le parti est dans la valise (voir plus bas) |
Mes
journées de 1830 par le royaliste Edmond Marc
Voici
un chapitre du journal inédit d'un brillant mémorialiste méconnu,
et quelle belle écriture ! Passionnant, plein d'humour et qui
nous révèle les exactions des deux camps – royaliste et bourgeois
mais aussi du lumpen ouvrier récemment issu de la plouquerie (*) -
les secrets de la tactique des barricades ; seulement publié en
1930. On aimerait bien trouver un tel journal de la Commune de 1871,
où ses idolâtres intellos académistes bordiguiens puissent se
guérir des clichés de plusieurs de ses historiens histrions et des
fabulations de Marx. Et je ne publie pas ce texte pour abonder en
faveur du marais des idiots inutiles de la mouvance bobo du « comité
invisible » qui arnaque en ce moment une partie de la jeunesse
bourgeoise et estudantine et dont les éditions de merde (La
Fabrique) trustent les rayons des supermarchés Gibert et autres
FNAC. La barricade c'est fini depuis 1968 et si la révolution future
– d'un prolétariat reformaté - devait se dérouler sur le simple
plan de la lutte armée elle serait déjà mort-née.
(*)
Dinosaures anars comme bobos triomphants de NDDL portent aux nues les
paysans lesquels sont toujours réacs et ont fourni les troupes de
répression de toutes les révolutions du 19 e siècle. L'Etat de
Macron s'est ridiculisé près de Nantes et les journalistes
fouilles-merde en rajoutent tous les jours sur les prétendus écarts
sexuels de tout le personnel politique, et pendant ce temps tout va
bien pour le chômage perpétuel, l'exclusion et l'exploitation des
hommes par les femmes, ou l'inverse... Le XXI e siècle sera-t-il le
siècle des rigolos écolos mégalos?
Assemblée de féministes trotskiennes devant le CC du NPA |
Mercredi
28 juillet 1830
Je
sortis sur les 7 heures du matin et allai d'abord sur la place du
Palais-Royal. Elle était occupée par un fort détachement
d'infanterie de la garde et couverte de populace. On passait et
repassait devant les soldats sur la figure desquels les fatigues de
la veille et de la nuit n'avaient point altéré l'empreinte d'un
courage à toute épreuve, et qui paraissaient supporter avec
impatience cette curiosité injurieuse accompagnée de loin de
sourires insulteurs, de propos grossiers ou de sifflets. Les murs des
maisons environnantes portaient les traces des décharges de la
veille et la place des réverbères n'était plus indiquée que par
de longs bouts ce corde rompus qui pendaient ça et là au milieu de
la rue.
Leur
destruction était un des moyens de désordre et de confusion
recommandés par les chefs de la conspiration.
Je
montai jusqu'au perron par la Galerie de Foy et pris là un
cabriolet ; je redescendis la rue Montpensier et lorsque
j'entrai dans la rue Richelieu, le long du Théâtre-Français, je
vis un grand rassemblement de populace contre la boutique dévastée
de Le Page ; de grands applaudissements se firent aussitôt
entendre et en suivant tous les regards dirigés sur la porte de ce
pauvre Evrard, tailleur du Roi, j'aperçus au haut d'une forte
échelle dressée contre sa maison, un serrurier avec sa trousse, et
les bras nus, détachant à grand coups de marteau l'enseigne qui
portait l'écusson de France. La chute de cet emblème de la royauté
fut accompagnée de battements de mains, de cris furieux et de
sifflets par la horde hideuse qui entourait le pied de l'échelle.
Le
serrurier ayant terminé sa besogne redescendit tranquillement ;
on enleva l'échelle qu'on alla appliquer successivement entre toutes
les maisons qui portaient l'écusson du Roi ou d'un prince, afin de
le détacher de même.
En
descendant la rue, le cheval de mon cabriolet passa sur les débris
de l'écusson d'Orléans, arraché de l'enseigne du pâtissier de ce
prince, tandis qu'un enfant qui en tenait la moitié, crachait dessus
et le souillait de boue qu'il prenait dans le ruisseau. Son Altesse
elle-même ne s'en fût pas mieux acquittée.
« Ce
n'est rien que cela, me dit mon cocher d'un air mystérieux ; ce
n'est là que le commencement de la danse ; vous allez voir
autre chose tantôt. Je ne répondis rien, trop préoccupé que
j'étais déjà de ce dont j'étais témoin.
Les
rues étaient pleines de colporteurs qui vendaient ouvertement des
numéros de tous les journaux qui ne s'étaient pas soumis aux
Ordonnances et prêchaient la révolte. Déjà donc le Roi n'était
plus roi dans Paris.
Je
remontai dans le faubourg Saint-Germain. J'allai voir plusieurs
personnes de ma connaissance dont quelques-unes ne partageaient pas
mes opinions. Je trouvai surtout l'une d'elles, une dame, dans un
état d'irritation, véritablement effrayant.
J'eus
à peine le temps de lui adresser quelques mots en entrant et je
n'étais pas encore assis qu'elle préludait par des exclamations
furibondes, à une récapitulation passionnée de tous les crimes, de
tous les attentats consacrés par les Ordonnances, dont elle ne
parlait qu'en gesticulant comme une pythonisse sur le trépied.
Etouffé par mille réponses que je ne pouvais trouver le moyen de
placer au milieu du flux de son indignation, sentant d'ailleurs que
chaque trait me faisait de plus en plus perdre mon sang-froid dont
j'avais tant besoin, pour ne pas manquer à mon interlocutrice, je me
précipitai bientôt hors du salon et me rejetai, indigné, dans mon
cabriolet.
J'ai
retrouvé la même dame imperturbable apologiste de l'état de siège,
des mitraillades du cloître Saint-Merry1,
des innombrables persécutions de la presse, des violations de la
Charte, des violations de domicile, de propriété, de liberté
individuelle, des guet-apens de la police, des conseils de guerre,
etc., etc..., de toutes les infamies auxquelles le juste milieu nous
a presque habitués depuis trois ans. Je ne doute même pas que la
boucherie de Lyon2
ne lui ait paru un trait d'héroïsme et la plus belle gloire du roi
des barricades.
