il s’agit presque d’une version renouvelée
du « complot marxiste », et ici la conspiration l’aurait
emporté pendant longtemps. Comment donc est-on passé de cette
vision soutenue par ses adversaires d’une histoire marxiste
étroitement matérialiste, sectaire mais triomphante, à un état de
l’historiographie française où les lignes de fracture anciennes
ont presque disparu et où le débat ne porte plus guère sur la
validité de l’interprétation marxiste de l’histoire ?
La situation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
- 3 Charles-Victor Langlois, Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, Hachette,18 (...)
- 4 Guy Bourdé, Hervé Martin, Les écoles historiques, Paris, Seuil, 1983 ; Antoine Prost, Douze leçons (...)
- 5 Louis Halphen, Introduction à l’histoire, Paris, Puf, 1946, rééd. 1949.
- 6 Une figure représentative en est René Grousset, Figures de proue, Paris, Plon, 1950.
2Pourquoi partir de cette date ? C’est évidemment qu’elle
forme un point de rupture, lié aux bouleversements matériels,
politiques et intellectuels apportés par le conflit et l’occupation
ennemie. Apparaît d’abord le maintien de la domination chez les
historiens français du positivisme de l’école « méthodique »,
et également son épuisement. À la Libération, il tient encore la
majeure partie du Collège de France, la quatrième section de
l’École pratique des hautes études, la majorité des postes des
universités et des conservations de musée dont les titulaires se
font volontiers chercheurs d’histoire. Toutefois, depuis la fin du
xixe siècle et la publication de l’ouvrage-code
de cette orientation3,
sa production a tendu à se scléroser, surtout dans
l’entre-deux-guerres4.
Si, comme l’a soutenu Antoine Prost, Lucien Febvre a
caricaturé dans ses attaques la figure de Charles Seignobos, il
n’en demeure pas moins qu’il a visé juste en ce qui concerne
ses disciples et successeurs. Luttant contre les préjugés
philosophiques, souvent spiritualistes et cléricaux, qui
déformaient nombre de recherches, ils ont fini par tomber
effectivement dans une véritable religion du document. Ainsi, dans
un ouvrage au titre qui rappelle à l’évidence celui de Langlois
et Seignobos, et dont la lecture était proposée aux étudiants
débutants d’histoire vers 1950, l’un des maîtres de l’école,
professeur à la Sorbonne, spécialiste réputé du Moyen Âge
et codirecteur de la prestigieuse collection d’histoire
universelle « Peuples et civilisations » (PUF) fondée
en 1924 et qui continue jusqu’à aujourd’hui, écrit : « Il
suffit de se laisser en quelque sorte porter par les documents lus
l’un après l’autre, tels qu’ils s’offrent à nous, pour
voir la chaîne des faits se reconstituer presque
automatiquement »5.
L’histoire des historiens est donc, pour L. Halphen, un reflet
quasiment passif de la réalité, et non une construction
intellectuelle. Isolant ce qu’ils appellent les « faits
historiques », les positivistes retiennent de la totalité
historique principalement le plus apparent, le politique, soit
l’histoire des institutions, des administrations, des
gouvernements et des gouvernants. Cette histoire s’attache avant
tout aux « événements », grandes décisions,
changements et épisodes de luttes diplomatiques, militaires et
législatifs. Elle n’ignore pas l’économie mais elle l’isole
du reste, en particulier du politique, et la traite comme un élément
secondaire. Il s’agit bien d’un point de vue superficiel, qui se
désintéresse du sort de la masse des hommes et verse fréquemment
dans une vision où les grands hommes règlent l’histoire6.
Par ailleurs, cherchant à demeurer au plus près du contenu
littéral des documents, ces historiens tendent à abandonner la
recherche des causes au profit, plus modestement, de celle des
« conditions », c’est-à-dire des circonstances dans
lesquelles les faits se sont produits. Cette impuissance
intellectuelle volontaire a fait qu’ils n’ont pas su ni voulu
pressentir la montée des périls en 1914, ou lors de la crise
économique de 1929, ni en 1939.
