« Si
la classe ouvrière ne nous montre pas le bon exemple, à quoi diable
peut-elle bien servir ? Elle donne l’impression, dans
l’ensemble, de n’avoir aucun sens de la responsabilité morale ».
Oscar Wilde
L'histoire
comme l'information en régime de mondialisation heureuse dépend des
modes idéologiques. On révisionne selon les exigences de domination
du moment. Les historiens ad hoc, intellectuels de gouvernement,
assaisonnent ou caricaturent l'histoire comme passé pendable ou
amendable s'il sent suffisamment le moisi ou peut être noyé sous
les mensonges incontestables. Le livre de Eric Aunoble n'est pas
inintéressant pour ses rappels des cuistreries des auteurs
staliniens passés aux normes de réécriture bourgeoise moderne, tel
Furet et Courtois1.
Les transfuges sont toujours meilleurs pour brûler ce qu'ils sont
adoré servilement ; Jeannine Verdès-Leroux en dévoile la
longue et édifiante liste2.
Pourquoi une telle fixation et autant d'aller et retour sur
l'histoire passée ? Parce que l'histoire reste une matière
inflammable. « Qui possède le passé contrôle l'avenir »
a piqué à un autre auteur Georges Orwell. Parce que l'histoire
reste un combat. Parce que le passé reste présent. Parce que, et je
le montre en cours de démonstration, la bourgeoisie s'inspire ou
copie toujours son passé, notamment ses périodes les plus
réactionnaires. La négation des camps staliniens a longtemps
précédé la négation des chambres à gaz des nazis, mais a procédé
du même type d'aveuglement volontaire et intéressé3.
La
difficulté d’écrire une histoire véridique ou mieux la résonance
historique de la révolution en Russie4
ne réside pas dans le fait qu'on ait voulu nous faire croire que
Soljenitsyne aurait révélé l'existence des goulags au début des
années 1970, point barre5.
Des goulags il y en eût jusqu'à la fin des années 1970 (ciel de
notre vivant!), le dernier aurait été fermé en 1991. D'aucuns
disent que le système concentrationnaire de Poutine conserve de
vastes prisons...
Qu'il
faudrait être capable de la tâche incommensurable de décrypter
toutes les affabulations qui ont été superposées au long des
années pour pénétrer au cœur des ténèbres « bolcheviques »
ou « staliniennes », ou se féliciter que les archives
russes soient accessibles ; point virgule. La difficulté tient
dans le fait qu’il faut comprendre que information n'est pas
conscience, que l'empirisme est encore ce qui permet aux pouvoirs
bourgeois de mentir sans vergogne.
Le
site Smolny, qui fournit une liste d'études (non exhaustives et en
langue française seulement sur le phénomène des goulags, cite un
éditeur dont la présentation dit ceci:
« Contrairement aux camps nazis, le
gigantesque univers concentrationnaire propre au régime soviétique
demeure largement méconnu. Les Kontslaguer apparurent en Russie dès
1918, comme instrument de répression politique et bientôt comme
réservoir de main-d’œuvre forcée pour l’industrialisation
soviétique. De la Révolution à la Glasnost, 18 millions
d’individus en furent les victimes ; 4,5 millions n’en
revinrent jamais. Si Soljenitsyne, avec son Archipel du Goulag,
en a donné un inoubliable témoignage littéraire, aucun historien
n’en avait encore entrepris la relation globale. Anne Applebaum,
puisant dans une masse encore à peine explorée d’archives, de
témoignages et interviews de survivants, nous propose ici une étude
sociologique minutieuse de la vie quotidienne des millions de zeks :
l’absurdité des arrestations, la cadence infernale des travaux, la
terreur, les violences inouïes et la mort omniprésente, les
effroyables conditions d’hygiène mais aussi les stratégies de
survie, les tentatives d’évasion, l’espoir et la solidarité
qui, en dépit de tout, subsistent ».
D'abord, ce n'est pas vrai que l'univers des camps
nazis est bien connu6,
et de même la surabondance de chiffrages hallucinants du « livre
noir du communisme » qui s'est voulu LA référence
incontournable est une immense supercherie « informative »7 ;
tout ces tombereaux excessifs de cadavres peuvent être revus à la
baisse (même si cela n'atténue pas la barbarie du capitalisme
d'Etat) comme le remarque notre ami Jo de Smolny :
« Les russes
ont connu un long et tragique hiver : entre les 7 ans de guerre
[1914-1921 = au moins 10 millions de morts ?], le Goulag
["18 millions d’individus en furent les victimes ; 4,5
millions n’en revinrent jamais", d’après Applebaum, alors
que l’encyclopédie Encarta : "Le nombre de citoyens
soviétiques déportés a fait l’objet d’estimations variées,
qui ont été révisées à la lumière des informations recueillies
à la fin de la guerre froide, puis grâce à l’ouverture des
archives soviétiques, consécutive à la perestroïka
(« restructuration »). Au sortir de la guerre,
l’inflation avait prévalu. Dans un contexte où l’horreur du
système concentrationnaire émouvait l’opinion occidentale,
certains témoins ou analystes parlaient de plusieurs millions de
morts au goulag. Aujourd’hui, on considère qu’environ 900 000
personnes y ont succombé."],les Grandes famines de 1921-22 et
1932-33 (au moins 10 autres millions de morts) et la Seconde Guerre
mondiale [27 millions de morts ?], c’est pratiquement 50
millions de personnes qui ont disparu, sans parler des autres vies
brisées ... avant la guerre d’Afghanistan, la catastrophe de
Tchernobyl !Si la Révolution mondiale, commencée
en Russie, l’avait emportée, Poutine et le patriarche Cyrille
seraient encore des êtres humains, et l’hiver des russes serait
bien plus doux ! »8.
UN PROBLEME DE METHODE
Sans aucun souci de la chronologie des strates
successives de la mystification et de l'accumulation des mensonges
(un mensonge peut en cacher un autre) Eric Aunoble pose le problème
de la « connaissance » des horreurs concentrationnaires
(attribuées par la bourgeoisie au fait révolutionnaire) d'un point
de vue universitaire, académiste, et plutôt de type gauchiste
trotskien. La question des camps de travail russes, comme celle des
camps de travail nazis n'est pas une question d'information bonne ou
mauvaise. A ce titre la dénonciation du terrorisme étatique par
Rosa et Gorter est anticipatrice de la transformation des camps de
prisonniers contre-révolutionnaires et terroristes tsaristes et
anarchistes en goulags d'accumulation capitaliste d'Etat.
