(revue OCTOBRE n°3,
avril 1938)
Ce texte des italiens maximalistes réfugiés en Belgique avant guerre, de la fraction Bilan devenue Octobre (ils croyaient revenu l'époque révolutionnaire...à la veille de 1939!) est une réponse au célèbre texte de l'oracle déchu Trotsky "Leçons d'Espagne: dernier avertissement". Trotsky est taxé d'avoir franchi le rubicon, ce n'est pas exact, un coup de piolet l'aura empêché. Ce texte répond bien à la forfanterie de l'oracle énervé, mieux encore que le précédent "un renégat à la plume de paon". Trotsky envoie les prolétaires espagnols au casse-pipe national et soutient l'antifascisme de gouvernement. La question restera posée longtemps et confusément comme pour Jaurès, aurait-il pris position pour le camp américain lors de la guerre mondiale qui venait? La plupart de ses derniers écrits vont dans ce sens. Les camarades de la revue OCTOBRE ne répondent pas à toutes les confusions, insanités et mensonges du fier massacreur de Kronstadt, du général aux épaulettes rouges qui confond totalement lui aussi guerre et révolution, dont la notion confuse de révolution permanente n'est plus qu'un anachronisme abscons.
Tout le monde admet que les événements d'Espagne représentent un moment décisif pour la cristallisation des positions politiques qui se sont affrontées jusqu'ici dans le mouvement ouvrier. La nature intime et la fonction objective de tous les courants se réclamant du prolétariat se sont, en effet, dévoilées au grand jour pendant cette guerre et la ligne de démarcation qui est apparue entre les différents groupes a été consacrée définitivement par les milliers de cadavres ouvriers ensevelis en terre ibérique.
Tout le monde admet que les événements d'Espagne représentent un moment décisif pour la cristallisation des positions politiques qui se sont affrontées jusqu'ici dans le mouvement ouvrier. La nature intime et la fonction objective de tous les courants se réclamant du prolétariat se sont, en effet, dévoilées au grand jour pendant cette guerre et la ligne de démarcation qui est apparue entre les différents groupes a été consacrée définitivement par les milliers de cadavres ouvriers ensevelis en terre ibérique.
L'heure est aux
« leçons », mais seulement aux leçons de classe. Il
faut extraire de la gigantesque hécatombe des armes idéologiques
pour éviter que les éruptions révolutionnaires de demain ne soient
précipitées dans la guerre impérialiste. Mais cette œuvre
d'analyse historique ne peut être faite par quiconque. Son climat,
son terrain sont déterminés d'avance et seules les organisations
qui n'ont pas failli à leur mission et qui ont opposé le drapeau de
la révolution à celui de la guerre impérialiste ont conservé une
nature de classe qui permet à leur fonction de s'exercer dans ce
travail d'analyse et d'aboutir à des solutions politiques
progressives.
Trotski s'est mêlé
ouvertement aux discussions sur le problème espagnol. Il l'a fait
aussi « génialement » qu'un certain Crux1
et avec autant de « profondeur » que lors de sa polémique
contre les « extrémistes de gauche »2
ou contre les anarchistes à propos de Konstadt. Il est bien entendu
que nous ne comprenons rien aux problèmes du marxisme et surtout à
ceux de la « révolution permanente », alors que Trotski
seul voit tout, sait tout et peut lancer ses « derniers
avertissements » aux traîtres qui, au lieu de mener la guerre
et la révolution de pair, s'allient au Front populaire contre les
ouvriers (n'est-ce pas Messieurs les anarchistes?). Cette mise au
point faite, nous pouvons aborder l'examen des problèmes que la
guerre espagnole dégage, en confrontant leur réponse de classe aux
positions du mouvement trotskiste et de Trotski lui-même. Notre
ex-grand homme nous excusera si nous usons de liberté à son égard,
mais lorsqu'on trahit les intérêts de classe des prolétaires, on
ne mérite que mépris, même lorsque l'on est un artisan d'Octobre
1917.