3Quant à l’école des Annales, tout en
restant minoritaire, depuis sa naissance en 1929, elle a renforcé
ses positions. Marc Bloch est devenu professeur à la Sorbonne
en 1936 jusqu’à sa radiation par Vichy en 1941, et son action et
sa mort dans la Résistance contribuent au prestige de son
orientation. Lucien Febvre est au Collège de France depuis
1933 et il reprend son enseignement en 1946. Les Annales
d’histoire économique et sociale reparaissent en 1946 et
modifient légèrement leur titre de façon à couvrir plus
nettement tout le champ de la discipline en gardant les pistes
ouvertes avant-guerre, Annales,
Économies-Sociétés-Civilisations. Sans qu’il y ait de
doctrine codifiée ni en 1946 ni en 1929, on peut relever quelques
traits de leur orientation, en rapport éventuel avec la question du
marxisme. Sur le plan formel, la revue utilise fréquemment
vis-à-vis des travaux positivistes un ton acerbe qui tranche avec
la pratique universitaire feutrée habituelle, à laquelle elle
reproche d’étouffer les débats d’idées. Sur le fond, en
privilégiant le récit des faits, les historiens traditionnels
produisent, selon elle, un décalque du discours des rédacteurs des
sources dépouillées et, en fait, épouseraient par là l’idéologie
des auteurs des documents, les dominants. Les Annales, au
contraire, insistent sur l’importance de l’économie et refusent
l’explication de l’histoire par le politique. De même, l’accent
est mis sur le rôle des masses et le poids des humbles dans la
causalité historique. Cette inspiration retentit sur la méthode
préconisée : l’« histoire-problème ». Il
s’agit de prendre comme objet d’étude non pas une période
découpée dans l’histoire d’une région ou d’un état
envisagée sous tous ses aspects, mais de définir un thème de
problématique et d’en saisir le développement sur une durée qui
peut s’étendre sur plusieurs siècles, au-delà de l’opposition
apparente entre les moments successifs ; et on retiendra de
même un espace géographique pour l’analyse qui brise les
frontières politiques et administratives. Telle la question du
commerce et de la pénurie monétaire depuis le viie siècle
et la formation en Occident de l’empire carolingien, jusqu’au
xie siècle et l’apparition sur les ruines de la
domination de Charlemagne des états européens fractionnés, ce qui
rompt avec les cadres chronologiques et spatiaux du positivisme.
4Les historiens faisant ouvertement profession
d’adhésion au marxisme sont encore, dans les années 1945, en
nombre très réduit, et c’est probablement dans le secteur de
l’étude de la Révolution française qu’on en trouve le plus, à
l’exemple des maîtres qui avaient montré un penchant pour cette
orientation : après Jaurès et son Histoire socialiste de
la Révolution française (1901-1904), les deux titulaires de
la chaire spécialisée de la Sorbonne : Albert Mathiez
(1926-1932) et Georges Lefebvre (1937-1949). Il est vrai que, dans
l’entre-deux-guerres, se déclarer proche du marxisme fait passer
pour être sympathisant de l’URSS et du PCF qui se veulent les
gardiens de la pensée de Marx et d’Engels. Il y a là un
« engagement » dans la vie politique qui répugne à la
majorité des chercheurs, même à ceux qui se font critiques
vis-à-vis du positivisme. Joue également la méconnaissance
matérielle vis-à-vis de l’œuvre des philosophes allemands. Elle
n’est enseignée dans aucune institution, ni au lycée, ni à
l’université en économie, en histoire ou en philosophie. Si on
ne lit pas la langue allemande, et il s’agit d’un allemand
difficile, l’accès aux écrits de Marx et Engels est restreint.
Le Capital a été édité en français pour la seconde
fois en 1930-1938 (éditions Costes), la première édition de
1872-1875 est devenue rare, et, selon les germanistes, comporte des
erreurs et des lacunes. Il faut attendre 1950-1960 pour disposer
d’une autre version plus satisfaisante (éditions sociales). Quant
aux travaux d’histoire de Marx, La guerre civile en France,
par exemple, ne connaît que trois à quatre éditions en 80 ans,
malgré son intérêt pour l’histoire française. À défaut donc,
on se reportera à la synthèse résumée de Staline de 1938,
aussitôt traduite et republiée fréquemment, Matérialisme
dialectique et matérialisme historique. Autre vulgarisateur
éventuel du marxisme, A. Gramsci ne sera connu en France qu’à
partir de 1970.
L’essor de l’influence du marxisme et ses ambiguïtés, 1950-1980
- 7 Charles Samaran (dir.), L’histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, Pléiade, 1961.