L'auteur en est conscient partiellement puisqu'il
évoque les grands défricheurs isolés, les Souvarine et Victor
Serge comme « pionniers d'une historiographie indépendante des
pouvoirs mais par là même peu diffusée ». Alors il se
propose de « retracer le destin de la révolution russe » ;
ce qui peut être louable mais échoue par manque de méthode. Sans
connaissance (théorique celle-là) des réflexions de la gauche
communiste maximaliste il passe un peu vite sur comment l' »Etat
prolétarien » se dresse immédiatement contre la classe
ouvrière, brise ses grèves et massacre à Kronstadt : il ne
connaît pas les critiques internes au parti bolchevique, celles des
premiers oppositionnels non trotskystes, celles du KAPD, etc. Ce
n'est pas d'information qu'on a besoin mais d'explicitation d'un
processus de dégénérescence.
Anton Ciliga, auteur – certes lui aussi peu
diffusé malgré un ouvrage au titre retentissant « Dix ans au
pays du mensonge déconcertant »9
- n'est cité que page 9110,
il informait mais pas seulement, il indiquait les critiques
politiques à « l'Etat prolétarien » par les premiers
prisonniers politiques ni tsaristes ni anarchistes, mais souvent
bolcheviques de la première heure ; c'est pourtant des rangs de
ces premiers prisonniers qualifiés à tort de « trotskystes »
que provient la dénonciation des camps au début des années 1920,
et qui se sentent reniés par la position défensiste de l'URSS par
l'ancien ministre d'Etat « prolétarien » ; des
anarchistes et Bertrand Russel avaient déjà dénoncé les premiers
camps, lesquels n'étaient pas encore des camps de travail comme les
futurs goulags staliniens. Il faut faire la différence entre camps
d'emprisonnements pour les divers ennemis de la révolution,
terroristes anarchistes et curés comploteurs (mais personne ne la
fait cette différence) et les goulags que le capitalisme d'Etat
stalinien va mettre en place dans la crise mondiale qui précède la
guerre : l'exploitation totale du travail gratuit par des
millions de prolétaires prisonniers. Une trouvaille dont s'est
inspirée par après une partie de la hiérarchie nazie.
Absence de questionnements donc sur les mécanismes
de la conscience que n'aborde pas Eric Aunoble en restant sur un plan
académique propret et pas trop risqué. L'hémiplégie des hommes et
les oublis des classes à chaque époque. Comment critiquer ceux qui
n'ont pas voulu voir ou nié les goulags en leur temps quand nous
ignorons tant de massacres qui se déroulent devant nos yeux à la
télé en ce moment ? Des milliers qui meurent de faim ou se
noient en Afrique ?
LES LECONS DU GOULAG REPRISES PAR LA
MONDIALISATION HEUREUSE
On se permettra une parenthèse ici, de deux
ordres : le goulag n'a pas disparu et le mondialisme heureux des
Merkel, Obama et Macron s'inspire des « migrations paysannes »
à l'ère stalinienne pour des « migrations » actuelles
dites humanitaires.
Vingt ans après la chute de l'URSS, le
goulag n'a que changé de nom. Le système pénitentiaire russe
conserve les usages de l'époque : discipline militaire,
humiliations, administration toute puissante, traitements dégradants
allant jusqu'à la torture. Avec le retour au pouvoir de Vladimir
Poutine, tous les opposants sont menacés de se retrouver emprisonnés
sous des prétextes souvent fallacieux.
Le monde capitaliste
actuel a considérablement réduit le nombre de paysans en pays
riches, et la Russie capitaliste d'Etat à accumulation à marche
forcée a aussi grandement liquidé le problème du nombre, mais les
paysans restent très nombreux dans les pays du « sud »,
et constituent de Chine en Arabie un important réservoir de main
d'oeuvre (et de chantage) taillable et corvéable à merci. Les
maoïstes ont toujours été choqués du mépris (voilé) des
bolcheviques et de la « gauche occidentale » (comme
disaient les bordiguistes) en général pour les paysans11.
Les amis de Charles Bettelheim déploraient encore au début des
années 1980 que Lénine, Gorki et bien d'autres « n'ont pas
été avares de jugements les plus méprisants pour les paysans
russes »12,
laissant de côté la concession de la terre aux paysans et l'effort
d'éducation dans les campagnes. Mais il y a un autre aspect, qui
scandalisait les maoïstes universitaires, c'était l'utilisation de
la « migration paysanne » vers les zones urbaines,
l'intérêt de faire du paysan arriéré un ouvrier docile, ce que
décrivait lucidement pourtant Claude Lefort :
« En URSS, jusqu'à
la guerre, le prolétariat a reçu l'afflux régulier d'éléments
arrachés aux campagnes, étrangers donc à la tradition de la classe
ouvrière, habitués à un niveau de vie très bas et à des besoins
rudimentaires, dépourvus de culture technique. La force d'inertie
que constitue une telle couche sociale dans la production a été
cent fois soulignée. Elle est prête à endurer l'exploitation la
plus dure et en un sens elle la provoque, en raison de son ignorance
technique ; elle est dépourvue des réflexes de solidarité,
caractéristiques du milieu ouvrier. Il n'est pas douteux que
l'efficacité de la législation du travail – sans cesse aggravée
de 1930 à 1940 – ait dépendu de ce prolétariat arriéré. A
cette époque, la coercition brutale (…) se révélait rentable (…)
S'il faut des générations et quelques fois des siècles pour que
s'effectue une transformation de la mentalité paysanne dans le cadre
de la vie agricole, il ne faut que des années pour que les hommes
s'adaptent à l'industrie (…) instruits qu'ils sont par le progrès
insatiable de la technique, et (…) s'approprient un besoin
jusqu'alors inconnu, le besoin social, le besoin d'une existence
sociale en tant que telle »13.
Où l'on voit que les
caïds libéraux du monde occidental, très anti-étatistes, ne font
que reprendre la même « force d'inertie » que le très
étatiste régime stalinien sous sa propagande humanitaire en faveur
d'une ouverture sans limite aux migrants chassés par les guerres des
impérialismes rivaux ; avec en prime l'idéologie de soumission
de l'islam, plus forte que la faim qui fît accourir le paysans russe
en zone urbaine.
