Crise : pourquoi 2009 n'est pas 1929
Pascal Perrineau, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). 02/12/2009 (in Le Figaro).
Article intéressant qui illustre quand même les limites de la lucidité de certains bourgeois. Perrineau différentie une situation actuelle, qu’il croit simplement conciliatrice vis-à-vis du réformisme, avec 1929 où il y aurait eu « radicalisation » ? En oubliant de dire que cette pseudo radicalisation, colère impulsive contre la crise, était canalisée dans l’ornière nationale des fronts popus et des fascismes. Or, malgré les efforts du chauvinisme sarkozien (entre autres) secondé par le PCF, les histoires d’identité nationale font le bide. Pire qu’en 1929, l’absence d’encadrement du prolétariat dans des partis de masse et la méfiance envers toutes les sectes politiques et les inénarrables syndicats, est autrement inquiétante. Mais les politologues ne peuvent ou ne veulent pas le souligner ; sauf si c’est pour nous assurer que les « pauvres sont désespérés » et qu’ils n’ont plus aucun marxisme pour leur enseigner un projet alternatif de société.
JLR
« La crise économique et financière qui a éclaté à l'été 2008 est la crise la plus importante que le capitalisme ait connue depuis celle de 1929. Les effets politiques de cette dernière furent délétères : Hitler arriva au pouvoir en 1933, une vague autoritaire s'étendit sur l'Europe et la démocratie libérale fut sur la défensive, particulièrement en France, avant de céder elle aussi la place à la dictature. Quatre-vingts ans plus tard, c'est souvent au prisme de la crise de 1929 qu'est pensée la question des effets politiques de la crise.
Dans de très nombreuses réactions d'acteurs politiques et d'intellectuels, on insiste sur le caractère menaçant des effets politiques de la crise. Le 16 septembre 2008, l'homme d'affaires Georges Pébereau précise dans un article du journal Le Monde : «… nous sommes dans une période prérévolutionnaire ». L'ancien premier ministre Dominique de Villepin reprend cette antienne en avril 2009 en déclarant qu'il «existe un risque révolutionnaire en France ». Olivier Besancenot prophétise le 1er septembre 2009 sur RMC : «Il faudra que ça pète. » Dans un discours du 29 janvier 2009, le président de la République parle des risques d'un «nouveau totalitarisme». Un même type d'approche est repris par les analystes quel que soit leur bord. À titre d'exemple, Nicolas Baverez, le 16 août 2009, déclare : «La déstabilisation des classes moyennes par le chômage de masse peut mettre en péril la démocratie.» Même si l'on avance que «l'Histoire ne repasse pas les plats», il y a de manière omniprésente la référence aux années 1930 et aux perturbations politiques majeures qu'elles ont connues. Au regard de la France de ces années-là, la situation politique actuelle est pourtant bien différente.
Situation très contrastée
À l'époque, les partis extrêmes du PCF aux ligues fascisantes comptaient presque un million d'adhérents. Qu'en est-il aujourd'hui ? La crise n'a déclenché aucune dynamique militante. Les formations extrémistes restent très faibles : le Front national compte quelques dizaines de milliers d'adhérents, quant au Nouveau Parti anticapitaliste, avec 9 000 adhérents, il ne fait pas recette. Bien qu'active dans l'animation de certains mouvements sociaux, l'extrême gauche est loin d'avoir les moyens de son «grand soir».
La situation dans les urnes est également très contrastée. La crise de 1929 avait nourri en son sein une poussée électorale des extrémismes en France et ailleurs. Aujourd'hui le message envoyé par les urnes semble être beaucoup plus modéré. Si l'on prend comme référence les élections européennes de juin 2009 dans les vingt-sept pays de l'Union et avec la prudence qu'implique une participation faible (40,6 % des inscrits), la plupart des majorités de droite modérée au pouvoir ont été sinon plébiscitées du moins soutenues (Allemagne, France, Italie, Pays-Bas). Dans l'Hexagone, on a pu constater une progression de l'extrême gauche (de 3,3 % en 2004 à 6,1 % en 2009) mais aussi un déclin de l'extrême droite (de 9,8 % en 2004 à 6,3 % en 2009). Dans l'ensemble, les forces extrémistes ne représentent qu'un modeste poids d'environ 12,5 % équivalent à celui de 2004. Dans un récent sondage Ifop-Valeurs actuelles du 2 novembre 2009 sur les intentions de vote pour une élection présidentielle, le rapport de forces est le suivant : Nicolas Sarkozy 28 %, Martine Aubry 20 %, François Bayrou 14 %, Marine Le Pen 11 %, Olivier Besancenot 9 %, Dominique de Villepin 8 %, Cécile Duflot 5 %, Marie-George Buffet 3 %, Nathalie Artaud 1 %, Nicolas Dupont-Aignan 1 %. Le président sortant arrive largement en tête du 1er tour, les droites rassemblent 48 %, les gauches 38 % et le centre 14 %. Les effets de radicalisation ne sont pas majeurs : l'extrême gauche est en légère hausse (7,1 % en 2007), l'extrême droite est stable (10,7 % en 2007). La première atteint ses meilleurs niveaux chez les jeunes (17 %) et les professions intermédiaires (13 %) particulièrement du secteur public, l'extrême droite gardant un haut niveau d'influence dans la population ouvrière (24 %) et le secteur privé. Pour l'instant on n'a pas l'impression d'un «arc de forces démocratiques» qui craque sous le poids de la crise. Mais les effets dissolvants de celle-ci n'ont peut-être pas fait toute leur œuvre.
