le g.i.c. et l'economie de la periode de transition
ou "l'apolitisme des litterateurs'?
Une
présentation partielle, économiste et conseilliste de l'histoire et
des questionnements en vue d'une période de transition du
capitalisme au communisme. La présentation qui suit (traduite par
Jean-Pierre Laffitte) nous pose problème ici. Je ne nie pas
l'intérêt du travail fourni par le courant maximaliste hollandais
mais il est réducteur de ne mentionner que ce courant et d'évacuer
rapidement le courant bordiguiste, et surtout la contribution et les
débats entre le CCI et le CWO. Il est encore plus ridicule de nier
tout travail « de parti » sur ces questions, en
particulier en feignant d'ignorer tout le travail de recherche et de
débats qui fût mené à la fin des années 1970 par le CCI
(cf.http://fr.internationalism.org/french/brochure/PdT_origine),
travail qui est resté malheureusement en friche, une deuxième
brochure compilant débats et divergences n'a jamais vu le jour ou a
disparu depuis que le groupe est retombé à l'état
de secte.On peut retrouver un historique plus large du débat sur la
« P de T » dans mon livre « Dans quel 'Etat' est la
révolution? ». Franchement polémiquer avec un petit personne
sans intérêt comme Dauvé sur une aussi vaste question, révèle
les limites de cette introduction ronflante. Quant au vœu que les
« travailleurs de l'avenir » - de « nouvelles
générations de travailleurs révolutionnaires » - s'occupent
de la question, c'est pisser dans un violon. Qui peut nous expliquer
ici que le « pouvoir des conseils ouvriers » resterait la
recette, quelle forme devraient prendre les organismes du prolétariat
ressurgissant comme classe révolutionnaire à l'avenir ?
L'encensement de l'intéressant travail du GIC dessert toute réelle
réflexion POLITIQUE sur les moyens de succéder au capitalisme. En
faisant confiance au « spontanéisme » de « nouvelles
générations de travailleurs » on nie toute nécessité de
relier aux générations de théoriciens et d'organisations de
combat les cercles et éléments en recherche qui voudront reprendre
l'écheveau là où il s'est arrêté ; on dénie tout rôle aux
partis révolutionnaires ou à divers organismes minoritaires
dynamiques mais éminemment politiques et non pas vagues assemblées
de délibérations économiques plus ou moins anarchiques.
Que
cela ne vous empêche pas de lire « Une introduction »,
mais en gardant un œil critique malgré des fanfaronnades
d'intellectuel de salon qui sait tout mais ne sait rien, et nous
balade dans la sphère éhontée de l'ultra-gauche soixantehuitarde
mais pas du tout dans le cadre du marxisme politique maximaliste..
JLR
Une
introduction
Cet
article introduit le travail politique-théorique majeur du GIC, et
il essaie de clarifier les principales incompréhensions qui marquent
encore sa réception.
Origine
et signification
des
“Principes
fondamentaux”
L’ouvrage :
“Principes
fondamentaux de la production et de la distribution communistes”
(plus tard abrégé en “Principes
fondamentaux”)
du Group of International Communists (GIC) est un texte important de
la Gauche communiste sur les problèmes économiques de la période
de transition du capitalisme au communisme. Le GIC décrit l’intérêt
des “Principes
fondamentaux”
ainsi :
« Dès
que le gouvernement de la classe ouvrière est devenu un fait dans un
pays industrialisé, le prolétariat se trouve confronté à la tâche
de mener à bien la transformation de la vie économique sur de
nouvelles bases, celles du travail collectif. L’abolition de la
propriété privée est facilement déclarée, et ce sera la première
mesure du système politique instauré par la classe ouvrière. Mais
ce n’est là qu’un acte juridique qui est destiné à fournir des
bases légales au processus économique réel. La transformation
réelle et le véritable travail révolutionnaire ne fait alors que
commencer. »1.
La
signification courante de ce texte ne se limite pas à la réponse
apportée aux questions qui se poseront immédiatement lorsque la
classe ouvrière se sera emparée du pouvoir politique. Les
“Principes
fondamentaux”
présentent un intérêt supplémentaire dans le débat entre les
jugements portés par la Gauche italienne et par la Gauche
germano-hollandaise sur leçons des révolutions ouvrières de
1917-1923. Ce débat se heurte encore à une mutuelle ignorance des
opinions de chacune d’elles. En raison du manque de traductions
complètes de l’édition finale des “Principes
fondamentaux”
de l’année 1935, et parfois à cause de l’existence d’extraits
limités et de l’absence de connaissance des études préliminaires
aux “Principes
fondamentaux”2,
toutes sortes de malentendus sont nés qui ont fait obstacle à la
discussion jusqu’à aujourd'hui.
Par-delà
Marx, Engels et Lénine
Les
“Principes
fondamentaux”
sont une élaboration du concept d’une nouvelle société, concept
que Karl Marx et Friedrich Engels ont tiré des contradictions
internes du capitalisme et de l’action autonome de la classe
ouvrière de leur époque, en particulier dans les révolutions
bourgeoises de 1848 et dans la Commune de Paris de 1871. Dans la
première édition des “Principes
fondamentaux”
(en allemand), les rédacteurs du GIC relatent que ce n’est
qu’après avoir achevé leurs études qu’ils avaient eu
connaissance de la Critique
du programme de Gotha de
Marx. En conséquence les mesures économiques que le GIC a proposées
avaient déjà été avancées par Marx3.
Détestant toute scolastique, le GIC a analysé de manière critique
les idées réformistes d’économie planifiée qui avaient été
développées après Marx et Engels. Le GIC montre dans les six
premiers chapitres que les bolcheviks ont appliqué en Union
soviétique une conception capitaliste d’État de l’économie
planifiée, conception qu’ils avaient empruntée au réformisme. En
outre, dans son édition finale de 1935 en néerlandais, le GIC
critique la variante d’économie planifiée du communisme
libertaire telle qu’elle avait été appliquée par
l’anarcho-syndicalisme en 1936 en Espagne4.
Mais au-dessus de tout, le GIC se fonde sur les mouvements
révolutionnaires des conseils en Russie et en Allemagne de 1917 à
1923.