LES PREMIERS VISITEURS
DU GRAND SOIR REVOLUTIONNAIRE
Ils n'ont pas été
aveugles les premiers invités passionnés à venir visiter le
creuset de la révolution mondiale, communisme en gestation bien que
toujours relié au cordon ombilical d'un curieux Etat bâtard. Ils
voient bien la misère, les privilèges de certains des
« comitards », les militants séducteurs, une nouvelle
race de profiteurs et de jouisseurs, les repos en datcha privée de
Lénine, les parties de chasse du ministre Trotsky, etc14.
Mais, par solidarité
avec « l'expérience en cours » les plus valeureux
admirateurs gardèrent entre soi leurs considérations sur l'état de
misère du prolétariat russe et la répression terrible des grèves,
et c'est tout à l'honneur de certains anarchistes de n'avoir pas
celé la vérité. Les trois envoyés de France, Vergeat, Lepetit et
Lefebvre, auraient été noyés parce qu'ils n'emportaient pas un
rapport idyllique avec eux, selon certains.
Les premiers constats
honnêtes ne proviennent pas des « partisans » bien sûr
ni de leurs émules occidentales, mais de ceux qui sont sur le côté :
le menchevique Soukhanov, témoin respecté par l'historiographie
bolchevique au début, Souvarine déjà mis de côté, mais surtout
l'excellent Bertrand Russell. Une dizaine d'années avant Gide et son
retour d'URSS, il a tout vu et tout décrit dès 1920 dans "La
pratique et la théorie du bolchévisme", en étant totalement
compréhensif des bolcheviques, en montrant (comme la GCF le fera
bien plus tard) que l'Etat échappait aux mains de ceux qui crurent
le contrôler. Une des couches récentes de l'historiographie
officielle, qui esquive de creuser la dénonciation (inaudible et
confinée) par les premiers révolutionnaires bolcheviques
assassinés, passant allègrement sur les années 1920 et 1930, se
fait complice du dégel Khrouchtchévien et fait démarrer la
« révélation » des goulags au début des années 1960
avec le premier roman de Soljenitsyne (Une journée d'Ivan
Denissovitch, 1962, que j'ai lu encore adolescent). C'est se faire
complice du vieux compère étatique stalinien en Europe depuis la
fin de la boucherie mondiale de 1945, et féconder la blague de
l'ignorance.
Les écrits témoignages
véridiques et complémentaires des Rousset et Kravchenko de
l'époque sont judiciarisés, conchiés à longueur de colonnes par
les organes staliniens, salis, traînés dans la boue ;
Kravchenko donne des bâtons pour se faire battre avec des chiffres
exagérés qui font sensationnels pour la propagande américanophile.
Anastasie après 1945 est
stalinienne et trotskienne. Tout ce qui se publie remettant en cause
la dictature stalinienne est soupçonné de collusion avec la CIA.
Les militants atteints par les « mensonges pernicieux de la
presse bourgeoise » sont éjectés du PCF (cf. Verdès-Leroux),
mais les massacres en Hongrie et en Pologne en 1956 ouvriront les
yeux à beaucoup, et ne pourront être des mensonges – non sur
l'existence ou non des goulags – mais sur la terreur en Russie et
satellites « frères ». Un livre comme celui de Guy
Vinatrel – L'univers concentrationnaire en URSS, travail forcé et
esclavage en Russie soviétique – (édité par les cahiers
Spartacus en 1950) est considéré comme un abject produit de la CIA
par staliniens et trotskiens15
LA POLITIQUE DE
L'AUTRUCHE DES APPARATCHIKS
Pour tout individu
conscient apte à raisonner, l'existence de grands camps de travail
n'avait pas besoin de photographie mais d'une théorie d'analyse
politique du rapport des classes, du type de domination et de la
façon dont la domination diffuse histoire et informations. Certes
les minorités révolutionnaires marxistes et anarchistes n'avaient
pas le pouvoir de nos modernes lanceurs d'alerte (qui auraient été
zigouillés rapidos à coups de piolet) et s'attachaient plus à
dénoncer l'assassinat des « militants » ou personnages
en vue comme Trotsky et Kyrov16.
Au cours des années 1930
les témoignages et récits sur ce qui se passait derrière le
« rideau de fer » (expression surtout popularisée comme
la notion vague de totalitarisme, après 1945), étaient
systématiquement dénoncées comme « mensonges bourgeois »
par les partis staliniens occidentaux. Une des forces de la
propagande dans la contre-révolution, encore utilisée de nos jours,
était de culpabiliser les sources, de faire de l'information un
critère de pensée, en réalité d'empêcher de réfléchir avec
cette méthode si bien décryptée par Orwell en Espagne, la
novlangue. Idem de 1945 à 1968, chaque fois qu'un quidam, croyant
contrarier un stalinien ou un trotskien, objectait qu'il y avait des
camps de prisonniers au « pays du socialisme réel », il
s'entendait dire qu'il était victime du Figaro ou du Parisien
Libéré17 ;
suivi d'une mixture d'attaques personnelles, et d'allusions
policières et sexuelles base d'argumentation apolitique de tout
stalinien ou trotskien de base (du niveau PCF 1950 : « si
tu trompes ta femme, tu trompes le parti » cf.
J.Verdès-Leroux)..
De 1936 aux années 1970,
le credo sûr reste « les éditions sociales », tout le
reste est à vomir, y compris Maspéro et les Cahiers Spartacus
compromis par leur long cheminement à l'ombre des raclures de la
SFIO les Blum et de Pivert, et le terrible « d'où venait
l'argent ? ». Aunoble nous dit que le débat est « gelé »
et que l'extrême gauche est marginalisée ; tout cela est faux,
le débat est interdit, toute critique à l'URSS stalinienne est un
blasphème et l'extrême gauche trotskienne communie dans le même
sens...critique invraisemblable.
Quand un délégué CGT
négocie dans le bureau du patron, il commence par poser l'Huma sur
le bureau dudit patron « en matière » d'entrée en
matière, ce qui ravit les adhérents d'un tel culot ! Un
syndiqué qui se pointe au boulot avec Libération ou Le Monde... :
« tu lis la presse bourgeoisie maintenant ? ».