Au sein du mouvement
ouvrier, les seules organisations qui tentèrent d'aborder l'examen
de fond des problèmes de la démocratie bourgeoise, selon les
critères de la lutte des classes, ont été les fractions de gauche
qui réagissaient contre une déformation de la pensée de Lénine en
se basant sur ses positions tactiques au sujet de la démocratie
bourgeoise. Les stratèges de tout acabit « prouvaient »
avec décision que Lénine avait toujours recommandé de se
retrancher sur des positions intermédiaires, n'intéressant pas
seulement le prolétariat, mais aussi les couches démocratiques de
la bourgeoisie, lorsque les circonstances voyaient la réaction
capitaliste déferler sur la société entière. Avec le
passe-partout de la « révolution permanente », Trotski
prouvait, quant à lui, qu'ainsi on passait à un échelon supérieur,
pour aboutir finalement à l'insurrection. Nous ne parlons pas des
centristes ou des socialistes, qui devaient passer, les uns depuis
1914, les autres avec la victoire de Staline, à la défense ouverte
de la domination démocratique du capitalisme.
Bien souvent, nous avons
prouvé que libertés acquises par le prolétariat et « libertés
démocratiques » sont deux notions antagonistes que sépare un
fossz de classe et que les ouvriers, en défendant leur presse, leurs
organisations, ne faisaient pas un bout de chemin avec la bourgeoisie
démocratique, mais empruntaient la voie de la victoire contre cette
dernière. Il serait oiseux de revenir ici sur ce sujet. Le problème
réside en cela que la divergence s'est épuisée dans une série
d'événements et dans deux guerres. Le mouvement trotskiste a
culbuté de l'autre côté de la barricade, malgré les subtilités
de la révolution permanente. Certes, il n'y eu pas seulement ce
problème, mais un ensemble complexe d'éléments qui prouvèrent
que, même sur les points centraux de la doctrine marxiste (l'Etat,
la classe, le parti, la dictature du prolétariat et la période de
transition) le trotskisme , loin de continuer Lénine, passait à
l'empirisme et déformait, d'une açon caricaturale, l'oeuvre
réalisée par les bolchéviks. Les événements d'Espagne devaient
le prouver catégoriquement.
Prenons les faits qui
précèdent ces événements. Lors de la guerre d'Abyssinie, le
critère appliqué par Trotski consistait à choisir entre le moins
réactionnaire des belligérants, comme en Espagne on choisira
Caballero contre Franco, pour y greffer la lutte du prolétariat. La
justification ? La VI e Internationale se laisse guider par des
« crtières matérialistes » et « s'ils (les
trotskistes – NDLR) ont soutenu, par exemple, l'Abyssinie, malgré
l'esclavage qui s'y maintenait et le barbare régime politique,
c'est : premièrement, parce que, pour un pays pré-capitaliste,
un Etat national indépendant est un stade historique progressif ;
deuxièmement, parce que la défaite de l'Italie aurait signifié le
commencement de l'efondrement du régime capitaliste « qui se
survit » ( n°1 – IV e Internationale - page 9). On
sait ce qui s'est passé ! Les événements ont dédaigné ces
fioritures et le « critère matérialiste » a permis la
mobilisation des ouvriers pour la guerre. La « révolution
permanente » ne s'est pas manifestée, car les temps bibliques
des miracles sont révolus, malgré les incantations trotskistes.
L'Espagne devait voir
l'application de ce schéma sur une grande échelle. L'Etat National
Indépendant (?), pion de l'impérialisme britannique, allait être
remplacé par l'Etat démocratique. Pour défendre leurs « libertés »
(n'est-ce pas les emprisonnés antifascistes de Barcelone?), les
ouvriers étaient conviés à marcher avec la démocratie, sans
oublier la révolution permanente qui, au nom de l'affaire Kornilov,
allait leur donner la victoire. Mais, ici, il est bon de voir les
choses de près.
