je t'aime comme un prof |
par Jacques
à Samuel Paty et à Dominique Bernard, égorgés pour avoir aimé faire passer leur amour de la liberté à nos enfants.
Un jour que je faisais lire mes quelques premières pages d’une hypothétique œuvre à un de mes amis un peu plus écrivain que moi, il me dit : « tu ne devrais pas écrire que tu es prof, trouve un autre job pour ton héros. Prof, ça fait con ». (il était prof aussi, et voulait dire que ce n’était pas un métier noble pour un héros de roman)
J’ai longtemps pensé à ce : « prof, ça fait con ». mais c’est quoi au fait, être prof ? Tout le monde le sait, car on en a tous subi un certain nombre dans notre jeunesse. Mais c’était quoi exactement ?
Aujourd’hui , j’ai 60 ans , bientôt 61. C’est ma dernière année scolaire à faire le prof. Après : la retraite ! (le point d’exclamation est une exclamation de joie et une perspective de bonheur). Et le lycée où je travaille, le système éducatif dans son ensemble pourront s’écrouler, je n’en aurai plus rien à foutre. Alors pour cette dernière année, sur les bons conseils de mon ami JLR, je vais essayer de vous dire ce que c’est que d’être prof. Juste pour voir, si « prof, ça fait con ».
Je prendrai donc le parti de tout vous dire, des grosses galères aux petits détails insignifiants en apparence, et qui en sont parfois la cause. Commençons par le début.
Je suis prof de maths et de physique dans un lycée professionnel. Vous savez, ce que les gens appellent le « technique », avec un vague jugement péjoratif. mais ce n’est PAS un lycée technique, où les élèves passent un bac technique , qui ressemble beaucoup au bac classique.
Dans mon établissement, les élèves passent un diplôme « professionnel », et ce n’est pas la même chose, et la plupart des gens, peu ou mal informés, ont toujours tout mélangé. Aujourd’hui, après une dernière et nième réforme, nous nous appelons S.E.P : section d’éducation professionnelle, rattachée au reste du grand lycée qui nous héberge.( avant, nous étions deux entités administratives séparées et à égalité.) Mais ni le nom SEP (ça sonne un peu comme Sclérose En Plaques), ni l’idée ne me conviennent, et je continue donc à dire « lycée professionnel », pour emmerder ceux qui pensent que nous ne sommes plus un vrai lycée.
J’ai commencé ce métier en 1977. On passait le concours de prof de LP (le CAE-quelque chose), et on allait encore 2 ans à l’ENNA à l’époque, l’école des profs de LP, Ecole Normale Nationale d’Apprentissage. Ça s’appelait comme ça, si, si ! Maintenant tout ça n’existe plus. On a fait beaucoup d’économies depuis, on a supprimé beaucoup de postes (60 000 par Monsieur Sarkozy, merci encore !) Nos lycées ressemblent de plus en plus à des coupe-gorge, habités par des fous furieux, mais à l’époque de mes débuts, ça avait encore de la gueule.
Moi, j’avais passé ce concours de prof de LP, parce qu’il était un peu plus facile que le CAPES, (qui, lui, conduit à travailler en lycée « classique »). C’est ensuite qu’on m’a appris à enseigner à ces élèves qui passaient des CAP et des BEP. Qui étaient a priori les enfants des classes populaires, pour ne pas dire pauvres, et qui avaient besoin d’un enseignement plus concret, plus réel, plus « professionnel ». Très franchement, je crois qu’à l’époque on le faisait bien. Il y avait l’enseignement professionnel proprement dit, dans les ateliers, où les jeunes apprenaient la mécanique auto, le tournage et le fraisage, etc. Nous, les profs de maths, on allait les voir à l’atelier, et on fabriquait nos cours directement sur les besoins des calculs en atelier : transformer les mètres en centimètres, calculer la surface de cette tôle. Les cours étaient pratico-pratiques, bien branchés dans le réel. Les élèves nous respectaient, car ils voyaient notre travail comme utile au leur, et tout ça fonctionnait assez bien. Il y avait aussi un réel intérêt à mettre du savoir et de la compétence dans ces jeunes cerveaux qui deviendraient plus tard des ouvriers qualifiés avec un peu de plomb dans la tête.
Sans parler de culture ouvrière ou d’émancipation ouvrière, participer à l’effort de la population la plus pauvre pour s’éduquer, se former, se cultiver, était une belle tâche, un de ces métiers dont je me disais qu’on pouvait en être fier. Et je l’étais, assurément. Aujourd’hui, c’est autre chose…
Début d’année scolaire 2014-2015
Le jour de la rentrée, on vous remet votre emploi du temps.
J’ai deux classes. Deux classes de Seconde bac pro (Baccalauréat Professionnel) ASSP (Accompagnement, Services et Soins à la Personne, en gros les métiers de la santé comme aide-soignant). C’est ce que j’avais demandé. Pour l’instant pas de surprise. Les mauvaises surprises viennent toujours de la répartition des heures de cours dans la semaine. Et là, vous n’obtenez jamais ce que vous demandez. Si, autrefois, on y arrivait. Il y a dix ou vingt ans, on avait des emplois du temps superbes. Avec des horaires placés à des moments de la journée où on pouvait travailler. Mais plus maintenant.
Autrefois, on faisait les emplois du temps à la main, avec des papiers et des crayons, beaucoup de feuilles de papier, beaucoup d’huile de coude, et les personnes de l’Administration chargés de faire ce travail y arrivaient. Ils y mettaient leur courage et leur compétence, ils écoutaient même les uns et les autres, et le résultat était souvent bon. Moi qui demandais à travailler le matin tôt, par exemple, car j’ai toujours considéré que faire des mathématiques nécessite d’avoir l’esprit frais, et 8h ou 9 h du matin me semble le meilleur horaire, eh bien j’obtenais de la part de notre noble Administration, qu’elle veuille bien que nous fassions ainsi des maths à 8 ou 9h. Et ça marchait. Et tout le monde était content.