Les camps de prisonniers
hostiles au régime n'étaient pas cachés de toute façon. Lénine
et Trotsky y font référence dans leurs écrits pour « punir
les contre-révolutionnaires ». Le perspicace mathématicien
Russell a très bien vu cette étrange religiosité bolchevique si
comparable à l'islam ; certes le capitalisme a fait plus
reculer la foi religieuse que tous ses dénonciateurs laïques :
« C'est
l'industrialisme, plutôt que les arguments des darwiniens et les
critiques de la Bible, qui ont amené la décadence de la foi
religieuse parmi les ouvriers des villes. Dans le même temps,
l'industrialisme a réveillé cette foi religieuse chez les riches.
Au XVIII e siècle, les aristocrates français étaient devenus pour
la plupart libres penseurs ; aujourd'hui, leurs descendants sont
pour la plupart catholiques, parce qu'il est devenu nécessaire que
toutes les forces de la réaction s'unissent contre le prolétariat
révolutionnaire. Prenons encore l'émancipation des femmes. Platon,
Mary
Wolstonecraft et John Stuart Mill ont développé d'admirables arguments, mais n'ont agi que sur un petit nombre d'idéalistes impuissants. La guerre est venue ; elle a obligé d'employer les femmes dans l'industrie sur une vaste échelle, et immédiatement les arguments en faveur du vote des femmes ont paru irrésistibles. Mieux que cela, la moralité traditionnelle des sexes a disparu, parce qu'elle reposait entièrement sur la dépendance économique des femmes vis à vis de leurs pères et de leurs maris. De tels changements dans la moralité sexuelle amènent de profondes altérations dans les pensées et les sentiments des hommes et des femmes en général ; ils modifient les lois, la littérature, l'art, et toutes sortes d'institutions qui semblent fort éloignées du domaine économique »(p.136).
Wolstonecraft et John Stuart Mill ont développé d'admirables arguments, mais n'ont agi que sur un petit nombre d'idéalistes impuissants. La guerre est venue ; elle a obligé d'employer les femmes dans l'industrie sur une vaste échelle, et immédiatement les arguments en faveur du vote des femmes ont paru irrésistibles. Mieux que cela, la moralité traditionnelle des sexes a disparu, parce qu'elle reposait entièrement sur la dépendance économique des femmes vis à vis de leurs pères et de leurs maris. De tels changements dans la moralité sexuelle amènent de profondes altérations dans les pensées et les sentiments des hommes et des femmes en général ; ils modifient les lois, la littérature, l'art, et toutes sortes d'institutions qui semblent fort éloignées du domaine économique »(p.136).
« Les marxistes
supposent que le « groupe » pour un homme, du point de
vue de l'instinct collectif, c'est sa classe, et qu'il s'unira à
ceux dont l'intérêt économique de classe est le même que le sien.
Cela n'est que partiellement vrai en fait. La religion a été le
facteur le plus décisif pour déterminer le groupement humain
pendant de longues périodes de l'histoire du monde. Même maintenant
un ouvrier catholique votera pour un capitaliste catholique plutôt
que pour un socialiste incroyant. En Amérique, les divisions pour
les élections se font presque toujours selon les croyances
religieuses. Evidemment cela fait l'affaire des capitalistes, et tend
à les rendre religieux ; mais les capitalistes seuls ne
pourraient amener ce résultat. Le résultat provient du fait que
beaucoup d'ouvriers préfèrent le progrès de leur foi à
l'amélioration de leur existence. Quelque déplorable que soit cet
état d'esprit, il n'est pas nécessairement dû aux mensonges
capitalistes ».
Et le capitalisme d'Etat,
croyez-vous qu'il n'a comme seule perversion la possession,
l'accaparement d'objets ?
« Toute la
politique est dominée par les désirs des hommes. La théorie
matérialiste de l'Histoire, en dernière analyse, implique le
postulat que toute personne politiquement consciente est dominée par
un unique désir : celui d'augmenter sa propre part d'avantages
matériels (…) Cette supposition est loin de la vérité. Les
hommes désirent le pouvoir ; ils désirent des satisfactions
pour leur orgueil et leur propre considération. (…) Tous ces
mobiles se mettent en travers des motifs purement économiques. Il
est nécessaire de traiter les motifs politiques par des méthodes de
l'analyse psychologique. En politique, comme dans la vie privée, les
hommes créent des mythes pour rationaliser leur conduite (…) pour
Marx qui a hérité de la psychologie nationaliste du 18e siècle des
économistes orthodoxes britanniques, l'enrichissement paraissait le
but naturel des actes politiques d'un homme. Mais la psychologie
moderne a pénétré beaucoup plus profondément dans l'océan de la
folie sur lequel la petite barque de la raison humaine flotte à
l'aventure. L'optimisme intellectuel d'un âge révolu n'est plus
possible pour un moderne qui étudie la nature humaine. Il s'attarde
encore dans le marxisme ; il rend les marxistes rigides et
semblables à Procuste dans leur façon d'envisager la vie
instinctive » (p.141)
(…) « ...quatre
passions : désir d'acquérir, vanité, rivalité, amour du
pouvoir sont, après les instincts fondamentaux, les premiers moteurs
de tous les événements politiques ».
Or, acquérir, en pays de
misère ou dans une misère généralisée, n'est-ce pas le propre
des «militants religieux » ? Sans compter que l'expansion
de l'islam n'est pas due en soi à cette religion mais à la...
sécheresse :
« « L'action
des conditions matérielles peut être illustrée par le fait que
quatre des plus grands mouvements de conquête sont dus à la
sécheresse de l'Arabie, laquelle a forcé les nomades de ce pays
d'émigrer dans des régions déjà habitées (L'Aube de l'histoire,
de Myer). Le dernier de ces mouvements, ce fut le soulèvement de
l'islam. Dans ces quatre faits, les besoins primitifs de manger et de
boire ont suffi pour mettre les événements en marche ; mais
comme ces besoins ne pouvaient être satisfaits que par la conquête,
les quatre passions secondaires ont dû bientôt entrer en jeu. Dans
les conquêtes de l'industrialisme moderne, les passions secondaires
ont presque toujours été dominantes étant donné que ceux qui les
entreprenaient n'avaient à redouter ni la faim ni la soif (…) Le
progrès ou la régression du monde dépendent, d'une manière
générale, de la balance que l'on peut établir entre le désir
d'acquérir et la rivalité. Le premier est facteur de progrès, le
second de régression (…) Jusqu'en 1914, le désir d'acquérir l'a
emporté, d'une manière générale, depuis la chute de Napoléon ;
tandis que ces six dernières années ont vu la prédominance de
l'instinct de rivalité. (…) L'habitude du pouvoir intensifie la
passion de rivalité ; donc un Etat où le pouvoir est concentré
sera plus belliqueux ».
