"Qu'est-ce
qu'un intellectuel ?" - un bas salaire". Réplique
de Frank Sinatra
Gramsci
avait raison finalement d'effacer d'un trait de plume un débat
stérile qui a affecté trop longtemps tant les milieux littéraires
bourgeois qu'un aspect de la tradition léniniste du mouvement
ouvrier. Gramsci avait conclu un jour : «Tous les hommes sont
des intellectuels ; mais tous les hommes ne remplissent pas dans
la société la fonction d'intellectuel » ;
quoique le défenseur du parti « organique », comme
« intellectuel collectif » n'était pas très loin de la
conception de ses collègues bordiguistes selon qui le parti était
le couvre-chef du prolétariat, dans ce corps hybride constitué du
parti-cervelle et d'un prolétariat-muscle. Il fût reproché à
Gramsci d'avoir une approche trop culturelle du marxisme par les
marxistes « étroits » (sectes et syndicalistes) qui
considéraient que la question économique était le levier suffisant
pour faire mûrir la conscience de classe chez le prolétaire
inculte, moyen ou déclassé. Cependant c'était une hérésie
comparée aux efforts d'éducation de la II ème Internationale,
laquelle faisait dispenser des cours de politique, de philosophie et
d'économie pour ses adhérents.
Le souci d'une éducation politique dirigée était dans le droit
prolongement du vieux combat pour l'école, contre l'illettrisme (qui
dura aussi en Russie après la prise du pouvoir socialiste) pour
contribuer à l'émancipation des masses face à l'obscurantisme
religieux et féodal.
La
première erreur de la bourgeoisie conquérante fût en effet de nous
apprendre à lire et à écrire. A partir de là, les clercs, c'est à
dire les divers curés, qui possédaient « le savoir »
puis plus tard « la science » (laïque ou religieuse),
eurent affaire à forte partie. Ce n'est pas un hasard si les meneurs
successifs des « révoltés » étaient lettrés, savaient
lire et écrire, donc raisonner sans complexe. On évoquera par après que la contre-révolution et ses sectes staliniennes et
gauchistes a entretenu la nécessité d'écoles de formation, de stage de
conscientisation ou de formation à l'intervention politique, mais pour mieux brider toute conscience de classe libre et en perpétuelle transformation.
Le
mot intellectuel aurait été inventé lors des affaires Dreyfus,
balivernes d'une histoire fabriquée par les modes centenaires de la
domination bourgeoise. Intellectuel signifie intelligent. On peut
être intelligent sans être cultivé, quoiqu'il soit plus efficace
d'être quand même un connaisseur du savoir, ou d'une partie du
savoir. Sorel et d'autres après lui ont dit que intellectuel était
une fonction et une rétribution. Là est l'essentiel : en ce
sens le terme n'est aucunement noble s'il recouvre l'ancienne
fonction des clercs, c'est à dire des curés menteurs au service des
rois divins.
Dans
son récent ouvrage l'intéressant historien israélien Schlomo Sand
nous apprend certes beaucoup, comme la profession d'historien sait le
faire dans sa catégorie, mais avec deux défauts majeurs. D'abord ce
côté dérisoire et ridicule de l'auteur archiviste quand il descend
dans l'arène politique, où, de fait, incapable de prise de
distance, contrairement à son champ d'étude éloigné, il révèle
qu'il est aussi aveugle ou partisan limité des modes de ses
contemporains ; il y perd son aura de grand maître du passé.
Ensuite, du fait de son passé d'activiste gauchiste, donc d'une
ignorance du véritable mouvement révolutionnaire, il réussit cette
incroyable bévue, révélant son ignorance et ses limites
politiques, de passer à côté du débat (et d'un vieux cliché très collant) qui agita tout le mouvement
révolutionnaire marxiste au début du siècle avec en tête les
Lénine et Rosa Luxemburg : la conscience était-elle apportée
de l'extérieur du milieu ouvrier par des intellectuels bourgeois ?
Enorme manque qui prouve les lacunes... intellectuelles de tous ces
ex-maoïstes et trotskiens devenus historiens... bons à rien.
Nous
essaierons en cours de route de nous servir des compléments de
Schlomo Sand, même si son analyse exclut la classe ouvrière et même
toute existence et persistance de celle-ci.