Le
faubourg était tranquille, mais pourtant je ne sais quelle panique
fît en un instant fermer les boutiques et détacher ou barbouiller
les écussons fleurdelysés qui paraient toutes celles des marchands
brevetés. Après un tel exemple il était bien difficile à un roi
boutiquier de n'en pas faire autant3.
Je
revins à pied au Palais Royal et remontai la rue de Richelieu
jusqu'à la Bibliothèque du Roi. Je remarquai que plusieurs journaux
non autorisés étaient affichés contre les murs et je lus un petit
placard à la main qui portait :
« Citoyens !
La liberté est en péril ! Aux armes ! La brave garde
nationale se rassemble de tous côtés sous les ordres de l'immortel
La Fayette. Courons grossir ses rangs. C'est le traître Raguse4
qui commande les assassins du peuple. »
Il
était au plus 9 heures. De place en place, il y avait dans la rue
des groupes de 15 à 20 hommes du peuple ; je m'approchai de
l'un d'eux et je vis au milieu plusieurs énergumènes qui
chargeaient ouvertement des pistolets et qui criaient à ceux qui les
aidaient : « Eh toi, une balle ici ! Passe la
poudre ! ». L'un d'eux dit, en montrant la balle qu'il
allait mettre dans son arme : « En voilà une qui sera
dure de digestion ». Et tous partirent d'un éclat de rire.
Comme
je passais sous l'arcade Colbert5,
je ne pus voir, sans un pressentiment pénible, les cinq soldats
suisses, tout brillants de jeunesse et de vigueur, qui composaient le
poste préposé à la garde de la Bibliothèque de ce côté. Je
pensais aussitôt au 10 août6.
Je me sentis transporté devant ce noble lion de Lucerne expirant sur
l'écusson de France que sa griffe puissante étreint encore ;
devant cette foule de noms généreux livrés à l'admiration et au
respect de la postérité ; et je ne pus me défendre d'une
profonde impression de tristesse en songeant que les noms inconnus de
ces cinq braves grossiraient peut-être bientôt la liste glorieuse
des martyrs de la fidélité.
Il y
avait précisément peu de temps qu'ayant entre les mains des détails
très circonstanciés sur cette fameuse journée, j'y avais vu que
l'huissier qui était de service chez Louis XVI lors de
l'envahissement des Tuileries, ayant refusé d'ouvrir aux
sans-culottes, fut massacré contre la porte du Roi et qu'une femme
du peuple, pour faire honte à un homme à qui la vue du cadavre
paraissait faire impression, avait percé de son couteau la poitrine
du malheureux officier et avait bu le sang qu'elle avait reçu dans
sa main.
J'entrai
dans les premières maisons à gauche, rue de Vivienne, qui est
l'hôtel Boston, où était descendu Radcliffe. Quand je l'eus
embrassé, les premières paroles que je lui adressai furent
celles-ci : « Je n'ai pas vu vos chevaux. » En
effet, il n'y avait pas d'attelage avancé dans la cour de l'hôtel.
Il ne
pouvait partir qu'à 4 heures. En attendant, il me fit faire la
connaissance d'un jeune Anglais extrêmement distingué, lors Hill,
avec lequel il voyageait.
La
veille au soir, se promenant sur la place de la Bourse autour d'un
bivouac de la Garde, la foule qui l'entourait avait fait une poussée
sur une sentinelle qui l'avait refoulée à coups de crosse en
criant : « Arrière, canaille ! » Comme il se
trouvait près du soldat, Radcliffe eut la sottise de prendre pour
lui cette apostrophe et de riposter en mauvais français. En
conséquence, la sentinelle l'avait pris au collet et conduit à son
officier. Celui-ci reconnaissant bientôt en ce jeune homme bien vêtu
un flâneur anglais, lui dit, en le mettant en liberté : « Ce
n'est oint ici, monsieur, la place d'un curieux. Par le pied de
guerre sur lequel nous sommes, vous pouvez fort bien recevoir un coup
de baïonnette dans le ventre pendant que vous prenez la peine de
vous promener ici. Retournez chez vous croyez-moi, et restez-y
tranquille. » Mon John Bull, vexé, ne se l'était pas fait
répéter.
Il
n'y avait pas encore de bruit dans la rue Vivienne ; seulement
les boutiques étaient fermées et on s'occupait à noircir ou à
effacer tous les emblèmes de la royauté et jusqu'au nom du Roi ou
des princes sur les enseignes, tant ces braves boutiquiers avaient
peur. Il est vrai que plus tard nous les revîmes à leurs fenêtres
hurlant d'un air d'enthousiasme avec les loups de la rue et les
excitant de là à des entreprises dont ils se gardaient bien de
partager les dangers. Ce qui leur a valu du Constitutionnel, ce
brevet de « héros » qui était alors presque aussi bon
marché que celui de la Légion d'honneur.
Nous
allions sortir lorsque des cris éloignés nous rappelèrent à la
fenêtre. C'était une troupe d'une centaine d'ouvriers qui arrivait
sur la place de la Bourse ; ils y firent une halte, après quoi
ils entrèrent dans la rue Vivienne. Ils passèrent sous notre
fenêtre.
En
tête était un homme que son pantalon et sa blouse, que sa casquette
bleue souillée de plâtre, faisait reconnaître pour un maçon ;
il avait dans une main un sabre de cavalerie et dans l'autre un
pistolet d'arçon armé. Il marchait avec une arrogance affectée et
était sans cesse en se retournant vers les autres et brandissant ses
armes : « Vive la république ! A bas Charles X !
Vengeance ! »
Derrière
lui marchait un grand homme sans habit et les bras nus qui, d'une
main, portait un long bâton au bout duquel étaient attachés trois
rubans, trois loques de laine rouge, blanc et bleu, il avait à
l'autre main un grand sabre nu.
A
la suite de ces deux individus s'avançait une troupe de gens la
plupart déguenillés7,
tous armés plus ou moins ridiculement, les uns de haches, de
baïonnettes fixées au bout de bâtons, de piques, de sabres et
d'épées de toutes dimensions, de fusils de munition ou d'armes de
chasse, de pistolets , quelques-uns de simples pieux. Il y en avait
qui n'étaient point mal vêtus et qui menaient évidemment les
autres.