Le Centre pour la IV e
Internationale avait été constitué officiellement en juillet 1936,
après les exclusions des trotskistes de la II e Internationale, et
leur reconstitution en Ligue des Communistes Internationalistes.
Inutile de prouver que c'était bien le plus étrange des amalgames
qu'on ait connu. Mais un mariage entre Trotski et des groupes de
socialistes de gauche pouvait-il créer autre chose qu'un avorton
sans tête ni pieds ? Les sections les plus importantes devaient
s'illustrer bien vite et s'attirer les foudres de Trotski. Les Belges
votaient pour le clérical Van Zeeland, moindre mal en face de
Degrelle. Les Hollandais devenaient les avocats officiels du Poum et
les Français qui, en juillet 1936, étaient enclins à une telle
position, changaient diplomatiquement leur point de vue, sans
souffler mot.
Cette IV e Internationale
d'opérette, lors de la guerre d'Espagne, allait se jeter, avec un
flair
remarquable dans le camp des antifascistes jusqu'auboutistes.
Comment le problème se
posait-il ? Les ouvriers de Barcelone ripostaient à Franco en
déclenchant une bataille de classe. Les partis ouvriers faisaient de
leur corps un rempart à l'Etat capitaliste et convoyaient les
ouvriers sur les champs de bataille. Le cri général était « battre
Franco » et, sans nuire à cette lutte, réaliser des réformes
sociales : « faire la révolution ». Le problème
central de l'Etat était escamoté. Il n'était qu'une « façade ».
Trotski, à cette époque, devait se taire malgré lui, grâce aux
soins « démocratiques » des ministres socialistes de
Norvège.
A cette époque, le
mouvement trotskiste marche à fond dans la direction du Poum et des
anarchistes. La directive est d'entrer au Poum et d'y faire un
travail de gauche. Ce n'est que plus tard qu'on se rappellera qu'il
faut détruire l'Etat.
Et que les charlatans de
France et de Belgique ne protestent pas, car s'il faut prouver nos
assertions, nous le prouverons par leurs propres écrits.
Enfin, Trotski se met à
parler. Le chef de la révolution permanente a perdu ses ailes
d'aigle et n'est plus qu'un canard de basse-cour. C'est d'abord une
interview où il qualifie de lâches ceux qui ne soutiennent pas
l'armée républicaine. Puis, nous aurons la justification théorique
de Monsieur Crux, l'ombre d'un certain Gourov3
qui, en 1932, prévoyait la possibilité d'une victoire sur Hitler
même avec Thälmann.
« La victoire de
Caballero sur Franco n'est pas impossible » ! Evidemment,
surtout que cela fut écrit au début de 1937, après les
« trahisons » des chefs militaires républicains sur
différents fronts où il fallait faciliter la saignée de Franco.
Mais cela serait secondaire si, comme conséquence, on n'entrevoyait
pas la nécessité de cette position : « il faut aider de
toutes ses forces les troupes républicaines ». Oh ! Ne
craignons rien ! Monsieur Crux a en vue la révolution, laquelle
ne découle pas d'une victoire républicaine. Seulement, il va
appliquer devant nous la théorie de la révolution permanente :
« à l'époque de l'impérialisme, la démocratie conserve un
avantage sur le fascisme ; que dans tous les cas où ils se
heurtent hostilement l'un à l'autre, le prolétariat révolutionnaire
est tenu de soutenir la démocratie contre le fascisme ». Il
s'agit d'exploiter le « heurt » de l'un à l'autre. Mais,
suprême subtilité : « nous devons défendre la
démocratie bourgeoise, non par les méthodes de la démocratie
bourgeoise, mais par les méthodes de la lutte des classes qui
préparent le remplacement de la démocratie bourgeoise par la
dictature du prolétariat ». Que répondre à ce verbiage,
alors qu'aujourd'hui il est clair qu'en Espagne, comme ailleurs, les
forces démocratiques, loin de se heurter aux forces fascistes d'une
façon décisive, se sont rejointes par des chemins différents, pour
massacrer le prolétariat.