Pour
une bonne compréhension des “Principes
fondamentaux”,
il est nécessaire d’appréhender le cadre politique dans lequel le
GIC propose ses mesures économiques. Comme cela est clair d’après
la citation susmentionnée, le GIC présuppose une révolution
prolétarienne triomphante dans laquelle les travailleurs dominent un
territoire industriel de taille raisonnable. Dans cette révolution,
la classe ouvrière, massivement organisée en conseils, a
écrasé l’État bourgeois
et, à partir de ce moment-là, elle exerce la
dictature du prolétariat au
moyen de ces mêmes conseils sur une société et une économie qui
affichent encore presque toutes les caractéristiques du capitalisme.
Dans la mesure où la résistance de la classe capitaliste et des
autres classes vaincues faiblit et où la révolution prolétarienne
se répand de par le monde, cet
“État ouvrier” dépérit.
Tel est brièvement le cadre politique que le GIC, pense-t-on souvent
à tort, a négligé en faveur de l’aspect “économique”. Il
faudrait noter que l’opposition conceptuelle de l’“économie”
et de la “politique” est typiquement une approche léniniste. Les
“Principes
fondamentaux”
ne négligent pas l’aspect “politique”, mais le GIC prend une
position différente de celle de Lénine en mettant l’accent sur le
fait que la dictature du prolétariat est l’exercice massif du
pouvoir de la classe ouvrière par les conseils, et non pas
la dictature d’un parti avec l’aide de l’État. Le lecteur
des “Principes
fondamentaux”
ne devrait pas s’attendre à une analyse plus poussée de la
Révolution russe parce que ce n’était pas le but de ce texte. Les
“Principes
fondamentaux”
ne s’intéressent à aucune des formes supérieures du communisme,
mais ils se concentrent sur la période qui suit immédiatement la
révolution et sur les mesures économiques qui doivent assurer que
les travailleurs continueront à exercer le pouvoir sur la société.
C’est
dans ce cadre politique que le GIC se focalise sur les aspects
économiques de la phase de transition. La classe ouvrière utilise
le pouvoir qu’elle détient sur les moyens de production pour
abolir le travail salarié dans tous ses aspects.
Elle fait cela en tant que classe révolutionnaire, en commençant
résolument à mettre fin à la division entre le travail
intellectuel et le travail manuel et en révolutionnant les relations
sociales en tant que masse organisée en assemblées générales
d’entreprise et en conseils. Marx pensait à cette organisation
quand il écrivait sur « l’association
des producteurs libres et égaux ».
Avec cette association, les rapports de production effectuent un saut
immédiat de la production pour le profit à la production pour
les besoins
sociaux.
À long terme, la classe ouvrière amènera l’économie de
la pénurie à l’abondance :
elle permettra ainsi l’intégration des autres classes dans
« l’association
des producteurs libres et égaux »,
dans laquelle le travail se transformera en développement
de la personnalité unique de chaque individu.
Le
principe de la consommation de chacun en fonction des besoins
s’étendra à une partie toujours plus large de la population
productive.
Jan
Appel et le GIC
La
première étape de ce texte, issu de la Gauche communiste
germano-hollandaise, a été effectuée par l’ouvrier révolutionnaire
allemand expérimenté Jan Appel qui fut membre du SPD, puis
président des “revolutionäre Obleute” à Hambourg, cofondateur
de la Ligue Spartacus, membre du KPD(S), cofondateur du KAP,
cofondateur du GIC en 1927 aux Pays-Bas, et après la Seconde Guerre
mondiale, membre du Communistenbond “Spartacus”5.
Ses premières idées lui en sont venues en raison du chaos
économique qui a régné à la fois en Allemagne immédiatement
après la Première Guerre mondiale et en Russie après la Révolution
d’Octobre. En tant que délégué du KAPD au CEIC de 1920 ainsi
qu’au III° Congrès de l’Internationale Communiste
en 1921, il a vu que les ouvriers de l’usine de textile Prokhorov
et de la gigantesque usine métallurgique Poutilov étaient
impuissants face au chaos que les bolcheviks provoquaient dans
l’économie, et en particulier que le travail salarié continuait à
exister6.
Une
interview de Paul Mattick montre qu’il avait entretenu des contacts
réciproques à la suite de la vague révolutionnaire qui s’est
produite dans la zone de la Ruhr en Allemagne. Jan Appel a été
arrêté par la police pour avoir volé un commerçant du marché
noir. Ses camarades du KAPD s’inquiétaient du fait qu’il soit
reconnu comme un révolutionnaire recherché par la police, et qui
serait alors condamné à une longue peine de prison, pour avoir
détourné un bateau vers la Russie en 1920. Armé de pistolets et de
grenades, les camarades d’Appel, y compris Paul Mattick, étaient
venus au tribunal dans l’intention de le libérer si cela avait été
nécessaire. Mais cela n’a pas été nécessaire, car il n’a pas
été reconnu comme “pirate” et il n’a été condamné dans un
premier temps qu’à une courte peine de prison7.
C'est à cette occasion qu’Appel a pu lire Das
Kapital
et qu’il a était à même de rassembler et d’élaborer ses idées
sur la base des fragments de Marx portant sur la période de
transition. Ultérieurement, il a été reconnu et il a dû purger
une sévère condamnation à la prison à Hambourg pour “piratage”.
À la suite d’une amnistie générale, il a été libéré et il a
émigré aux Pays-Bas au tournant des années 1925-1926 pour
travailler au chantier naval Conrad d’Haarlem. Appel a emmené avec
lui aux Pays-Bas ses notes sur ce qui deviendrait les “Principes
fondamentaux”.
En 1926, il présentait ses idées en faveur d’une production et
une distribution communistes lors de deux réunions. La première,
dans laquelle Appel a fourni une introduction, a eu lieu à la
Pentecôte, et la seconde s’est tenue deux semaines plus tard. Les
participants étaient des membres ou des ex-membres du KAPN :
Henk Canne Meijer, Piet Coerman (Bussum), l’ingénieur Jordens
(KAPN de la section Zwolle) et Hermann Gorter. Ce dernier a réagi de
manière extrêmement critique. Gorter a fait appel à L’État
et la révolution
de Lénine et il a dit que la production devait être organisée
comme le service de la poste et les chemins de fer. Selon Appel,
Gorter s’était mis dans tous ses états, de sorte qu’Appel a
demandé aux autres participants ce qui n’allait pas avec lui.
Gorter était alors déjà malade8.
Il est mort le 15 septembre 1927. Le GIC était alors constitué en
particulier de Coerman, Canne Meijer, Appel et Herman de Beer.
Ensuite, le GIC a développé le texte de base de Jan Appel, et c'est
Canne Meijer qui a pris soin de sa rédaction.