Au
milieu du groupe était porté un trophée digne de cette horrible
procession.
C'était
le cadavre sanglant d'un portier (disait-on) qui avait été tué sur
la place de la Bourse, la veille, par la Garde. - Trois bâtons dont
chaque extrémité était supportée par un homme, soutenait son cou,
ses reins et ses jarrets. Ce corps, fort grand, était déjà raidi
et avait un aspect horrible ; le visage défiguré par un coup
de feu et souillé de boue, était hideux ; on avait coupé avec
soin toute la partie du vêtement qui couvrait sa poitrine afin que
l'on pût voir les traces et les trous des quatre balles qui
l'avaient frappé en même temps dans cette partie.
A
peine le maçon qui était à la tête fut-il arrivé à la hauteur
de la rue Colbert, et eût-il porté les yeux de ce côté qu'il se
retourna vers sa troupe avec une expression de joie féroce en criant
de toute sa force : « Halte Halte ! Voici des habits
rouges ! ». Mille cris de « Morts aux Suisses ! »
lui répondirent, et l'on se précipita à l'entrée de la rue
Colbert. C'est alors que peu à peu et avec toutes les précautions
exigées par la prudence, s'ouvrirent les fenêtres aux environs, et
qu'on entendit quelques « héros » de boutique risquer le
cri de « Mort aux Suisses ! ».
Le
corps de garde était à peu près à cinquante pas dans la rue. On
commença par leur adresser des huées et des injures. Les passants
s'arrêtaient. Il y avait bientôt beaucoup de curieux qui
s'installaient comme à un spectacle ordinaire. La plupart animaient
même les ouvriers en leur criant : « Allons donc, sautez
dessus ! Les poltrons ! Ils ont peur de cinq habits
rouges ! » Mais eux restaient soigneusement derrière.
Les
malheureux Suisses faisaient la meilleure contenance possible. Mais
que pouvaient cinq hommes contre cent ?
J'éprouvais
en vérité une angoisse horrible. Je regardais de tous côtés s'il
ne viendrait pas à leur secours quelque troupe qui les arrachât aux
mains de leurs impitoyables ennemis. - Mais rien ! - Mes
pressentiments allaient donc déjà se réaliser !
On
se rangea en demi-cercle autour du poste, on dressa le cadavre en
face contre la muraille, un orateur le montra aux Suisses comme leur
victime, et leur adressa quelques phrases qui étaient de grossiers
reproches pour eux en même temps pour la populace un appel furieux à
la vengeance. - Le demi-cercle se resserrait toujours presque
insensiblement.
On
criait toujours de la rue Vivienne : « Allons-donc,
finissez-en ! Tombez dessus ! » - Au moins, me
disais-je, désespéré de les voir ainsi dévoués à une mort
certaine, au moins vendront-ils chèrement leur vie. - Mais, esclaves
d'une consigne absurde, ils ne voulurent pas faire emploi de leurs
armes avant d'avoir été attaqués et, malheureusement pas une
pierre, pas un coup ne vint légitimer à leurs yeux l'usage de leurs
moyens de défense. Sans leur rien faire, on s'approcha d'eux peu à
peu et quand on fut assez près on les assaillit, aux
applaudissements et battements de mains de cette troupe de lâches
aboyeurs qui se tenaient à 'écart. On leur arracha leurs fusils,
qu'on déchargea sur eux, un seul échappa, nous dit-on8.
Au moins un jeune homme, devant lequel nous en parlions plus tard,
dans le café du Carrousel, nous a-t-il affirmé qu'il avait été
recueilli dans une maison d'où ils sortait.
Sur
les quatre autres, on disait que deux avaient fait quelques pas avant
de tomber, que les autres étaient tombés sur la place même. On se
jeta sur leurs cadavres qu'on dépouilla, on se distribua les
gibernes, les sabres, les fusils, on mit en pièces les uniformes, on
en accrocha les lambeaux aux cordes des réverbères et on traîna
dans le ruisseau leurs épaulettes blanches et leurs schakos9.
Pendant
ce temps-là, d'autres brisaient tout dans le corps de garde et
jetaient le poêle par la fenêtre. On revint dans la rue Vivienne,
on rechargea sous nos fenêtres les fusils qu'on venait de prendre et
on s'en retourna sur la place de la Bourse, en laissant le cadavre
qu'on avait apporté, dressé contre un mur, tandis que ceux des
malheureux Suisses restaient étendus, presque nus, sur le pavé
ensanglanté. Nous entendîmes encore les héros de cette expédition
sur la place de la Bourse, tirer stupidement des coups de fusil dans
la façade du théâtre des Nouveautés. Ils disparurent enfin.
Ces
scènes affreuses nous avaient causé une telle horreur, que nous
étions tous comme pétrifiés, lorsque nous rentrâmes dans la
chambre.
Nous
sortîmes pourtant, lord Hill, Radcliffe et moi, pour aller déjeuner,
ou plutôt pour marcher, car l'esprit ne peut être aussi fortement
remué, sans communiquer au corps une irrésistible agitation. - Nous
descendîmes par la rue Sainte-Anne au Carrousel, où se trouvait
réunie une force armée bien plus considérable que la veille. Nous
entrâmes au café de l'hôtel de Nantes, sur la place, j'essayai de
manger et je m'aperçus que l'odeur même de la viande me dégoûtait,
j'avais l'estomac serré et oppressé comme sous le poids d'une
montagne. Nous vidâmes force bouteilles de bière, car, quoiqu'il
fût à peine 10 heures, la chaleur commençait à devenir
insupportable.
Comme
j'étais presque toujours sur la porte, je vis arriver, par le
guichet du Pont-Royal, un détachement de lanciers de la garde ;
un de ces hommes était soutenu par ses voisins sur son cheval ;
il avait reçu une balle qui lui avait crevé une partie de la joue
et de l'oreille. Le maréchal l'envoya avec un chirurgien à
l'ambulance.
