« En trop de pays, l’art de gouverner est devenu l’art d’ajourner ».
Georges
Clemenceau
Un
jour Bordiga confia à Lucien Laugier : « La tactique du
parlementarisme révolutionnaire de Lénine a échoué, mais notre tactique de
l’abstentionnisme était aussi vouée à l’échec ». Poutine pourrait tout
aussi bien confier à son clone pâle et insignifiant Dmitri Medvedev :
« la tactique des chars russes de Brejnev a échoué, mais notre
électoralisme séparatiste est aussi voué à l’échec ».
«Approuvez-vous
l'indépendance de la République populaire de Donetsk?» et «approuvez-vous
l'indépendance de la République populaire de Lougansk?». Voilà la question,
posée en ukrainien et en russe sur le papier, à laquelle devront répondre aujourd’hui
les quelque 7,3 millions d'habitants des «oblast» (circonscriptions) de
Lougansk et Donetsk, composant la région du
Donbass collée à la frontière russe[1].
Poutine,
ou du moins la bourgeoisie russe (car le dictateur est dicté) prend la
démocratie occidentale par la queue en déclarant « légitime le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes »[2].
Hollande et Merkel peuvent bien pleurnicher que c’est illégal mais c’est bien
un référendum, comme tous les référendums = consultation du peuple avec une
question et pas deux, et bourrage des urnes si le oui est douteux.
Car
des doutes subsistent aux fins fonds de l’Ukraine, même la plus russophile, sur
le taux de participation. Et, contrairement aux minorités des factions rivales,
la population pro-russe comme pro-Europe ne veut pas de divorce, sécession,
fédéralisation, finlandisation, etc. Selon plusieurs sondages, une participation
de 60% serait espérée. Toutefois, toujours selon des enquêtes, 70% de la
population dans l'Est du pays serait hostile au séparatisme et reste favorable
à l'unité territoriale du pays, contre quelque 18% pour la sécession.
On n’est pas à la veille de la future
guerre mondiale contrairement à ce que déclarait le pleurnichard Yves Calvi
dans son émission C dans l’air, appuyé par toute une série de menteurs
professionnels adulateurs du mensonge démocratique.[3] :
« on est dans les derniers temps de la paix... le maître du Kremlin
Vladimir Poutine a présidé le défilé de l’armée russe sur la place Rouge de
Moscou, avant de rejoindre la Crimée récemment annexée. Un président russe qui
semble de plus en plus jouer au pompier pyromane tandis que l’Est de l’Ukraine
échappe de plus en plus à l’autorité de son gouvernement à Kiev… ».
Traité de tous les noms, cible de tous
les fantasmes néo-hitlériens, Poutine est l’obsession « hitlérienne »
des médias de C dans l’air à « C dans l’cul » de TF1 (thème :
guerre ou paix, alors qu’on en est encore à un simple marchandage pour un
nouveau lebensraum impossible). Comme je l’ai déjà signalé sur ce blog, l’ensemble
des journalistes n’arrêtent pas de saliver en comptant les morts d’une guerre
civile qui n’a pas encore commencée.
« Si
Hillary Clinton avait déjà établi une telle comparaison début mars, ajoute Le
Monde, il est très rare qu'un responsable allemand compare Hitler à un autre dirigeant.
Comparer Hitler à qui que ce soit pourrait en effet inciter certains à
banaliser ses crimes. Si, malgré tout, certains l'ont comparé à Staline ou Mao,
le comparer à Poutine est encore plus osé. D'abord parce que celui-ci est en
fonction. Une question se pose : si Poutine est comparable à Hitler, faut-il
négocier avec Poutine voire discuter avec lui comme le fait Angela Merkel ? De
plus, l'Allemagne est extrêmement divisée sur le sujet. Un bon nombre
d'Allemands, y compris au sein de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), sont
assez sensibles à la rhétorique "russe" de Poutine et une majorité de
responsables politiques sont convaincus qu'il faut le ménager parce qu'on ne
choisit pas ses voisins et que la Russie va forcément jouer un rôle
important en Europe dans les décennies à venir. Pour eux, il ne faut surtout
pas diaboliser Poutine. Wolfgang Schäuble n'est manifestement pas de cet avis
et entend le faire savoir même si, en tant que ministre des finances, il n'est
pas en première ligne sur ce dossier. Lundi après-midi, le ministère
des finances a publié un communiqué pour affirmer que M. Schäuble n'avait pas "comparé
d'une quelconque façon la Russie au Troisième Reich ».
Si l’on sort des
insultes – qui font partie du bain cultuel occidental au quotidien pour éviter
de penser politique -, il s’avère que la situation est plus compliquée et ne
vaut pas comparaison avec des « Sudètes de 1938 » (le scandale de « Munich »),
trop d’intérêts économiques mutuels sont en jeu, même si les républicains les plus
bêtes jouent les matamores. Ainsi
la droite des faucons US, comme le sénateur John McCain, s’ils reprochent
aujourd’hui à Barack Obama de se montrer trop mou vis-à-vis de « Adolf »
Poutine et de ses projets d’annexion de la Crimée, ils oublient que, malgré ses
airs martiaux, George W. Bush est resté impuissant en 2008 quand la Russie a
soustrait par les armes deux régions appartenant à la Géorgie. Ancien
correspondant à Moscou de Time magazine, ancien conseiller de Bill Clinton pour
la Russie, Strobe Talbott a remis l’expression d’«endiguement» au goût du jour.
