En juillet 1766, le Chevalier de La Barre, accusé d'avoir, un an plus tôt, manqué au respect dû à une procession
religieuse en refusant d'ôter son chapeau et d'avoir chanté des chansons
impies, fut exécuté sur la place du Grand-Marché pour blasphème. Soumis à la
question, ses jambes furent broyées. La main droite et la langue tranchée, son
corps décapité fut finalement livré aux flammes, avec le Dictionnaire philosophique de Voltaire, sur ce même lieu. Aujourd'hui, un pavé, gravé de son
nom et de la date de son exécution, est visible sur la place de l'exécution
(place Max-Lejeune), près de l'hôtel de ville et près du canal de la Somme un
monument a été érigé en son souvenir « au nom du prolétariat ». La
formulation n’est pas commune et vous paraîtra bizarre, démodée ou
fantasmatique. Pourtant c’étaient de vrais socialistes au début du siècle
dernier qui formulaient les choses comme cela. Le martyre du chevalier de la
Barre qui devint la bannière du combat de Voltaire contre le fanatisme
religieux, était ainsi repris des mains de Voltaire comme flambeau du
prolétariat.
L’érection de ce monument fût l’objet d’un long
combat. En 1902, deux professeurs et deux élèves du lycée d'Abbeville fondent
le Groupe La Barre et décident de faire revivre la mémoire du chevalier. Ils
déposent le 14 juillet un bouquet à l'endroit du supplice. La municipalité le
fait enlever aussitôt. Cette initiative sera poursuivie les années suivantes et
culminera le 7 juillet 1907 avec l'inauguration du Monument La Barre, par 15
000 manifestants venus à Abbeville par trains entiers, monument financé par une
souscription volontaire de 100 000 billets de tombola à 25 centimes. Le
monument a la forme d'une colonne biseautée, sur laquelle est gravée
l'inscription suivante : "Monument élevé par le Prolétariat à
l'Emancipation intégrale de la Pensée humaine". Une plaque de bronze y est
insérée et représente les tortures infligées au chevalier. Sous cette plaque,
on peut lire "En commémoration du Martyre du Chevalier de La Barre
supplicié à Abbeville le 1er Juillet 1766 à l'âge de 19 ans pour avoir omis de
saluer une procession." À la base est inscrite la date de
l'inauguration : « 7 Juillet 1907 ». Pendant la Première
Guerre mondiale, la plaque
de bronze fut enlevée, chargée dans un train pour être fondue. Mais un cheminot
la cacha dans un ruisseau, où elle fut récupérée après la guerre.
Mon appareil photo ne peut s’empêcher de photographier les restes de l’usine
Saint Frères juste à côté du monument, bombardée pendant la Première Guerre
mondiale et où une stèle affiche les noms des ouvrières et ouvriers tués sous
les bombes en février 1943.
L’entreprise Saint Frères furent le principal empire industriel en Val de
Nièvre. Les usines textiles des Saint-Frères furent la
source d'inspiration de l'écrivain Hector Malot pour son roman « En famille ». Ces
fabriques étaient spécialement consacrées à la fabrication de fils et de tissus
grossiers en quantité considérable ; la production par jour de la maison
atteignait quatre-vingt-quinze mille mètres de tissus, la confection
journalière des sacs à trente mille et le personnel ouvrier à six mille quatre
cent. La maison de Paris fondée en 1838, prit vite de l’extension avec les
Jean-baptiste et de Charles Saint, qui sont venus rejoindre leur frère Victor
en 1839 et 1841. A la toile d’emballage,
les Saint Frères joignirent, vers 1845, la fabrication de toile à sacs, puis un
peu plus tard, la confection de sacs.
En 1856, ils firent à Paris, un
essai pratique au moyen de machines et de métiers spéciaux du tissage mécanique
des toiles communes de jute pour sac qui se tissaient jusque là à la main en
raison du peu de solidité de la matière employée.
Les aménagements du paysage avaient jadis été d’abord
liés à la présence de l’abbaye de Berteaucourt-les-Dames et du prieuré de
Moreaucourt, puis, aux XVIIe et XVIIIe siècles, à celle
des nombreux châteaux de plaisance. Les grandes mutations de la vallée résulteront
de son industrialisation progressive par la famille Saint : à partir de 1857,
l’ancien peignage de laine de Flixecourt devient la première manufacture
française de tissage mécanique du jute. Cette innovation assure le succès
immédiat de l’entreprise, et marque à la fois le début d’un véritable empire
industriel et l’expansion de la vallée de la Nièvre, dont la population ouvrière
double en trente ans. L’entreprise Saint Frères ne se contente pas de
développer ses sites de production : routes et voie ferrée relient les usines
entre elles, et de nombreuses cités ouvrières se déploient au sein des villages
et bourgs désormais marqués par l’industrie.
Durant plus d’un siècle, l’activité industrielle du
premier employeur de la Somme a contribué à façonner et à enrichir ce
territoire rural. C’est pourquoi cet ouvrage fait également une large part aux
châteaux, aux églises et à leur mobilier ou encore à l’habitat et aux édifices
publics des villages qui témoignent de la richesse de l’histoire du Val de
Nièvre depuis l’Antiquité.
A la fin de la Première Guerre
Mondiale, la Picardie fût une région particulièrement dévastée. Il fallu
pratiquement tout reconstruire, remettre les terres en culture, refaire
fonctionner les usines...
La filature de jute avait
été construite pour la société Saint frères entre 1896 et 1903. Après
les bombardements de la Seconde guerre mondiale, un tissage (bâcherie et
emballages plastiques) y a été installé. Le 20 mai 1940, Tout comme au début de
la Première Guerre mondiale c’est la rivière Somme qui, en 1940, est le point
de mire des troupes allemandes. Cette modeste rivière redevient une ligne
critique pour la France, une nouvelle étape à franchir pour ses ennemis. En
bombardant Abbeville et Amiens, Hitler avait espéré avec succès y attirer le
maximum de troupes françaises. Ainsi il put détacher plus facilement des
éléments entre ces deux villes, à tous les ponts de la Somme, puis prendre les
troupes françaises à revers, notamment sur Abbeville, et disposer ainsi d’un
accès vers la mer. Comme des milliers d'autres pioupious, après la débandade des officiers, mon père est fait prisonnier non loin de là, à Peronne, et déporté en Allemagne (à pied...).
En février 1943 les ouvriers
de l’usine près du monument au souvenir du Chevalier de la Barre sont massacrés
sous les bombardements nazis, autrement dit l’intolérance moderne du
capitalisme décadent…
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