D'ailleurs, la
non-intervention nous a montré que même sur le terrain des
compétitions inter-impérialistes, les pays démocratiques et
fascistes veillaient à amortir les heurts pour unifier leurs efforts
en vue d'en finir avec le prolétariat espagnol et emprisonner dans
l'Union sacrée les ouvriers des autres pays.
Cependant, Monsieur Crux
veut défendre la démocratie bourgeoise avec des moyens
prolétariens. Comment ? S'il faut en juger l'expérience faite
en Espagne par les trotskistes, il s'agit d'envoyer les ouvriers sur
les fronts militaires tout en « proclamant » la nécessité
de la lutte sociale. En somme une politique digne du Poum avec, en
plus, la revendication des Soviets et toute la démagogie verbale que
nous connaissons si bien. On ne s'est même pas demandé si le
prolétariat pouvait employer les moyens de la lutte des classes pour
défendre des positions bourgeoises ; si, en essayant de le
faire, il ne quittait pas son terrain spécifique pour se voir jeter
dans le massacre de la guerre impérialiste. Pourquoi, à l'époque
de l'impérialisme, la démocratie conserve-t-elle un avantage sur le
fascisme ? Et pourquoi, si le prolétariat est capable de la
défendre contre le fascisme, ne lutterait-il pas directement pour
ses propres objectifs ? Plus concrètement encore :
pourquoi a-t-on affirmé que les ouvriers espagnols étaient
seulement capables de battre Franco s'ils défendaient l'Etat
bourgeois et la démocratie ? Si cela était vrai, ils auraient
tout aussi bien faire l'insurrection, puisque l'Etat se mettait sous
leur « protection ». Et l'on se demande pourquoi ils ne
l'auraient pas fait ? Mais, en réalité, même s'il ne nous est
pas indifférents de voir les prolétaires dominés démocratiquement
ou violemment, en aucun cas le choix entre l'une ou l'autre de ces
formes de domination ne dépend de la volonté des ouvriers.
L'expérience historique montre que lorsque les ouvriers sont poussés
à défendre la démocratie, celle-ci en profite pour faire le lit du
fascisme. C'est pure sottise que d'inventer un « avantage »
démocratique pour faire du prolétariat le champion de son suicide,
comme c'est du crétinisme permanent que de croire qu'après avoir
lutté pour la démocratie bourgeoise, les ouvriers passeraient à la
lutte pour la révolution. Même au cours de la révolution russe,
les thèses d'avril ne s'inspiraient pas d'un pareil critère dépassé
par les événements de 1848, en France ; et, pourtant, en
Russie, une opposition existait entre la bourgeoisie et le
féodalisme.
L'Espagne n'a plus de
révolution bourgeoise à faire et seulement le prolétariat peut
résoudre les problèmes économiques que des siècles de parasitisme
des classes dominantes ont rendu insolubles pour la bourgeoisie
espagnole d'aujourd'hui.
Mais, pour Crux, la
victoire des armées républicaines aurait provoqué une explosion
certaine de la guerre civile. Son collègue Trotski dira la même
chose pour la Chine où il expliquera gravement qu'une victoire de
Chang-Kai-Chek provoquera la guerre civile au Japon. Conclusion :
les bolchéviks-léninistes, drapeau déployé, fiers de leur
intransigeance, défendront l'indépendance nationale de la Chine
avec les bourreaux du Kuomintang.
Mais quels singuliers
« marxistes » que ceux qui demandent aux prolétaires
d'offrir leur vie pour la bourgeoisie et qui espèrent que les
monceaux de cadavres feront l'insurrection au moment de la
« victoire ».
Ici, l'exemple espagnol
est sans réplique : chaque victoire militaire des républicains
fut suivie d'une répression contre les ouvriers. Les journées de
mai 1937 survinrent après la consolidation de l'armée républicaine
et l'avance autour de Madrid. Lénine lui, misait sur les défaites
de son propre impérialisme pour voir les ouvriers s'orienter vers le
défaitisme révolutionnaire. Trotski-Cruz misent sur les victoires
républicaines. L'un comprenait qu'une armée dirigée par l'Etat
bourgeois est une armée capitaliste qu'il faut détruire, l'autre
s'imagine que, malgré l'Etat bourgeois, on peut modifier la nature
de l'armée par la propagande, sans nuire à la lutte contre Franco.