Trois
études préliminaires
Cela
a conduit à trois études préliminaires dont des parties ont été
incluses dans la première édition imprimée du texte, lequel a été
publiée en 1930 par l’Allgemeine Arbeiter Union de Berlin. Ces
études préliminaires sont extrêmement importantes étant donné
qu’elles montrent le cadre politique des “Principes
fondamentaux”
de manière plus claire que l’ajout de 1930 au texte principal.
Le
texte source de Jan Appel est paru en 1928 en trois épisodes dans
“Klassenstrijd” sous le pseudonyme de Piet de Bruin sous le titre
de : Aantekeningen
over communistische economie.
Ce texte fait directement référence à l’expérience pratique de
la révolution en Russie :
« Les
tentatives qui ont été effectuées en Russie pour construire le
communisme ont dessiné un domaine dans le champ de la pratique qui
ne pouvait être traité jusqu’ici que par la théorie. La
Russie a essayé de développer une vie économique, du moins en ce
qui concerne l’industrie, selon les principes communistes… et
elle a complètement échoué en le faisant. »9.
Dans
un deuxième temps, le GIC a publié une étude portant sur le
problème des relations entre l’industrie et le secteur agricole,
et donc entre les ouvriers er les paysans, un obstacle majeur dans la
Révolution russe. Le GIC a complété l’expérience russe avec
l’attitude des paysans dans la Révolution allemande. Le GIC tire
de cette étude la conclusion politique importante suivante :
« La
révolution sociale, que le communisme considère comme une nouvelle
loi de mouvement pour la distribution des produits, a quelque chose à
offrir aux paysans. Outre l’exemption de tous les baux, hypothèques
et dettes d’entreprise, la distribution uniforme du produit
national entraîne l’égalité directe ente la ville et la
campagne, ce qui a pour conséquence pratique de favoriser
l’agriculteur. Mais c’est le prolétariat agricole, le paria de
la société capitaliste, qui fait un puissant bond en avant, de
sorte qu’il a tout intérêt à faire entrer l’agriculture dans
la production communiste. »10.
Cette
approche des paysans est complètement différente de l’attitude
incohérente des bolcheviks : assurances apportées, peu avant
Octobre 1917, sur la distribution de la propriété de la terre aux
paysans ; approvisionnement obligatoire des villes après la
révolution ; concessions à la propriété privée de la terre
au cours de la NEP ; finalement, collectivisation forcée sous
Staline et, par voie de conséquence, problèmes durables
d’approvisionnent alimentaire. La perspective politique mentionnée
ci-dessus découlait des recherches du GIC sur les récents
développements dans le secteur agricole. Ce sujet faisait suite à
une vieille discussion datant d’avant la Première Guerre
mondiale dans la social-démocratie hollandaise11
et à la remarque bien connue de Gorter, dans sa Lettre
ouverte au camarade Lénine,
sur la différence d’importance des paysans dans la révolution à
l’est et à l’ouest. Ces recherches ont fourni au GIC les idées
suivantes :
« (…)
que l’agriculture actuelle est caractérisée par la spécialisation
et qu’ainsi elle s’est complètement transformée en une
“production de marchandises”. Une augmentation de la productivité
a été obtenue grâce à la technologie moderne sans que des
sociétés la concentrent en une seule main. Ce développement est
parallèle à celui des coopératives agricoles qui associent des
exploitations agricoles en communautés d’intérêts, mais les
agriculteurs perdent souvent leur “liberté” (par exemple, comme
dans beaucoup de cas, de disposer de leur production). Il est
caractéristique, bien que très compréhensible, que le mouvement
ouvrier actuel ne désire pas voir ce développement capitaliste dans
l’agriculture. Compréhensible parce que ces perspectives de
croissance ne correspondent pas à leur théorie du communisme
d’État. L’exploitation agricole est socialisée, les fermes sont
rassemblées et elles agissent collectivement, et pourtant elles ne
sont absolument pas appropriées à une administration d’État.
Naturellement, le mouvement ouvrier soi-disant socialiste ne déduit
pas de cela que c'est la théorie communiste d’État qui est
erronée, mais il conclut que le communisme est impossible à moins
que l’agriculture ne se développe selon les perspectives qu’elle
doit suivre selon le marxisme scolastique.
« (…)
La position du Groupe des Communistes Internationaux (GIC) par
rapport à la nature de la révolution prolétarienne tire son
origine, pour une part non négligeable, du développement que
l’entreprise paysanne a connu dans les pays capitalistes hautement
développés. C'est précisément le fait que l’agriculture se soit
impliquée de manière optimale dans le travail social, que
l’agriculture ait été intégrée dans le processus de la division
sociale du travail, qu’elle ait avancé en direction de la
production industrielle et que pourtant elle ne puisse pas être
incorporée organiquement dans le “socialisme” ou le
“communisme”, qui jette de forts doutes sur la cohérence des
théories “communistes”. Toutes les théories relatives à la
“nationalisation” ou à la “socialisation” apparaissent comme
rien d’autre qu’une distorsion réformiste des buts
prolétariens. »12.
La
troisième étude préliminaire du GIC a été publiée seulement en
1932 aux Pays-Bas, en même temps que la brochure
Marxisme en staatscommunisme; het af sterven van de staat13.
Jan Appel avait déjà publié ce texte en allemand en 1927. Dans
Marxisme
en staatscommunisme,
le GIC critique l’identification
de la nationalisation à la socialisation et du capitalisme d’État
au socialisme, identification que Lénine avait empruntée au
réformisme dans L’État
et la révolution.
Contrairement au renforcement de l’État qui en découlait et qui
contrastait avec le dépérissement de l’État qu’espérait
Lénine, le GIC colle à l’opinion de Marx selon laquelle c’est
l’association des producteurs libres et égaux, c'est-à-dire les
conseils ouvriers, qui prendra le contrôle des moyens de production.
Il n’était donc que naturel pour le GIC que les conseils ouvriers
exercent leur dictature sur la société également en matière
économique, à savoir en contrôlant la production et la
distribution en tant qu’association des producteurs libres et
égaux. De cette manière-là, il est possible que cette dictature
(l’“État prolétarien”) s’éteigne vraiment dans le
développement ultérieur du communisme.
Malentendus
et anti-critique
Dans
ce qui précède, il a été fait référence aux malentendus qui
sont nés au fil du temps et qui étaient dus aux médiocres
traductions et résumés de “Principes
fondamentaux”,
ainsi qu’à la méconnaissance des trois études préliminaires.