5Cependant, en une dizaine
d’années, entre 1950 et 1960, va se produire un
véritable renversement du rapport des forces. Avec l’effacement
relatif de l’histoire politique et de l’histoire des idées et
la montée rapide de l’histoire économique et de l’étude des
structures sociales, le positivisme disparaît presque. Il ne
persiste nettement que dans l’histoire contemporaine avec les
travaux sur les relations internationales impulsés par Pierre
Renouvin. Encore que les conceptions de celui-ci avec, entre autres,
la notion de « forces profondes », dépassent largement
la vieille histoire diplomatique et événementielle. L’histoire
de l’Antiquité, surtout celle de la Grèce et de Rome et non
celle de l’Orient, reste aussi proche de la tradition, la nature
des sources prédominantes, littéraires et épigraphiques, mettant
l’accent sur le politique et le religieux. En 1961 paraît un
ouvrage de synthèse méthodologique qui est probablement le dernier
grand livre dans cette inspiration7.
- 8 Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, 1re éd., Paris, Armand Colin,1949 ; Luc (...)
- 9 Marc Bloch, Caractères originaux de l’histoire rurale française, 1re édition, Oslo, H. Aschehoug, 1 (...)
- 10 Jacques Le Goff, Pierre Nora (dir.), Faire de l’histoire, 3 vol., Paris, Gallimard, 1974 ; Jacques (...)
6Ces trois décennies sont au contraire celles du triomphe des
Annales et du règne de la trilogie
Annales-Braudel-Labrousse. Les Annales ESC sont
alors la revue scientifique d’histoire la plus puissante et au
rayonnement le plus fort, loin devant la Revue historique.
Ayant plus de 3 000 abonnés, très diffusée à l’étranger,
elle passe en 1968 de quatre numéros par an à six. Les historiens
qui en sont proches tiennent les institutions essentielles. Au
Collège de France, Fernand Braudel succède à Lucien Febvre
(1949-1972), puis ce sera Emmanuel Le Roy-Ladurie (très proche de
lui) succédera à ce dernier. Surtout, contre la Sorbonne en
majorité alors réticente, est créée en 1947 la 6e
section de l’École pratique des hautes études qui deviendra un
organisme autonome, l’École des hautes études en sciences
sociales en 1975, toujours dans l’orientation des Annales.
De plus, c’est autour de 1950 que paraissent ou reparaissent les
grands ouvrages des fondateurs de l’école qui font référence, à
la fois les ouvrages de réflexion générale sur l’histoire et
ses méthodes8 et
les études de terrain qui ouvrent concrètement des pistes
nouvelles9. En même
temps, le champ de la discipline s’étend et on multiplie les
objets de recherche dans l’inspiration des Annales.
Ainsi, l’étude du milieu géographique et de son influence
éventuelle sur la société analysée : Braudel consacre 250
pages à ce sujet sur 1 130 dans la deuxième édition de La
Méditerranée… Les structures sociales sont aussi à l’ordre
du jour, dans la lignée du livre de M. Bloch, La société
féodale (1936-1940), qui est réédité en 1949. La
démographie historique prend son essor au même moment avec la
fondation de la revue de l’INED, Population, en 1946, qui
s’ouvre aux articles sur le passé, et avec la création de la
Société de démographie historique en 1963 qui publie à
partir de 1965 les Annales de démographie historique.
Puis, en 1967, est fondée, sous l’égide de F. Braudel,
l’Association française des historiens économistes, qui
se cherche d’abord une revue spécialisée, ne parvient pas à
sauver la vieille Revue d’histoire économique et sociale
moribonde et édite un bulletin ronéoté, en principe annuel.
Enfin, le chantier de la mentalité et de la culture, dans la lignée
des suggestions de Lucien Febvre, est ouvert avec le grand livre de
Robert Mandrou, Introduction à la France moderne (Paris,
1961). Le courant se prolonge dans les années 1970, appelé
« Nouvelle histoire », élargissant ses investigations
sous l’influence en particulier de la sociologie et de
l’ethnologie, comme en témoignent les deux livres de mise au
point méthodologique qui paraissent alors10.
7Au même moment, le marxisme a considérablement
renforcé son audience, quoique l’on ait du mal à distinguer
alors ce qui relève de lui de ce qui revient aux Annales.
Un homme, qui est à lui seul une institution en quelque sorte,
Ernest Labrousse, fait la jonction entre les deux courants.