Dans toute cette prise de
position, le problème de l'Etat n'est pas abordé sérieusement
comme si la Commune et Octobre 1917 n'avaient pas existé, mais il
est remplacé par des considérations de « stratégie »
vies de sens et des conseils gratuits sur une « direction »
qu'il faut créer pour pousser de l'avant la lutte.
En mai 1937, le Centre
pour la IV e Internationale publie une résolution sur l'Espagne. Au
sein des groupements trotskistes, des divergences s'étalent non sur
le fond du problème espagnol, mais sur le soutien du Poum en lutte
contre sa politique. Trotski a donné le signal de l'attaque contre
les conseillers poumistes de la Généralité : les
bolchéviks-léninistes vont, au pays de Don Quichotte, partir à
l'assaut des moulins à vent : fonder leur section
« espagnole ».
La résolution assimile
d'un coup les journées de mai 1937 au juillet 1917 de la révolution
russe. Où est le parti qui va préparer Octobre ? Aucune trace,
car les ouvriers ont été trahis par leurs propres partis et la
répression vise à faire comprendre que l'Etat capitaliste n'est pas
une « façade » insignifiante et qu'il peut faire
respecter l'ordre. Pour les trotskistes, la déviation de la
révolution espagnole date du moment où les milices sont
militarisées et les comités ouvriers dissous. Hélas ! Mais
cette révolution a-t-elle existé quand les ouvriers n'ont pu lutter
pour abattre l'Etat capitaliste ? Certes, les premiers jours, la
révolte fut grandiose et eut un caractère de classe, mais les
milices furent des canaux « ouvriers » pour acheminer les
ouvriers vers la guerre impérialiste. Pour ces Messieurs, « le
problème le plus important réside dans la constitution dans le feu
de la lutte d'une direction bolchévique qui aura assimilé les
leçons des erreurs passées et saura, tout en continuant la lutte
armée contre Franco, mobiliser effectivement les masses dans les
comités et les dresser contre l'Etat bourgeois pour le briser au
moment opportun (souligné par
nous – NDLR) par l'insurrection... ».
Les
trotskistes vont construire un parti « au feu de la lutte »,
comme si jamais n'avait existé un certain Lénine et une expérience
historique qui nous montre qu'un parti ne se crée pas comme une
quelconque section trotskiste, mais est le résultat d'une sélection
d'idées, de cadres, d'une évolution d'événements et « le feu de
la lutte » est l'épreuve décisive pour ces groupements et non
l'occasion de voir le jour. Plus loin on s'obstine à vouloir
continuer la lutte contre Franco sur un terrain capitaliste
et mobiliser les ouvriers sur
leur terrain de classe.
Mais enfin, ces gens pourraient-ils nous expliquer comment on peut
faire deux choses opposées en même temps ?
L'expérience
espagnole compte-t-elle pour quelque chose ? Les faits
restent-ils des faits ? Le Poum a chanté cette chanson et il a
fini d'abord dans les ministères, puis dans les prisons. Les
anarchistes ont dû comprendre qu'il fallait faire la guerre sans
songer à la révolution. Les trotskistes attendent-ils d'obtenir des
postes dans un Etat capitaliste quelconque pour comprendre que leur
bavardage n'est qu'un bourrage de crâne infect ?
Mais la conclusion est
tout un programme. Il faut détruire l'Etat « au moment
opportun ». Ah ! Comme nous connaissons cette formule si
chère aux réformistes. Mais qui désignera ce « moment
opportun » ? Les événements sans doute ? Une
victoire militaire de Negrin ? Mais, en attendant, il faut
combattre dans les armées républicaines et l'Etat se renforce,
renvoyant le « moment » aux calendes grecques.