Cette section présente les plus importants de ces malentendus et
elle les corrige avec des références à la version de 1935 des
“Principes
fondamentaux”.
La
première critique a été celle d’Hermann Gorter lors de la
présentation de la première ébauche de Jan Appel. Malheureusement,
cette critique n’a été transmise que par voie orale. Le recours
de Gorter à L’État
et la révolution
de Lénine pour appuyer son opinion selon laquelle la production
devrait être organisée à la façon du service des postes et à
celle des chemins de fera a reçu sa réponse dans la critique de
Lénine par Appel dans la version originale en allemand de 1927 de la
brochure du GIC : Marxisme
en staatscommunisme; het afsterven van de staat14.
Idéaux
présupposés d’absolue égalité
Anton
Pannekoek a été lui aussi tout d’abord sceptique et il n’a
d’ailleurs pas voulu rédiger une introduction à ce qu’il
considérait comme un plan utopique. Après lecture, il s’est très
facilement avéré que c’était davantage une critique de l’opinion
selon laquelle l’organisation de la production devait être le fait
de l’État15.
Dans son livre Worker’s
Councils (1946),
Pannekoek a consacré dix pages à résumer les “Principes
fondamentaux”16.
Dans son ouvrage de référence sur la Gauche communiste hollandaise
et allemande, Bourrinet suggère que Pannekoek critique
“implicitement” les “Principes
fondamentaux” dans
Worker’s Councils.
Parmi beaucoup d’autres idées fausses, qui montrent que l’auteur
ne connaît pas la version des “Principes
fondamentaux” revue
et corrigée en 1935, Bourrinet présuppose faussement que le GIC
emploie une idée absolue de “justice” et de “distribution
égale”17.
Dans
son introduction à la réédition de la première édition
allemande, Paul Mattick était déjà critique en 1970 à l’égard
de la distribution fondée sur les heures de travail que le GIC
proposait au début de la phase de transition. De plus, cette
introduction contient toutes sortes de points qui sont intéressants
pour la discussion, mais qui dépassent le cadre de ce texte. « Les
possibles injustices d’une distribution liée au temps de travail »
que Mattick indiquait, à savoir qu’en dépit de l’égalité
formelle il n’y a d’égalité ni du travail, ni des conditions de
vie des travailleurs, étaient connus aussi bien du GIC que de Marx,
et la solution essentielle en était l’évolution vers un stade
supérieur du communisme où ce qui prévaudra c'est de prendre en
fonction des besoins et de donner en fonction des capacités. Mattick
simplifie le problème en partant de l’hypothèse que « dans
les pays capitalistes avancés (…) les forces sociales de
production sont suffisamment développées pour produire des moyens
de consommation en abondance »
et que « dans les
conditions d’une économie communiste, il est possible de produire
une abondance de moyens de consommations, ce qui rend le calcul de la
participation individuelle [au
travail collectif]
superflu »18.
Premièrement, nous ne savons pas quelle sera dévastation due à la
destruction de l’environnement, aux guerres impérialistes, aux
crises économiques et à la guerre civile entre le capital et le
travail, qui sera héritée du capitalisme par la classe ouvrière
victorieuse. Deuxièmement, Mattick ne pose pas la question :
« qui travaillera si la consommation est libre ? ».
La transition de la rareté à l’abondance dans les formes
supérieures du communisme n’est pas seulement une question de
développement technique des forces productives. La révolution est
également l’“auto-éducation” des forces productives humaines
grâce à laquelle le prolétariat peut « réussir
à balayer toute la pourriture du vieux système qui
lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des
bases nouvelles »19.
C'est
à l’intérieur du groupe Daad & Gedachte, sur la base étroite
de son propre résumé des “Principes fondamentaux”, que
des discussions ont émergé à la fin des années 1970 sur les
inégalités existantes en matière de paye, si celle-ci est calculée
en fonction des heures travaillées. Outre des propositions
intéressantes destinées à compenser ces inégalités, le groupe
avançait cependant des idéaux qui étaient absents dans les écrits
du GIC20.
Au
début de la période transitoire, lorsque la société a encore les
caractéristiques du capitalisme, le terme de “liberté”, qui
figure dans « l’association des producteurs libres et
égaux », a une connotation négative en tant qu’il est
opposé à celui d’oppression, et pas encore la connotation du
libre développement des qualités unique de chaque individu. De la
même façon, le terme d’“égalité”, immédiatement après la
révolution prolétarienne, nous rappelle que l’égalité formelle
du droit civil des “producteurs égaux” dissimule toutes sortes
de formes réelles d’inégalité. L’égalité est traitée dans
les “Principes fondamentaux” de 1935 au chapitre IX sous
le titre : “‘Rechtvaardige’ verdeling ?”.
« Dans
la production communiste, nous demandons par conséquent que le temps
de travail soit la mesure de la consommation. Chaque travailleur
détermine par son travail en même temps sa part dans les stocks
sociaux de biens de consommation.
« Ou
bien, comme le dit Marx : “ Il reçoit de la société un bon
constatant qu'il a fourni tant de travail (défalcation faite du
travail effectué pour les fonds collectifs) et, avec ce bon, il
retire des stocks sociaux d'objets de consommation autant que coûte
une quantité égale de son travail. Le même quantum de travail
qu'il a fourni à la société sous une forme, il le reçoit d'elle,
en retour, sous une autre forme.” (Voir la fin du chapitre III).
« Cela
est mal interprété comme étant une distribution “juste” du
produit national. Et c'est vrai dans ce sens que personne ne peut
manger s’il se roule les pouces, comme les actionnaires le font
quand leur seule occupation est d’encaisser les dividendes. Mais la
justice ne va pas plus loin qu’avec ce cas-là. À première vue,
il semble que toute différence de salaire soit abolie, et que toutes
les fonctions de la vie sociale, que le travail soit intellectuel ou
manuel, donne des droits égaux aux stocks sociaux. Mais si l’on y
regarde de plus près, la loi de l’égalité fonctionne de manière
très injuste.
«
Prenons deux travailleurs, tous deux donnant à la société le
meilleur de leurs capacités. Mais l’un est célibataire, tandis
que l’autre a une famille avec cinq enfants. Un autre est marié,
mais le mari et la femme travaillent tous les deux de sorte
qu’ils ont un “double” revenu21.
En d’autres termes, le même droit aux ressources sociales devient
une grande injustice dans la consommation pratique.
