Germinal et Prairial an III »
Par Robert Camoin (chez l’auteur)
« Ton histoire de vertu me fait marrer Robespierre ! »
Danton
« … l’excessive perversité des agents subalternes d’une autorité
respectable constituée en votre sein ». Robespierre
« La révolution allemande a échoué parce qu’elle fût une révolution de
soldats »
Léo Jogisches (compagnon de Rosa Luxemburg)
Léo Jogisches (compagnon de Rosa Luxemburg)
Alphonse Allais
|
Robert
Camoin récidive avec des titres pompeux, d’apparence un peu mystérieuse, un
chouia cultivés, comme il le fît avec son ouvrage précédent :
« 1792-1800 Les guerres anti-dynastiques de la révolution bourgeoise
française ». Pourquoi cette soudaine pédanterie pour la révolution
française sur laquelle tout semble avoir été dit, labouré par les uns et les
autres, les partisans du « bloc révolutionnaire historique » comme
par les révisionnistes néo-royalistes et néo-staliniens ? Comme je l’ai
signalé lors de ma critique de l’ouvrage précédent, le but de l’auteur est
encore et toujours de ressortir du grenier le mythe mité de la « guerre
révolutionnaire », de le rempailler avec une collecte typiquement ventriloque
et m’as-tu-vu d’autodidacte vantard. Qu’on m’entende bien je précise bien
autodidacte vantard, car, comme militants politiques nous sommes tous des
autodidactes, mais n’est pas historien qui veut, même s’il y a beaucoup
d’historiens bourgeois charlatans. L’histoire du passé de l’humanité n’est bien
sûr la propriété de personne rien n’empêche quiconque de la formuler à sa façon
suivant ses connaissances acquises au cours d’une vie hors du cursus
universitaire conservateur et pas toujours fiable. Camoin veut rattraper tout
ce qu’il n’a pas pu apprendre à l’école et enseigner ses rudiments plus ou
moins compilés sans souci de chronologie à des lycéens et étudiants qui en
connaissent mieux que lui le b a ba. Mais là où le bât blesse c’est lorsque le
militant, d’une cause ou d’une autre, se sert de l’histoire de façon arbitraire
en lui plaquant ses propres conceptions politiques à des fins de propagande.
L’histoire reste toujours un enjeu de propagande féroce où chacun s’envoie à la
tête des faits plus ou mieux vérifiés où il n’était pas présent. Camoin ne se
gêne pas pour réunir tous les défauts de l’autodidacte vantard qui veut mieux
étaler ses connaissances éparses et incomplètes, souvent d’un niveau primaire,
avec un recopiage permanent de biographies de dictionnaires glanés çà et là,
faisant dire aux acteurs ou jouer un rôle qu’ils n’eurent pas dans la réalité.
L’accumulation de citations indigestes remplace tout raisonnement argumenté et
croit abuser le lecteur sur une capacité d’analyse, plutôt maigre et
affligeante de l’auteur vantard. Plus les citations s’accumulent plus la
culture autodidacte s’étale comme la confiture sur ma tartine beurrée du matin,
sans devenir comestible.
Au long de
sa première partie le livre apparaît plus structuré que le précédent en
reproduisant des considérations de base marxiste sur la nation, son armée et la
lutte contre la féodalité. Propagandiste du « programme militaire
révolutionnaire », aussi vague que le « programme communiste »
invoqué par certains sans utiles précisions, n’est une fois de plus que
l’apologie de divers ténors militaires bourgeois, passant sous silence leurs
méfaits, et ratant complètement son objet en étant incapable de comprendre le
Thermidor comme un coup d’Etat militaire qui allait mettre en selle le
« Robespierre à Cheval », Napoléon.
Ce n’est
qu’en cours de lecture militariste que Camoin va tenter de nous intéresser à
une nouveauté, l’épisode des « Crêtois » et les époques dites
Germinal et Prairial an III. L’après 9 Thermidor est quasiment peu traité par
les historiens, comme le constate justement Camoin, et il peut se discuter
ceci : « y a-t-il eu continuité dans la révolution par-dessus le 9
thermidor ? »[1].
En effet Michelet comme Jaurès interrompent leur histoire de cette révolution
historique à Thermidor. Camoin recopie l’historienne Françoise Brunel qui pense
que le 9 Thermidor fût un « non-événement » et que la fin véritable
de la révolution se situe en germinal-prairial, avril-mai 1795, après
l’écrasement de l’ultime soulèvement parisien et le suicide « à la
romaine » des « crêtois » : Bourbotte, Duquesnoy, Duroy,
Goujon, Romme, Soubrany, condamnés à la guillotine. Sur cet aspect Camoin n’est pas critiquable et son
point de vue défendable. Mais cela reste une interprétation fallacieuse qui
sert de support mal ficelé à sa théorie de la guerre révolutionnaire
dévitalisée par l’histoire de la lutte des classes et les échecs militaires de
plusieurs révolutions « populaires » ou « prolétariennes »[2].
Avant de suivre les méandres du projet de Camoin, qui n’arrive pas à la
cheville d’un autodidacte d’un autre calibre, Daniel Guérin, quelques
précisions.
LA
REVOLUTION FRANCAISE EST RESTEE UN SUJET D’ETUDE HISTORIQUE INEPUISABLE
Une Société
des études robespierristes fût fondée en 1907 par l'érudit Charles Vellay (1876-1953), qui en devient secrétaire-général. Regroupant des historiens français et
étrangers spécialisés dans l'histoire de la Révolution française, cette
association a été officialisée en1935. Son premier président fut l'historien Albert Mathiez. Ses successeurs seront : Georges Lefebvre, Albert Soboul, Ernest Labrousse, Jacques Godechot, Jean-René Suratteau, Jean-Paul Bertaud, Claude Mazauric, Michel Vovelle, Philippe Bourdin. Le président actuel est Michel Biard, professeur à l'Université de Rouen. D'abord baptisée Annales révolutionnaires (1908-1923), la revue
prend son nom définitif en janvier 1924, quand les Annales fusionnent avec la Revue historique de la Révolution française
et de l'Empire, publication créée en 1909 par Charles
Vellay après sa rupture avec Albert Mathiez et son départ de la Société. Le
type d’analyse du souvenir de la Révolution française varie suivant les
directeurs successifs, dont certains ont été des staliniens bons crins
(Mazauric). Les Annales ont été
dirigées par Albert Mathiez de 1908 à 1932 (avec Gustave Laurent de 1924 à 1931) puis Georges Lefebvre de 1932 à 1940. Suspendue en 1940, leur
publication reprend en 19461. Après la mort de Georges Lefebvre, la revue est successivement dirigée
par Albert Soboul (jusqu'en 1982), Jean-René
Suratteau (jusqu'en 1986), Michel
Vovelle, Jean-Paul Bertaud (à partir de 1994)2. Le directeur actuel est Hervé Leuwers. Les Annales bénéficient du soutien de l'Institut d'Histoire de la Révolution Française, dont le directeur dirige le comité de rédaction jusqu'en 19942. Éditées avec le concours du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les Annales historiques
de la Révolution française publient toute une série de travaux et
analysent la mémoire de l'événement et ses répercussions
dans le monde contemporain[3]. Malgré partis pris et contradictions les écoles d’historiens restent une
source passionnante pour la perpétuelle recherche historique, et abreuvent
nombre d’ouvrages considérables et à considérer.