Le capitalisme peut bien
être dominé par le fait religieux finalement, au bout du compte,
dans une décomposition finale où le meurtre ne deviendra plus que
la seule loi de référence :
« « Prétendre
que c'est la propagande capitaliste qui empêche l'adoption du
communisme par les salariés n'est vrai que très partiellement. (…)
Elle (la propagande capitaliste) a été incapable de tenir tête au
sentiment religieux. (…) La vérité est que le socialisme
n'éveille pas chez la plupart des citoyens le même intérêt
passionné que le sentiment nationaliste et le sentiment religieux ».
« Il y a beaucoup
de minorités en dehors des communistes : minorités
religieuses, minorités de tempérants, minorités militaristes,
minorités capitalistes. Chacune de ces minorités pourrait adopter
la méthode préconisée par les bolcheviks, et pourrait espérer
réussir aussi bien que ceux-ci. Ce qui arrête ces minorités, plus
ou moins actuellement, c'est le respect de la loi et de la
constitution. (…) la renonciation à la loi, si elle devient
générale, déchaîne la bête humaine et lâche la bride aux désirs
primitifs et aux instincts que la civilisation contient dans une
certaine mesure. Tout homme qui a étudié le Moyen Age doit avoir
été frappé par l'extraordinaire valeur attribuée à la loi durant
cette période. Cela venait de ce que dans des pays attaqués par des
barons pillards, la loi était la première exigence du progrès (…)
La guerre de classe mondiale prévue par la troisième
Internationale, survenant après l'abandon de toute contrainte par
suite de la dernière guerre, et jointe au mépris délibérément
inculqué de la loi et d'un gouvernement constitutionnel, pourrait
bien amener et amènerait certainement, à mon avis, une situation
telle qu'il deviendrait naturel de tuer un homme pour une croûte de
pain et que les femmes ne pourraient être respectées que si elles
étaient protégées par des hommes armés ». (p.161)
Non content de décrire
par anticipation – l'époque fait encore la part belle aux
romanciers d'anticipation, à Jules Verne comme à Huxley qui va
publier Le meilleur des mondes en 1931 18,
bréviaire de l'anti-communisme « totalitaire » - le
retour de l'aliénation religieuse, et pas de façon perverse et
eugéniste à la Huxley, Russell met en garde indirectement contre la
décomposition capitaliste si la classe ouvrière ne prend pas ses
responsabilités comme le lui enjoignait Oscar Wilde ! Bertrand
Russell a eu des entretiens avec les divers chefs bolcheviques, dont
il dresse des portraits peu flatteurs mais compatissants, étant
donné les remarques contenues dans son étonnant petit livre, je
pense que c'est lui qui a poussé Lénine à sauver les meubles, et à
éviter un nouveau Kronstadt, en lui conseillant de créer une NEP,
nouvelle politique économique donnant du lest à l'économie
emprisonnée et à la petite bourgeoisie.
LE TEMPS EST VENU OU
LES REVELATIONS NE SONT PLUS SCANDALEUSES MAIS OU LE SCANDALE SE
TROUVE DANS LA PERPETUATION DU GRAND MENSONGE CAPITALISTE
La mondialisation
heureuse et le Macron, Mozart de l'économie qui considère les
ouvrières comme illettrées et les ouvriers incapables de se payer
un beau costume, n'ont plus que la Corée du Nord et le djihadisme
masqué à se mettre sous la dent. Il n'y a plus à dénoncer la
forfaiture d'un « socialisme réel », est-ce à dire
qu'un authentique socialisme, puis communisme n'a aucune prétention
à exister ?
Question de conscience de
classe mon cher Watson ! Faites marcher votre tête et pas vos
pieds !
La prise de conscience de
la farce tragique du « socialisme réel », décrié
partout comme « communisme totalitaire » n'a pas dépendu
fondamentalement d'une révélation journalistique, ni d'une
information, plus ample ou indépendante (qui n'existe pas) ni des
murmures de poignées de militants de la vieille et de la veille qui
« savent », qui « ont vécu » ou qui « en
sont revenus », ni de la pantalonnade des gouvernements
Mitterrand ou Walesa, mais des événements. 1956 et 1968 ont plus
fait pour déniaiser la croyance entretenue par les buses
staliniennes au service d'un parti national bourgeois financé par
Moscou. Malgré le rapport (préventif) secret de Khrouchtchev en
février195619,
c'est la répression « soviétique » qui a plus fait pour
dévoiler les camps de travail et de torture - et faire taire
apparatchiks menteurs du PCF et des sectes trotskistes - que les
écrits des Ciliga, Souvarine, Kravchenko puis, si tard, Soljenitsyne
le bigot.
La réflexion sur les
causes qui ont enclenché la révolution en Russie, ne nous est pas
étrangère, et n'est pas obsolète à cent ans de distance. Il n'y a
pas que le Kremlin actuel qu'elle mette encore mal à l'aise. Pour
ceux qui sont arrivés au pouvoir en Russie juste après
l’effondrement de l’URSS, l’explication était toute trouvée :
ils ont adopté la théorie libérale du complot ourdi par des
éléments profondément étrangers au peuple russe, soit les
bolcheviks, une bande de criminels stipendiés par l’Allemagne, qui
n’avaient aucune légitimité populaire… Ce qui permettait de
condamner le communisme. (sic! d'où mes deux articles contre le
faussaire tsarcophile Loupan).
Question de méthode
ai-je dit en introduction, qui est absente de la plupart des
recensements tant sur les causes profondes de la révolution que sur
l'utilité et la fonction des goulags. Absence de méthode comme si
tout n'était question que d'information et pas de conscience ;
conscience de classe bien entendu qui est à la fois un sentiment et
un raisonnement déductif, qui se nourrit de ce qui est possible et
impossible, qui calcule le pourquoi d'une impuissance à régler les
malheureux du monde par le cerveau d'un individu ou celui de toutes
les bonnes volontés de l'univers. Un monde révoltant qui, à chaque
époque, hérisse des murs sociaux et psychologiques, qui masquent
misères, guerres, injustices, spoliations diverses.
