D’après l’intéressante et novatrice biographie
de Trotsky par Robert Service (ed Perrin, 2009, 27
euros)
(après l’invasion
des trois pays baltes par l’armée stalinienne en juin 1940, in chapitre 50 :
La Seconde Guerre mondiale)
« … S’il
estimait faibles les compétences du Kremlin, Trotski avait pleinement approuvé
le principe de la campagne militaire soviétique. Il prétendait que la « soviétisation »
apporterait un bénéfice inestimable à la Finlande. A New York, la fraction
minoritaire du Socialist Workers’ Party – la plus importante des dernières
grandes organisations trotskystes – formula des objections. Ses membres
détestaient ce qu’ils appelaient « l’impérialisme stalinien » et
rejetaient l’hypothèse de Trotski selon laquelle l’armée rouge aurait déclenché
une guerre civile en Finlande. On avait au contraire assisté à une résistance
nationale face à une invasion extérieure. La fraction minoritaire elle-même,
dont les membres se rangeaient du côté de Trotski, mit en doute son analyse de
la situation. Le révolutionnaire refusa de céder. Dans une lettre adressée à Joe
Hansen, il fit remarquer qu’en 1920 les mencheviks eux-mêmes avaient admis que
la guerre russo-polonaise avait mené à la guerre civile en Pologne (déjà à l’époque
c’était une connerie, ndt). Il soulignait la similitude avec la situation en
Finlande et continuait à croire en la victoire de l’armée rouge accompagnée d’une
insurrection communiste finnoise, jusqu’à la conclusion d’une paix entre Moscou
et Helsinki.
En même temps il
enrageait contre les camarades qui prenaient parti dans la guerre en Europe. Sa
rigidité intellectuelle s’accentuait. Il était figé dans ses souvenirs de la
Grande Guerre, et se remémorait comment, à l’instar des autres délégués de la « gauche
de Zimmerwald », il avait jeté l’anathème sur les parties belligérantes.
Le Reich allemand et l’empire d’Autriche s’étaient montrés aussi mauvais que l’Empire
britannique, la France de Napoléon et la Russie tsariste. Il énumérait les
événements qui avaient jalonné les débuts du communisme – comme d’habitude de
façon tendancieuse. Il se souvenait de la querelle bolchevique au sujet des
accords de Brest-Litovsk en 1918, quand Boukharine avait défendu la guerre
révolutionnaire en dépit de la faiblesse militaire du gouvernement soviétique
(il omettait de préciser qu’il était lui-même alors plus proche de la position
de Boukharine que de celle de Lénine). Pour sauver la révolution d’Octobre,
Lénine préférait signer une paix séparée avec les Puissances centrales ;
il stipulait aussi que, si une révolution socialiste devait éclater en Allemagne,
l’armée rouge serait envoyée en renfort, même si cela impliquait de sacrifier
le « pouvoir soviétique » en Russie. Trotski voulait appliquer cette
stratégie léniniste à la Seconde Guerre mondiale. Si les ouvriers allemands
devaient se révolter contre Hitler, écrivit-il à Shachtman, « nous dirions
que nous devons subordonner les intérêts de la défense de l’Union soviétique
aux intérêts de la révolution mondiale ». Il faisait bien remarquer qu’il
ne demandait pas un « soutien inconditionnel au Kremlin ». Sur le
plan formel cette déclaration avait l’air justifiée, sauf que l’argument était
assez spécieux, en 1939-1940, dans la mesure où il n’existait pas l’ombre d’un
soulèvement au sein du prolétariat allemand. Le contrôle des nazis sur la
société allemande n’avait jamais été aussi étroit. En réalité, Trotski
sous-entendait là son engagement total à la défense de l’Union soviétique. Il
était disposé à autoriser un débat sincère sur la question et se prononçait
contre l’application de sanctions organisationnelles à l’encontre de la faction
minoritaire du Socialist Workers’Party. Il ne fallait pas interdire les
factions mais au contraire encourager la minorité à publier un bulletin
interne. Il prit contact avec Hansen : « Nous ne sommes pas des
bureaucrates, au contraire. Nos règles ne sont pas immuables. Nous sommes des
dialecticiens, et dans le domaine organisationnel aussi ». la discussion
qui en résulta ne convainquit pas Shachtman, qui continua à critiquer Trotski
sur la politique ukrainienne, le traité germano-soviétique et la Finlande (…)
Ses partisans
étaient devenus trotskistes parce qu’ils le considéraient comme le plus