Professeur d’histoire économique à la Sorbonne de 1946 à 1966,
il est, entre autres, codirecteur avec Fernand Braudel de la grande
collection novatrice Histoire économique et sociale de la
France, parue en 1970-1980 (PUF), et il dirige des dizaines de
thèses d’histoire moderne et contemporaine. Sans en être un
collaborateur régulier, il a publié quelques articles dans les
Annales. Il est le promoteur essentiel de l’introduction
du quantitativisme fondé sur le dépouillement de sources sérielles
chiffrées ou chiffrables comme les mercuriales de marchés, les
rôles fiscaux ou les inventaires après décès. Mais, pour autant,
il ne sépare pas économie et société et met au premier plan
l’interaction continuelle entre elles, saisie en particulier à
travers les concepts de structure et conjoncture. Comme M. Bloch, il
utilise largement les notions de classe sociale et de contradiction
entre les classes, mais, lui, se réfère parfois explicitement à
Marx qu’il connaît incontestablement. Enfin, sous son impulsion
est développé le secteur de l’histoire du mouvement ouvrier et
fondée, en 1961, la revue Mouvement social. À côté de
lui se multiplient les historiens ouvertement marxistes, de Claude
Mossé ou Pierre Lévèque pour l’Antiquité, Claude Cahen ou
Charles Parain pour le Moyen Âge, à Claude Mazauric,
Michel Vovelle en histoire moderne, ou Jean Bouvier,
Gilbert Badia, Claude Willard, Jean Bruhat ou Jean
Ellenstein en histoire contemporaine.
8Ce changement dans le paysage offert par la
discipline est lié à plusieurs séries de raisons qui montrent
combien les historiens ne vivent pas dans des tours d’ivoire et
sont sensibles à la période dans laquelle ils existent. Cause
sociologique immédiate : le corps professionnel est à peu
près entièrement renouvelé en une douzaine d’années par le
départ à la retraite de ceux qui avaient été nommés avant ou
pendant la guerre : il est remplacé par des hommes plus jeunes
et portés à rompre avec les modes de pensée de
l’entre-deux-guerres. Parmi les causes intellectuelles, ensuite,
il y a l’influence des sciences humaines parallèles à
l’histoire, en expansion rapide après 1945, qui fournissent aux
historiens des méthodes et des concepts nouveaux et leur posent des
questions auxquelles la tradition positiviste ne s’intéressait
guère. Ainsi, l’économie avec les cycles, l’organisation du
travail ou la croissance ; la sociologie avec les sondages, les
interrelations ou la théorie générale de la société ; la
géographie avec le système de cultures ou le réseau urbain…
D’autre part, pour l’élaboration des statistiques, de nouveaux
moyens de calcul sont inventés après 1960, les machines à
calculer, la mécanographie avant l’ordinateur dont l’emploi
s’accroît après 1980, tous instruments qui permettent l’étude
de grandes masses de documents et d’hommes du passé et la
quantification de nombreux éléments ainsi que l’établissement
de corrélations entre les séries. Il y a également des causes
politico-idéologiques pour expliquer ces changements dans
l’histoire. Ont agi l’expérience de la Seconde Guerre mondiale
et les tensions lors de la reconstruction d’après-guerre qui ont
montré le poids essentiel de l’économie, en particulier celui de
l’industrie pendant le conflit et l’intensité des luttes
sociales liées à l’inflation et aux pénuries après 1945. Et
dans la vie politique d’après la Libération pèsent fortement
les forces populaires, comme en témoignent les résultats
électoraux du PCF et de la SFIO et la puissance du syndicalisme,
tandis que, comme acteur du combat antinazi, le prestige de l’URSS,
pays qui se réclame de Marx, est au plus haut. Tout cela suscite
évidemment un intérêt nouveau pour « les masses qui font
l’histoire » et pour le marxisme. S’ajoutent des causes
sociologiques : les années 1960 se situent au début de
l’augmentation du nombre des historiens professionnels. Entre 1960
et mai 1968 sont créées 9 universités nouvelles hors de
Paris ; par là accèdent au métier d’historien davantage
d’enfants de catégories non bourgeoises. En même temps, les
publications d’histoire des grands éditeurs et des universités
de province se multiplient, et le lectorat d’histoire s’étend
aux professeurs de collèges et de lycées, et aux étudiants.
- 11 Collectif, L’histoire sociale, colloque de Saint Cloud 1965, Paris, Puf, 1967 ; coll., Ordres et cl (...)
- 12 Guy Lemarchand, « Sur Marc Bloch », Cahiers d’Histoire. Revue d’histoire critique, 2000, n° 79.