La méthode pour
appréhender le monde capitaliste d'aujourd'hui n'est surtout pas
l'oubli de ce que nous avons fini par savoir, mais de voir ce qui
se déroule sous nos yeux, les enjeux ; c'est de comprendre
qu'il existe des armes pour la réflexion et que celles-ci étaient
utilisées toujours et déjà par ces petites minorités maximalistes
pourchassées avant la répétition de la guerre mondiale non parce
qu'elles menaçaient au bout du compte à ce moment-là le
capitalisme – quoique l'assassinat de Trotsky vaille la comparaison
avec celui de Jaurès, quoique les Etats aient été complices de
l'Amérique à l'Espagne, de Moscou à Berlin pour éradiquer la
théorie révolutionnaire et ses porteurs en chair et en os – il
faut le répéter : sans théorie révolutionnaire pas de
mouvement révolutionnaire.
LE
SPECTACLE QUE DONNE STALINE EN PATURE AU CAPITALISME DE TOUS LES PAYS
LE PROCES
DE MOSCOU (BILAN n°39)
(…) Et, en
Russie comma dans les autres pays, la course effrénée de
l'industrialisation, conduit inexorablement à faire de l'homme une
pièce de l'engrenage mécanique de la production industrielle. Le
niveau vertigineux atteint par le développement de la technique
impose une organisation socialiste de la société. Le progrès
incessant de l'industrialisation doit s'harmoniser avec les intérêts
des travailleurs, autrement ces derniers deviennent les prisonniers,
et, enfin, les esclaves des forces de l'économie. Le régime
capitaliste est l'expression de cet esclavage car, au travers de
cataclysmes économiques et sociaux, il peut y trouver la source de
sa domination de la classe ouvrière. En Russie, c'est sous la loi de
l'accumulation capitaliste que se réalisent les constructions
gigantesques d'ateliers, et les travailleurs sont à la merci de la
logique de cette industrialisation : ici accidents de chemins de
fer, là explosion dans les mines, ailleurs catastrophes dans les
ateliers. Devant cette situation, Staline ne peut pas laisser les
masses dans le doute : ce n'est ni lui, ni l'économie basée
sur les lois capitalistes, qui en sont les responsables. D'un autre
côté, une lueur pourrait éclairer les masses ; elle pourrait
jaillir de l'Octobre 1917, et c'est pour cela que l'on se jette
cyniquement sur les vieux bolchéviks : après les avoir
précipités au dernier degré de la mortification, on les tue comme
des chiens ». (le reste du texte est sublime mais je demande à
être relayé à la saisie).
Contrairement
à Bordiga, incapable même après guerre de caractériser la Russie
comme capitalisme
d'Etat, Bilan décrit bien la nécessité intrinsèque des « camps de travail » sans les nommer au régime étatique russe ; ils sont consubstantiels de l'industrialisation à marche forcée et esclavagiste du système en marche vers la reprise de la guerre mondiale. L'horrible « agent de la CIA » Kravchenko avait fait une révélation scandaleuse, valable aussi pour les camps hitlériens, et qui ne supposait pas un « racisme d'Etat » comme disent nos gauchistes modernes embrigadés, les camps de la mort staliniens étaient nécessaires avant tout pour l'industrie de guerre de l'impérialisme russe ! Car l'on sait qu'en économie il faut choisir entre beurre et canons, mais pas entre goulags et canons !
d'Etat, Bilan décrit bien la nécessité intrinsèque des « camps de travail » sans les nommer au régime étatique russe ; ils sont consubstantiels de l'industrialisation à marche forcée et esclavagiste du système en marche vers la reprise de la guerre mondiale. L'horrible « agent de la CIA » Kravchenko avait fait une révélation scandaleuse, valable aussi pour les camps hitlériens, et qui ne supposait pas un « racisme d'Etat » comme disent nos gauchistes modernes embrigadés, les camps de la mort staliniens étaient nécessaires avant tout pour l'industrie de guerre de l'impérialisme russe ! Car l'on sait qu'en économie il faut choisir entre beurre et canons, mais pas entre goulags et canons !
Bilan est le
seul de plus à montrer nettement le besoin de bouc-émissaires, et
il montre l'exemple à Hitler : ce sont les vieux bolchéviks
puis ce sera les juifs ; Staline ne donnera les preuves de son
antisémitisme que lors du procès des blouses blanches. Bilan se
fait cependant beaucoup d'illusions sur le danger réel des vieux
bolchéviks torturés et voués à la mort en cette fin des années
1930, depuis l'échec en Allemagne en 1923, le bannissement de
Trotsky et la proclamation du socialisme dans un seul pays en 1924,
le gros du sale boulot est maîtrisé par un appareil d'Etat encadré
par tant de parvenus ouvriers et paysans qui ont tant oublié leurs
origines qu'ils se félicitent d'en être sortis ! A ce propos,
je repense à ces sociologues qui semblent regretter de façon aléatoire au gré de leur sondagerie qu'il n'y ait
plus d'ouvriers au Parlement en France... il n'y a pas de quoi dramatiser, quand
on pense aux « ouvriers du PCF » ignares et mannequins de
Thorez et Marchais, qui étaient si lamentables (cf. témoignages
édifiants dans « Au service du parti », de
Verdès-Leroux.) Un ouvrier élu peut être aussi pourri qu'un
bourgeois de souche ! Mais comme on dissoudra le Parlement et que l'ouvrier moderne n'est plus un plouc ni en condition pour devenir un sale arriviste...
NOTES:
1« La
révolution russe, une histoire française, Lectures et
représentations depuis 1917 » (La fabrique, 2016). dont j'ai
déjà parlé ici comme d'un recensement hémiplégique.
2« Au
service du Parti » (Fayard 1983), livre épais qui contient
toutes les vilenies des girouettes successives du PCF, dont les
témoignages révèlent la même maladie sénile et paranoïaque qui
régit l'ensemble des petites sectes trotskiennes, et même
maximalistes lorsqu'elles dégénèrent. Un bémol, Verdès-Leroux
s'appuie un peu trop souvent sur une nullité politique, girouette
entre toutes, ce pauvre Sartre.