Les
officiers vinrent descendre de cheval à la porte du café ; ils
étaient furieux ; l'un d'eux que je ne connaissais pas me dit
qu'ils venaient de faire huit ou dix charges sur la place de Grève
et aux environs, où l'affaire était très sérieuse, mais qu'il
était impossible de se battre de manière plus ingrate. - « Quand
nous piquons sur un rassemblement, disait-il, ils courent autant
qu'ils ont de jambes. Toutes les portes s'ouvrent ; en un
instant, il n'y a plus personne ; il n'y a pas un coup de lance
à donner. Cependant, les coups de fusil, les briques, les pavés
tombent comme la grêle de toutes les fenêtres sans qu'on puisse
même voir ceux qui les jettent ; et nous ne sommes pas plutôt
passés que les portes se rouvrent et vomissent tous ces misérables
qui nous envoient des coups de feu dans le dos. »
Il
y avait devant la porte du café une douzaine de beaux chevaux tenus
par d'élégants domestiques. C'étaient ceux des officiers de
lanciers et d'artillerie de la garde qui étaient là réunis, et
parmis lesquels était le colonel de la première de ces armes, le
brave de Chabannes la Palisse, vieux soldat de Napoléon, qui plus
tard eut le pied fracassé d'un coup de feu au pont de Sèvres10,
et son lieutenant-colonel, le duc d'Estignac11.
La place avait un aspect superbe. Nous en pûmes mieux juger quand
nous fûmes remontés à une fenêtre chez M. de la Bouillerie,
auquel je présentais mes Anglais.
Un
régiment d'infanterie de la garde était posté au pied de la
galerie du Musée et en retour d'équerre en avant de la grille.
L'espace entre l'arc de triomphe12
et le guichet de la rue de l'Echelle était occupé par le beau
régiment des lanciers de la garde et quelques détachements de
gendarmerie d'élite ; devant la porte de la cour étaient
quatre pièces de canon de la garde ; bientôt arriva un
régiment suisse13.
Je
crois que c'est vers midi que la ville fut déclarée en état de
siège. On entendait à chaque instant des décharges de mousqueterie
sur plusieurs points, car les troupes étaient déjà engagées et
plus de mille barricades existaient déjà. Il y en eût en tout plus
de 4.000.
A
une heure environ, il se fit un grand mouvement sur la place ;
deux pièces de canon suivies d'environ 300 hommes d'infanterie et
d'un petit corps de cavalerie sortirent de la place par le guichet du
Pont-Royal ; elles allaient à la Grève ; les deux autres
pièces, également escortées, partirent en même temps et
traversèrent la place au trot, se dirigeant sur la rue de l'Echelle.
Vingt minutes après, une canonnade non interrompue se fit entendre
sur les deux points. Deux autres pièces arrivèrent presque aussitôt
et furent braquées sur le Louvre à l'entrée de la large rue qui y
mène, du Carrousel.
J'étais
de service à 3 heures à Saint-Cloud. Je devais partir de la rue
Duphot, parce qu'on ne pouvait plus circuler en voiture sur la place
du Carrousel. J'y allais avec Radcliffe par les rues de Rivoli, de
Castiglione et Saint-Honoré. Elles étaient toutes assez
tranquilles. Quelle fut ma surprise en tournant de la première de
ces rues dans la seconde, de me trouver nez à nez avec M. le
ministre de la marine, le baron d'Haussez. Il avait un frac bleu et
un ruban à la boutonnière ; il paraissait se rendre aux
Tuileries14.
Dans
la rue de Rivoli, qui était presque déserte, nous vîmes un homme,
en uniforme de garde national qui accourait et qui fut arrêté au
guichet de la rue de l'Echelle, la garde nationale étant dissoute15.
Toutes
boutiques étaient fermées. En arrivant à la rue Duphot, nous
aperçûmes du mouvement vers la rue Royale et nous y entendîmes
bientôt une fusillade après quoi nous vîmes des soldats prendre
position sur ce point. Tout le monde était aux fenêtres ou sur les
portes et la rue était très libre.
Le
bon Radcliffe ne pût s'empêcher de m'exprimer à plusieurs reprises
son regret de la nécessité qui me forçait d'aller à Saint-Cloud,
tout en venant chez moi. Quand mon service ne m'y eût pas appelé
j'y serais encore allé très certainement, à plus forte raison
quand il s'agissait de remplir un devoir rigoureux. Je prévoyais
bien aussi qu'il pourrait y avoir quelque danger, mais eussé-je été
digne de servir le Roi, si cette pensée, loin de m'ébranler,
n'avait été pour moi un attrait tout-puissant ! Il est certain
que j'eusse pu trouver dans la difficulté extrême qu'éprouvaient
déjà les voitures et les piétons à circuler et à sortir de
Paris, la facile justification d'une lâcheté que je ne me serais
jamais pardonnée. Mais ma conscience ne me reprocha point d'avoir un
instant songé à un aussi indigne expédient pas plus qu'à aucun
autre.
Au
lieu de prendre par la rue Saint-Florentin, le cocher ayant voulu
aller par la rue Royale, fut arrêté à l'entrée par une sentinelle
qui lui ordonna de retourner sur ses pas. Le peuple hua la sentinelle
et on criait tout autour de la voiture du cocher : « Ne
l'écoute pas, poltron ! Avance donc ! Passe-lui sur le
ventre ! ». Le cocher voulait parlementer, mais je lui
ordonnais si haut de retourner, qu'il le fît ; et le peupel le
siffla.
En
traversant la place Louis XVI, je remarquai à l'entrée de la rue
Royale deux pièces de canon en batterie sur la Madeleine et
soutenues, comme les autres, d'infanterie et de cavalerie de la
garde. Deux escadrons d'un régiment de grenadiers à cheval
débouchèrent en ce moment des Camps-Elysées et entraient par le
quai sous la terrasse. Il arrivait.
Saint-Cloud
était tranquille, mais le château commençait à prendre un aspect
triste et agité. J'assistai au dîner qui fut silencieux et court.