9L’idée
de domination marxiste n’en repose pas moins sur un amalgame
abusif entre Annales et marxisme. Cependant, il est vrai
qu’il y a une parenté entre les deux courants, déjà apparue
avant 1939, et que renforce l’évolution depuis 1950. L’un et
l’autre professent un certain matérialisme en ce sens que, non
seulement ils s’attachent à développer la connaissance de
l’économie, mais que, selon eux, l’histoire des mentalités ne
peut être détachée de celle de l’économie et des techniques.
Tous deux utilisent abondamment la notion de structure sociale et
insistent sur son poids dans l’explication historique. Enfin, ils
manifestent la même volonté d’élaborer une « histoire
totale », c’est-à-dire d’appréhender et d’expliquer – et
non pas seulement de décrire comme le faisaient les
positivistes – le tout social dans l’ensemble de ses
composantes. Ce rapprochement apparaît dans l’organisation des
deux colloques d’« histoire sociale »11
qui sont marqués par un débat entre deux groupes informels :
d’un côté les tenants des Annales et les marxistes, de
l’autre des opposants divers, soit positivistes, soit
d’orientation idéaliste. La première de ces réunions voit ainsi
s’instaurer un dialogue contradictoire entre E. Labrousse,
A. Soboul et R. Mousnier, et, à la seconde, des historiens de
l’Antiquité, muets jusque-là, se rallient à la première
tendance qui apparaît alors presque hégémonique12.
- 13 Claude Ingerflom, « Moscou : Le procès des Annales », Annales ESC, 1982, 1.
- 14 Annie Kriegel, « La grande pitié de l’histoire officielle », Nouvelle Critique, 1951, 26 ; Jacques (...)
10Néanmoins,
il y a également des différences notables, voire des
contradictions entre les deux courants. Les marxistes soviétiques,
à l’époque de Brejnev, critiquent durement la « nouvelle
histoire »13,
lui reprochant un éclectisme croissant qui éloigne de l’essentiel,
les contradictions de classe ; son objectivisme issu du
positivisme lui ferait négliger l’étude des modes de
l’exploitation, elle porterait une attention insuffisante au
développement des forces productives ; pour tout dire, elle
ignorerait Marx. En France, dès les années 1950, des historiens
membres du PCF ont déjà vitupéré contre, selon eux, la trahison
par les Annales d’après-guerre de ses premiers
engagements, et ils stigmatisent son empirisme sans principe14.
Mais après 1960, avec la déstalinisation, cette virulence
intransigeante s’atténue, sans que certaines réserves
persistent, en particulier à propos de l’apparente minimisation
du politique qui choque surtout les historiens de la Révolution
française et du xixe siècle, sensibles au poids
des révolutions.
- 15 Georges Duby, L’histoire continue, Paris, Odile Jacob, 1991.
- 16 Georges Duby, La société du Mâconnais aux xie et xiie siècles, Paris, Armand Colin, 1953.
- 17 Louis Althusser, Pour Marx, Paris, Maspéro, 1965 ; Louis Althusser, Etienne Balibar, Lire le Capital (...)
- 18 Georges Henri Soutou, La guerre de 50 ans. Les relations Est-Ouest 1943-1990, Paris, Fayard, 2001.
11Mais les membres des Annales ne sont pas en reste. À cet
égard, un témoignage semble bien exprimer l’opinion de la
plupart d’entre eux : celui de G. Duby15,
qui a publié dès 1953 une des premières thèses d’après-guerre
dans l’esprit des Annales16.
Il n’a pas connu Marx par une lecture directe de ses écrits mais
par l’intermédiaire de L. Althusser17.
Il dit avoir été séduit par les grands traits du modèle
théorique de société fourni par Marx : l’importance de
l’économie, les concepts de rapports de production, lutte de
classes, idéologie. Il a « une dette immense »
vis-à-vis du philosophe allemand ; toutefois, il ne se
considère pas comme marxiste et refuse le systématisme rigide
qu’il attribue à Marx et la détermination en dernière instance
par l’économie. Il rejette donc toute « théorie »
qui, pour lui, encadre le réel historique de manière toujours trop
étroite. Sans doute la situation mondiale dans les années 1960
est-elle aussi pour quelque chose dans ces hésitations. Le
rayonnement de l’URSS et du « camp socialiste » est
renforcé par des victoires apparemment éclatantes : l’épopée
des vaisseaux spatiaux à partir du vol planétaire de Gagarine en
1961 qui manifeste la réussite apparente de l’économie
soviétique, l’élargissement considérable du « camp
socialiste » avec l’entrée de nouveaux États, de Cuba en
1960 jusqu’à l’Éthiopie en 1978, et la victoire du Vietnam
contre les états-Unis en 1975. Pourtant, dans le même temps, des
signes inquiétants apparaissent aussi : des crises violentes à
l’intérieur des États « socialistes » : Berlin,
1953, la Hongrie en 1956, la Tchécoslovaquie en 1968, la Pologne en
1956, 1970, 1975. La « révolution culturelle »
bouleverse la Chine entre 1966 et 1972 et provoque une tension aiguë
avec l’autre grand du socialisme, l’URSS. Une telle ambiguïté
a de quoi troubler, d’autant plus que la polémique est échauffée
par la « guerre froide » qui perdure de 1947 à 198518.