3Gilles
Dauvé a très bien vu la nuance contrairement à ses détracteurs
anars ignares : « « Le
goulag ne livre pas la clé théorique de l’URSS ni les camps
d’extermination celle de l’hitlérisme. Crises, guerres et
massacres de masse expriment des paroxysmes, mais n’élucident pas
les logiques qui y conduisent. »
4J'évite
tant que je peux de formuler « révolution russe », car
ce qualificatif sert trop bien la réaction et les faussaires du
système actuel pour en faire une spécificité « cosaque »,
alors qu'elle fût le début de l'insurrection mondiale
généralisable face à la guerre mondiale.
5Aunoble,
sans aucun souci de chronologie et sans se relire, nous dit en page
144 que : « Les premières dénonciations de la
répression bolchevique (…) sont rééditées en 1975 sous le
titre « La terreur sous Lénine », puis Besançon et
tutti quanti on suivi... Ah bon ! « D’abord,
il convient d’évoquer la genèse des camps de travail forcé en
URSS et de mentionner la spécificité géographique et historique
des camps de la république des Komi. Aussi la question suivante se
pose-t-elle : comment apparurent en URSS les camps de concentration
et les camps de redressement par le travail (camps de travail forcé)
? À l’origine, le camp de concentration et le camp de
redressement par le travail étaient deux éléments indépendants,
mais ils se sont confondus pour former un vaste système
concentrationnaire sous l’autorité de la police politique. Michel
Heller, historien et enseignant à la Sorbonne (de 1969 à 1990),
affirme que le terme « camp de concentration », invention inconnue
de la Russie tsariste, fut adopté par les Bolcheviks dans la
première décade du mois d’août 1918, tandis que l’historien
français Nicolas Werth, dans l’article Révolution des archives
soviétiques paru dans un numéro spécial d’Historia, insiste sur
le fait que les camps de concentration apparurent en Russie
soviétique dès les premiers mois du régime bolchevique sur ordre
de Trotsky ». Ekaterina SHEPELEVA-BOUVARD (thèse de doctorat
2006)
6La
mode de la shoah depuis la fin des sixties édulcore les questions
de fond sur le nazisme-capitalisme et le déroulement dans les camps
de l'horreur concentrationnaire, Primo Levi reste la référence
avec Kershaw et Hillberg, mais l'ouvrage de Henry V.Dicks « Les
meurtres collectifs » (Calmann-Lévy, 1973) est plus
troublant.
7Dont
Aunoble démontre le mieux la supercherie à partir de la page 152.
8Sur
le site Smolny. L'ampleur du système soviétique de
travail forcé sous Staline a donné lieu à des débats animés
dans les milieux universitaires depuis la seconde guerre mondiale.
Pendant des dizaines d'années, le silence imposé en U.R.S.S. par
les autorités a laissé le champ libre à une grande diversité
d'approches méthodologiques et de résultats. En 1947, Viktor
Kravchenko, qui avait travaillé comme chef de département du
Sovnarkom pendant la guerre, déclarait que le chiffre communément
admis parmi ses collègues en ce qui concernait le nombre de
condamnés aux travaux forcés en Union soviétique pendant la
guerre était de vingt millions, exagération notoire infondée mais
reprise par les Courtois (ancien mao-stal) et Cie. L'année
suivante, N.S.Timasheff estimait, en se basant sur un décompte des
personnes privées du droit de vote aux élections de 1937 en
U.R.S.S., que le nombre de détenus à la fin de la guerre
atteignait 2,3 millions. Ces deux chiffres, établis il y a environ
quarante-cinq ans,. marquent les limites supérieure et inférieure
des estimations qui ont suivi. Ils montrent également la récurrence
des différentes approches méthodologiques de cette question. Les
estimations les plus élevées de la population du système du
Goulag sont celles qui se basent sur une expérience personnelle.
9Dix
ans au pays du mensonge déconcertant, Paris, Champ
Libre, 1977 (première édition en 1938). Et lire :
Philippe BTexte à
propos de l'itinéraire de Ciligaourrinet, Ante Ciliga
1898-1992, Nationalisme et Communisme en Yougoslavie, [archive]
(PDF) . Les récits de la Kolyma de Chalamov ne sont publiés qu'en
1980 chez Maspéro.
10Mais
au milieu d'éditions louches ou très CIA, la revue Preuves et les
éditions Les Iles d'or, milieu où participe Ida Mett, qui sera
éditée aussi par les cahiers Spartacus. Anté Ciliga
naît à Chegotichi en Yougoslavie en 1898. Dès 1919 il participe à
la lutte des éléments progressistes de ce pays contre l'oppression
des Kagageorgévitch. Devient secrétaire du parti communiste de
Croatie à 24 ans. Membre du Politbureau du comité central du parti
communiste yougoslave, il en est le délégué à Vienne. Envoyé en
1926 à Moscou, il enseigne à l'école du parti yougoslave.
Travaille également dans la section balkanique du Komintern. En
1929 il adhère à l'opposition. Arrêté en 1930 et sans avoir été
entendu, il est jugé et condamné par le Guépéou. Il passe trois
ans en prison à Leningrad dans l'isolateur de Vierkhné-Ouralsk
avant d'être déporté en Sibérie. Échappe à la mort par une
mesure d'expulsion ordonnée par Vichinski en 1936. La même année
Ciliga entreprend la rédaction de ce qui deviendra Dix
ans au pays du mensonge déconcertant. La
première édition publiée par Gallimard porte le titre : Au
Pays du mensonge, et se voit amputée par
l'éditeur des 4/5èmes du chapitre sur Lénine. Publiée en 1950
par Les Iles d'Or, la deuxième édition parait sous le titre : Au
pays du mensonge déconcertant suivi de
Sibérie terre d'exil et de
l'industrialisation. Cette fois le chapitre
sur Lénine figure dans son entier, mais c'est l'ensemble du texte
qui se trouve abrégé. Ce n'est qu'en 1977 que les éditions Champ
Libre publient intégralement les deux textes, écrits
respectivement en 1936 et 1941. Anté Ciliga est également
l'auteur de : Lénine et la révolution,
publié par les éditions Spartacus en 1948. La Révolution
Prolétarienne a publié : De
Mussolini à De Gasperi en juin 1948 et Les
slaves du Sud entre l'est et l'ouest en
novembre 1950. La crise de l'État dans la
Yougoslavie de Tito est paru à Paris en
1974. La discussion sur Cronstadt et sur là responsabilité de
Trotsky dans ce massacre fut lancée par Victor Serge, Boris
Souvarine, Ida Mett, Wendelin Thomas, Emma
Goldman et autres. En 1931, un oppositionnel allemand déclarait
: le groupe trotskyste est un petit bateau
surmonté d'un grand mât. Boris Souvarine,
reprenant cette métaphore écrivit : le
bateau est pourri et le mât porte une girouette.