On entendait distinctement des décharges d'artillerie et de
mousqueterie. Il était aisé de voir que chacune portait un coup
sensible au cœur de Sa Majesté et de sa famille, qui se réduisait
à Monsieur le Dauphin16
et à Madame17 ;
Madame la Dauphine étant aux eaux. Cependant la physionomie des
augustes personnages était calme et résignée. Le repas fut
plusieurs fois interrompu par des aides de camp ; et le Roi
ayant reçu un message entre les deux services se leva aussitôt et
passa dans son cabinet où L.L. AA. RR. Obtinrent la permission de
les suivre. - On se remit à table, vingt minutes après.
La
soirée fut agitée. La canonnade ne cessait plus ; plus elle se
prolongeait, plus il était à craindre que l'issue ne devint funeste
car elle était la preuve d'une résistance opiniâtre. Quand on
emploie les moyens extrêmes contre une révolte, il faut qu'ils
soient dès le principe si formidables, si irrésistibles, si
décisifs qu'ils ôtent de suite aux rebelles l'idée même de la
résistance et c'est en ce sens qu'il est vrai de dire que faire une
démonstration de prime abord très énergique, c'est épargner du
sang en terminant plus promptement la lutte.
Un
combat de six heures était donc déjà un présage menaçant. M. le
Dauphin entrait à chaque instant chez le Roi. Il arrivait de temps
en temps de Paris des aides de camp dont on ne pouvait rien tirer,
mais dont la physionomie et la contenance fournissaient le texte
d'une foule de récits plus effrayants les uns que les autres. Ce
n'étaient d'abord que des bruits, des vraisemblances, des on dit ;
ils circulaient en un clin d'oeil dans tout le château comme
nouvelles officielles et y répandaient la consternation. Tant il est
vrai que dans des circonstances décisives l'incertitude est
insupportable, et qu'en comparaison la plus mauvaise nouvelle, avec
une apparence de réalité, est encore accueillie comme un
soulagement. Il était devenu impossible de rien faire parvenir à
Paris et d'en rien recevoir. - On sait ce qui s'y passait alors. -
Les gardes du corps à pied du Roi arrivèrent le soir18.
- On leur prépara un bivouac sur la terrasse au-dessous du
Trocadéro19.
Je
montai, après mon service (vers 8 heures du soir) chez Mme Le Gros
(femme du valet de chambre du Roi) où je trouvais entre autres le
bon docteur Distel, chirurgien de S.M.20
Un était dans une grande anxiété. Des fenêtres la vue plongeait
par delà la cour du château sur ces magnifiques voûtes de verdure
sur lesquelles elle semblait reposer ; sur les charmants coteaux
de Sèvres, le bois de Boulogne et le vaste bassin qui lui sert
d'encadrement. A l'horizon enfin, sur Paris dont on distinguait
encore parfaitement les dômes, les clochers, les monuments, à
travers un long réseau de vapeurs vivement coloré par les derniers
rayons du soleil. A l'aide d'un excellent télescope, Mme Le Gros me
fît remarquer qu'une fumée rougeâtre s'élevait entre les tours de
Notre-Dame et celles de Saint-Sulpice, et aussi du côté de
Montmartre. C'était bien la direction des boulevards et de la place
de la Grève où le feu était si vif et si opiniâtre.
Je
restai longtemps les yeux fixés sur cette ville sans pouvoir les en
détacher. Le plus beau soir terminait la plus belle journée d'été ;
le ciel était d'une pureté admirable, une fraîcheur embaumée
tempérait la chaleur excessive dont le soleil avait embrassé l'air.
Un silence, un calme délicieux régnaient sur toute cette belle
nature qui m'entourait, et pourtant une inquiétude secrète, des
pressentiments de plus en plus sinistres s'étaient tellement emparés
de tout mon esprit, qu'il était devenu insensible à ces
jouissances. Mes yeux ne pouvaient s'arracher de cette ligne sombre
qui terminait l'horizon et d'où sortaient sans cesse ces terribles
détonations qui avaient déjà duré neuf heures. Ce contraste d'un
calme profond et d'une agitation épouvantable me serrait le cœur.
Je
devinai cette confusion d'une ville immense livrée à la guerre
civile, l'acharnement des deux partis. Je me représentais Paris
devenu le théâtre de toutes les horreurs de la première
Révolution. J voyais les maisons s'écrouler, des files de citoyens
enlevées par les boulets et les rues jonchées de cadavres.
J'entendais les cris du désespoir ou de la rage. Je pensais que deux
ennemis à jamais irréconciliables, le jacobinisme et la monarchie,
vivaient dans cette enceinte leur vieille querelle et que chacun
sentant qu'il s'agissait pour lui de la vie ou de la mort, apportait
dans la lutte toutes les ressources qu'une haine implacable et le
désir d'une victoire décisive pouvaient lui suggérer.
Et
c'était ce tragique dénouement que préparaient sciemment
à leur longue et dégoûtante parade de quinze ans21,
un prince de sang parjure, des députés, des pairs pour la plupart
pétrifiés de frayeur et qui devaient plus tard se proclamer les
sauveurs de la patrie. Et tant d'autres traîtres au pays, à la
Constitution et au Roi, troupes d'histrions éhontés qui depuis ont
eu le courage de faire pompe (sic) de leurs masques et de leurs
travestissements, ramas d'ambitieux frénétiques, déguisant sous
les dehors du plus pur désintéressement une soif d'argent, de
dignités, de distinctions, d'honneurs22.
Ou
en était le combat ? Qui l'emportait ? La nuit allait-elle
suspendre ces scènes de carnage, ou bien ses ombres devaient-elles
en favoriser de plus affreuses encore ? Que devenaient mes
parents, mes amis au milieu de ce chaos ?...
Il
faut songer que nous n'avions alors qu'un terme de comparaison, notre
première révolution de sang-froid dont les enjeux, du côté de
certains coryphées, ne passaient pas la valeur d'une paire
d'escarpins ou d'une course de cabriolet ; d'une révolution
arrangée d'avance comme une pièce de théâtre par des acteurs
consommés et finissant à point nommé comme quand le rideau tombe.
Nous n'avions l'idée que du drame et non de la parodie23.
Telles
étaient donc les tristes idées qui m'occupaient l'esprit. J'allai
me jeter sur mon lit, mais la chaleur, plus encore l'inquiétude et
l'agitation, ne me permirent de fermer l'oeil ni de rester couché.