Un peu de
Wikipédia pour ouvrir vos mirettes.
Crêtois
Crêtois est le surnom donné aux députés montagnards de l'an III, de moins en moins nombreux, qui
tentèrent de s'opposer à la réaction thermidorienne Le mot apparaît en l'an III
dans la bouche des réacteurs, qui l'emploient dans un sens péjoratif. On trouve
ailleurs l'expression « la Crête de la Montagne » qui renvoie
simplement aux bancs du haut de la salle de la Convention nationale,
occupés par les premiers Montagnards Robespierre et Cie.
Les
évaluations des historiens ont longtemps évolué entre 30 et 76. Se basant sur
les Mémoires de René Levasseur, Eugène Tarlé parle d'une trentaine
de députés ; Albert Mathiez compte 60 députés exclus de la Convention ; François-Auguste Mignet évoque 76 députés arrêtés ou condamnés à mort. Françoise Brunel les évalue
à 100 en se fondant sur la demande d'appel nominal exprimée par Laurent Lecointre le 12 germinal an III (50 députés la soutiennent) et les
arrestations de germinal, prairial et thermidor an III (74 conventionnels sont
arrêtés, déportés ou exécutés, parmi lesquels 25 signataires de la demande)2.
Dispersés
après la loi de Prairial, les Montagnards ne reconstituent un groupe relativement homogène qu'à
l'hiver et au printemps 1795. Thermidoriens pour la plupart (à l'exclusion des représentants en mission et des suppléants admis à siéger après les événements), ils ne voient dans
la chute de Robespierre qu'un nouveau 31 mai, escomptant le maintien du gouvernement révolutionnaire jusqu'à la paix,
puis l'instauration de la constitution de l'an I. Lors de l'offensive contre les sociétés populaires, en vendémiaire, une minorité seulement défend le club des Jacobins..
Le tournant
a lieu en frimaire, lors de la
mise en accusation de Jean-Baptiste Carrier ; 14 députés s'y opposent. Les autres basculent à l'occasion de la
crise des subsistances, devant la
misère populaire ; ils stigmatisent alors un « recul », un
« regard en arrière » par rapport aux principes de 1793 qui prend le
nom de « réaction » à l'automne 1794 et au début du printemps 1795.
Les événements de germinal-prairial an III
Lors de l'insurrection
du 12 germinal an III, la foule envahit la Convention; seuls les Crêtois restent en séance. Mais la salle est évacuée par la
troupe, aidée par des sectionnaires royalistes, et vingt Crêtois sont arrêtés. Barère, Vadier, Billaud-Varenne et Collot d'Herbois sont condamnés à la déportation en Guyane.
Lors de l'insurrection
jacobine du 1er prairial an III, la
foule s'empare de l'Assemblée; à cette occasion, le conventionnel Féraud, qui tente de barrer le passage, est tué et sa tête promenée au bout d'une
pique; les Crêtois font élire Soubrany commandant de l'armée de l'intérieur et créent une commission qui amnistie
les déportés de germinal (déjà embarqués à Oléron), le retour de la taxation, etc.
Les soldats du général Menou et de Murat, appelés par Tallien, rétablissent l'ordre : douze députés crêtois sont arrêtés.
Emprisonnés
au château du Taureau à Morlaix, en Bretagne, six députés condamnés à mort au
cours d'un procès inique se poignardent en sortant du
tribunal : Duquesnoy, Jean-Marie
Goujon, Gilbert Romme se tuent, Pierre Bourbotte, Jean-Michel Duroy et Soubrany se blessent et sont
guillotinés.
LE PREMIER
DEFAUT DE CAMOIN, UNE HISTOIRE INVERSEE
A lire le
plaidoyer de son « meilleur défenseur moderne » Camoin, la révolution
française n’est plus qu’un calque de la révolution russe de 1917. Il affiche
d’ailleurs d’emblée une prétention comique : « nous ne voulons servir
ici que le parti historique » ! Et ce n’est point par hasard puisque
ses bases d’appui sont surtout des historiens sous la coupe de
l’historiographie stalinienne alors que la Gauche italienne avec Bordiga s’est
toujours moqué de ce « truc la guerre révolutionnaire ». Camoin est
incapable de souligner la première différence entre cette révolution bourgeoise
et petite bourgeoise et la révolution prolétarienne en Russie un peu plus d’un
siècle après : la révolution française est un cloaque de machinations et
de querelles d’individus et de clans, ce qui n’est pas le cas de la révolution
prolétarienne.
Le parallèle entre jacobinisme et bolchevisme
est inepte ; les jacobins n’ont jamais formé un véritable parti et ne
présentèrent pas un discours homogène quand les bolcheviks affirment une
cohérence moderne et eurent un tout autre projet que « la patrie ou la
mort »[5]. Par ailleurs la
constitution de l’armée rouge n’a pas le même sens que la levée en masse de
1792 et le phénomène du stalinisme ne peut être assimilé à Thermidor, pendant
ou après, même selon Mlle Brunel, historienne de profession .