farouche adversaire du fascisme. Et le voilà qui déclarait que le Troisième
Reich et la France républicaine ne valaient pas mieux l’un que l’autre. Les
tensions s’accrurent au sein du Socialist Workers’Party. Trotski craignit de
voir ses membres quitter le IVème Internationale. Il demanda à Joe Hansen, son
plus fidèle acolyte à New York, de tout faire pour empêcher la scission. A cet
égard au moins il ne calquait pas son attitude sur celle de Lénine durant le
premier conflit mondial (…) Shachtman n’en quitta pas moins la fraction
pro-Trotski du mouvement américain, pour ne jamais y revenir. Trotski avait été
le grand unificateur de la social-démocratie russe avant 1914 (faux, Trotski
sur le plan organisationnel était un nul comparé à Lénine, ndt). Désormais il s’attirait
inutilement des ennemis : il était devenu le Lénine de sa propre
internationale en temps de guerre. A ceci près que le second conflit mondial ne
lui offrait pas de contexte révolutionnaire à exploiter, au contraire de Lénine
en 1917. En mai 1940, la France se
réveilla vaincue après une guerre éclair. Puis ce fut l’occupation, et les
trotskistes français, déjà contraints d’opérer dans la clandestinité à cause de
leur opposition à la guerre, se virent obligés de défendre leur vie. En tant
que mouvement international, le trotskisme avait terriblement souffert. (…)
Soudain, en juin
1940, il (Trotski) proposa de tendre la main au Komintern. Il reprocha aux
leaders trotskistes new-yorkais de poursuivre leurs attaques en direction du
parti communiste des Etats Unis. Il argumenta : « Les stalinistes
sont issus d’un courant légitime du mouvement ouvrier » et « font
preuve d’un grand courage ». La Quatrième Internationale devait donc
essayer de séparer la « base » des membres de la direction communiste
officielle. Il confirmait qu’il était toujours dans le coup, intellectuellement
et politiquement (ayant eu vent sans doute de l’accusation de dégénérescence par
les camarades de Bilan : « un renégat à la plume de paon », ndt).
Et il demandait à ses partisans de se considérer comme des « militaristes
révolutionnaires prolétariens », parce qu’un jour, bientôt, peut-être, ils
seraient peut-être amenés à prendre les armes contre les envahisseurs de l’Union
soviétique ».
Une prédiction
très en faveur des… Alliés bourgeois puisque plus de 300.000 soldats US furent
tués en Normandie pour aider Staline à se débarrasser d’Hitler à Stalingrad…
Gageons qu’il y eût des trotskistes dans le débarquement, tués eux aussi, comme
ceux qui participèrent à la « guerre révolutionnaire » pour la
Libération de Paris… pour mesurer combien une antique notion girondine et bolchevique
(tendance com. De gauche) a sombré dans le ridicule, l’obsolescence et la récup
dans le giron patriotard.
NB: Drôle de révolutionnaire ce "ministre prolétarien" Trotsky qui espère une alliance avec les armées bourgeoises occidentales avec ladite "armée rouge": "Il poursuivit ses discussions avec les représentants des Alliés, et le 5 mars, soit deux jours après la signature du traité de paix, il demanda aux Américains s'il pouvait compter sur leur assistance au cas où le Sovnarkom déciderait d'attaquer l'Allemagne" (ibid, p.248). Comique ce partisan de la "guerre révolutionnaire" avec des armées bourgeoises à ses côtés!
NB: Drôle de révolutionnaire ce "ministre prolétarien" Trotsky qui espère une alliance avec les armées bourgeoises occidentales avec ladite "armée rouge": "Il poursuivit ses discussions avec les représentants des Alliés, et le 5 mars, soit deux jours après la signature du traité de paix, il demanda aux Américains s'il pouvait compter sur leur assistance au cas où le Sovnarkom déciderait d'attaquer l'Allemagne" (ibid, p.248). Comique ce partisan de la "guerre révolutionnaire" avec des armées bourgeoises à ses côtés!
PS : contre
toutes les âneries entretenues dans le milieu maximaliste sur le mythe de la
guerre révolutionnaire (et le livret anarchiste et SR de Sabatier, « Brest-Litovsk »),
lire Philippe Riviale : « La Ballade du temps passé : guerre et
insurrection de Babeuf à la Commune », Anthropos 1977, et mon propre
ouvrage : La guerre révolutionnaire de Robespierre à Lénine.
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