"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mardi 14 mai 2024

LE DRAPEAU ET LA REVENDICATION (première partie)

 


 En Russie, notamment après 1905, lorsque les plus intelligents des bourgeois ont vu clairement combien la force brutale était insuffisante à elle seule, toutes sortes de partis et de groupes bourgeois «progressistes» usent de plus en plus souvent du procédé de la division des ouvriers par la diffusion de diverses idées et doctrines bourgeoises qui affaiblissent la lutte de la classe ouvrière. Au nombre de ces idées, il faut ranger un nationalisme raffiné, qui prêche la division et l'émiettement du prolétariat sous les prétextes les plus spécieux et les plus séduisants ; par exemple, sous prétexte de défendre les intérêts de la «culture nationale» de l'«autonomie ou de l'indépendance nationale» etc., etc. » LENINE1


Incontestablement et historiquement, réduire le moteur de la prise de conscience de la classe ouvrière au niveau économique de la lutte pour les salaires ou à une généralisation de somme de corporatismes ou de faux « tous ensemble », est étranger au marxisme, tout au moins au sens où je le comprends, puisqu'il y a plusieurs marxismes et que vous n'êtes pas persuadé de détenir le bon. La classique définition de la conscience ouvrière était résumée par Babeuf : « la peur du lendemain ». Il n'y a pas besoin de mener de longues études universitaires pour comprendre que c'est l'être du prolétariat que l'étudiant soixante-huitard ne pigea jamais.

Heureusement que le CCI dans ses limbes au début des années 1970 compta comme principal fondateur un vieil ouvrier de plus théoricien d'envergure ; quoique le mot vieux qui lui était attribué à l'époque paraît exagéré vu l'âge canonique atteint par la plupart d'entre nous survivants d'une époque plus agitée qu'héroïque. Marc reste à jamais « jeune ». Et le défenseur de ce qu'être ouvrier est « être » comme base de la conscience de l'exploitation et qu'il n'est pas nécessaire que des étudiants ou des bobos lui explique ce qu'il est. Ce fût un des travers de l'époque de 1968 où n'importe que maoïste ou trotskien entretenait d'éduquer l'ouvrier à un marxisme de secte afin de lui expliquer que la révolution était en cours.

Ce fût un des principaux mérite des limbes du CCI -Révolution Internationale – d'être et de rester le principal groupe politique à dénoncer les idéologies modernistes, par après contre un dénommé Bérard, petit juif ergoteur qui, s'arrogeant le succès de la brochure « Rupture avec Lutte Ouvrière », alors que les axes de la critique avaient été définis par tout le groupe, avait cru pouvoir user de cette spécificité pour marchander auprès de Marc un poste à l'organe central. Bernique ! Si Marc fût souvent à l'initiative de nomination à des postes de responsabilité, c'était en faveur de personnes résolument sur des positions de classe. Quant à l'origine ethnique ou nationale des divers camarades, il s'en battait les couilles2.

Récemment leur revue internationale résumait bien la dérive petite bourgeoise idéaliste de Bérard, caractéristique d'une grande partie du monde estudiantin à l'époque, généralement encore futurs cadres du capitalisme comme s'en était moqué Guy Debord...puis du parti bourgeois de la girouette Mitterrand

«Bérard a commencé par rejeter les luttes revendicatives du prolétariat, puis sa nature de classe exploitée, la seule façon qu’il a de résoudre sa "contradiction" consiste tout simplement à nier le prolétariat lui-même. Il a beau vouloir se démarquer de Camatte (qui avait déjà ouvertement rejeté la "théorie du prolétariat") et réaffirmer le prolétariat comme sujet révolutionnaire, l’idée d’une communisation immédiate sans période de transition conduit forcément à rejeter l’autonomie de classe et à noyer le prolétariat dans les autres classes. 

La revue renvoyait à la polémique avec Bérard, qui aurait pu emporter la plupart des militants jeunes et étudiants incultes ; la solidité politique de la réponse sauva l'organisation de la déliquescence gauchiste et moderniste :