DES ANALOGIES
SIMPLISTES
En 1920, le déroulement de la révolution russe
et ses avatars militaires ont un écho en Europe occidentale jusque chez les
historiens dans leurs cabinets d’étude. L’historien Albert Mathiez, spécialiste
de la révolution française et « robespierriste » se livre à une
assimilation qui ne sera pas pour déplaire au stalinisme. Dans deux articles –
« Le Bolchevisme et le Jacobinisme » et « Lénine et
Robespierre » – il justifie la dictature du gouvernement soviétique :
« Jacobinisme et bolchevisme, ces mots résument l’appétit de justice d’une
classe opprimée qui se délivre de ses chaînes (…) La différence des temps
explique la différence des théories et des solutions mais le fond reste
identique ». Michel Vovelle en fournit un résumé : « C’est à l’historiographie radicale et
à travers elle à la bourgeoisie française qu’il s’adresse. Vous dénoncez,
suggère-t-il, la révolution bolchevique comme violence, terreur, dictature
d’une minorité, mais la Révolution française que vous avez mythifiée,
empaquetée dans un bloc pour qu’on n’en voit pas les fissures, est aussi
nourrie de la violence, de la dictature et de la mise sous le boisseau de la
démocratie par une minorité. Les
jacobins ont ignoré les élections, et les Soviétiques récusent le suffrage
universel. Mais les uns et les autres, pour Albert Mathiez, ont cherché à poser
les fondements d’une démocratie sociale qu’ignorent les pays
capitalistes : « En remettant aux Soviets toutes les fonctions de
l’Etat, Lénine espère éviter les inconvénients de la bureaucratie et du
parlementarisme et réaliser autant que possible ce gouvernement du peuple par
le peuple qui est pour lui comme pour Jean-Jacques Rousseau et pour Robespierre
le propre de la démocratie véritable »[6]. Mathiez reniera
ces propos pourtant fort lucides, mais nuisibles à sa carrière universitaire.
Comme pour la
plupart des militants socialistes et anarchistes occidentaux, l’historien
spécialisé Mathiez ne voit l’expérience russe que de loin sans mesurer
l’enfermement étatique dans lequel les bolcheviks sont progressivement cloués.
Ah le poids de l’histoire ! Vovelle remarque, après T.Kondratieva que c’est à partir de la répression de
Kronstadt et de la NEP que les vieux opposants réformistes des bolcheviks, les
mencheviks, retournent l’accusation de « dégénérescence jacobine »,
de déviation petite bourgeoise, génératrice de dictature et de terreur,
compromettant l’avenir du prolétariat. Trotski taxera à son tour en 1927
Staline comme « jacobin de droite », « thermidorien » qui
s’apprête à fusiller « les jacobins de gauche ». Quand, au même
moment, Zinoviev et Staline craignaient un nouveau Bonaparte en la personne de
l’ancien chef de l’armée rouge, Trotski…
Paradoxalement,
c’est François Furet qui stigmatise les analogies simplistes et linéaires qui
ont prévalu tant dans la IIe Internationale que chez les historiens
stalinistes, parti dont cet historien a été membre dans sa jeunesse. On compte
plus d’historiens néo-jacobins que véritablement marxistes dans ces
interprétations sectaires et conservatrices, suggère-t-il, dans une vulgate
lénino-populiste on trouve une « superposition de deux images
libératrices, qui constituent le tissu de notre histoire contemporaine en
religion du progrès, et où l’Union soviétique joue dans la seconde le rôle
exercé par la France dans la première. »
Furet trouve
amusant que Soboul oublie une des principales idées de Marx sur l’Ancien
régime, la relative indépendance de cet Etat par rapport à la noblesse et la
bourgeoisie. Mais il est encore plus amusant de constater que Furet ne saisit
pas l’autonomie de l’Etat jacobin pendant la terreur et celle de l’Etat
bolchevik. La terreur a pour but de lutter contre la faim et de saisir meubles
et revenus des suspects pour les affecter aux frais de la guerre. La terreur
est aussi un hochet étatique politique démagogique[7].
JACOBINISME ET
LENINISME = POUPEES RUSSES ?
Furet croyait
régler son compte à la succession « progressiste » des révolutions de
1789 à 1917 en dénonçant ses collègues crypto-staliniens :
« …Pourquoi vouloir à tout prix,
construire cette chronologie de fantaisie, où à une phase
« bourgeoise » ascendante succède une période de couronnement
populaire, suivie d’une retombée bourgeoise, cette fois-ci
« descendante », puisque Bonaparte est au bout ? Pourquoi ce
schéma indigent, cette résurrection scolastique, cette misère des idées, cette
crispation passionnelle déguisée en marxisme ? La vulgate
mazaurico-soboulienne n’est pas constituée par une problématique originale qui
naîtrait d’un savoir, ou d’une doctrine : elle n’est plus qu’un pauvre
reflet de cette flamme immense et riche qui illuminait au temps de Michelet ou
de Jaurès, toute l’histoire de la révolution. Produit d’une rencontre confuse
entre jacobinisme et léninisme, ce discours mêlé n’est plus apte à la
découverte ; il tient tout entier dans l’exercice d’une fonction
chamanique résiduelle, à destination des rescapés imaginaires du babouvisme.
C’est pourquoi il est à la fois contradictoire et convaincant, incohérent et
irréfutable, agonisant et destiné à durer. Il
y a cent ans déjà, parlant de la gauche républicaine et ouvrière qui fonda la
IIIe République, Marx dénonçait la nostalgie jacobine comme vestige d’un
certain provincialisme français et souhaitait que « les événements »
permettent « de mettre fin une fois pour toutes à ce culte réactionnaire
du passé » (lettre à Cesar de Paepe, 14 septembre 1870).
Furet retourne
Marx contre ses anciens professeurs politiques pour justifier son enterrement
de la Révolution française. Mais il est encore plus confondant de considérer
que le propos de Furet, quand il n’est pas franchement réactionnaire à la suite
de Cochin, frôle la vérité en
reconnaissant la profondeur de Marx dans son analyse des rapports de l’Etat et
de la société, lorsque ce dernier
examine le 9 thermidor comme la revanche de la société sur l’Etat quand, pour
Engels, elle est due à la victoire « militaire révolutionnaire » de
Fleurus[8].
La chute de Robespierre est la revanche de la société civile pour Marx dans le
sens où elle marque les limites de l’Etat.
On ne trouvera
nulle réflexion argumentée sur la problématique de Thermidor par notre plouc
auvergnat[9]. Plus
que César ou Napoléon, Trotski réunit lui avec sa « plume de paon »
les qualités d’engagement de l’acteur et de l’historien autre qu’un simple
forçat du clavier d’Underwood, et force le respect dans la mesure où l’acteur
est un vaincu future victime du « thermidorien » Staline. Mais si
Trotski a forcé l’admiration de nombre de jeunes révolutionnaires à plusieurs
époques, il n’est pas possible dès la période de son propre déclin comme
théoricien de le considérer comme un « maître à penser » la
révolution du futur parce qu’il reste ficelé dans la problématique de la
révolution en Russie et les comparaisons simplistes qu’elle induit avec la
révolution française, et dans lesquelles il croit trouver la vérité de l’échec.