Je sortis vers minuit. Toujours ce sont des détonations. J'allai
chez un de mes camarades. Il chargeait à balles des pistolets et un
fusil de chasse, « afin, me dit-il, puisque nous allons être
attaqués, qu'il fût au moins en état de vendre sa vie le plus cher
possible ». Je le priai de s'expliquer. « Vous ne savez
donc pas, ajouta-t-il, que nous sommes traqués ici comme des bêtes
fauves, que Sèvres, Boulogne, Auteuil, Rueil, Nanterre,
Saint-Germain sont en feu et rugissent autour de Saint-Cloud,
n'attendant qu'un signal pour fondre sur le château ? Que
Saint-Cloud lui-même n'est tranquille que parce qu'il est maîtrisé
par la présence de notre faible garde? Qu'on assure, enfin, qu'une
très forte colonne est déjà en marche pour venir nous surprendre.
Vous savez dans ce cas à quoi nous devons nous attendre.
Rappelez-vous le 10 août d'autrefois. Il ne faut pas nous faire
d'illusion. Nous en aurons ici la répétition. Me comprenez-vous
maintenant ?
Il
n'y avait rien à répondre. Je me remis entre les mains de la
Providence et descendis. Je gagnai, avec bien de la peine, à cause
de la sévérité des sentinelles, le bivouac des gardes du corps à
pied. J'allai partager la botte de paille de mon ami Hamel de la
Berquerie, officier dans ce beau corps24
On
s'attendait tellement à une attaque que les hommes étaient couchés
tout équipés et qu'on les avait avertis qu'ils devaient être prêts
au premier signal. Dans toutes les directions, à toutes les
distances, on entendait les cris des sentinelles répondant aux
nombreuses patrouilles dirigées sur tous les abords du château, ou
ceux qu'elles échangent entre elles la nuit pour se tenir éveillées.
Ces cris lointains se croisant dans le silence de la nuit avaient
quelque chose de mystérieux et de solennel qui faisait une grande
impression.
Nous
étions tout à fait sous le régime d'une place assiégée. Ces
précautions s'expliquent doublement par la présence de la famille
royale et par la position la plus difficile qu'on puisse imaginer
pour une défense possible sur tous les autres points que du côté
de la Seine. Le château est tellement enveloppé de bois sur trois
de ses faces au moins, qu'il n'y a qu'une allée à traverser pour y
entrer, des appartements du Roi particulièrement.
Je
restai là assez longtemps. Le canon cessa de 1 heure à 3 heures du
matin. Après quoi, il recommença comme la veille accompagné du
bourdonnement sourd et lugubre de la grosse cloche de la cathédrale
sur laquelle on sonnait le tocsin.
Le
mercredi s'était passé à Paris en combats partiels, mais très
vifs et très acharnés. Le peuple s'était emparé des vivres de la
guerre en sorte que les troupes ne pouvaient plus recevoir ni pain ni
aucune espèce d'aliments. Les soldats pouvaient à peine, à prix
d'argent, se procurer un verre d'eau pour étancher la soif qui les
dévorait25.
Je
ne puis résister au plaisir de donner sur la prise des magasins de
vivre de la guerre, des détails que je tiens de première source.
Ma
mère habitait rue du Cherche-Midi26,
une maison contiguë à cet établissement. Le rez-de-chaussée de
cette maison était occupé par une belle boutique d'épicerie tenue
par un jeune homme, veuf, fort tranquille, et sa sœur. Je ne sais
pour quelle raison le général Boinot, qui commandait les vivres,
lui avait depuis quelque temps ôté sa pratique. L'épicier lui en
conservait rancune.
La
révolution lui mit en tête de s'en venger ; et, saisissant
l'occasion d'un petit rassemblement inoffensif qui s'était formé
devant le bâtiment des vivres, il s'arma d'une hache et alla
enfoncer la porte aux applaudissements de tous les voisins qui
estimaient le général et connaissaient d'ailleurs le fond de
l'héroïsme de l'assaillant. Cependant, les quelques pauvres
vétérans qui formaient la garde ordinaire des vivres ne songèrent
même pas à résister à l'envahissement et à l'occupation de
l'établissement. La porte une fois tombée sous les coups de hache
de l'épicier, celui-ci avait atteint son but, en faisant passer la
femme et la fille du commandant par quelques moments de la plus
cruelle anxiété.
Revenu
chez lui, M. Durand27
ne savait plus à qui entendre ni à qui répondre. Sa sœur et
quelques braves femmes, bien alanguies du quartier, s'étaient
établies, en l'attendant, dans la cour et sous la porte. Dès qu'il
y posa pied, elles firent fondre sur lui un tel déluge de reproches,
qu'après avoir essayé de continuer quelques moments avec elles sur
le ton de bravache qu'il avait pris dans la rue, l'héroïque
champion de la liberté alla se cacher tout confus dans son
arrière-boutique. Le bruit de son exploit ayant bientôt couru les
environs, une partie de ses pratiques le quitta et celles qui
savaient, comme nous, que ce n'était de sa part qu'un méchant coup
de tête, dont il ne tarda pas à éprouver le plus grand regret, se
contentèrent de le tancer. Jusqu'ici, il n'a encore ni la croix de
juillet ni même la croix d'honneur. Mais, patience !
Les
ministres, dans la journée, s'étaient établis aux Tuileries où
ils passèrent la nuit et d'où ils communiquaient avec le maréchal.
C'est alors que le ministre des finances délivra, après
délibération du Conseil, 400.000 francs, accordés par le Roi aux
troupes pour qu'elles puissent se procurer elles-mêmes les
subsistances nécessaires, qu'on n'était plus dans la possibilité
de leur distribuer. Cet ordre de M. le comte de Montbel n'ayant pu
être ordonnancé par l'agent chargé de cela au ministère de la
guerre, faute de communication avec ce ministère, demeura imparfait
et valut au ministre un procès dont le résultat fut la répétition
sur ses propres biens de cette somme entière28.