Dernier exutoire de la crise : la rue. Dans les années 1930, nombre de manifestations, qu'elles soient à l'initiative de l'extrême gauche ou de l'extrême droite, dégénéraient. Les morts se comptaient par dizaines, les blessés par milliers. La violence politique était bien portée : le secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, expliquait en 1931 que «les barricades portent la lutte de classe à son niveau le plus élevé ». L'extrême droite n'était pas en reste sur le terrain de la glorification de la violence et Charles Maurras expliquait doctement que sa «violence tend à fonder la sécurité intérieure de (sa) patrie ».
Recherche d'alternatives
En 2008-2009, nous sommes très loin d'un tel encensement de la violence politique. Certes, aux confins de l'ultragauche, réapparaît une certaine fascination pour une violence parée à nouveau de vertus rédemptrices. Ce courant très minoritaire s'est livré à de véritables saccages à deux reprises, en avril 2009 à Strasbourg dans le cadre de manifestations contre l'Otan puis en octobre à Poitiers lors de la réunion d'un collectif anticarcéral. Cette violence aux confins du terrain sociétal et du terrain politique est le symptôme d'une délinquance qui charrie son lot de malaises liés à la crise et qui est sensible dans le fait, par exemple, qu'après deux années de tendance baissière, les statistiques de la délinquance ont enregistré en août 2009 une forte poussée des vols avec violence sur les douze derniers mois. La crise a des effets perturbateurs mais elle n'a aucun impact de radicalisation politique massive. En cela, nous sommes loin du scénario de 1929 et des années qui suivirent. Et pourtant, la France a un potentiel protestataire non négligeable. Dans une enquête internationale réalisée dans vingt-sept pays, un an après le déclenchement de la crise financière, la France est : le pays où la minorité demandeuse d'un autre système que celui du capitalisme de libre-échange est la plus forte : 43 % de nos concitoyens pensent qu'un tel système «est dans l'erreur et que l'on a besoin d'un autre système», ils ne sont que 29 % en Italie et en Espagne, 19 % en Grande-Bretagne, 13 % aux États-Unis et 9 % en Allemagne. C'est en France, cette fois-ci derrière le Brésil et le Chili, que la demande d'intervention croissante du gouvernement dans la régulation des entreprises est la plus forte : 76 % contre 73 % en Espagne, 70 % en Italie, 56 % en Grande-Bretagne, 45 % en Allemagne et 43 % aux États-Unis. Cette demande interventionniste va même en France jusqu'à une demande majoritaire de contrôle plus étroit des grandes industries par le gouvernement : 57 % contre 53 % en Italie, 45 % en Espagne, 40 % en Grande-Bretagne, 31 % en Allemagne et 24 % aux États-Unis. Cette demande de contrôle s'enracine dans un pessimisme français particulier à la fois vis-à-vis de la crise, mais aussi vis-à-vis de la mondialisation et de l'Europe. 64 % des Français pensent en novembre 2009 que «le pire de la crise reste encore à venir » (Sofres). Parmi les grands pays d'Europe (Eurobaromètre n° 71 de septembre 2009), l'opinion française est une des plus négatives sur l'état de l'économie nationale (87 % des Français considèrent que la situation de l'économie française est très ou plutôt mauvaise contre 78 % en moyenne dans l'Union européenne), 73 % pensent que la mondialisation constitue une menace pour l'emploi et les entreprises en France (contre 42 %) et 51 % que l'Union européenne ne nous aide plutôt pas ou pas du tout à nous protéger des effets négatifs de la mondialisation (contre 36 % dans l'ensemble de l'Union). Nombre de Français ne sont pas contents du monde tel qu'il va et sont à la recherche d'alternatives. Mais contrairement aux années 1930, cette recherche d'alternatives se fait sans remettre en cause le système politique. La protestation sourd mais s'inscrit dans une demande de réforme du système économique et social qui n'a rien à voir avec la recherche de «lendemains qui chantent», caractéristique des années 1930 et qui avait débouché sur la lugubre musique du totalitarisme ».
Dans les années 1930 on fût à la recherche de lendemains qui chantaient les hymnes patriotiques parce que la bourgeoisie pouvait faire croire encore à des solutions nationales. Où sont les solutions nationales avec la crise en 2009 ? Hé Perrineau, réfléchis un peu !
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