Il considère et il n’est pas le seul, qu’il sera très difficile pour les
Occidentaux d’empêcher définitivement l’annexion de la Crimée[4] par
la Russie, sous une forme ou sous une autre. L’objectif des diplomates doit
être maintenant de ne pas laisser Poutine aller au-delà. Et ne pas lui
permettre de détacher de l’Ukraine les régions orientales à majorité
russophone. Certains pensent, par ailleurs, comme George Kennan en 1947, que le
régime de Poutine a présumé de ses forces et risque à terme d’être affaibli par
cette politique expansionniste. Poutine sait, comme les bourgeois occidentaux
eux-mêmes lorsqu’ils organisent leurs référendums (cf. celui croquignolesque du
Traité de Lisbonne) que ce sont les chancelleries aux ordres du système
financier mondial qui trancheront pas les référendums ni les vieux chars
staliniens.
LE DEMEMBREMENT DE LA TCHECOSLOVAQUIE du temps jadis
A la fin des années 1930 les régions Région des Sudètes se situent en Tchécoslovaquie.
Les citoyens de nationalité allemande sont 3 millions
dans un pays de 15 millions d’habitants. Cependant,
jusqu'en 1935 au parlement tchécoslovaque, ce n'est qu'une minorité des députés
germanophones des Sudètes qui demande la sécession complète de leur région,
certains Allemands des Sudètes participant même aux
coalitions gouvernementales. La crise économique de 1929 a une influence
importante dans les régions industrielles des Sudètes où le chômage s'élève
très rapidement, accentuant les conflits nationalistes. L'opposition entre les
Allemands et les Tchèques s'intensifie tout au long des années
1930, ponctuée par les bouleversements qui surviennent en Allemagne à la
suite de la prise du pouvoir par Hitler en 1933. La crise économique actuelle,
plus grave que celle de 1929 à terme, contient aussi la guerre mondiale, mais
les carottes n’étant pas cuites (blocs militaires non constitués et populations
pacifistes) il reste à aménager un dépeçage organisé[5]
Daniel Vernet a raison de souligner que ce qui est recherché
par l’ensemble des Etats bourgeois, par-dessus les velléités de l’Etat fantoche
de Kiev et les agitations des néo-nazis de la région Est, c’est une stabilité
qui… intègre le dépeçage organisé (cela il ne le dit pas) ; et ce
journaleux bourgeois milite aussi comme ses confrères pour que la population
prolétaire aille au casse-pipe :
« Le maintien de la stabilité est un des objectifs
principaux des politiques étrangères des grands pays, qui craignent toujours
l’inconnu. Une Russie stable sous la férule d’un autocrate comme Vladimir
Poutine leur parait plus souhaitable qu’une Russie imprévisible comme du temps
de Boris Eltsine. Pour ne citer qu’un exemple. Les diplomates ne peuvent
cependant pas esquiver une question : la recherche de la stabilité à tout
prix n’entre-t-elle pas en contradiction avec le but poursuivi quand cette
stabilité devient insupportable aux peuples en mouvement. De la place Trahir à
la place Maïdan ».
Or on va voir que la situation actuelle, comparée à 1938 est
complètement différente, grâce au groupe internationaliste des Communistes
Révolutionnaires en 1942 (les RKD) :
« Le peuple allemand entrait sans enthousiasme dans la
guerre. Il approuvait en effet le rétablissement de « l’unité territoriale »
c'est-à-dire le rattachement de l’Autriche et des Sudètes, mais il
désapprouvait la guerre de Dantzig, la guerre contre la Pologne, il condamnait
sévèrement la nouvelle guerre mondiale. L’Etat d’esprit des masses allemandes
en septembre 1939 contraste particulièrement avec celui de 1914. La dictature
hitlérienne est obligée de mentir au peuple en disant qu’il ne s’agit que de « quelques
actions d’éclair », l’état de guerre avec la France est camouflé pendant
des mois : le mot « guerre » n’apparaît au début même pas dans
la presse de Goebbels. Le pacte avec la Russie est présenté comme une garantie
de paix ».[6]
Cet article clandestin des RKD (petit groupe révolutionnaire
issu du trotskisme et composé surtout de militants juifs allemands) est très
intéressant parce qu’il est le seul à expliquer (à ma connaissance) la durée de
la « drôle de guerre » - un an sans guerre ouverte après déclaration
en bonne et due forme de la France et de l’Angleterre. En réalité comme les RKD
l’ajoutent, les bourgeoisies hitlérienne et démocratique sont encore hantées
par la révolution spartakiste, mais en fait le prolétariat allemand a bien été
écrasé physiquement net politiquement. La guerre mondiale va avoir lieu sans
insurrection interne.