« La
distribution selon la règle du temps de travail ne peut donc jamais
découler de la justice. La règle du temps de travail a les mêmes
défauts que toute autre règle. Cela signifie : une règle
juste n’existe pas et ne peut jamais exister. Quel que soit le
critère que l’on choisisse, il sera toujours injuste. Et cela
parce qu’employer un barème signifie ignorer les différences
individuelles en matière de besoins. Une personne a peu de besoins,
une autre en a beaucoup. Un homme peut ainsi satisfaire tous ses
besoins avec son allocation de fournitures, tandis qu’un autre
manque de toutes sortes de choses. Ils donnent tout ce qu’ils
peuvent à la société, et pourtant le premier peut satisfaire ses
besoins et le second ne le peut pas.
«
Cette imperfection est inhérente à tout barème. En d’autres
termes, la définition d’une mesure de la consommation est une
expression de l’inégalité de la consommation. La demande de
droits égaux sur les stocks sociaux n’a rien à voir avec la
justice. Au contraire, c’est une
revendication politique
par excellence que nous posons en tant que travailleurs
salariés.
Pour nous, l’abolition du travail
salarié
est le point central de la révolution prolétarienne. Tant que le
travail n’est pas la norme de la consommation, il y a un “salaire”,
qu’il soit élevé ou faible. Dans tous les cas, il n’y a pas de
lien direct entre la quantité de biens produits et le salaire. En
conséquence, la gestion de la production, la distribution des biens
et aussi la valeur ajoutée ainsi produite, échoient nécessairement
aux “instances supérieures”. Cependant, si le temps de travail
est le critère pris pour la consommation individuelle, cela veut
dire que le travail salarié a été aboli, qu’il n’y a plus de
plus-value produite, et que par conséquent il n’y a plus besoin
d’“instances supérieures” pour distribuer le “revenu
national”.
« Le
besoin d’un droit égal sur les ressources sociales ne dépend donc
pas de la “justice” ou de tout autre sorte d’évaluation. Il
est fondé sur la conviction que c’est seulement de cette
manière-là que les travailleurs salariés pourront conserver
le contrôle de l’économie. C'est à partir de l’“injustice”
du droit égal que la société communiste commencera à se
développer. »22.
Incompréhension
du cadre politique
Concernant
la Gauche italienne en exil, c'est une critique plus politique qui a
été faite par elle des “Principes
fondamentaux”.
Cependant
Mitchell, dans un très long écrit dans “Bilan”, de 1936 à
1937, a ignoré les prémisses politiques trouvées à la fois dans
les études préliminaires et dans l’édition de 1935 des
“Principes
fondamentaux”.
En conséquence, sa conclusion équivaut en partie à constater une
évidence :
« Dans
la prochaine révolution, le prolétariat vaincra indépendamment
de son immaturité culturelle et de ses lacunes économiques, à
condition qu’il ne compte pas sur la “construction du socialisme”
mais sur le développement de la guerre civile internationale. »23.
Hennaut
avait déjà rédigé en 1936 pour “Bilan” un résumé en
français des “Principes
fondamentaux”.
Connaissant l’édition hollandaise, Hennaut a formulé en 1935 dans
“Bilan” de manière beaucoup plus prudente et plus précise ce à
quoi “Bilan” pensait, à savoir à la question de l’État
prolétarien :
« C’est
pour cela qu’une révolution, si “mûre” fût-elle, ne peut
jamais être un processus mécanique. Il est possible que telle ne
soit pas non plus l’opinion de nos camarades hollandais et que la
lacune que nous signalons ne résulte que de la nécessité qu’il y
avait d’abstraire en quelque sorte et de montrer, pour la clarté
de l’exposition, l’évolution économique comme étant
complètement séparée de l’intervention politique, mais il
importe quand même de faire plus de clarté sur ce point. Il est
vrai qu’ils affirment quelque part que l’État reste nécessaire
au prolétariat après la prise du pouvoir. Il s’agit d’un “État”
d’une nature particulière, qui n’est déjà plus, en réalité,
un État, comme Lénine, après Marx, le montrait d’ailleurs. Il
s’agit d’un État qui « ne puisse pas ne pas dépérir »,
alors que le marxisme a mis en relief que l’État était toujours
l’instrument d’oppression d’une classe sur une autre. Il est
possible que, pour la clarté de l’exposition, il faille remplacer
dans la terminologie l’expression d’“État prolétarien” par
une autre plus adéquate. Mais, avec ces explications, on comprendra
nos critiques. L’exposé des Hollandais énonce la nécessité d’un
“État prolétarien” qui ne pourrait pas s’évader de sa
fonction d’instrument de répression de la contre-révolution. »24.
La
Gauche italienne a présenté dans “Bilan” et dans
“Internationalisme” d’intéressantes positions sur l’État
dans la phase de transition. Malheureusement, la discussion entre les
positions de la Gauche communiste italienne et de la Gauche
communiste hollandaise a été bloquée pendant des décennies en
raison du mépris pour le cadre politique que la GIC a utilisé25.
Certains de ces malentendus persistants ont été propagés par
Gilles Dauvé.
Après
Mai 1968, la Gauche germano-allemande a été redécouverte en
France. Cette redécouverte s’est produite sous le couvert des
illusions petites-bourgeoises et artisanales de l’“autogestion
ouvrière” économique dans des usines occupées isolées - par
exemple, l’usine de montres LIP - au sein du capitalisme. Après
que certains textes communistes des conseils ont été nouvellement
traduits ou republiés à partir de sources avant cela obscures,
Authier et Barrot (ce dernier nom étant le pseudonyme de Gilles
Dauvé) ont publié en 1976 une première historiographie en français
de La gauche communiste
en Allemagne 1918-1921.
Les auteurs reprenaient la critique formulée par Bordiga concernant
l’obsession supposée de la Gauche communiste allemande pour les
formes d’organisations (conseils, parti) au détriment de leur
contenu, c'est-à-dire du programme communiste. Bordiga indiquait que
tant que le Parti Communiste de Russie au pouvoir adhérerait ne
serait-ce que “programmatiquement” à la révolution mondiale, la
Russie serait gouvernée par une dictature du prolétariat26.
Bordiga n’identifiait pas le capitalisme d’État et le
socialisme, comme Lénine le fait dans L’État
et la révolution
avant la Révolution d’Octobre. Bordiga en appelait aux
déclarations de Lénine à l’époque de la lutte contre les
communistes de gauche, et plus tard dans la défense de la NEP.