Il
fait démarrer le problème avec le siècle des Lumières pour aller
de Voltaire à... Bourdieu. CE qui est un comble, quoique Bourdieu
fût lui aussi un intéressant animateur du consensus médiatique, il
restera un conseiller du gouvernement Mitterrand, donc à sa façon
aussi un « intellectuel de cour ». L'historien israélien
remet à leur place d'anciennes vedettes de la France d'après-guerre,
les Sartre et Camus, comme vraies merdes politiques bourgeoises,
girouettes complices des pires crimes de la bourgeoisie colonialiste
et antifasciste.
UNE
DIVISION ENTRE TRAVAILLEURS MANUELS ET INTELLECTUELS ?
C'est
la thèse de l'esprit brouillon Sorel en cette fin du 19 ème
siècle : « La hiérarchie contemporaine a pour base
principale la division des travailleurs en intellectuels et
manuels ». Face aux marxistes de parti, il aura cette répartie
louche, mais en partie vraie : « les intellectuels ont des
intérêts professionnels étroits et non de larges intérêts de
classe ». Après le débat des étudiants en 1890 en Allemagne,
Sorel s'interrogea sur les modalités d'implantation des
« intellectuels » dans le mouvement ouvrier ou
socialiste. Il remarque une présence dominante dans les partis dans
leur couche dirigeante (professeurs, avocats, hommes de lettres),
qu'il qualifie de « dictature représentative du prolétariat »
dans leur désir de « conquérir l'appareil d'Etat ». Par
conséquent les « producteurs » continueront d'être
gouvernés par une nouvelle caste. Le brouillon Sorel, avant les
conclusions de Lénine sur la Commune de Paris, a l'intuition juste,
les intellectuels socialistes de l'époque veulent conquérir l'Etat
« tel que ».
De même il se désintéresse du débat entre réformistes et
révolutionnaires, d'abord parce qu'il n'a jamais cru au miracle
insurrectionnel de « grand soir », ensuite parce que le
socialisme ne peut se concevoir comme accroissement ininterrompu des
besoins consuméristes des travailleurs. Il a aussi l'intuition
que les dirigeants des partis reproduisent par devers eux la division
sociale du travailleurs, en oubliant les limites des dits
intellectuels ; c'est pourquoi son souci prééminent du
syndicalisme à l'époque est louable même en tordant la barre :
« Le rôle des intellectuels est un rôle auxiliaire, ils
peuvent servir comme employés des syndicats ; ils n'ont aucune
capacité pour diriger ». Cette dernière remarque est
profondément juste, elle fût partagée par Lénine et bien des
chefs d'Etat bourgeois. L'intellectuel en général a un côté
éternel étudiant, hors des réalités sociales.
Paul
Lafargue dénonça les militants intellectuels comme des successeurs
aussi bien des curés laïques du siècle des Lumières que de la caste des
intellectuels de gouvernement en particulier après la seconde
affaire Dreyfus, où il apparaît qu'une partie des idéologues se
met pleinement au service de la bourgeoisie dominante
(p . 128 et suiv.). Hubert Lagardelle, dont le devenir comme
ministre de Pétain, a fait oublier son glorieux passé socialiste,
s'oppose à la conception des intellectuels comme une couche
intermédiaire, et, reprenant les concepts de Marx de classe « en
soi » et « pour soi », il définit que
l'intellectuel est plutôt dans une « sous-classe » ou
« hors classe », c'est à dire une espèce de déclassé
(qui n'a pas de base socio-économique commune). Ce constat peut
faire sourire au XXI ème siècle où l'intellectuel comme le manuel
font la même queue à Pôle emploi, mais l'idéologie reste. Un bon
niveau d'éducation (masters, doctorat, etc.) - même sans emploi
idoine – renvoie au chômeur intellectuel une image supérieure à
celles des travailleurs manuels, et sa rancoeur peut autant l'envoyer
vers l'extrême droite que vers l'extrême gauche. Lagardelle,
soulignant le relatif retard historique du socialisme français
(poids de la paysannerie, Paris et son désert français).