12[Suite de l’article dans Cahiers
d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 121, à
paraître]
Notes
1
Charles Olivier Carbonnel, L’historiographie, Paris, Puf,
coll. Que sais-je ?, 1981.
2
Guy Thuillier, Jean Tulard, Les écoles historiques, Paris,
Puf, coll. Que sais-je ?, 1990.
3
Charles-Victor Langlois, Charles Seignobos, Introduction aux
études historiques, Paris, Hachette,1897, éd. Kimé, 1992.
4
Guy Bourdé, Hervé Martin, Les écoles historiques, Paris,
Seuil, 1983 ; Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire,
Seuil, Paris, 1996 ; Antoine Prost, « Seignobos
revisité », xxe siècle, 1994, vol.
43, p. 100-118 ; Bertrand Muller, Lucien Febvre
lecteur et critique, Paris, Albin Michel, 2003.
5
Louis Halphen, Introduction à l’histoire, Paris, Puf,
1946, rééd. 1949.
6
Une figure représentative en est René Grousset, Figures de
proue, Paris, Plon, 1950.
7
Charles Samaran (dir.), L’histoire et ses méthodes,
Paris, Gallimard, Pléiade, 1961.
8
Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien,
1re éd., Paris, Armand Colin,1949 ; Lucien Febvre,
Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1953.
9
Marc Bloch, Caractères originaux de l’histoire rurale
française, 1re édition, Oslo, H. Aschehoug, 1931,
2e Paris, Armand Colin, 1952 ; Supplément,
Paris 1956 ; Lucien Febvre, Le problème de l’incroyance
au xvie siècle. La
religion de Rabelais, 1re éd., Paris, Albin Michel,
1942, 2e éd., Paris, Albin Michel, 1947 ; Fernand
Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen au temps
de Philippe II, 1re éd. Paris, Armand Colin, 1949,
2e éd. augmentée 2 vol., Paris, Armand Colin, 1966.
10
Jacques Le Goff, Pierre Nora (dir.), Faire de l’histoire,
3 vol., Paris, Gallimard, 1974 ; Jacques Le Goff, Roger
Chartier, Jacques Revel (dir.), La Nouvelle histoire,
Paris, Retz, 1978.
11
Collectif, L’histoire sociale, colloque de Saint Cloud
1965, Paris, Puf, 1967 ; coll., Ordres et classes, 2e
colloque Saint Cloud 1967, Paris – La Haye, 1974.
12
Guy Lemarchand, « Sur Marc Bloch », Cahiers
d’Histoire. Revue d’histoire critique, 2000, n° 79.
13
Claude Ingerflom, « Moscou : Le procès des Annales »,
Annales ESC, 1982, 1.
14
Annie Kriegel, « La grande pitié de l’histoire
officielle », Nouvelle Critique, 1951, 26 ;
Jacques Blot, « Le révisionnisme en histoire ou l’école
des Annales », Nouvelle Critique, 1951, 30.
15
Georges Duby, L’histoire continue, Paris, Odile Jacob,
1991.
16
Georges Duby, La société du Mâconnais aux xie
et xiie siècles,
Paris, Armand Colin, 1953.
17
Louis Althusser, Pour Marx, Paris, Maspéro, 1965 ;
Louis Althusser, Etienne Balibar, Lire le Capital, 2 vol.
Paris, Maspéro, 1965, 2e éd. augmentée, Paris 1968.
18
Georges Henri Soutou, La guerre de 50 ans. Les relations
Est-Ouest 1943-1990, Paris, Fayard, 2001.
Pour citer cet article
Référence papier
Guy Lemarchand, « Marxisme
et histoire en France depuis la Deuxième Guerre mondiale (Partie
I) », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire
critique, 120 | 2013, 171-180.
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