Lénine, qui était devenu plus analytique après la Révolution
d’Octobre, défendait le capitalisme d’État comme une avancée
économique vers le socialisme, mais il ne le qualifiait pas de
capitalisme. À propos de ces subtilités non négligeables dans la
défense du capitalisme d’État par Lénine et par Bordiga, il est
important de souligner que Bordiga acceptait le remplacement
léniniste de l’activité de masse et de l’organisation de masse
par l’organisation minoritaire du parti, tandis que les Gauche
hollandaise et allemande partageaient le fait de considérer les
conseils ouvriers comme des organes de masse de la dictature du
prolétariat. Mais cette vision des choses est rejetée, dans un
style léniniste, du point de vue substitutionniste du bordiguisme
comme représentant la priorité de la forme organisationnelle sur le
contenu programmatique, si ce n’est simplement comme un
“économisme”. Avec le recours bordiguiste à la primauté du
programme, Authier et Barrot ont qualifié toute la Gauche
germano-hollandaise de “conseilliste”27,
lui déniant son caractère “communiste”.
Le
plus grand crime que le GIC a commis aux yeux d’Authier et de
Barrot est de proposer d’introduire l’heure de travail moyenne
socialement nécessaire comme unité de calcul dans une économie qui
connaît encore la pénurie. En introduisant une unité générale de
comptabilité, les rapports de valeur seraient maintenus. Pour
prouver cela, ils invoquent Bordiga qui avait été le seul pendant
longtemps à avoir répété que le communisme ne connaît plus de
valeur. Les calculs ne devaient être appliqués qu’à des
quantités physiques, « mais non pas en vue de quantifier, de
réguler, un échange qui n’existe plus »28.
C'est dans ce contexte qu’Authier et Barrot font référence à
deux fragments du vaste ouvrage de Bordiga sur la Structure
économique et sociale de la Russie d’aujourd'hui29.
Cependant, il est dit en premier lieu dans ces fragments que, dans le
socialisme, l’accumulation de valeur est remplacée par la
production de valeurs d’usage (p. 191). Deuxièmement, Bordiga
indique que les bolcheviks utilisaient la monnaie comme moyen de
calcul dans leur planification, et il est d’accord avec Boukharine
lorsque ce dernier exprime sa préférence pour une planification en
nature ou en quantités physiques (p. 205). Les bolcheviks ont
appliqué cette planification en nature au cours du Communisme de
guerre, ce qui a été généralement reconnu comme un échec
complet, après lequel la NEP a été introduite. La planification en
quantités physiques a été analysée par le GIC dans “Les
principes fondamentaux”30.
Authier
et Barrot se réfèrent à la critique de Proudhon par Marx comme
second argument contre le temps de travail en tant qu’unité de
calcul. Cependant, en 2013, David Adam a montré que les propositions
du GIC sont parfaitement conformes à Marx. Dans ses aventures
politiques, Barrot/Dauvé s’était transformé en principal
idéologue du courant de la “communisation”31.
Confronté
à l’argument d’Adam, Dauvé a tourné le dos à Marx :
« Dans
Marx’s
Critique of Socialist-Money Schemes & the Myth of council
Communism’ Proudhonism,
libcom.org, 2013, David Adam réfute mon ancienne critique de la
vision conseilliste du communisme en arguant que la notion de valeur
du GIC est la même que celle de Marx. Que la discussion soit devenue
plutôt difficile n’est ni de la faute de David Adam ni de la
mienne, c'est seulement dû au fait que la question est compliquée.
Dans le passé, j’ai voulu contester le GIC au nom de l’analyse
de la valeur de Marx en faisant une référence particulière aux
Grundrisse.
Je mets maintenant en avant l’argument selon lequel il y a quelque
chose de hautement discutable dans la vision même de Marx, à la
fois dans Le
Capital
et dans les Grundrisse,
que le GIC a marché sur les traces de Marx et qu’il a eu tort de
le faire : loin d’être un instrument utile et juste de mesure, le
temps de travail est consanguin au capitalisme. C’est davantage
qu’un lien causatif : le temps de travail est la
substance de la valeur. Marx était certainement un précurseur du
projet conseilliste. »32.
Par
souci d’exhaustivité, il faut noter ici que l’ouvrage de
Bordiga : Structure
économique et sociale de la Russie d’aujourd'hui
contient un chapitre dans lequel il mentionne les certificats de
travail (avec le nombre d’heures travaillées) que Marx, dans sa
Critique du programme
de Gotha, proposait
comme un droit à la consommation au cours du premier stade de la
société socialiste. Bordiga dit qu’il a rencontré en Union
soviétique toutes sortes de catégories purement capitalistes telles
que l’argent, l’épargne, les comptes bancaires, l’intérêt,
le crédit, mais jamais ces certificats de travail33.
Ceci rend l’appel de Dauvé à Bordiga pour le moins discutable.
Assez
parlé maintenant des malentendus persistants sur les “Principes
fondamentaux” par
manque de connaissance du texte concerné, en particulier dans le
monde francophone. Et pour finir, laissons le GIC parler pour
lui-même.
La
dictature économique du prolétariat
C'est
sous le titre de : “La dictature économique du prolétariat”
que le GIC a présenté sa vision politique dans l’édition de 1935
des “Principes
fondamentaux” :
« Pour
finir, nous devons consacrer quelques mots à la dictature du
prolétariat. La dictature est une chose évidente pour nous, et l’on
n’a donc pas nécessairement besoin de parler d’elle, étant
donné que la structure de la vie économique communiste n’est pas
différente de la dictature du prolétariat. La mise en œuvre de
l’économie communiste ne signifie rien d’autre que l’abolition
du travail salarié, ce qui entraîne le droit
égal
aux stocks sociaux pour tous les producteurs. C'est également
l’abolition des privilèges de certaines classes. L’économie
communiste ne donne à personne le droit de s’enrichir aux dépens
du travail des autres. Celui qui ne travaille pas, ne mange pas.
L’application de ces principes n’est en aucun cas “démocratique”.
La classe ouvrière les met en œuvre avec la plus violente et
sanglante des luttes. Il ne peut pas être question de “démocratie”
dans le sens d’une coopération des classes, telle qu’on la
connaît aujourd'hui dans les systèmes parlementaire et syndical.
« Mais
si nous regardons la dictature du prolétariat du point de vue de la
transformation des relations sociales, des relations réciproques
entre les hommes, alors la dictature est la véritable conquête de
la démocratie. Le communisme ne veut pas dire autre chose que le
fait que l’humanité entre dans une phase culturelle supérieure,
étant donné que toutes les fonctions sociales sont placées sous la
direction et le contrôle de tous les travailleurs, et qu’ainsi
ceux-ci prennent leur destin en main. Autrement dit, la démocratie
est devenue le principe de vie de la société. De ce fait, une
démocratie essentielle, enracinée dans la gestion de la vie sociale
par les masses laborieuses, est exactement la même chose que la
dictature du prolétariat.