La
garnison engagée partiellement dans les rues, par une tactique dont
on trouvait les détails imprimés sur presque tous ceux qu'on
arrêtait, et dont le général en chef n'eût pas dû être dupe,
avait éprouvé des pertes énormes. On commençait à s'apercevoir
que grâce à cette tactique, le combat lui était toujours
désavantageux et très meurtrier. On attirait une compagnie ou un
détachement dans une rue au bout de laquelle était une barricade ;
dès qu'il y était engagé on dressait une autre barricade derrière
lui ; les portes s'ouvraient pour recueillir ceux qui l'avaient
ainsi attiré par une apparence de résistance et une feinte
retraite ; alors commençait contre lui un feu horrible des deux
extrémités de la rue, de toutes les fenêtres, d'où pleuvaient, en
outre, des meubles et des pavés ; des toits et jusque des
soupiraux des caves.
Les
ministres parlèrent au maréchal de faire employer la mitraille
parce qu'on rapportait que les insurgés faisaient assez bonne
contenance devant le canon, qui n'avait encore tiré qu'à boulet et
dont même, m'a-t-on assuré, bien des coups avaient été tirés à
blanc29.
Le maréchal répondit que le boulet faisait beaucoup d'effet, parce
qu'il pénétrait davantage ; il semble pourtant que la
mitraille atteignant sur une plus grande surface doive avoir un
résultat plus efficace dans la circonstance en jetant le désordre
et l'effroi dans les premiers rangs, les seuls qui agissent
directement, et ordinairement aussi ceux où se placent les chefs et
les plus furieux.
Une
autre fois, en présence de M. de Sémonville30
et consorts (voir la déposition du grand référendaire auprès des
ministres) un officier d'artillerie, entrant pour lui demander à la
hâte la permission d'employer la mitraille dans la rue Saint-Nicaise
où le peuple, devenu de plus en plus audacieux, menaçait de
s'emparer des pièces, M. le duc de Raguse, à cette seule
proposition, s'emporta et témoigna hautement son indignation de ce
qu'on vint lui parler d'employer contre le peuple déjà si
maltraité, des moyens encore plus meurtriers que ceux dont on avait
usé jusque là. Il refusa donc cette permission.
C'est
toujours sans doute d'après ces principes philanthropiques, si peu
d'ailleurs d'accord avec le langage qu'il tenait auparavant aux
ministres, que le maréchal, qui avait à sa disposition à Vincennes
(c'est à dire à une demi-poste de Paris), une trentaine de pièces
de canon de l'artillerie de la garde avec toutes les munitions
imaginables en quantité31,
n'employa contre l'insurrection qu'une seule batterie (8 pièces) ;
quant aux troupes, il est demeuré démontré que le dépôt de
paquets de cartouches prise sur des soldats, qu'il leur en avait été
délivré qui ne portaient pas de balles. Dans les commencements de
l'engagement, le maréchal avait enjoint de ne faire usage des armes
qu'après des provocations matérielles et bien constatées et de
tirer qu'après avoir reçu plusieurs coups de fusil. On ne pouvait,
certes, pousser plus loin les ménagements pour les rebelles.
On
s'aperçut donc beaucoup trop tard que ce genre de combat n'était
plus tenable et l'on songea à faire ce que le maréchal Victor avait
conseillé dès le principe : à prendre les positions de
défensive, en attendant des forces suffisantes pour reprendre
l'offensive avec avantage. Le Louvre fut confié aux Suisses qui s'y
enfermèrent et se défendirent vaillamment ; mais ils
l'évacuèrent bientôt sur un ordre formel et les révoltés,
seulement alors s'en emparèrent. La garde se concentra aux Tuileries
et dans le Carrousel. Il y avait déjà assez longtemps que plusieurs
régiments de la ligne, le 15 e léger entre autres, avaient refusé
de prendre part au combat et laissaient les rebelles traverser leurs
rangs pour tirer sur la garde. Il n'y avait pas en tout 5.000 hommes
de troupes combattantes32
avec huit pièces de canon.
Dans
la nuit du mercredi au jeudi, on avait enfin expédié l'ordre à
Vincennes d'amener en toute hâte les batteries de la garde et aux
troupes des camps de Lunéville et de Saint-Omer33
d'accourir sur Paris – mais il n'était plus temps.
NOTES
1Le
5 juin 1832, à la suite des funérailles du général Lamarque, les
républicains élevèrent à leur tour des barricades contre le
gouvernement de Juillet ; l'émeute dura deux jours et se
termina de la façon la plus sanglante au cloître Saint-Merry.
Paris fut mis en état de siège.
2Insurrection
du 9 avril 1833 qui dura jusqu'au 12, marquée par des combats
meurtriers dans les quartiers populeux de Lyon.
3En
1831, Louis-Philippe remplaça par le coq gaulois ou les tables de
la Charte , les armoiries de son blason ; trois fleurs de lys
d'or, accompagnées du lambel (blason) de la maison d'Orléans.
4Auguste
Frédéric Louis Viesse de Marmont, duc de
Raguse (1808),
maréchal
d'Empire (1809) et pair
de France (1814), est un militaire français né le 20
juillet
1774 à
Châtillon-sur-Seine
et mort le 2 mars
1852 à Venise.
C'est le commandant en chef de la répression sanglante à Paris,
lire sa notice sur Wikipédia qui raconte plus largement que Marc
les journées sanglantes :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Auguste-Fr%C3%A9d%C3%A9ric-Louis_Viesse_de_Marmont
5Le
long des bâtiments nord de la bibliothèque de la rue de Richelieu.
610
août 1792, jour de l'attaque révolutionnaire des Tuileries, que
défendirent les régiments suisses que la populace massacra.
7C'étaient
des figures telles qu'on n'en rencontre pas dans tout autre temps ;
les uns couverts de haillons, les autres à peine habillés – Mais
c'étaient les moindres traits de ce hideux et dégoûtant
spectacle. Les expressions de ces visages, avec toutes les nuances
qu'on peut imaginer de la fureur à la stupidité, de la férocité
à la bassesse. ET puis dans quel accès de frénésie nous les
trouvions ! Ils étaient ivres de tous les genres d'ivresse,
celle du vin était la moindre ; l'odeur de la poudre, la
victoire qui n'était pour eux que la réaction de la peur, les
cris, le sang, les avaient mis hors d'eux » BARON DE
VITROLLES, Mémoires, III, 413.