«  En mai-juin 1974, sous le titre : Comment le prolétariat est la classe révolutionnaire « est réaffirmée » la position classique du marxisme : "Le processus à travers lequel la classe ouvrière s’élève à la hauteur de sa tâche historique n’est pas un processus distinct, extérieur à sa lutte économique quotidienne contre le capital. C’est au contraire dans ce conflit et à travers lui que la classe salariée forge les armes de son combat révolutionnaire". Il n’y a donc pas deux classes ouvrières mais une seule qui est à la fois exploitée et révolutionnaire. C’est la raison pour laquelle les luttes révolutionnaires sont toujours préparées par une longue période de luttes revendicatives, et c’est pourquoi celles-ci réapparaissent encore au cours de la période révolutionnaire. Et comment pourrait-il en être autrement puisqu’il s’agit de la lutte révolutionnaire d’une classe, donc d’un ensemble d’hommes économiquement déterminés, unis par leur situation matérielle ». "Il y a bien un noyau matériellement déterminé, une avant-garde pratique de la classe-pour-soi (ouvriers des grandes entreprises), mais ce noyau, en sortant du rapport capitaliste, tend, d’emblée, à précipiter “l’imminence du passage des classes moyennes au prolétariat” (Marx) (?). […] Le “danger” de dissolution du prolétariat dans la population n’existe pas"(?) Depuis 1848, l’autonomie de classe est un principe intangible du combat prolétarien. Elle est le fil conducteur qui relie les luttes partielles des ouvriers à la dictature du prolétariat. Avec la perte de l’identité de classe que l’on peut constater aujourd’hui, le poison de l’interclassisme est d’autant plus dangereux. On peut voir ici comment le modernisme fait le travail de la bourgeoisie ».

Dans les arguments de Bérard on trouve des parcelles de vérité  (sinon il n'aurait pas autant troublé nombre de jeunes militants estudiantins incultes) Certes il y avait bien chez Bérard une négation des luttes de résistance. "Les luttes revendicatives ne deviennent pas révolutionnaires ; c’est la classe qui, en dépassant et niant sa lutte immédiate, devient révolutionnaire". Plus encore, le prolétariat devait nier non seulement ses luttes immédiates mais aussi son être de classe exploitée.

Il y a des luttes de résistance qu'on le veuille ou non, que le CCI les approuve ou que Bérard les nie. Le problème n'est pas là mais : à quoi servent-elles ? Sont-elles toutes équivalentes et révolutionnaires ?

L'origine de la théorie moderniste, personne ne le souligna à l'époque, était un produit de la décomposition du stalinisme qui, tout au long de cinquante années, avait noyé cette classe ouvrière sous le parti totalitaire puis continuait de la...nier.. Tâche accomplie par ce néo-stalinisme dont le maître à penser des situationnistes, Henri Lefebvre soufflait à l'oreille de Bérard, la révolution est destinée à être « conjoncturelle » :« Les revendications économiques tendent à retomber en arrière par rapport aux revendications politiques visant la gestion et le fonctionnement global de la société^ et en particulier les syndicats (Lénine le note à plusieurs reprises) ont une tendance à l'étroitesse. Le léninisme apparaît donc comme un anti-ouvriérisme ; d'autre part il montre le caractère conjoncturel de la révolution politique, caractère conjoncturel d'autant plus important que certains objectifs révolutionnaires peuvent s'atteindre par en haut ; mal certes, mais tous les objectifs de la transformation de la société ne s'atteignent pas « démocratiquement » de bas en haut ; ils peuvent aussi être imposés par le haut. Il faut une pensée politique pour que la classe ouvrière devienne capable d'envisager des objectifs concernant la société tout entière ; il faut une analyse globale et une stratégie ; il faut un concept de la totalité. La classe en tant que classe n'est pas la totalité de la société. .Donc. la révolution ne peut avoir lieu que conjoncturellement, c'est- à-dire dans certains rapports de classe,, les paysans, les intellectuels entrant dans cet ensemble de rapports. La classe ouvrière n'est pas révolutionnaire en soi, par soi, pour soi ; il n'y a pas d'essence ou de nature révolutionnaire de la classe ouvrière »3.

Le souvenir mythologique du CCI sur la fameuse grève de masse en Pologne en 1980

L'immense grève de masse en Pologne ne peut être oubliée, encore faut-il la resituer dans son contexte par rapport à aujourd'hui et observer d'un œil plus critique que celui du CCI 40 années plus tard. Redites annuelles et répétitions d'époque « essentialisées ». Une étude postérieure de qualité confirme concrètement pour l'essentiel l'être de la classe ouvrière et ses capacités inouïes pour prétendre gérer la société4. Cette expérience inoubliable fout par terre le modernisme néo-stalinien.

Mais, dans notre lointain a posteriori, il faut quand même en faire la critique. Deux remarques, un : le mouvement éclata dans le monde stalinien avec une forte propension à se faire récupérer hors de tout processus révolutionnaire (la revendication de syndicats libres). Deux : tous, y compris les rédacteurs dithyrambiques du CCI aujourd'hui, nous avons été choqué et interloqués qu'un tel mouvement se transforme en Solidarnosc !