« Il
était de nouveau réservé à la Russie de faire de cette dictature
une caricature en présentant la dictature du parti bolchevik comme
la dictature de la classe prolétarienne. De cette manière, il a
fermé la porte à une véritable démocratie prolétarienne,
c'est-à-dire à l’administration et à la direction de la vie
sociale par les masses elles-mêmes. La dictature du parti est la
forme dans laquelle la dictature du prolétariat est en réalité
contrecarrée.
« En
plus de la signification sociale de la dictature, jetons un regard
sur son contenu économique. Dans la sphère économique,
la dictature agit de telle manière qu’elle impose une
application générale des nouvelles règles sociales auxquelles la
vie économique est sujette. Les travailleurs eux-mêmes peuvent
ajouter toutes
les activités sociales à l’économie communiste s’ils acceptent
ses principes, s’ils mettent en œuvre la production pour la
communauté sous la responsabilité de la communauté. C'est tous
ensemble qu’ils mettent en pratique la production communiste.
« Il
est évident que les différents domaines du secteur agricole ne
suivront pas immédiatement les règles de la vie économique
communiste, c'est-à-dire qu’ils ne se joindront pas à la
communauté communiste. Il est également probable que certains
travailleurs comprendront le communisme de telle manière qu’ils
voudront gérer les entreprises de manière indépendante, et non pas
sous le contrôle de la société. Au lieu du capitaliste privé du
passé, ce sera alors l’organisation des affaires qui agira en tant
que “capitaliste”.
«
À cet égard, la dictature économique a pour fonction spécifique
d’organiser le secteur économique selon les règles générales,
et, dans le bureau général de comptabilité, la comptabilité
sociale remplit une fonction importante. Nous trouvons dans les
comptes sociaux l’enregistrement des flux de biens dans la vie
économique communiste. Cela ne signifie rien d’autre que ceux qui
ne font pas partie du système de comptabilité sociale ne peuvent
pas obtenir de matières premières. En effet, dans le communisme,
rien n’est “acheté” ni “vendu”. Les producteurs ne peuvent
obtenir des produits et des matières premières de la part de la
communauté que pour une distribution ou une transformation
supplémentaire. En revanche, ceux qui ne désirent pas inclure leur
travail dans le processus de travail régulé socialement s’excluent
de la communauté communiste. C'est ainsi que la dictature économique
mène à l’auto-organisation
de tous les producteurs, qu’ils soient petits ou grands, qu’ils
soient industriels ou agricoles. En réalité, cette dictature
s’abolit immédiatement à partir du moment où les producteurs
intègrent leur travail dans le processus social et où ils
travaillent selon les principes du contrôle social et de l’abolition
du travail salarié. C'est donc aussi une dictature qui “meurt”
automatiquement dès que la vie sociale tout entière est établie
sur les nouvelles fondations de l’abolition du travail salarié.
C'est également une dictature qui n’exerce pas son pouvoir en
employant la baïonnette, mais qui procède avec les lois économiques
du développement du communisme. Ce n’est pas “l’État” qui
s’acquitte de la dictature économique, mais c'est quelque chose de
plus puissant que l’État : les lois économiques du
développement. »34.
Les
“Principes
fondamentaux” ne
fournissent certes pas le dernier mot concernant les mesures que les
conseils ouvriers pourront prendre après leur conquête du pouvoir
politique. Mais c'est le GIC qui jusqu’à présent a produit
l’analyse la plus complète et la plus profonde des expériences
révolutionnaires de la période 1917-1923. C'est aux nouvelles
générations de travailleurs révolutionnaires qu’il revient
d’aller de l’avant en utilisant comme marchepied ce qui a été
accompli il y a cent ans.
Fredo
Corvo, mai 2018.
Relecture
: Jacob Johanson, 12 mai 2018.
Résumé
de l’article
Les “Principes
fondamentaux de la production et de la distribution communistes”
par le Groupe des Communistes Internationaux (GIC) n’est pas
seulement un texte historique. Sur la base des idées de Marx et des
expériences effectuées dans les révolutions de 1905-1923 en Russie
et en Allemagne, le GIC aborde les problèmes qui surviendraient
immédiatement après la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Le
texte du GIC a été publié pour la première fois en 1930, en
allemand. Plusieurs traductions et extraits en diverses langues sont
fondés sur cette première édition. L’on sait moins que le GIC a
publié une dernière édition revue, corrigée et augmentée, en
néerlandais, en 1935, dans laquelle il répond à un certain nombre
de critiques.
Par manque de
traductions et en raison d’extraits partiels, et aussi par manque
de connaissance des trois études préliminaires aux “Principes
fondamentaux”,
le débat relatif à la période de transition entre les positions de
la Gauche communiste hollandaise et de la Gauche communiste italienne
est resté bloqué jusqu’à aujourd'hui. Pour la première fois,
l’on a tenté d’éliminer les deux plus importants malentendus et
critiques en résumant ces textes qui étaient jusqu’alors inconnus
à l’extérieur de l’aire linguistique néerlandaise, et ce au
moyen de citations.
Cela concerne en
premier lieu les idéaux d’“égalité absolue” qui sont
faussement attribués au GIC alors que celui-ci a fait remarquer
l’inégalité réelle dans la distribution fondée sur le nombre
d’heures travaillées, de la même manière que Marx l’avait fait
dans sa Critique
du programme de Gotha.
Deuxièmement, sur
la base des études préliminaires et de l’édition de 1935, le
cadre politique dans lequel le GIC a posé les problèmes économiques
est esquissé, ce qui est contradictoire avec l’approche économique
unilatérale supposée de la période de transition.
Une attention
particulière est prêtée aux malentendus qui ont été d’abord
répandus par Authier et Barrot (Dauvé) dans l’aire francophone,
et qui ont été relayés par les idées du mouvement de
“communisation”. En réponse, David Adam a déjà montré que le
GIC n’est pas proudhonien, mais que ses idées sur la fin du
travail salarié coïncident avec celles de Marx. Il est ici démontré
que la référence d’Authier et de Barrot à Bordiga est douteuse
et que, dans les dernières pages de son ouvrage : “Structure
économique et sociale de la Russie d’aujourd'hui”,
Bordiga a précisément recours aux “bons de travail” qui ont été
condamnés par Authier et Barrot.