La Fraction de
la Gauche italienne en exil contestera l’analogie faite par Trotski entre
Thermidor et la réaction nationale stalinienne. Voyons d’abord comment Trotski
se défend, et lui ne s’arrête même pas aux derniers Montagnards les Crêtois,
mais va jusqu’au 18 Brumaire :
« Au sujet de Thermidor, vous faites
des réserves quant à la justesse de l’analogie entre la Révolution russe et la
Révolution française. Je crois que cette remarque repose sur un malentendu.
Pour juger de la justesse ou de la fausseté d’une analogie historique, il faut
en déterminer clairement la substance et les limites. Ne pas recourir aux
analogies avec les révolutions des siècles passés, ce serait tout bonnement
faire abandon de l’expérience historique de l’humanité. La journée
d’aujourd’hui se distingue toujours de la journée d’hier. Néanmoins, on ne peut
s’instruire à la journée d’hier autrement qu’en procédant par analogies.
La remarquable brochure d’Engels sur la
guerre paysanne est construite d’un bout à l’autre sur l’analogie entre la
Réforme du XVIe siècle et la révolution de 1848. Pour forger la notion de la
dictature du prolétariat, Marx fait rougir son fer au feu de 1793. En 1909,
Lénine a défini le social-démocrate révolutionnaire comme un jacobin lié au
mouvement ouvrier de masses. Je lui ai alors objecté d’une façon académique que
le jacobinisme et le socialisme scientifique s’appuient sur des classes
différentes et emploient des méthodes différentes. Considéré en soi, cela était
évidemment juste. Mais Lénine non plus n’identifiait pas les plébéiens de Paris
avec le prolétariat moderne et la théorie de Rousseau avec la théorie de Marx.
Il ne prenait comme décisifs que les traits généraux des deux
révolutions : les masses populaires les plus opprimées qui n’ont rien à
perdre que leurs chaînes ; les organisations les plus révolutionnaires qui
s’appuient sur ces masses et qui dans la lutte contre les forces de l’ancienne
société instituent la dictature révolutionnaire. Cette analogie était-elle
légitime ? Foncièrement. Historiquement, elle s’est avérée très féconde.
Dans ces mêmes limites, l’analogie avec Thermidor est féconde et légitime.
En quoi a consisté le trait distinctif du
Thermidor français ? En ce que Thermidor a été la première étape de la
contre-révolution victorieuse. Après Thermidor, les jacobins ne pouvaient déjà
plus (s’ils l’avaient pu d’une façon générale) reprendre le pouvoir que par
l’insurrection. De sorte que l’étape de Thermidor eût, dans un certain sens, un
caractère décisif. Mais la contre-révolution n’était pas encore achevée,
c'est-à-dire, les véritables maîtres de la situation ne s’étaient pas encore
installés au pouvoir : pour cela, il fallut l’étape suivante : le 18
Brumaire. Enfin, la victoire intégrale de la contre-révolution entraînant la
restauration de la monarchie, l’indemnisation des propriétaires féodaux, etc.,
fût assurée grâce à l’intervention étrangère et à la victoire sur Napoléon (…)
Quand nous parlons de Thermidor nous avons en vue une contre-révolution
rampante qui se prépare sous le manteau et qui s’accomplit en plusieurs étapes.
La première étape que nous appelons conditionnellement Thermidor signifierait
le passage du pouvoir dans les mains des nouveaux possédants
« soviétiques » des fractions masquées du parti dirigeant, comme il
en fut chez les jacobins. Le pouvoir des nouveaux possédants, surtout des
petits possédants, ne pourrait résister longtemps. Soit que la révolution
revienne sous des conditions internationales favorables, à la dictature du
prolétariat, ce qui nécessiterait forcément l’emploi de la force
révolutionnaire, soit que s’achève la victoire de la grande bourgeoisie, du
capital financier, peut-être même de la monarchie, ce qui nécessiterait une
révolution supplémentaire, voire même peut-être deux.
Telle est la substance de l’analogie avec
Thermidor. Il va de soi que si l’on dépasse les limites permises de l’analogie,
si l’on s’oriente d’après le mécanisme purement extérieur des événements,
d’après des épisodes dramatiques, d’après le sort de certaines figures, on peut
aisément s’égarer et égarer les autres. Mais si l’on prend le mécanisme des rapports
de classe, l’analogie ne devient pas moins édifiante que, par exemple,
l’analogie que fait Engels entre la Réforme et la révolution de 1848 »[10]..
Trotski est
dans l’erreur lorsqu’il imagine que les thermidoriens « redoutaient avant
tout un nouveau soulèvement populaire » (cf. son « Staline »
p.319) ; comme en Russie dans les années 1920, les masses étaient épuisées
et indifférentes au sort du « terroriste » victime du coup d’Etat,
Trotski n’est pas très cohérent dans ses multiples comparaisons du « prototype
thermidor » français avec
« l’inexplicable Staline ». Rien n’est comparable : ni Hitler,
ni Mussolini ni les tsars. La seule raison qui explique selon lui le fait que
le « thermidor russe » ne signifie pas « une nouvelle ère du
règne de la bourgeoisie » est que « ce règne est devenu caduc dans le
monde entier ». Certes, mais un siècle plus tard la bourgeoisie se porte
pourtant bien aussi en ex-URSS. Trotski vérifie le fait qu’on ne peut point
être juge et partie, historien et acteur. Il ne peut se défaire de cette
expérience où il a tout donné de lui-même et cela reste par conséquent, quand
même… « un Etat ouvrier thermidorien» !
Tout en
défendant justement le Trotski pourchassé, Bordiga se moque à son tour de la
comparaison avec le Thermidor de la révolution française en renvoyant la balle
sur le personnage de Trotski.[11]
Il raconte comment lui et les prisonniers communistes du camp d’Agramante,
geôle de Mussolini, récusèrent la notion de Thermidor dès 1924 :
« Etant donné que, d’après le lieu
commun scolastique, l’histoire est maîtresse de vie, dans le sens banal qu’elle
débite des répertoires d’obligation, le philistin de 1924 n’attendait pas
seulement le Thermidor russe, mais encore le bonapartisme. La figure de
Napoléon paraissait belle et toute prête ; c’était celle d’un Trotski,
chef de l’armée révolutionnaire qui avait écrasé toutes les coalitions, homme
riche à foison de toutes les qualités les plus brillantes à la figure
resplendissante comme l’aigle dans les tableaux de David parmi les aurores de
gloire du 19e ». Après avoir rappelé que Trotski n’avait
recherché ni gain ni gloire personnelle, Bordiga assène la vision des militants
emprisonnés : « Si, dans notre
vision de l’histoire, chaque révolution a raison, il ne serait par contre pas
exact de dire que toute idéologie révolutionnaire est juste et possède une
valeur définitive en regard du passé et du futur ».