Pour illustrer cette
prose, nous aurons des bolchéviks-léninistes d'Espagne (ah !
Les vertus du bluff) qui lanceront un manifeste, en août 1937, pour
expliquer « qu'aussi longtemps que le prolétariat n'est pas à
même de prendre le pouvoir », nous défendrons, dans le cadre
du régime capitaliste en transition, les droits démocratiques des
ouvriers ». Et l'on prétend que, seuls, les centristes sont
les champions de la démocratie bourgeoise !
Et, enfin, avec la
dernière phase des événements d'Espagne, alors qu'il est bien
clair que la guerre impérialiste est là et qu'elle massacre
impitoyablement des milliers de prolétaires et leurs familles, dans
un moment où « l'ordre » règne à Barcelone comme à
Burgos , Trotski va parler solennellement. IL lance son « dernier
avertissement ». Il est sensé tirer les enseignements de deux
années de guerre au nom et pour le compte de la IV e Internationale.
Mais Trotski promet
beaucoup et se contente de peu. Il s'en voudra de contredire Monsieur
Crux (et pour cause!) et se bornera à le compléter modestement.
Laissons de côté le bavardage du type de clui où il prétend que
le duel essentiel en Espagne fut celui du bolchévisme et du
menchevisme. Bien entendu, le courant bolchévik était exprimé
« d'une façon achevée » par la section trotskiste. Or,
comme elle n'a jamais existé avant ces derniers mois (et encore en
théorie), qu'elle groupera quelques éléments fraîchement importés
(c'est l'aveu que nous trouverons dans « La lutte ouvrière »
de Belgique) en Espagne, on s'imagine l'importance du « duel »
entre menchevisme et bolchévisme.
Trotski, lorsqu'il ne
comprend plus rien, se tire d'affaire avec des analogies historiques.
Rappelons-nous les divagations sur Thermidor : une fois
Thermidor était une perspective, une autre fois l'on découvrait
qu'il était derrière nous et tout cela pour expliquer la situation
russe qui n'avait rien à voir avec la révolution française. En
Espagne, il fallait reproduire le schéma de la Révolution russe
pour faire comprendre que l'on ne savait pas expliquer les événements
d'Espagne.
La réalité est que les
soi-disant mencheviks, comme les soi-disant bolchéviks (sous leur
version « achevée » ou « inachevée ») ont
défendu la même position centrale : aujourd'hui pour la
défense de la démocratie et la défaite de Franco, alors que
« demain », on discutera les problèmes de la révolution.
Oh ! Bien sûr, les
trotskistes veulent faire la guerre et la révolution en même temps,
mais, pour arriver à la révolution, ils veulent défendre la
démocratie et c'est ici que se trouve le traquenard où ils poussent
les ouvriers. C'est ainsi qu'ils deviennent complices du Front
populaire pour faire la guerre et étouffer toute possibilité
révolutionnaire.
Trotski montre dans son
article, que lorsque les ouvriers se soumettent à la direction de la
bourgeoisie, au cours de la guerre civile, leur défaite est
inévitable. Mais Crux ne disait-il pas que, malgré tout, la
victoire de Caballero sur Franco n'était pas impossible ? Et,
pourtant, les ouvriers se soumirent à la direction bourgeoise !
Ah ! Oui, il fallait lutter avec Caballero sans se soumettre à
lui, n'est-ce pas ? Trotski voyage décidément dans la lune,
car l'Etat capitaliste qui prenait entre ses mains l'armée
républicaine, posait le problème ainsi : la guerre
antifasciste sera menée par lui selon les critères bourgeois ou il
n'y aura pas de guerre, mais un front unique direct et non dissimulé
avec Franco. On ne pouvait faire la guerre avec la bourgeoisie
démocratique et en même temps s'en séparer. Deux années ont
prouvé que, sur ce terrain, les prolétaires devaient abdiquer
progressivement leurs aspirations sociales, au nom des intérêts de
la guerre dont le représentant était l'Etat et admettre le
rétablissement de la légalité.