L'insistance des Sorel et Lagardelle en faveur d'une prééminence du
syndicalisme était justifiée et dans la continuité du marxisme,
plus que le réformisme « intellectuel » de la Seconde
Internationale, le prolétariat devant conserver comme un tout sa
pleine souveraineté politique, en se passant des bataillons
d'intellectuels politiques plus enclins à se mêler au jeu politique
bourgeois. Cependant Lagardelle désapprouve l'apolitisme des
syndicats qui est préjudiciable à la classe ouvrière et laisse en
effet la politique aux intellectuels bourgeois. Le souci des
intellectuels Sorel et Lagardelle, dans le sens de Marx, était de
démontrer que la mission du prolétariat n'était pas une utopie
d'intellectuels.
LES
INTELLECTUELS PEUVENT-ILS ETRE FASCISTES ?
La
notion d'intellectuels fût longtemps, à cause de Clemenceau et des
colonialistes en Algérie, un qualificatif péjoratif concernant les
« penseurs » de gauche. Au service de l'idéologie
américaine, à la fin des années 1970, un idéologue israélien du
nom de Sternhell, surfant sur la négation stupide des chambres à
gaz,se fit le chantre non d'une possibilité pour le qualificatif
intellectuel de caractériser même des « penseurs »
d'extrême droite ou de vulgaires fascistes, mais de la France comme
ère historique du fascisme.
Schlomo Sand a le mérite d'avoir fait face à la sommité Sternhell,
grand guru universitaire adoubé par l'intelligentsia
franco-américaine, et démontré, comme nous les marxistes, que le
fascisme avait été un produit de la guerre de 14 et pas de la
vieille tradition antisémite en France. Il a raison de souligner que
dans les années 1920 ni le fascisme ni le communisme ne fascinent
les intellos français en général, idéologies qui sont perçues
comme phénomènes locaux. C'est seulement dans les années 1930 que
se développe la théorie de l'antifascisme, dans le droit fil des
dreyfusards : la justice peut être au-dessus des classes et
regrouper les citoyens... dans le cadre national ! Les théories
racistes n'étaient l'apanage que de cénacles d'intellectuels
marginaux.
La
plupart des transfuges intellectuels des courants socialistes et
communistes ne passent pas au fascisme en continuité avec les idées
socialistes mais par ambition personnelle contrariée, les Doriot,
Marcel Déat, René Belin, Gaston Bergery : « Il n'est
guère étonnant que, parmi ceux qui avaient rompu, avant la guerre,
avec leur parti ou organisation d'origine, à cause d'un avancement
jugé trop lent de leur carrière politique, beaucoup aient tenté de
saisir l'occasion de la crise de 1940 pour occuper les nouveaux lieux
de pouvoir politiques » (p.166, la soif d'acquérir un surcroît
de capital symbolique).
LE
CREPUSCULE DES INTELLECTUELS
Sand
fait référence à un certain Bell : « Pour Bell,
l'extinction des idéologies et la disparition de l'intellectuel
radical universel s'inscrivent dans un processus purement conceptuel,
découlant des idées du penseur, sans aucun lien avec son
positionnement social. Le nouveau consensus entre écrivains et
érudits provient de ce que la société de consommation est devenue
moins conflictuelle et davantage portée vers l'unanimité. La
satisfaction globale de larges couches de la population a fait taire
la conscience morale traditionnelle de l'intellectuel, qui a cessé
de rêver à une société future idéale. En contrepartie, les
lettrés deviennent, de plus en plus, des experts techniques appelés
à perfectionner les produits matériels et spirituels de la société
d'abondance postindustrielle. Les gens de lettres rebelles ou
révolutionnaires n'existent plus, selon Bell, que dans le
tiers-monde, mais ils disparaîtront, là aussi, avec les progrès,
la prospérité et la pacification de l'économie internationale »
(p.175). Sand a raison de restaurer l'intelligence et le courage d'un
intellectuel « de droite » Raymond Aron :
« A Paris, paradis de la rhétorique révolutionnaire, pour
reprendre les termes de Raymond Aron, la plupart des intellectuels
« en révolte » redécouvraient les avantages de la
civilisation occidentale, et tout particulièrement le confort
bourgeois qu'elle offre aux gens de culture installés et reconnus »
(p.176). Le déclin de Sartre et les dérives de Foucault sur la
« révolution iranienne » symbolisent le mieux le déclin
et la perte de statut du prophète de la protestation universelle.