Il considère
que Lénine n’a pas été renversé par un Thermidor mais « dévoré » et
« brûlé » par son dévouement à la révolution, ce qui est exagéré. Il
précise le moment contre-révolutionnaire de la révolution française auquel nous
allons essayer de réfléchir un peu plus :
« L’histoire commune considère comme
tournant de la révolution française le 27 juillet 1794 (dans le calendrier
révolutionnaire : 10 Thermidor de l’an IV), parce que Robespierre, qui
jusqu’alors avait mené la Terreur avec le Comité de Salut Public, fut
guillotiné ce jour-là par les adversaires de droite, sans que le peuple des
sans-culottes se soit levé en armes. La Terreur changera de mains, et la
contre-révolution débouchera sur le consulat de Bonaparte et sur
l’Empire ».
Les deux
révolutions de 1789 et de 1917 furent donc radicalement différentes. Bordiga
néglige pourtant lui aussi l’aspect premier de Thermidor, le coup d’Etat
militaire.
La définition
commune de Thermidor telle que la fournit Bordiga est elle-même insatisfaisante
et relève un peu du casse-tête que même Marx et Engels avaient eu du mal à
démêler. Contre-révolution par rapport à quoi ? Robespierre, malgré ses
déclarations contre la guerre et son exaltation d’un Etat pur, avait fini par
se comporter en véritable despote au point que ni les sans-culottes ni les
babouvistes ne purent regretter sa perte. La contre-révolution est déjà
victorieuse dès avant le 9 thermidor. A la fin de 1793 les luttes pour le
pouvoir des diverses factions se sont intensifiées au point que le peuple est
démobilisé et ne se sent plus ni concerné ni défendu, ce qui signe la fin de
toute révolution dont les représentants politiques sont coupés des masses. La
plus grande partie de ces politiques n’est plus constituée que de parvenus. La
contre-révolution est déjà active avant le 9 Thermidor puisque le massacre des
civils en Vendée - disproportionné même par rapport aux consignes draconiennes
fixées par le Comité de Salut Public - peut être comparé à la répression de la
Commune de Paris de 1871. Dans la mesure même où c’est la population civile,
même à majorité paysanne, et qui avait brûlé des châteaux au début de la
révolution, qui est victime des exactions de l’armée républicaine. Cette comparaison contre les clichés
séculaires sur la « Vendée réactionnaire », établie par l’historien
Pascal Gueniffey – n’ôte pas son
caractère ambigu et parfois barbare à 89-93 - mais innove là fort judicieusement contre la
confusion réactionnaire entre la marche républicaine de la révolution et son
soit disant aboutissement dans le génocide vendéen ; le boucher Carrier
fût lié aux jusqu’auboutistes hébertistes, petits bourgeois militaristes qui
avaient pour fonds de commerce la terreur à outrance. Avant cet auteur,
Jean-Clément Martin avait remarqué que : « La Vendée est d’abord le
résultat des maladresses, des incompétences, des illusions désastreuses des
républicains, qui n’ont pas voulu comprendre la nature de cette guerre, qui ont
donné la priorité à leurs propres querelles (…) les républicains ne voulurent
jamais reconnaître leurs propres erreurs qu’ils firent de la Vendée cette
énigme contre-révolutionnaire, argument idéologique spécieux, mais qui leur
garantissait l’impunité de leurs fautes et permettait la poursuite d’une
politique aveugle » (cf. La Vendée et la France, ed du Seuil, 1987,
p.132-133). Les soldats « bleus » engagés dans les colonnes
infernales avaient été nombreux à dénoncer les exactions, mais la terreur est
atténuée en Vendée surtout au moment de l’élimination de la fraction
hébertiste. L’idée révolutionnaire ne nourrit aucun fanatisme
exterminateur, les généraux tueurs
Carrier et Turreau obéissent à une logique d’Etat et de clan dans les luttes
pour le pouvoir à Paris. L’historien américain Timothy Tackett estime qu’il n’y
a pas de lien direct entre révolution et terreur.
La répression
inconsidérée contre des populations civiles, même arriérées, comme la terreur
contre les civils urbains peuvent être les prémisses de l’agonie d’une
révolution.
Premier
théoricien du prolétariat moderne, Babeuf proteste énergiquement contre les
massacres en Vendée, et contre les thermidoriens il indique que le mouvement de
« résistance à l’oppression » sera formé par des « Vendées
plébéiennes ». Camoin en bon élève primaire des historiens stalinistes se
garde d’épiloguer sur une position de Babeuf scandaleuse à ses yeux. Le livre
de Philippe Riviale, « L’impatience du bonheur , apologie de Gracchus
Babeuf », est un bonheur à lui tout seul, il montre à plusieurs reprises
comment chez le communiste précurseur Babeuf il n’y a pas d’illusion sur le
terrorisme et le militarisme, contrairement à certains de ses compagnons encore
imprégnés de la tradition bourgeoise jacobine comme Darthé.
Jean-Paul
Bertaud formule l’imbroglio de la méprise parisienne : « A Paris, les Jacobins et les
sans-culottes, mal informés par la bourgeoisie locale, assimilent très vite les
Vendéens révoltés à des « brigands » contre lesquels ils demandent la
plus extrême des répressions. Les Jacobins vivent depuis longtemps dans la
hantise du complot aristocratique » (cf. La révolution française, p.198). Le
rappel de l’exterminateur Carrier par le Comité de Salut Public et Robespierre
restaure provisoirement leur autorité contre les concurrents futurs
thermidoriens, mais il ouvre la voie à la revanche de ces supporters de la
terreur militaire. Le coup d’Etat du 9 thermidor est un complot de l’armée de
Carnot (dont Camoin salue la capacité à conduire les affaires militaires), coup
d’Etat qui n’est pas assez mis en évidence par les historiens qui se focalisent
sur celui de Bonaparte cinq ans plus tard ni par les héritiers
révolutionnaires.
La chute de
Robespierre symbolise le point limite politique auquel la bourgeoisie pouvait
prétendre parvenir mais qui devait être annihilé pour faire place au culte du
profit et au maintien en place des féodalités financières naissantes dans la
poursuite de la guerre. La bourgeoisie fait Thermidor au nom de la révolution.