11Le
paysan russe il est vrai en tient une couche, comme en témoigne
aussi Bertrand Russell : « Le paysan russe typique n'a
jamais entendu parler ni des Alliés, ni de la Grande-Bretagne. Il
ne sait pas que le blocus existe ; tout ce qu'il sait, c'est
qu'il possédait autrefois six vaches, mais que le gouvernement l'a
réduit à n'en avoir plus qu'une seule, et cela au profit des
paysans plus pauvres encore (…) son horizon ne dépasse pas les
limites de son village » (p.115 de La pratique du bolchévisme,
1920).
12Réflexion
sur la collectivisation forcée par Paulette Vanhecke-Tomasini,
colloque du Centre d'Etudes des Modes d'industrialisation de l'EHESS
(10 décembre 1981) ; L'industrialisation de l'URSS dans les
années trente, sous la direction de Charles Bettelheim.
13Claude
Lefort, Eléments d'une critique de la bureaucratie, Gallimard 1971.
14Je
n'ai jamais admiré le personnage de Trotsky, qui est à mon sens le
Robespierre russe, à cette différence que Robespierre n'a jamais
pris de vacances pendant la révolution, ni ne s'est livré à des
distractions de bourges. Mais malgré ce passé ministériel
bourgeois, Trotsky a été capable de transmettre un « capital »
théorique honorable bien que foireux à la fin.
15En
1970, un recruteur de LO me « confie » que les éditions
Spartacus ont été mouillés à l'anti-stalinisme primaire et qu'il
faut éviter de les lire ! Par contre se contenter de lire
Gorki et l'oeuvre complète de Léon, c'est pas louche ?
16En
1935, Bilan n°14 titre : « L'assassinat de Kyrov »
et en deuxième lieu : « la suppression de la carte de
pain en URSS », ce deuxième titre est peu développé
contrairement au premier. On parle plus des « défaites du
prolétariat » que de ses conditions de vie lamentables (lire
extrait à la fin de cet article). Je crois qu'à l'époque il n'y a
que Albert Treint pour insister sur le sort des masses dans sa
brochure « Le capitalisme d'Etat ». Les trotskystes
oppositionnels se consacrent plus à déplorer leur état
d'isolement et pas à comprendre ce qui fait que les masses se sont
éloignées ; Marc Ferro et Eric Aunoble montrent bien que le
stalinisme n'est pas venu de Staline ni d'un échec du marxisme,
mais de la société russe elle-même, de l'individualisme paysan et
petit bourgeois calotin (Reclus a vu le même défaut chez les
Communards) : « … dès avant octobre 1917, la
professionnalisation des membres des comités est extrêmement
rapide, de même que leur croissance numérique. Ces organes
populaires pratiquent également la terreur, sans avoir besoin d'une
directive du Comité Central du Parti, et leur conception du
processus de décision est assez éloignée des canons de la
démocratie, même « directe » ou « sauvage ».
Sur le fond d'une tradition de fonctionnarisme héritée du
tsarisme, la rencontre de ces processus « d'en bas »
avec un absolutisme et un bureaucratisme spécifiquement
bolcheviques rend largement compte de l'évolution ultérieure du
régime, sans faire appel à la notion de contre-révolution,
qu'elle fût « communiste » ou « stalinienne »
(Aunoble, p. 117). Les premiers tchékistes sont les anciens
permanents syndicalistes licenciés des usines, dans l'obligation de
trouver un nouveau gagne-pain (p.159) pas très éloigné de celui
qu'ils exerçaient avant !Et par contre Souvarine a de ce fait
une analyse en effet « conspirationniste » comme Trotsky
d'ailleurs et la plupart des critiques de gauche du stalinisme ;
dans le même ordre d'idée, contre l'hystérie anti-bolchevique,
Aunoble rappelle l'excellente contribution d'Arno J. Mayer, que
j'ai souvent utilisée, contre ces idiots de Furet, Jean Krauze,
Courtois et Werth, que la terreur ne naît pas d'une idéologie
« mais de la déstabilisation de l'ordre social ».
17Jusque
tardivement j'eus à subir ce genre d'oellières ; ainsi ce
collègue lors d'un stage au milieu des années 1980 qui me
répondit : « d'où tiens-tu cette information ? » ;
j'eus la bêtise de lui répondre : « de mes lectures de
témoignages d'authentiques révolutionnaires ». Ce à quoi il
me fût répondu sans fard : « forcément tu crois les
conneries que tu lis ». Ma connerie avait été en effet de
croire qu'on pouvait discuter rationnellement et honnêtement avec
un type qui venait de quitter la secte lambertiste et dont le
portrait s'affichait dans les rues de Villejuif pour être élu
conseiller municipal PCF !
18http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/extraits-d-ouvrages/article/la-face-cachee-d-aldous-huxley-183372
19
Dans ses Mémoires, écrits dans les années 1970 mais publiés
seulement en 1999, Anastase Mikoian affirme avoir été le premier à
presser Nikita Khrouchtchev de préparer un rapport "sur
les crimes de Staline envers les cadres communistes"
. "Si nous ne le faisons pas au cours
du premier congrès qui suivra la disparition de Staline, nous
prenons le risque que quelqu'un le fasse avant nous et alors nous
serons collectivement tenus responsables de ce qui s'est passé
. [...] Il faut expliquer que nous ignorions
beaucoup de choses, qu'on ne pesait pas lourd face à Staline. Si
nous prenons les devants, disons la vérité aux délégués du
congrès, on nous pardonnera la part de responsabilité que nous
portons tous . [...] N'oublions
pas que chaque jour, des personnes injustement réprimées
reviennent du Goulag et que l'information sur ce qui s'est passé va
se répandre peu à peu dans la société"
.
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