8En
note, au crayon ajouté sur le manuscrit : « Nous ne
pouvions voir le lieu même de cette scène, mes fenêtres ne
donnant que sur la rue Vivienne et l'entrée de la rue Colbert ».
9Couvre-chef
militaire.
10Inexactitude ;
c'est le lieutenant-colonel des lanceurs de la garde, le duc
d'Eslignac, qui fut blessé au pont de Sèvres, le 29 juillet.
11Charles
de Marestang d'Onessan, duc d'Estignac, était né en Espagne
(1700) ; il mourut en 1873. Il succéda, en 1827, à son père,
à la Chambre des pairs. - IL avait épousé Georgina de
Talleyrand-Périgord.
12Le
petit arc de triomphe du Carrousel.
13Tous
ces détails se trouvent confirmés de leur côté dans ses
Mémoires, par le général de Saint-Chamans. Il a laissé un récit
très vivant des combats de juillet, auxquels il prit lui-même une
part très honorable.
14A
11 heures du matin, les membres du Conseil avaient jugé convenable
de s'établir aux Tuileries, pour décider ensemble, sans crainte de
voir leurs communications coupées par les insurgés, et de
conserver le contact avec le duc de Raguse. Mémoires du baron
d'Haussez, II, 255.
15Depuis
le 30 avril 1827, après les cris d'irrévérence partis de ses
rangs à la revue du Champ de Mars, la veille.
16Le
duc d'Angoulême.
17La
duchesse de Berry.
18La
compagnie des gardes à pied ordinaire du corps du Roi était
casernée rue Neuve du Luxembourg ; leur capitaine colonel
était le duc de Mortemart ; leur lieutenant colonel le marquis
de Rougé.
19Nom
donné, après l'expédition française en Espagne de 1823, à la
partie du parc de Saint-Cloud réservée aux promenades du duc de
Bordeaux et à son jardin botanique.
20Premier
chirurgien honoraire ; le premier chirurgien en titre était le
baron Dupuytren.
21On
connaît l'aveu – si juste – de Laffitte à Béranger, après le
triomphe de 1830 : « Quelle canaille, mon cher Béranger,
quelle canaille que la plupart de nos amis de la comédie de 15
ans ! ». Sur cette comédie qui a trait aux magouilles du
banquier Laffitte, lire ici :
https://fr.wikisource.org/wiki/Jacques_Laffitte_-_Sa_vie_et_ses_id%C3%A9es_financi%C3%A8res
22« L'acte
agressif en 1830 a été l'Adresse factieuse des 221. Les
Ordonnances n'ont été qu'une riposte défensive ». - EMILE
OLLIVIER, L'empire libréal, I, 221.
23Laffite
disait le 28 juillet : « Nous touchons à un drame dont
le dénouement sera la royauté du duc d'Orléans. »
« Les troupes firent des prisonniers
dans la journée du 28 juillet. Tous étaient porteurs de cartes ou
de sigles de reconnaissance qui semblaient indiquer une organisation
préparée depuis longtemps. Ces cartes triangulaires portaient d'un
côté une signature, de l'autre une date remontant aux derniers
mois de 1829 ou aux premiers mois de 1830, avec les inscriptions :
« liberté, égalité, fraternité » - NETIEMENT ,
Histoire de la Restauration. Etudes politiques du prince de
Polignac. Journal de M. de Guernon-Banville. La Garde royale pendant
les journées de 1830.
24Avec
le rang de lieutenant, il était sergent de deuxième classe.
25« Un
assez grand nombre de bourgeois qu'on avait laissé se mêler parmi
les soldats, étaient entrés en pourparlers avec eux et leur
faisaient même distribuer de l'eau de vie et du vin. Je fis appeler
le colonel d'un de ces régiments. Celui-ci me répondit qu'il
reconnaissait la justesse de mon observation, mais qu'il ne savait
pas comment interdire à des hommes qui, depuis la veille, n'avaient
ni mangé ni bu, la faculté de profiter de l'offre de ces
bourgeois » - BARON D'HAUSSEZ, Mémoires, II, 256.
2631,
rue de Cherche-Midi.
27L'épicier.
28Quoique
la délivrance et l'objet de la délivrance de cette somme fussent
demeurés incontestables (note d'Edmond Marc).
29Des
Anglais de ma connaissance m'ont répété ce que leur avait affirmé
un vieil officier de leur nation, sous les fenêtres duquel il fut
tiré une assez grande quantité de coups chargés à blanc (Note
d'Edmond Marc)
30Le
marquis de Semonville (1754-1830), conseiller aux enquêtes, sous
Louis XVI, chargé de missions sous la République, conseiller
d'Etat, ambassadeur et sénateur sous Napoléon, pair de France sous
Louis XVIII, créé grand référendaire à la Chambre des pairs, il
tint, pendant les journées de juillet, la conduite la plus
équivoque ; BARON D'HAUSSEZ, Mémoires, II, 208.
31« J'avais
beaucoup d'artillerie à Vincennes. La difficulté de traverser
Paris m'avait empêché d'en disposer ». Mémoires du DUC DE
RAGUSE.
32« L'insuffisance
du nombre de troupes était évidente », dit le duc de Raguse
(VIII, 218) qui donne les emplacements qu'il assigna à ses
colonnes, et l'état des forces dont il pouvait disposer.
« On a évalué leurs adversaires à
environ 40.000 ; il faut encore tenir compte de cette
observation : le poindre ordre ne pouvait être expédié que
par le moyen d'un détachement ; une ordonnance isolée était
tuée ou prise avant d'avoir fait deux cent pas.
« On a aussi fait cette remarque qu'il y
eût à peu près quatre cent morts dans les trois journées, mais
pas un député, ni un électeur, ni un journaliste, ni un
fonctionnaire public, ni un avocat, ni un banquier, ni enfin
personne de ceux qui avaient le plus poussé à l'insurrection »
(note d'Edmond Marc).
c'était la version anarcho qui traine sur FB et que j'ai détournée en haut |
33Les
plaines autour de Saint-Omer offraient de vastes terrains de
manœuvre aux troupes réunies là périodiquement.
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