L’attaque contre l’homme symbole de la révolution est menée par deux anciens
hébertistes Collot d’Herbois et Billaud-Varenne au sein d’une coalition
hétéroclite va-t-en guerre. Dans l’atmosphère d’immobilisation de la
révolution, la surenchère est la règle. Billaud-Varenne reproche à Robespierre
« de n’être pas assez révolutionnaire », autrement dit pas assez
militariste, tout comme l’équilibriste avait reproché son indulgence à Danton
contre l’abus de la guillotine.
Bordiga tire
un coup de chapeau à Robespierre – bien qu’en négligeant toujours son
obstination contre le militarisme - qui était arrivé « dans ses discours
impétueux » à dire : « Les révolutions qui ont eu lieu dans
les trois dernières années ont tout fait pour les autres classes des citoyens,
presque rien pour la plus nécessaire, pour les citoyens prolétaires n’ayant
d’autres propriétés que leur travail. La féodalité a disparu, mais non à leur
avantage, puisque dans les campagnes affranchies, ils ne possèdent rien…
L’égalité civile a été instituée, mais il leur manque l’instruction et
l’éducation »[12].
La Terreur
blanche ne fut pas moindre que la rouge – la Terreur n’a fait que changer de
mains, comme le dit bien Bordiga - et l’une et l’autre restent indéfendables du
point de vue du prolétariat moderne.
Ce moment de
la contre-révolution féodale mais sans pouvoir rétablir la monarchie n’est pas
un moment que le prolétariat aurait pu saisir pour défendre l’idéologue
« pur » de la bourgeoisie – le « naufrage rationaliste »
rousseauiste selon Bordiga[13] -
mais un moment historique inévitable qui ne se reproduira pas ni ne pourra
servir d’exemple à une autre révolution. En Russie, au début des années 1920,
on assiste à un long combat à l’intérieur du même parti et du même Etat.
Trotski n’est pas le nouveau Robespierre ni Staline le nouveau Napoléon.
Bordiga, qui, contrairement à Lénine a lu sérieusement les discours de
l’incorruptible, passe un peu vite sur sa lutte contre la guerre, mais par un
raccourci qui pose la question du rayonnement de la révolution en terme de
défense plus qu’en terme de conquête militaire : « Réticent tout
d’abord à l’égard de toute guerre des peuples, et après la déclaration contre
toute guerre de conquête territoriale, il trouva dans la fureur de la défense,
le levain de la force de la révolution qui permit d’incroyables victoires contre
une foule d’ennemis».
La révolution
russe qui ne se fonde pas initialement sur l’exaltation de la patrie « fut
elle-même prolétaire et rouge » est un phénomène intrinsèque. Bordiga
n’exalte pas l’armée rouge, il faut « la guerre civile anti-bourgeoise en
Europe et partout ». Après la mort de Lénine on n’assiste pas à des
« bouleversements sinistres de palais ». L’agonie d’une révolution
prolétarienne est plus compliquée que celle d’une révolution qualifiée de bourgeoise. La base de l’échec est là avant
tout économique, l’enfermement dans une économie rabougrie :
« L’économie prolétarienne avait besoin de la dictature européenne et
ensuite mondiale». La renonciation à réaliser la refonte de l’économie mondiale
sous les principes communistes date de 1926 où « le grand acteur de scène
fut Staline et il l’emporta sur des lutteurs généreux : Trotski, Zinoviev,
Kamenev. » Par le retour à la défense de la patrie le nouveau dictateur
fait même régresser le projet social initial alors que Napoléon avait pu prétendre
l’étendre au monde, il ridiculise le communisme quand il était concevable que
la notion de patrie restée vivace après 1794 :
« La révolution française était tombée
sans abattre son Mythe, la Patrie, dans lequel Robespierre croyait comme un
enfant, autant que dans la Vertu, qu’il identifiait lui, l’incorruptible des
sans-culottes, avec la Terreur elle-même sur les traîtres, sur les vendus.
La volte-face de Staline, c’est comme si
Cambronne, au lieu de lancer à la face des vainqueurs son cri légendaire, avait
hurlé : la Garde, baissez culottes !
La victoire avait été abandonnée à
l’adversaire historique de la Dictature, le Capital d’Occident, qui ne se la
laissera pas arracher par les folies napoléoniennes du Moustachu.
(…) « Etat de tout le peuple après la
fin de la dictature du prolétariat ». De la merde ! Voilà non pas un
synonyme mais un homonyme de la démocratie ».
Les
révolutions française et russe ne s’emboîtent pas l’une dans l’autre et ne sont
pas des maisons de poupées, mais dans les deux cas la guerre a interféré dans
le cours des événements.
LE CULTE DE LA
VIOLENCE D’UN ROND DE CUIR
« Somme
toute, la révolution n’apparaît jamais et ne s’effectue jamais que par la
violence et la violence organisée en armée » (Camoin p.24).
Ou comment
mêler une notion de base évidente ! La révolution est violence contre
l’ordre existant, les prolétaires s’emparent des armes après avoir paralysé le
mode de production bourgeois, Camoin réduit la violence en général à la
constitution de cette truie « l’armée révolutionnaire », invention
jacobine et bolchevique. Cette notion d’armée révolutionnaire n’existe pas dans
tous les congrès des deux premières Internationales ni dans les écrits des
meilleurs théoriciens. En bon élève « primaire » de l’école stalinienne,
Camoin réduit l’action inévitablement violente des masses à l’apparition d’une
armée « étatique ». Il ne nous démontre jamais la validité d’une
armée révolutionnaire pour une extension (impérialiste) de la révolution
mondiale et dénonce comme pacifiste tout contradicteur sur cette lubie
stalino-trotsko-guévariste ! Alors il va se promener dans la révolution
française pour lui trouver justification. Il oublie systématiquement de se
relire en plus. Dans le précédent ouvrage il avait repris une partie d’une lettre
d’Engels à Marx qui dénonçait la violence désordonnée de la canaille, de la lie
du peuple. La violence de la révolution française est pure, dit-il. « La
Révolution française s’est réalisée avec une violence irrésistible et non avec
des moyens pacifiques ». Ah bon, les débats dans la Convention et dans les
clubs, les lois votées étaient « irrésistiblement violents » ?