L'explication première du début du mouvement par le CCI est strictement économiste, or c'est faux, le mouvement est conditionné par la mémoire ouvrière et la brutalité du « régime socialiste » :

« En juillet 1980, c’est la suppression des subventions des prix à la consommation (la viande vendue directement aux ouvriers sur leur lieu de travail augmente brutalement de 60 %) qui provoque des grèves dans la banlieue de Varsovie et dans la région de Gdansk ».(CCI)

Le mouvement n'est pas spontané en soi, il est « historiquement » fondé. J'ai toujours trouvé creux ce terme de spontanéité, bon pour les anars. 1980 c'est aussi 1956 et 1971. Il ne tombe pas du ciel « conjoncturellement » ni pour la viande. Les Lefebvre et Bérard oublient qu'il existe toujours une mémoire de classe qui n'a pas besoin d'historiens ni de militants ouvriéristes. Le mouvement est multiple selon les régions et le type d'ouvriers, urbains, issus de la campagne (souvent les plus déterminés), les régions comprenant nombre de récents immigrés (très combatifs). Il se déroule une grève dans une industrie textile contre une baisse des salaires.

Cette grève débute au mois de juillet 1980. On ne note aucun meneur précis lorsque les travailleurs de la première équipe décident d'arrêter les machines, à six heures. La grève se propage grâce aux informations que transmettent les ouvriers en se déplaçant d'atelier en atelier. Les revendications sont formulées le second jour. Elle concernent l'approvisionnement d'abord (meilleurs produits dans les kiosques d'entreprise ; surveillance de la distribution des articles alimentaires ; amélioration de l'approvisionnement). Elle n'est donc pas exclusivement (et corporativement) salariale mais déborde sur la société et confronte l'Etat stalinien incapable de souplesse contrairement à l'Etat libéral occidental. La grève se déroule dans un certain climat de nervosité (peur de la répression brutale habituelle). Certains ouvriers rappellent que des grèves avaient également eu lieu en 1971 et que cela avait donné lieu à des licenciements. Cette fois, la grève ne dépasse pas le troisième jour et s'achève par la décision du directeur d'augmenter les salaires de trois cents à cinq cents zlotys.

Les spécificités de la région de la Baltique et du Sud-Ouest silésien, moteurs en 1980 et 1981, régions à fort taux d'immigrants venus des terres accaparées par les Soviétiques à l'issue de 1945. Le sentiment national et même antisoviétique y est puissamment ancré. De plus, pour les premiers, leur situation géographique a favorisé une ouverture au monde nordique et occidental. Ceci révèle l'importance des facteurs historiques dans le déclenchement des grèves.

On ne l'a pas noté à l'époque mais l'éclosion de ce mouvement sous un régime prétendu « dictature du prolétariat », a très vite posé les questions politiques de la société comme aucun mouvement gréviste d'ampleur ne l'avait posé en Occident même en 1968 dont la « victoire » avait été une hausse générale des salaires et d'importantes concessions immédiates de la bourgeoisie. Dans la généralisations les revendications ne sont plus « immédiates » 

« Les causes internes. Elles sont les plus importantes, comme nous l'avons dit, et, si elles démarrent à l'occasion d'un phénomène anodin et maintes fois vécu, elles donnent très vite lieu à des revendications ordonnées autour de quatre grands axes : l'organisation du travail, les relations avec l'administration et la maîtrise, le système de salaires, les affaires sociales. Dénoncées également les pratiques de favoritisme, les tendances autocratiques des petits chefs et même, les harcèlements sexuels, tous phénomènes qui génèrent une atmosphère de travail nuisible aux relations humaines. Une chose est claire, le syndicat (d'Etat « communiste ») s'est révélé complètement incompétent lors de ces événements, faute de disposer d'une quelconque autorité parmi les travailleurs. Le mouvement massif des ouvriers polonais - s'il s'avère surtout être le meilleur environnement pour favoriser l'émergence d'une conscience de classe communiste et de mettre en branle des attitudes historiques qu'on croyait révolues (« la mémoire est bien là) -, est limité par le retour d'une mentalité trade-unioniste, c'est-à-dire revendicative, référable à une société divisée en classes ». Et qui débouchera sur l'mpasse Walesa5.