Aujourd’hui, on me place des heures de maths de 12 à 13 h, si ce n’est pas plus tard, et les seules réponses que j’obtiens en classe est le plus souvent un « j’ai faim » plus ou moins bestial. Il n’est plus possible de faire un cours de maths sérieux de 12 à 13 h, mais tout le monde s’en fout.
Actuellement c’est un logiciel informatique qui fait les emplois de temps et une seule personne s’en occupe. Elle rentre vaguement quelques contraintes horaires, et laisse tourner la machine. Le premier jet qui sort devient votre emploi du temps pour toute l’année, et il est rarement possible de le modifier car tous les paramètres sont liés : si vous voulez une autre heure, les élèves ont un autre cours, ou aucune salle n’est disponible. Bref, personne n’est content. Alors qu’un peu de bon sens, et de rapports humains pourraient arranger les choses. Mais cela n’existe plus beaucoup.
Pour cette année scolaire j’ai résolu le problème des heures de maths de 12 à 13h par une petite astuce : en fait les matières que j’enseigne sont au nombre de trois : maths, physique et EGLS. EGLS veut dire Enseignement Général Lié à la Spécialité. La « spécialité » est bien sûr l’intitulé même de la section, et cette « spécialité » a besoin d’enseignement général, d’après une de nos nombreuses et glorieuses réformes pondues par le Ministère. (à moi, il me semble que le principe même « EGLS » est une sorte d’évidence de la raison d’être des matières d’enseignement général, qui doivent SERVIR à quelque chose, car il y a belle lurette que vous ne pouvez plus enseigner quoi que ce soit qui ne servirait pas, pour le plaisir en quelque sorte).
Bref, l’appellation EGLS me semble parfaite pour faire passer aux élèves de l’enseignement général sous forme de … films. L’idée ne m’en était pas venue immédiatement car on se sent au début un peu honteux, comme des parents qui mettent leurs gosses devant la télé pour s’en débarrasser. Mais c’est aussi un boulot que de choisir un bon film, de vérifier que tout le matos fonctionne, de faire un questionnaire auquel les élèves doivent répondre pendant le film (sinon, ils s’endorment ou font les cons), de le corriger pour la fois suivante. Le questionnaire se termine d’ailleurs par « faites un résumé de cette partie du film », ce qui leur permet la fois suivante de se rappeler ce qu’ils ont déjà vu. Pour un film de 2h, comptez trois séances, car la séance de 1h dépasse rarement 40 minutes « effectives ».
Donc, de 12 à 13h, j’intitule le cours de maths EGLS (en inversant avec l’horaire d’EGLS qui devient maths, ça, c’est encore faisable), et ces chers élèves qui freineraient des 4 fers à un quelconque théorème de Pythagore se voient plongés dans le son et les images d’un beau film … Lié à la Spécialité, attention !
J’ai donc choisi pour commencer : « le scaphandre et le papillon » de Schnabel : l’histoire de JD Bobby, cet écrivain victime d’un AVC , paralysé et qui ne s’exprimait plus qu’en clignant d’un œil pour écrire ainsi son bouquin. Les élèves pleurent, ça les calme ! Ensuite « ça commence aujourd’hui », de Bertrand Tavernier, sur la vie d’une école maternelle dans une région pauvre du Nord. (mes élèves sont sensés faire des stages professionnels auprès des personnes âgées ou handicapées et auprès des jeunes enfants : c’est pile poil les bons thèmes !)
Bon, bref, pour finir avec cette histoire d’emploi du temps : on peut toujours ruser, mais il y a des moments de la journée, et de plus en plus avec les élèves que nous avons, où on ne peut tout simplement pas travailler. J’avais l’année dernière le même problème de cours de maths de 12 à 13h, mais cette fois ci, pas d’EGLS à utiliser. J’essayais péniblement de faire un cours de maths à des élèves pourtant relativement sympathiques. Mais il y a des jours où ça ne passait absolument pas. Après leur matinée en classe ils avaient faim, et ils étaient tout simplement fatigués, et « ne voulaient plus rien savoir », c’est le cas de le dire . Personne n’écoutait. J’ai dû me fâcher, mais rien n’y a fait.
Le grand responsable de cette situation est bien sûr notre Administration, et notre Ministère (j’aime bien leur mettre des majuscules, surtout quand ils sont dans leur tort !) , qui nous pond des réformes à tours de bras, mais est de plus en plus déphasé par rapport à la réalité et aux vrais besoins des élèves… incapable de commencer par le plus élémentaire : faire des emplois du temps où les horaires soient des horaires raisonnables de travail…on en reparlera !
Ah la retraite! je n'ai plus que deux élèves! |
La raison du passage des heures d’enseignement général (EG) l’aprem ou le vendredi réside dans la prise du pouvoir des profs d’atelier, chouchoutes par l’inspection ( les commissaires politiques) et craints par l’administration : si auparavant les heures general et les heures pro étaient bien équilibrées dans ja journee et la semaine, à partir des années 80-90, ce sont 1) les profs d’atelier qui décident et choisissent les meilleures plages ( m’a-t-on, début de semaine) puis l’administration se dem… pour caser les heures d’EG dans les trois qui restent aux mauvaises heur… c’est la solidarité, tous ensemble, tous 🤪…
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