« C’est
le peuple (les ploucs auvergnats de Paris ?) qui décida la gauche jacobine
à mettre la Terreur à l’ordre du jour ». Et de saluer Marat, qu’il avait
enfoncé comme Babeuf et les autres dans sa compil précédente ! Et de
glorifier le meurtre de la garde suisse, mais pas les massacres de
septembre ? Pour se rattraper de son oubli des sans-culottes du tome I, il
accuse à son tour Trotsky d’avoir oublié les bras nus et pas compris Thermidor
(aucune référence ni démonstration avec ce genre d’affirmations pédantes). Le
peuple laborieux des bras nus est donc une classe constituée dès 1789 défendant
« des intérêts de classe exploitée, dotée d’immenses capacités
révolutionnaires » !?
Il tacle au
passage « la méconnaissance » de la masse des sans-culottes par
Engels. Excusez du peu.
« Les
bras-nus (sans-culottes ?) parvinrent à exercer leur propre dictature de
classe ». Par des assassinats aveugles ? Les bras nus sont « l’aile
prolétarienne de la sans-culotterie ». « Serfs, faubouriens,
basochiens ( ?), littérateurs, chanteurs… formèrent les bataillons de la
guerre révolutionnaire ». Voilà tout ce bon peuple parisien auréolé du
sceau du trouffion rangé des barricades, obéissant à des généraux
anti-dynastiques, démocratie avancée au pas cadencé. Puis notre faux général
auvergnat va s’engager dans « l’art militaire », fondamental démarche
dans l’esthétique révolutionnaire, auréolée cette fois du général Engels. Niant
d’une tape féroce sur son clavier toutes les protestations des clubs et des
masses faubouriennes et paysannes contre la guerre, l’auvergnat chausse ses
sabots lyriques patriotiques : « Sur le front, les sans-culottes se
distinguaient par leur courage à vaincre les ennemis extérieurs, comme ils s’étaient
distingués dans la lutte à l’arrière contre les privilégiés d’Ancien régime ».
Les bras-nus (pas encore obligés de se couper les tifs), sarclés dans la
hiérarchie militaire « ne sont plus une masse entraînée mais une force
entrainante » ! Les discours de Pétain à Verdun étaient de la même
eau pour leur armée « disciplinée ».
Invoquant,
sans citer une phrase les grands originaux Marx et Engels, sans tenir compte de
leurs propres remises en cause sur la question, la faux général auvergnat considère
que la guerre révolutionnaire n’est pas devenue impérialiste, c’est vrai
(Lénine définit l’apparition de l’impérialisme au début du XXe siècle), c’est
vrai aussi qu’on peut la classer comme « guerre de diffusion du mode de
production capitaliste ». Mais ce n’est pas si simple. Même avant Napoléon
elle deviendra une guerre de conquêtes et de pillages éhontés. Mais ces guerres
et les colonisations ne peuvent être considérées comme le seul mode de
diffusion du capitalisme qui reste l’expansion du commerce et l’installation au
pouvoir de la classe bourgeoise. Monsieur Camoin glisse ses affirmations
incongrues à rebrousse-poil au milieu de ses considérations qui se croient
indiscutables, dont un fleuron est cette saillie anti-marxiste : « Par
son essence ( à tanks ?) la guerre est bien un moment paroxystique de la
lutte de classe » ; Briand et Jules Guesde ne dirent pas autre chose
en 1914 !
L’armée
remplace le parti et les Conseils ouvriers : « il faut une direction
de classe dont une des conditions premières est l’armée révolutionnaire ».
Il efface à la manière stalinienne le débat ardent entre Girondins, partisans
de la guerre et les Jacobins, mais salue la position royaliste des Girondins
qui « par leur bellicisme et opportunisme » « poussèrent les
Montagnards à se radicaliser ». Voici donc l’entrée en guerre décrétée « radicalisation
révolutionnaire », laquelle radicalisation, nécessaire à la jeune
bourgeoisie, jeta dans la misère et la mort les masses de bras-nus !
La suite est
encore une addition livresque de parcours individuels où notre potache
auvergnat découvre le littérateur Choderlos de Laclos (que connaissent tous les
lycéens en phase terminale) qui, outre
ses célèbres « liaisons dangereuses », est loué pour son invention du
« boulet creux », un obus d’un autre genre que la charge creuse qu’il
m’envoya en guise d’argument de cuistre patenté à son nombril.
Imaginez à
présent notre faux général auvergnat avec perruque poudrée et cris stridents :
Romme, Robespierre et Saint Just « étaient des vertueux au plein sens du
terme (…) Seule la vertu empêchait les abus de ceux que la République avait
investis d’une telle autorité ». Camoin aussi est « vertueux »
quand il s’agit d’envoyer des masses « disciplinées » au casse-pipe.
Les âneries s’ajoutent aux âneries, ainsi de l’invocation d’un « droit à l’insurrection du peuple »
(cela plaira à Hazan et aux Ticouns) qui n’a jamais existé dans la Constitution
bourgeoise.
Il affiche la
sale gueule d’un de ses héros militaristes préférés, Gilbert Romme car c’est un
« pays », il est natif de Riom « ville d’art » (clin d’œil au
Conseil général d’Auvergne et à ses éventuels subsides pour une réédition dans
les vecteurs commerciaux de pénétration et d’influence de Volcanie ?)
La bio qui
suit concerne un autre pays crêtois Soubrany. L’autre auvergnat encensé dans un
autre follculaire, l’unijambiste Couthon, est curieusement négligé dans l’opus
compilatoire. Riom a tant donné à la patrie d’illustres inconnus qu’il en
égrène avec délectation plouc les noms en recopiant leurs notices en la
bibliothèque municipale de Riom. Rions. Suit un délire de notices compilées les
unes derrière les autres pour servir de ferment culturel aux jeunes générations
arvergnes, puissante confédération regroupant les Gabales, les Vellaves, les Cadurques.
De la violence
purement militaire on glisse insensiblement vers la description des douceurs du
Massif central (Romme et l’agriculture !?) : « Riom se trouve
dans la Grande Limagne qui est un ancien lac d’eau douce de la période du
miocène, comblé par des sédiments alluvionnaires de l’Allier… ».
Ohé le Conseil
général de Chamalières n’ignorez plus un historien local d’envergure jacobine !
LE THERMIDORISME
A LA SAUCE CAMOIN
Page 115
commence l’histoire des fameux Crêtois. Enfin. L’auteur auvergnat ne peut s’empêcher
de glisser encore une de ses habituelles affirmations ponctuelles non
démontrées et bizarres ; il voit « les points communs du
thermidorisme avec le fascisme et le stalinisme ». Les futurs Crêtois
étaient des purs : « ils se tenaient dans l’ignorance des intrigues
des consuls ». Surgissent sans crier gare « les Clichéens » dont
on ne saura jamais s’ils étaient habitants de Clichy ou Gables et Cadurques.