Mais la fin de l'intellectuel « généraliste » ne
signifie pas que l'intellectuel « spécifique » ne se
rallie pas à la cause du prolétariat : « … le
mécontentement vis à vis de la culture dominante grandit bien plus
entre les murs des établissements de recherche et d'enseignement
qu'au sein de la bohème littéraire et artistique » (p.178).
Ce n'est pas non plus un grand progrès, car ce mécontentement ne
profite pas d'abord au milieu révolutionnaire maximaliste héritier
de la III ème Internationale.
L'ancien
de S ou B, Lyotard rejoint le Foucault en estimant que tout
universalisme « débouche sur une obsession totalitaire »,
ce qui est la base « intellectuelle » des gauchistes,
marxistes de pacotille, qui peuplent le monde universitaire et les
enseignants depuis les années 70. de plus : « La
compartimentation universitaire a détruit toute possibilité
d'instiller et de transmettre aux nouvelles générations des
traditions intellectuelles ouvertes ».
Schlomo
Sand, ancien gauchiste, est incapable de comprendre que le prolétaire
diplômé reste un diplômé prolétaire, haineux vis à vis d'une
société qui ne le reconnaît pas à sa juste valeur, qui oscille
entre son absence d'avenir et se reconnaître comme partie intégrante
du prolétariat. Pour les Sand et autres universitaires historiens,
plus dans la lune que dans la réalité – ils feraient mieux de
rester en chaire que de la ramener avec leurs points de vue
politiques totalement conformistes – ne voient plus la classe
ouvrière, on pourrait même dire qu'ils font partie de la catégorie
des « intellectuels ratés », qui en restent à la
surface : « (la culture ouvrière) a cédé la place à
une culure pseudo-libérale consumériste, donnant lieu à une
atomisation croissante des masses et à leur aliénation vis à vis
de toute espèce d'engagement et d'organisation ». Cette idée
de « culture ouvrière » est bizarre, totalement
étrangère à la conception d'une conscience de classe (qui était
l'objet de la polémique de 1904 en Russie), et une vague conception
ouvièriste et apolitique syndicaliste de la gauche caviar.
L'intellectuel
« épistémologique » (au sens spéculatif et vieillot du
terme) Schlomo Sand peut jongler avec « la dissolution du
prolétariat industriel », une « gauche parlementaire »
qui ne représente plus les intérêts ouvriers, la fin d'une
« mentalité de l'Etat-nation démocratique » où il
serait manifeste que le déclin de l'intellectuel guide ou donneur de
leçons de morale serait dû au fait que « chacun possède des
intérêts particuliers » et « qu'il n'y avait pas de
classe universelle dans la société ». Or le déclin des
donneurs de leçons arrivistes, des divers intellectuels blasés ou
déclassés (dont les prototypes ont été l'instituteur Mussolini et
le séminariste Staline) n'est pas dû à l'individualisme
consumériste, mais à une progression de la conscience de classe,
pour une classe qui sait non seulement lire et écrire, mais se
moquer des discours télévisuels qu'on lui ressert au quotidien ;
qui sait « lire » la vacuité des programmes des divers
discours plus ou moins intellectuels, plus ou moins hâbleurs même
si on les décore du titre de « spécialistes »,
dénomination qui marche mieux que « généraliste ».
Avec
sa pensée formatée gauchiste au plus jeune âge, Schlomo Sand nous
ressert le discours maoïste sur les malheureuses libérations
nationales, certes biscuit temporaire à intellectuel « engagé »
ou « enragé » mais qui auraient mis à bas « utopie
abstraite » et « futur utopique » : « Tout
combat collectif, mené sous étendard socialiste laïque, quelle
qu'en soit la couleur, a perdu de sa valeur humaniste originelle ».
Que
notre bon « épistémologue » veuille bien compatir à la
disparition de l'intellectuel « généraliste », soit,
mais qu'il retourne à ses archives mitées plutôt que de confondre
cet effacement des clercs modernes avec son « affligeante
disparition du prolétariat ».