« Or la mémoire est bien là et, avec elle, la conscience d'un intérêt différent de celui des employeurs. (Ce trait n'est pas spécifique de la grève dans une société de type soviétique. Les mouvements de protestation du XIXe siècle témoignent de pareille émergence. On n'aurait pas de mal non plus à montrer qu'en Occident de nombreuses grèves sont le fait des travailleurs qui ne se trouvent pas dans la pire situation matérielle (NB, aujourd'hui le CCI a une tendance très ouvriériste et trade-unioniste à radoter la misère comme principal facteur de révolte)

Enfin, fin du fin, la leçon principale reste, non pas telle ou telle revendication ni dépassement de la revendication mais que la grève devienne politique en sortant de l'usine car pour le patronat et l'Etat polonais il fallut : «  éviter que la grève ne se propage. A cet égard, le pire qui puisse arriver est bien — comme cela se passe parfois — que les ouvriers sortent de l'entreprise pour réclamer des comptes à la seule autorité qui vaille, le bureau régional du parti. Pour cette raison, la grève n'est pas cantonnée ni dans un lieu précis ni dans une forme précise puisque la revendication politique dont on a vu la pérennité déborde largement le cadre de l'entreprise »..

Le CCI serait-il devenu moins lucide que Charlie Hebdo ?

«1er mai : ...un cortège où résonnait de temps en temps L'Internationale, qui, comme son nom l'indique, est un chant révolutionnaire, mais où je n'ai jamais vu autant de drapeaux différents. Des drapeaux rouges et noirs, certes, un peu. Mais surtout une bigarrure de drapeaux nationaux brandis par les porteurs de causes identitaires : palestinien, de loin le plus représenté, syrien porté par des membres de l'opposition, breton, colombien ; ceux de la Kanaky et de la Kabylie...Un seul manquait à l'appel : le drapeau tricolore de la Révolution française ». 1er mai, la lutte des classes enterrée par la haine identitaire ». Charlie Hebdomadaire

Dans les articles souvent longs et répétitifs ou l'on glose sur un prolétariat messianique, deux principales divisions organisées par la méchant bourgeoisie sont radotées jusqu'à plus soif : le danger nationaliste et les méchants syndicats.

On y décrit une curieuse solidarité, plus du domaine du fantasme que de la réalité, avec une ignorance totale de l'aristocratie ouvrière (aussi une corruption ouvrière selon Lénine) et donc de la puissance de l'Etat bourgeois pour pérenniser une des divisions fondamentales(depuis 1945) et toxique de la classe ouvrière. Sans oublier l'exaltation syndicaliste de la fumeuse lutte pour les retraites...hiérarchisées.

Je traiterai de cette absence de lien avec la réalité, comme de cette incapacité à compter au nombre des divisions et du sabotage de la lutte de classe avec toutes les théories sociétales gauchistes ou nationalistes, en particulier la guerre à Gaza où ce n'est pas un simple nationalisme contre un autre nationalisme, mais l'introduction de clivages religieux, raciaux, terroristes avec l'appui pervers de la clique à Mélenchon, mais de l'autre côté tous les artistes juifs en France qui se solidarisent avec le criminel de guerre Netanyhaou. Sur toutes ces divisions, propagandes ethniques, le CCI ne dit rien. Tout se passerait dans l'usine, sans conscience ouvrière sortant des murs avec un CCI qui lui répète sas cesse ce qu'elle sait déjà, une autre guerre mondiale menace l(humanité.


A suivre..


NOTES

2Il y aurait une autre explication à mon sens du virage moderniste de Bérard, son besoin de théoriser en « plus radical » un marxisme plutôt anarchiste pour se venger du « vieux ». C'est en tout cas ce type d'explication que j'avais retenu de la déviation bordiguisante de Camoin, petit personnage toxique, à la suite du refus de le nommer à l'organe central où il se voyait siéger « naturellement » en tant que membre fondateur ! Il s'était plaint auprès de moi contre cette vacherie. Toute organisation comporte toujours des personnages toxiques PN. C'était le cas du dénommé Pédoncule, pas vraiment voyou comme cela lui est reproché dans la diatribe « Docteur Bourrinet et son voyou ». Il fût dévoué et militant convaincu ; j'avais supposé qu'il était flic pour cette habitude d'humilier le militant sans affectation hiérarchique mais pas les cadors brillants et empathiques tels R.Victor et CG. Trouillard névrosé il portait toujours sur lui un opinel ; couteau de défense le plus bête que je connaisse, utile en camping mais risquant de se replier sur les doigts de son utilisateur comme arme présumée de défense. M'enfin on le savait, et lors d'un tractage à l'usine Renault-Cléon, j'avais exigé qu'il dépose ce couteau dans le coffre de ma voiture. Sur les différentes scissions, expulsions, fuites, le CCI perd trop de temps dans des détails dont leurs lecteurs n'ont rien à foutre, qualifiant celui-ci de policier, cet autre de salopard, alors que Bordiga répondait simplement : « Les arrivistes et les parasites du mouvement prolétarien nous ont abandonnés en grand nombre » .

5Lorsqu'il est venu en France c'est moi qui lui ai donné le tract du CCI.

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