ARRETE TON CHARRE POUTINE [7]!
Très différent si on compare à 2014. Bien sûr le prolétariat
semble tuméfié dans son désir de consommation et atomisé par la période de
réaction que nous subissons à tous points de vue. Mais comment ignorer que
partout dans les pays émergents du Brésil à la Chine, les masses se battent
contre l’austérité capitaliste? Et qu’elles sont conscientes de plus en plus qu’il
n’existe aucune solution nationale ni régionale…
Les larves des émissions de C dans l’air et les autres nous
assurent que le chauvinisme caracole en Russie. Tiens, ils font comme la presse
française des années 1930 face au réarmement allemand. L’ennemi n’est plus le
boche mais le « ruskof » ! Même si le mercenaire de l’Arabie
Saoudite, Boko Haram, prenait en otage Poutine et ses femmes, les masses russes
n’iraient pas mourir pour ce présumé tsar de poche.
La fable de « l’unité territoriale » ou du « grand
empire retrouvé » peut sans conteste agréer à une économie de guerre, mais
la guerre économique engendre tellement de mafias et mêle tant de rivalités
impérialistes qu’aucun manichéisme n’apparaît plus crédible.
[1] A.Lipietz résume avec à peu près le déroulé antérieur
des événements : « En novembre dernier, le président Ianoukovitch
rompt les négociations d’accord avec l’Union européenne. Percevant cette
rupture inattendue comme un manœuvre prorusse qui éloigne leur pays des normes
démocratiques occidentales, les Ukrainiens de l’Ouest manifestent : c’est
l’Euromaïdan, rassemblant démocrates pro-européens et nationalistes ukrainiens.
Suite à un massacre, le président s’enfuit ; il est destitué par le
parlement. Poutine, s’appuyant sur des milices pro-russes, annexe la Crimée
avec l’appui d’un referendum local presqu’unanime. Le même scénario se profile
sur l’est du pays. La conférence de Genève du 17 avril entérine de fait
l’annexion de la Crimée et encadre mollement les risques de partition de
l’Ukraine. Genève = Munich ? ». On appréciera le neutre « suite
à un massacre » de ce politicien bourgeois écolo ! Pro-US sans fard
Lipietz ne va pas critiquer ses patrons et leurs amis… néo-nazis qui ont tirés
place Maïdan ! Ni épiloguer sur le coup d’Etat anti-russe…
[2] Et tout le monde du dinosaure Kissinger à Védrine, de Lipietz à D. Vernet, et le
ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble, de crier à la nouvelle
annexion des Sudètes. Au premier abord ne pas se fier à l’amalgame, même s’il
est intéresser de relever que tous les dictateurs modernes revendiquent cette
baudruche de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La crise des Sudètes en
1938 atteint son paroxysme lorsqu'Hitler, invoquant le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, annonce qu'il annexera cette région, quoi qu'il arrive,
le 1er octobre 1938, en sachant
parfaitement que cela équivaut à une déclaration de guerre avec la France et le Royaume-Uni,
nations alliées de la Tchécoslovaquie.
[3] Voir sur le site de C dans l’air
la réaction unanimement dénonciatrice du bourrage de crâne occidental par la
plupart des téléspectateurs, dépité de voir que cette émission est aussi
pourrie que tout le reste médiatique, et met le doigt sur la couture du
pantalon face au fameux « nazi Poutine » !
[4] Historiquement la Crimée n’a
jamais fait partie de l’Ukraine, la confusion date des tripatouillages sous
Khrouchtchev.
[5]
L’ancien ministre français des affaires étrangères Hubert
Védrine et le gourou de la politique étrangère américaine Henry Kissinger, 91
ans, proposent tous les deux la «finlandisation» de l’Ukraine comme un élément
de sortie de crise. Comme la Finlande à la fin de la Deuxième guerre mondiale,
l’Ukraine choisirait librement son système politique (par exemple, la
démocratie libérale) et son régime économique (l’économie de marché) mais
s’engagerait à mener une politique étrangère «neutre» entre l’Occident et la
Russie. L’analogie entre la Finlande et l’Ukraine a un certain fondement.
Voisine de l’URSS, la Finlande s’est vue amputée d’une partie de la Carélie
annexée par Moscou mais a conservé son indépendance. Ce n’est qu’après la fin
de la guerre froide que les Finlandais ont pu adhérer à l’Union européenne et
se rapprocher de l’Alliance atlantique.Cependant le terme «finlandisation», que
n’aimaient pas les Finlandais, a connotation péjorative. Il soulignait une mise
sous tutelle alors que les Finlandais s’étaient battus pour leur liberté,
d’abord contre l’Union soviétique puis contre les Allemands
[6] Tempus Fugit n°3 page 76.
[7] En argot français : cesse
de bluffer… Ben Hur… on goudronne !
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