LA
FIN DES ORACLES INTELLECTUELS C'EST LA CRISE DE L'IDEOLOGIE
BOURGEOISE
Le
final de « la fin de l'intellectuel français » finit
pitoyablement. Qu'après nous avoir éliminé d'un coup de clavier la
classe ouvrière, et avoir survolé avec ignorance la dissolution des
anciens savants (relatifs) dans une classe ouvrière moderne non
alphabète - parce la plupart des intellectuels ne sont plus eux
aussi que des salariés, exceptée une minorité d'intellectuels de
cour aux revenus disproportionnés en regard des intérêts
financiers dont ils sont les publicitaires et sans plus aucun souci
de l'universel – notre ipistémologue se penche sur les petits
personnages ridicules et provocateurs de la bande à Charlie, des
auteurs de gare comme Houellebecq, Finkielkraut, Zemmour, etc., est
proprement lamentable.
Voltaire,
Rousseau, Jaurès, et même Bourdieu, méritaient mieux. Mais nous
étions là dans le milieu académique de cet historien qui,
lorsqu'il sort de son bureau à Tel Aviv pour atterrir à Paris,
vient dîner chez ses amis de la gauche bobo. Il épouse les
croyances de cette gauche bobo, elle-même complètement hétérogène,
et qui ne sait plus où vraiment trouver ses marques. Sand a bien vu
le niveau des manifestations hypocrites des « je suis
Charlie », les débilités anti-islam de Charlie Hebdo ;
il a bien vu comme nous dans ces colonnes l'absence non pas des
« quartiers pauvres » mais des ouvriers en général,
français de souche et maghrébins. Mais pourquoi utilise-t-il si
souvent le néologisme pervers « islamophobe » inventé
part les nouveaux fascistes ? Pourquoi nous parle-t-il d'
« hypocrisie culturelle ancienne » ? Donne-t-il tort
fondamentalement à la « répression laïque » du pouvoir
algérien contre les égorgeurs d'enfants ? Est-il admiratif des
djihadistes lorsqu'il les décrits comme courageux combattants
désintéressés à la façon d'un Rouillan : « La
disposition au sacrifice, le mépris pour l'existence matérielle et
le gaspillage, le tempérament égalitaire des activistes et
combattants musulmans, en comparaison des dirigeants « laïques »ont,
de plus en plus séduit les masses » (p.240).
L'argument
de la séduction des masses par les « intellectuels
djihadistes » ouvrirait-elle une possible nouvelle promotion de
l'oracle « penseur »... à la place des autres ?
Mystificateur à l'égal de Jésus ou Mahomet ? Devait-on
choisir un camp dans les guerres du Golfe, du point de vue de la
classe prolétariat (dont se fiche Sand) ? Sand montre du doigt
nos meilleurs plumitifs antiracistes – au milieu d'un tas
d'historiens « engagés » dans les pétitions -,
soutenant Busch : les Bruckner, Mona Ozouf, Stéphane Courtois,
Glucksmann non encore décédé, en compagnie des BHL, Finklielkraut
et tutti quanti. Puis il nous montre les « sous-intellectuels »
des banlieues émeutières de 2005 qui auraient « déclenché
le nouveau climat intellectuel » et que la République aurait
perdu à cette occasion sa virginité. Et de stigmatiser Finkielkraut
et ses propos relativement corrects concernant le délitement
(ancien) de l'Eduque naze. Et de pointer du doigt les « intellos
et dessinateurs de gouvernement » avec les Val et Fourest –
leur « Manifeste des 12 contre le nouveau totalitarisme »
- qui furent l'exemple d'une parfaite imbécillité néo-stalinienne
en défendant les dessins provocateurs des bobos danois. Il ne répond
pas à l'objection judicieuse de Redeker qui a parfaitement vu, bien
après nous, que l'islamisme avait repris la fonction repoussoir du
stalinisme, mais se répand sur le montage des menaces concernant ce
même Redeker qui fait partie de cette intelligentsia qui passe son
temps à donner des leçons de morale d'antiracisme.
Il
ne connaît pas grand chose aux problèmes posés par l'immigration
dans le mouvement ouvrier en se basant sur l'ouvrage falsificateur de
Gérard Noiriel. La conclusion est complètement confusionniste et
décevante. On ne sait pas vraiment ce que veut Schlomo Sand, une
restauration uniforme d'intellectuels avec doigt sur la couture du
pantalon, une sphère de bien-pensants non offensés par des
contradicteurs ? Quand, d'une certaine façon il faut se
féliciter que la doxa officielle enchanteresse, dans un monde
perpétuellement en guerre et sous la terreur des attentats civils,
soit bousculée par des opposants, pas toujours judicieux, plutôt
faire-valoir du spectacle de la fausse démocratie, d'où le
prolétariat et ses organismes minoritaires sont absents, mais qui
compensent un peu la lourdeur du bourrage de crâne.
Sand
se jette au secours de la fable antiraciste, niant lui aussi une
identité culturelle, non pas simplement française, mais d'Europe du
nord – qu'il taxe d'ethnicité ringarde – où un mode de vie sans
port ostentatoire et discriminatoire de signes et sigles religieux
semblait avoir été un acquis depuis le XIX ème siècle. Radotant
le terme islamophobe, il invente une peur de l'immigration étrangère
confondue de plus avec l'expansion des mémères voilées. Xénophobie
et islamophobie sont les mamelles de tous les cuistres autorisés
désormais. Or il n'y a pas peur, peur de qui ? De misérables
modernes refoulés massivement par les gouvernements antiracistes ?
Il y a un dégoût, un rejet de l'expansion de comportements
communautaristes, d'attitude d'exclusion des habitants anciens de la
société d'accueil.
Schlomo
Sand déplore au fond la disparition des maîtres à penser de jadis
dans leur rôle de conformisation de la société, de conservation
des « veilles valeurs » comme aujourd'hui nos
intellectuels dégradés du gauchisme ou la noria de personnages
arrogants du parti de l'élite « socialiste » qui nous
vantent un islam pacifique, voir francisé, ce qui est encore une
colonisation de... l'arriération. Le problème enfin est que les
meilleurs intellectuels du spectacle médiatique ne peuvent plus
prétendre penser à la place des prolétaires, diplômés ou pas,
malgré une culpabilisation forcenée, comparable à l'Inquisition –
qui ne pense pas par exemple que l'immigration même forcée est un
bonheur « pour notre pays » est forcément un électeur
du FN – ou que la loi travail était une mesure socialiste …
Schlomo
Sand avait titré son ouvrage comme question, expliquant finalement
qu'il regrettait la disparition de saltimbanques savants du pouvoir
comme régisseur des consciences. Hélas pour lui nous devons
constater que c'est la fin des intellectuels « en général »
croupions du pouvoir, et que cet amenuisement n'est pas récent,
qu'il en fût ainsi de façon éclatante au moment des révolutions
épisodiques : 1871, 1905, 1917, 1919, 1921, 1923 ; mais
aussi aux périodes charnières de notre XX e siècle disparu: 1945,
1956, 1968, 1971, 1974, 1989, 1991.
La « conscience de classe » qui n'est pas cette minable
et insipide « culture ouvrière » fait son chemin et
reste bien déroutante ou méconnue par nos intellectuels qui ont
plus de soucis de rétribution professionnelle que d'émancipation
universelle (vous lirez bientôt une anthologie d'écrits de Marc Chirik géniaux justement sur la question de la "conscience de classe", aux éditions Prométhée).
La
culture du multi-ethnicisme - quoiqu'il soit convenu qu'il n'y a plus de races sauf dans les questionnaires des sites de rencontre - ou du folklorique multiculturalisme, d'un monde
débarrassé des cultures nationales comme le rêvent l'Etat
impérialiste US et l'Etat juif israélien, n'est pas en voie de
complète disparition (et je ne vois pas pourquoi les cultures
nationales spécifiques devraient disparaître comme les patois),
mais la théorie antiraciste universellement hypocrite vise à
ridiculiser l'internationalisme, la véritable signification de la
nécessité de mettre fin aux frontières, et avant tout à tenter de
liquider encore une fois l'identité de classe ouvrière. C'est
pourquoi notre épistémologue a pu être publié par les éditions
La découverte, pâle clone des éditions Maspéro pour une clientèle
intellectuelle spécialisée et bac + 5 minimum.
NOTES