* * * *
*
NOTES
1
GIC, Marxism and State
Communism : The Witherings Away of the State
[Marxisme et communisme d’État : le dépérissement de
l’État] - Amsterdam : Groepen van Internationale
Communisten, 1932 - 18p. La citation est identique au premier
paragraphe de Max Hempel (pseudonyme de Jan Appel),
Marx-Engels-Lenin :
Über die Rolle des Staates in der proletarischen Revolution
[Marx-Engels-Lénine : Sur le rôle de l’État dans la
révolution prolétarienne],
in
“Proletarier”
(Berlin) n° 4-6, mai 1927. Les deux textes correspondent amplement
aux Principes
fondamentaux
et ils peuvent en être considérés comme une étude préliminaire.
2
Pour une vue d’ensemble exhaustive des différentes publications
ayant des liens avec les textes complets, voir aaap.be. Si vous
cherchez un bref résumé des “Principes
fondamentaux”, vous
pouvez choisir parmi les titres suivants qui sont rangés ici du
plus simple au plus complexe : Spartacus 1961 (original en
néerlandais), Mattick 1938 partie 1, partie 2 (original en
anglais), ou Mattick 1934 (original en anglais).
3
Voir : “Principes
fondamentaux de production et de distribution communistes”,
1930, chap. XIX.
4
GIC, “Principes
fondamentaux de production et de distribution communistes”,
1930, chap. I à VI. GIC, “Les
fondements théoriques de l’ouvrage : “Principes
fondamentaux de production et de distribution communistes””,
1931. L’édition de 1935 est augmentée de réponses à plusieurs
critiques. Malheureusement, elle n’a jamais été traduite du
néerlandais dans d’autres langues.
5
Jan Appel (1890-1985).
6
Notes d’une conversation de F. O. avec Appel en 1977 (collection
AAAP).
7
Plutte, Geoffroy (sous la direction de), Die
Revolution war für mich ein grosses Abenteur. Paul Mattick in
Gespräch mit Michael Buckmiller,
Münster, 2013, pp. 41/43. La
révolution fut une belle aventure : Des rues de Berlin en
révolte aux mouvements radicaux américains (1918-1934)
/ Paul Mattick ; traduit de l’allemand par Laure Batier et
Marc Geoffroy ; préface de Gary Roth ; notes de Charles
Reeve. - Montreuil : L’Échappée, 2013.
8
Sur la base des notes prises lors de la conversation de F. O. avec
Appel (collection AAAP).
9
Pour le texte original complet en néerlandais voir Aantekeningen
over communistische economie.
La première partie a été publiée dans AFRD vol. 1#04, 22 août
2017 : “Extracts from : ‘Notes on communist economy’
by Piet de Bruin (Jan Appel), 1928 (Partie 1 à 3)”.
10
GIC,
Ontwikkelingslijnen
in de landbouw (Ontwikkeling van het boerenbedrijf),
1930. Voir pour une position récente : Over
het agrarische vraagstuk.
11
Voir : Eenige
opmerkingen bij de voorstellen van de agrarische commissions
/ Ant[on]. Pannekoek [Met een antwoord van H. Gorter] in: “De
Nieuwe Tijd”, 1904, p. 409-420
12
GIC, Ontwikkelingslijnen
in de landbouw (Ontwikkeling van het boerenbedrijf)
1930.
13
GIC, Marxism
and State Communism; The Withering Away of the State
– Amsterdam: Groepen van Internationale Com munisten, 1932. – 18
p.
14
GIC,
Marxism
and State Communism; The Withering Away of the State
– Amsterdam: Groepen van Internationale Com munisten, 1932. – 18
p.
15
Anton
Pannekoek, Herinneringen,
1982, p. 215
16
Anton
Pannekoek, Workers'
Councils,
1946 Shop organization.
17
Pour la plus récente édition en anglais, en partie revue et
corrigée, voir The
Dutch and German Communist Left (1900-68),
Brill, p. 358/363. La
première édition de cette Thèse a également été distribuée
par le CCI comme étant son propre “travail collectif”.
Voir aussi
la critique
de Corvo : Council
communism or councilism? - The period of transition.
18
Voir : Introduction
/ Paul Mattick.
19
Marx/Engels : L’idéologie
allemande.
20
Daad & Gedachte, Maar
hoe dan? Enige gedachten over een socialistische samenleving:
Discussie.
21
Note de F. C. : Cet exemple indique erronément que le mariage
bourgeois et la famille bourgeoise continueront à exister durant la
période transitoire. Mais les communistes proposeront une
individualisation des revenus qui assurera que ceux qui forment un
ménage le font sur la base seulement de l’affection personnelle
et non pas contraints par une dépendance économique mutuelle.
22
“Principes
fondamentaux”,
1935, chapitre IX sous le titre : “‘Rechtvaardige’
verdeling ?”.
23
Mitchell, Problèmes
de la période de transition.
24
A. Hennaut, Discussion
sur les “Principes
fondamentaux” du
GIC, 1935.
25
A.
Hennaut, De
Nederlandse Internationale Communisten over het program van de
proletarische revolutie.
26
Voir en
particulier : Bilan
d’une révolution (1967-1991),
conclusion de la partie I :
Les grandes leçons d’Octobre 1917.
27
Authier/Barrot, La
Gauche Communiste en Allemagne 1918-1921,
Paris, 1976 p. 18.
28
Ibidem,
p. 227.
29
Bordiga, Structure
économique et sociale de la Russie d’aujourd’hui ;
II
Développement des rapports de production après la révolution
bolchevique,
Paris.
30
GIC,
The
Basic Theoretical Foundations of the Work “Fun damental Principles
of Communist Production and Distribu tion”,
Ch. III The
Distribution of Means of Production and Consumption “in Natura”
(by
Barter) as a Bolshevik Ideal,
en hollandais : GIC, Grondbeginselen
van de communistische produc tie en distributie,
Ch. XII De
opheffing van de markt.
31
Sur cette histoire peu ragoûtante, voir : Bourrinet,
Dictionnaire
biographique d’un courant internationaliste,
lemme Dauvé.
32
Gilles
Dauvé, Value,
time and communism : re-reading Marx.
33
Bordiga, idem,
Le ‘bon’ de Marx,
p. 221 et suivantes.
34
“Principes
fondamentaux”,
1935,
in Ch. XVI sous le titre : De
economische dictatuur van het proletariaat.
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