Seulement il reste le
terrain des subterfuges où Trotski trouvera toujours un refuge. On
s'est allié, en Espagne, avec « l'ombre de la bourgeoisie »,
car cette dernière aurait passé, dans sa grosse majorité, du côté
de Franco. Mais il est des « ombres » bien puissantes,
car celle de l'Espagne républicaine conservait l'Etat capitaliste
intact et s'inféodait, en plus des partis du Front populaire, les
anarchistes, le Poum et les trotskistes eux-mêmes. Personne ne
songeait à se lancer à l'assaut du pouvoir, à détruire l'Etat et
à renverser la bourgeoisie, car on ne lutte pas contre une
« ombre ». Néanmoins, très vite, « l'ombre »
s'est corporifiée dans la répression anti-ouvrière et a disposé
d'agents socialistes et centristes agissant avec une vigueur
remarquable pour faire de chaque épisode de la guerre, un épisode
du rétablissement traditionnel du rythme de la société bourgeoise
emportée dans le tourbillon du massacre.
Certes, on trouve, de ci
de là, dans ce « dernier avertissement » des mots qui
laisseraient supposer une innovation et surtout une prise de position
plus sérieuse, mais ce ne sont que des mots. Le problème de l'Etat
n'est pas traité. Les ouvriers doivent-ils lutter dans l'armée
républicaine, dont le contenu de classe est déterminé par la
classe au pouvoir ? Oui, fait comprendre Trotski, mais il faut
que les masses révolutionnaires aient « un appareil étatique
qui exprime directement et immédiatement leur volonté ». Cet
appareil, ce sont les Soviets. Pourtant, en Russie, les Soviets ont
surgi et sont passés aux bolchéviks sur la base d'une perspective
de défaitisme et de destruction de l'armée bourgeoise. Mais il est
vrai que, pour sauvegarder la révolution permanente, Trotski se doit
de défendre la démocratie républicaine contre Franco et cela
exclut le défaitisme. Evidemment, dans ces conditions, les Soviets
resteront une chimère, mais au moins on aura la consolation d'y
avoir pensé.
Plus loin, Trotski
envisage bien de riposter à la guerre civile que la bourgeoisie mène
contre le prolétariat, dans la zone républicaine, mais il oublie de
nous dire comment. En luttant comme « les meilleurs combattants
sur le front », ainsi qu'il l'expliquait aux anarchistes qui
auraient trouvé dans cela la possibilité de dénoncer devant les
masses les positions des traîtres ! Oui ! Comment le
prolétariat peut-il mener une guerre civile sans rien ébranler,
sans rien détruire des fronts militaires ? Enigme que Trotski
laisse aussi ténébreuse du commencement à la fin. Faut-il
préconiser la fraternisation des exploités des deux fronts pour
anéantir l'Etat capitaliste, en tout premier lieu ? C'est ici
que se trouve la ligne de démarcation entre les partisans honteux ou
enthousiastes de la guerre impérialiste d'Espagne ou de Chine et des
internationalistes.
Trotski et sa VI e
Internationale ont choisi. Les événements d'Espagne l'ont prouvé
catégoriquement. Nous aussi nous avons choisi et c'est pourquoi ce
qui nous sépare, ce ne sont pas seulement des divergences, mais des
problèmes de classe. Les « leçons » trotskistes sont
destinées à répéter l'exoérience d'Espagne dans d'autres pays et
leurs « avertissements » sont nettement des divagations
destinées à brouiller davantage le cerveau des ouvriers qui
pourraient les lire.
1Un
des multiples pseudonymes de Trotski. Le rédacteur de OCTOBRE se
moque ainsi d'un Trotski qui se « dédoublait ». (note
de JLR)
2Voir
« Bilan » n°44 : « Un grand renégat à la
plume de paon ».
3Autre
pseudo de Trotsky dont Bilan avait fait les gorges chaudes :
« Gourov s'est gouré » (note de JLR).
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