Comprendra
Thermidor qui voudra avec les clichés camoinesques (relire l’analyse
historique de Thermidor en avant-propos de cet article) : « La
Révolution suscita Thermidor, non remise en cause de la Révolution au profit de
l’ancien régime mais réaction qui
enterrait le processus de révolution permanente ». Que comprendre de ce
galimatias, que ce ne sont pas les classes rétrogrades hostiles aux objectifs
généreux des bras nus qui ont voulu l’arrêt de la révolution ? Et que
vient faire cette notion, surtout connue comme trotskienne de « révolution
permanente » ? Après avoir survolé les Muscadins, on apprend aux
lycéens de la régence hollandaise que l’époque thermidorienne était l’âge d’or
du culte du profit, suivi par du bla-bla sur Richard III et Voltaire, plus une
accumulation dispendieuse de biographies de Crêtois, aimablement salués pour
leur militarisme. En cours de tournée des popotes on croise encore Babeuf qui
un temps « a fait chorus avec les réactionnaires de tout poil » et où
notre arverne hautain apporte son soutien au boucher Carrier contre Babeuf.
Notre
souffrance de lecteur n’est pas terminée avec Prairial et Germinal car Camoin
se complait à accumuler la datation jacobine sans placer entre parenthèses l’équivalence
du calendrier grégorien. On se sent perdu. On ne sait plus si l’on est en 1792
ou 1795. Pour « faciliter l’intelligence des événements de Germinal et de
Prairial », le futur médaillé de Volcanie livre le plan de la Convention
en son état d’alors, cinq pages avant, plan aussi instructif que la coupe d’une
rame de métro et la gare de Riom.
Finalement ces
Crêtois n’étaient-ils pas simplement des crétins anti-marxistes ?
« N’armant
pas la masse, ne lui inspirant pas des idées indispensables contre Thermidor,
les Crêtois n’assurèrent pas au mouvement une direction autorisée (l’armée
révolutionnaire ? sic) et la masse ne réduisit rien en cendre du nouvel
Etat qu’elle avait en face d’elle. Les soldats obéirent à leurs chefs. Au plus
fort de l’émeute, les Crêtois prêchaient la réconciliation des partis. Qui n’examine
pas mainte et mainte fois le problème de l’armée – problème capital de la
révolution – celui-là n’est qu’un fossoyeur de l’insurrection qui est tôt ou
tard inévitable ».
« A une
insurrection, il faut nécessairement un fort groupe armé capable de manœuvrer,
non une cohue indisciplinée, des cadres politiques avec de bonnes liaisons, un
réseau entier enserrant les masses, les impulsant ou les réfrénant suivant les
situations, et répartissant leurs forces en colonnes d’assaut ayant chacune un
objectif bien déterminé (…) Les Crêtois n’agissaient pas comme une avant-garde
capable de diriger les luttes de la masse ».
Ainsi après
nous avoir instillé qu’il allait nous révéler un incroyable oubli historique,
notre faux général auvergnat, qui nous a tant barbé à citer à tire larigot, après
avoir tant copier-coller, tant tourné les pages des dictionnaires de son bled
et de Marseille, nous laisse bouche bée : les Crêtois étaient des nuls.
Comme justification de l’armée stalinienne il aurait pu trouver mieux.
[1]
Question que pose un autre autodidacte, plus brillant, Eric Hazan en conclusion
de sa passionnante « Une histoire de la révolution française » (Ed La
Fabrique), que je conseille comme saine lecture aux jeunes étudiants bac + 5 comme
aux jeunes ouvriers bac – 3. Je suis évidemment d’accord avec les
conclusions de cet auteur plutôt qu’avec les jongleries complètement
paradoxales de Camoin, qui dit presque tout et son contraire. Même si je n’aime
pas le travail parallèle de cet auteur-éditeur qui a passé son temps jusqu’ici
à publier les écrits fumistes de jeunes anarchistes déphasés qui ont un peu
trop fait parler de leur phraséologie creuse au moment d’une étrange
manipulation étatique autour du sabotage de caténaires.
[2] La
plupart des révolutions prolétariennes ont échoué sur le plan militaire, Paris 1848
et 1871, Berlin 1919-1923, et dans le cas de la Russie parce que le militarisme,
la militarisation de la société, a gagné de l’intérieur.
- Site des Annales historiques de la Révolution française
- Revues.org
- Liste des revues labellisées par le CNRS 2007-2008 sur les pages du département sciences humaines et sociales
- Page sur la Société des études robespierristes dans l'Annuaire des sociétés savantes
- Numéros disponibles en ligne sur Persée
[4] Françoise Brunel, « Les
derniers Montagnards et l'unité révolutionnaire », Annales
historiques de la Révolution française, vol. 229, no 229, 1977, p. 385-404 [texte
intégral]
[5]
Anerie camoinesque : « Une classe forte fait une révolution
forte ; un parti révolutionnaire fort, la Montagne (auvergnate ?
JLR), fit une forte révolution et il en résulta une nation forte »
(p .23).
[6]
cf. Michel Vovelle, Les Jacobins p.137.
[7]
« Soyons terribles, pour empêcher le peuple de l’être », Danton.
[8]
Il s’agit de la victoire de Jourdan en Belgique contre l’Angleterre et la Hollande en 1794 qui
vient conforter la « guerre révolutionnaire ».
[9] Mais
foule d’âneries staliniennes : « La Révolution russe eût sa Vendée
avec Cronstadt ». Jeanne d’Arc eût
aussi son évêque Cauchon.
[10]
Lettre aux communistes de gauche italiens (aux partisans du cam. Bordiga),
lettre de Léon Trotski du 25 septembre 1929 in Bulletin d’Information de la Fraction de Gauche
italienne n°2, sept. 1931.
[11] Clef
des changements de scène des « grands acteurs » de l’histoire, Il
Programma Comunista n°23, 1964, republié et traduit in Invariance n°5, janvier
1969.
[12] Cité
in Clef des changements de scène des « grands acteurs » de
l’histoire.
[13]
Camoin voue aussi hélas un culte à Rousseau qui reste un personnage ambigu, qui
a pillé pour l’essentiel Diderot, qui est mal placé pour donner des conseils
sur l’éducation des enfants… et dont la théorie égalitariste est tout sauf
communiste, surtout pas pré-marxiste, mais tendance pré-khmer rouge !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire