"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mercredi 17 décembre 2014

LE STALINISME FRANCAIS désarmé


Julian Mischi, Le communisme désarmé. Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970, Marseille, Éditions Agone, coll. « Contre-feux », 2014, 332 p., ISBN : 978-2-7489-0216-7.


Rares sont les ouvrages politiques à s'intéresser au devenir de la classe ouvrière désormais en notre époque de réaction et de guerre mondiale terroriste très excentrée pour l'heure dans les zones où la chair à canon cible de misérables populations otages de la folie meurtrière des grandes puissances cachées derrière leurs propres gangs terroristes dits djihadistes. L'ouvrage des éditions Agone aborde certes dans le seul cadre national l'utilisation de la classe ouvrière comme masse de manoeuvre gréviste et surtout électorale par un des plus vieux dinosaures staliniens du monde, grosse vache totalitaire muée en grenouille anarcho-libérale de la domination capitaliste.

Le titre est une hérésie : le communisme historique reste étranger au communisme de caserne stalinien! L'ouvrage ne se place ni du point de vue du glorieux passé internationaliste du PCF, ni du point de vue d'une classe naturellement internationaliste, ni du point de vue historique programmatique du mouvement ouvrier, ni du marxisme. Il n'explique surtout jamais comment de parti révolutionnaire (mais plutôt mou) des débuts, le PCF a successivement trahi les objectifs du prolétariat. Pour mieux connaître l'histoire et les raisons du "désarmement" du stalinisme version française il existe de très bons ouvrages d'historiens, l'excellent "Autocritique" d'Edgar Morin, mais surtout les brochures du CCI et du PCI. Cependant, même sous l'aspect dominant sociologique et franco-national, le livre est très intéressant. Il offre un voyage certes incomplet (rien sur le financement par Moscou jusqu'à l'ère Marchais, rien sur le sabotage des grèves pendant des décennies et la coupable collaboration avec le régime de Vichy), au coeur de l'appareil depuis les années 1970 et le début du triomphe de l'idéologie du déclin de la classe ouvrière; rejetant lui-même les termes de classe ouvrière pour y coller celui de "classes populaires", confirmant une base culturelle néo-maoïste chez l'auteur. Le livre a été lu et corrigé avant publication par un certain nombre de grenouilles "rénovatrices"1de l'appareil agonisant.

La perte d'influence du parti électoraliste de la gauche staliniste n'est jamais évaluée à l'aune de ses trahisons successives de la classe ouvrière, à commencer par son ralliement à la Défense nationale dans les années 1930 jusqu'à ses sabotages en mai 68 et ultérieurement. L'auteur, grand universitaire et membre du staf des éditions Agone, commence par adoubler le grand mensonge déconcertant des divers sociologues appointés – à la Gérard Noiriel – selon lequel la perte d'influence du principal parti menteur aurait été due à "la remise en cause des conditions de son développement", c'est à dire ce qui a été appelé soit "disparition de la classe ouvrière", soit en plus soft "les recompositions dans le monde du travail" suite à la "désindustrialisation", fermeture des grands centres miniers et de grandes entreprises automobiles. On lira souvent des redites sur la fin des quartiers ouvriers, leur éloignement et bien des considérations pertinentes sur la "diversité". Mais le voyage à l'intérieur de l'appareil mis à nu est loin d'être inintéressant. Il analyse rigoureusement l'ancrage du dinosaure dans l'idéologie récente dite "multiculturaliste" de négation des classes et sa totale confusion avec le mode de fonctionnement oligarchique et hiérarchique de tous les partis politiques bourgeois, négligeant toujours de préciser que, politiquement, malgré des postes dirigeants réservés longtemps à des hommes d'extraction ouvrière, ce parti était depuis plus de 50 années un parti bourgeois racoleur de suffrages ouvriers.
Le paragraphe qui suit sera illustré très concrètement tout au long du livre:
"L'hégémonie des militants d'origine ouvrière dans le parti reproduit au sein de l'organisation elle-même des rapports de domination ayant cours dans la société. On observe en effet une surreprésentation des ouvriers qualifiés masculins et français dans les directions militantes, au détriment des fractions inférieures de la classe ouvrière (femmes, ouvriers spécialisés, immigrés) (...) les ouvriers spécialisés (OS) des ateliers de production, où les immigrés sont nombreux, sont peu présents au sein du PCF. Les inégalités internes aux classes populaires, forgées sur la scène professionnelle et dans le système scolaire, se reproduisent au sein du parti".
Et ce qui caractérise "les classes populaires" dans leur lien avec le monde politique: "c'est bien leur exclusion, leur confinement dans les marges"2.
LA GRANDE FABRIQUE DE LA DESINDUSTRIALISATION POLITIQUE

Constatant la place prise par ce concept confus de classes moyennes, l'auteur relativise le mensonge statistique et social: en France en ce début de XXIème siècle les ouvriers représentent encore le quart de la population active: un homme actif sur trois est ouvrier! Les recompositions internes sont certes défavorables à l'action protestataire: éloignement des centres industriels de décision, éparpillement en unités locales excentrées, politiques d'emploi visant à briser le collectif ouvrier, en le divisant entre travailleurs stabilisés et travailleurs précarisés; l'auteur oublie de noter à cette liste les actions de moralisme en faveur de la "diversité", c'est à dire l'enfermement des travailleurs immigrés dans leur spécificité (nota le droit de prière en usine institué sous Jospin). Le livre a été écrit avant la formidable annonce hollandaise des merveilleux emplois d'avenir: femmes de ménage (en expansion permanente), livreurs, métiers de bouche, balayeurs municipal, etc.
L'auteur fait débuter le repli de l'affirmation de la classe ouvrière au mitan des années 1970 où s'affirmait encore derrière la plupart des luttes et grèves l'ambition de "changer de société", pour souligner une évidence, depuis les actions revendicatives sont tournées vers la sauvegarde de l'emploi, mais il est incapable de voir que ces actions "défensives" sont encore la preuve de la vivacité de la classe ouvrière. Il oublie magistralement de rappeler que tout au long des années 1970 la plupart des luttes significatives se sont déroulées contre les désidératas des bonzes PCGT. Que par conséquent la chute lente et inexorable de la maison stalinienne à la française est plus due à leur travail de sabotage de la lutte des classes qu'à ladite désindustrialisation. De même qu'il oublie tragiquement de rappeler la faillite électorale énorme en milieu ouvrier suite aux compromissions successives avec les gouvernements bourgeois du PS. D'une manière trouble il nous narre un rôle socialisant du PCF, transmettant des "valeurs de classe" (chauvines et nationalistes en réalité), transfigurant ce parti tordu en une sorte de social-démocratie allemande du XIXe lointain qui éduquait le monde ouvrier de l'enfance à l'âge adulte, du quartier à l'embrigadement militaire.
On nage alors dans le sociologisme délirant, partiellement vrai, mais confondant le pire parti de la contre-révolution stalinienne avec la classe: "Le diplôme prime désormais sur le long apprentissage "sur le tas", où les anciens formaient les jeunes. Avec le développement de l'emprise scolaire (sic), on accède au monde ouvrier par l'école et non plus par un processus de socialisation interne à la classe. Plus encore, on devient ouvrier parce qu'on a échoué à l'école. L'accès en classes technologiques ou en lycée professionnel résulte souvent d'une impossibilité à suivre un enseignement secondaire long. L'entrée dans le monde ouvrier est alors associée à une dévalorisation scolaire et intime".
La déliquescence du monstre stalinien est ainsi liée simplement à la désindustrialisation et au formidable développement d'une école inégalitaire. Or rien de tout cela n'est nouveau dans la vie et la constitution de la classe ouvrière depuis deux siècles, les processus d'infériorisation et de reproduction des inégalités sociales sont toujours passés par l'école, l'Eglise et la démocratie dite représentative. Qu'il y ait eu ou pas un parti. Nous voyons là comment l'analyse sociologique échappe à la crudité de la conscience politique et voile la réalité du mode de dictature des partis bourgeois.
L'auteur ne fait que suivre les constats éclairés de Bernstein au début du XXème siècle sur la place croissante prise par la petite bourgeoisie, lorsqu'il croit nous apprendre que la "marginalisation des couches populaires" en banlieue les soumet "à la domination culturelle des représentants de la petite bourgeoisie, qui s'emparent de l'animation de la vie locale"; et il oublie de nous décrire la teneur de cette "animation locale"... électorale par toute une ribambelle de gauchistes reconvertis écolos jusu'aux rigolos anars des ZAD.
Ce n'est pas le PCF qui est resté autiste à "l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes", lesquels le lui ont bien rendu en désertant syndicats et cage élctorale, mais ... Raymond Barre: "... émergence d'une distinction nouvelle entre propriétaires et locataires. Tout est fait pour favoriser l'accession à la propriété, qui accélère la désagrégation des collectifs ouvriers en faisant découvrir à ses bénéficiaires la force de l'intimité, de la sphère du privé, au détriment des solidarités de classe". Notre universitaire est-il sorti un jour de son campus et de sa maison d'édition pour reconduire de telles stupidités? La force de l'intimité... dans la solitude? La sphère du privé bourré de neuroleptiques? La disparition traitionnelle de la "peur du lendemain" (cf. Babeuf) grâce au lourd crédit jusqu'à une retraite incertaine?

LE DEMANTELEMENT DE LA LUTTE REELLE A LONGWY

Avec ses lecteurs conseillers "rénovateurs" ou "refondateurs",la fin des aciéries de Longwy est présentée comme le baroud d'honneur du parti stalinien avant sa longue mue de grenouille électorale. Saga des frères staliniens de la culture mono-industrielle du bassin d'emploi (ex bastion?) longovicien, face au "plan qui casse les logiques de reproduction du groupe ouvrier". Mise en vedette de "radio coeur d'acier', média sauvage piloté par deux journaleux du sérail stalinien. Seul un court paragraphe (page 44) évoque brièvement une "hostilité à l'égard des cadres locaux du parti" et le sac de la mairie PCF de Longwy. Pas de pot, j'y étais et j'y ai été présent plusieurs fois avec d'autres militants de Révolution Internationale. L'essentiel de la lutte, certes contre la suppression de milliers d'emplois, fût mené contre le PCF et ses sbires CGT.

Radio Lorraine coeur d'acier ne fût pas une radio pour l'extension de la lutte. Cette radio pirate avait été instiguée par la CGT, pour contrer l'heureuse initiative de Radio SOS emploi lancée par Robert Giovannardi, radio de lutte née à l'initiative de la CFDT à Longwy en plein coeur du bassin sidérurgique lorrain. Après l'annonce par le gouvernement du troisième plan acier qui prévoit la suppression de 22 000 emplois dans la sidérurgie, dont 6 500 dans le bassin de Longwy, toute la région est tétanisée par cette nouvelle. Première réaction : Un immense S.O.S. lumineux est érigé au sommet du crassier qui domine Longwy et qui restera longtemps le symbole de la lutte ouvrière de la région. Dans les jours qui suivent, le 16 décembre 1978, Radio SOS-Emploi diffuse sa première émission pirate, grâce à du matériel prêté par la radio pirate alsacienne "Radio Verte Fessenheim" qui encadrera durant quelques jours les militants CFDT qui n'avaient aucune expérience de ce média. Le syndicat, minoritaire à Longwy, verse 20 000 F pour le fonctionnement de la station et contrôle totalement le contenu des émissions. Néanmoins, il n'est pas obligatoire d'avoir sa carte de la CFDT pour animer ou participer à une émission. Une dizaine de personnes constituent le nœud principal de la station. Contrairement aux autres radios pirates françaises qui sont souvent le fait d'écologistes ou d'intellectuels, SOS Emploi est animé par des ouvriers qui n'ont pas une grande pratique de la technique radio mais encore moins de la prise de parole. Deux émetteurs sont mis en service, un sur Longwy, l'autre sur Longuyon, mais la qualité de réception reste médiocre. En mai 1979, pour faire face à la concurrence de la radio de la CGT, "Radio Lorraine Cœur d'Acier", SOS Emploi met en place un émetteur de 100 watts et diffuse désormais en direct.
Extrait de notre première visite au crassier de Longwy auprès du piquet permanent:
"...Nous les questionnons sur la lutte, la façon dont elle est menée. Nous apprendrons ainsi beaucoup en comparant avec les informations fournies par la presse bourgeoise dans la région parisienne. Très vite la glace est rompue. On nous sert une bière. La discussion sera passionnée. Nous nous emballerons au fur et à mesure que nos craintes d'avoir affaire à des bureaucrates s'avèreront infondées. N'assurent-ils pas qu'ils sont tous là pour la lutte, pas au nom de tel ou tel syndicat ou parti. L'un est syndiqué à la CGT mais ne fait pas confiance à ce syndicat et il précise: "beaucoup parmi nous ont déchiré la carte parce qu'il a fallu se battre en même temps contre les flics et la CGT!". D'autres ne ont pas syndiqués, comme ce jeune chômeur. Un autre ouvrier montre sa carte du RPR, et avoir penché plutôt pour FO concédant que de toute façon tous les syndicats sont pourris. Ce membre affiché du RP¨R nous étonne et nous ravit: comment put-il être à la fois gaulliste et l'élément le plus dynamique et le plus ouvert dans la discussion. Il y a là aussi un ouvrier luxembourgeois et un ouvrier belge qui, avec l'accent, précise: sur 6500 licenciements annoncés, 700 touchent les travailleurs belges à Longwy". La plupart des présents sont syndiqués à la CFDT, mais on ne sait plus combien ils étaient, d'autres ouvriers entrant et sortant dans la roulotte. Le belge avec un large sourire, s'exclame: "Vous voyez que nous aussi nous sommes internationalistes!". Sans gêne et sans complexe, un autre déclare: "C'est nous les casseurs, les vandales qui ont pris d'assaut le commissariat de Longwy!". Comme nous objectons que la presse et le PCF ont dit que c'étaient des autonomes chevelus venus de Paris, celui du RPR corrige: "Au début j'ai cru ça moi aussi, mais quand j'ai vu les photos de l'attaque dans la presse, c'étaient mes copains de boulot les casseurs, tous bons pères de famille, et j'ai dit: "c'est très bien ce qu'ils ont fait". Puis, tous veulent parler à leur tour, se bousculent pour témoigner que c'est rien à côté de ce qu'ils seront amenés à faire pour faire bouffer les gosses: "Les fusils seront prêts au bon moment... le mot Révolution ne nous fait pas peur à nous... s'ils (le gouvernement) vont trop loin, hé bien nous les renverserons".
  • Et par rapport à la CGT et au PC?
  • Ceux-là, ils sont avec la police."

L'auteur, malgré la brièveté de sa narration de la confrontation avec le PCGT de Longwy, persiste à intertitrer "Déclin du mouvement ouvrier" à la place de "déclin du PCF", et un peu schizophrénique
confirme le rejet général de ce parti de sabotage des grèves ailleurs:
"Ce qui se passe pour la sidérurgie lorraine s'observe aussi dans d'autres secteurs et entreprises, par exemple chez Renault. Dans cette entreprise nationalisée, les communistes ne soutiennent pas les OS de Billancourt lorsqu'ils se mettent en grève en 1981. Au motif d'assurer une présence au gouvernement, les dirigeants du PCF délaissent les revendications ouvrières et provoquent un effondrement de la position de leur organisation et de la CGT parmi les ouvriers menacés par les fermetures de sites".3


LA FABRIQUE DES LUTTES PARCELLAIRES

Même en partie "désindustrialisée" – la classe ouvrière a tant connu de phases de réorientation industrielle du règne du textile à celui de la mine – cette classe reste la principale classe exploitée et ne change ni de nature ni de perspective pour un autre monde. Même si demain c'est au tour de l'industrie automobile de disparaître, cela ne changera ni sa place dans la société ni le profit qu'elle rapporte. L'ouvrage de J.Mischi devient plus pertinent lorsqu'il aborde l'invention des luttes "culturelles": "l'attention portée aux femmes et aux travailleurs immigrés". Ces luttes "culturelles" avaient été la crème du Mai 68 petit bourgeois progressiste, ou dit "radical" (à la sauce américaine): droit à l'avortement, libération des homosexuels, etc. Les crânes d'oeuf des think tank n'inventent jamais rien, ils n'ont qu'à recueillir ce qui sourd des couches moyennes ébranlées par les soubresauts du capital en crise. Mischi tape dans le mille en soulignant le rôle novateur du syndicat camion balai des gauchistes, la CFDT. Cette dernière prend plusieurs longueurs d'avance sur la pithécanthrope CGT en vue du développement des "combats socioculturels" en lien avec l'élite du PS dont personne ne prévoit la résistible ascension sur le cops du stalinisme putrescent. La CFDT n'avait pas appelé à la fameuse manifestation du 23 mars 1979 à Paris mais creusait son chemin idéologique confusionniste. Bien qu'elle ait plus ou moins couvert les expressions les plus combatives des ouvriers de Longwy, ses cadres syndicaux se reconvertissent dans l'encadrement ou comme petits patrons; l'appareil éliminera très vite ses moutons noirs d'un gauchisme évanescent.
Toujours à la traîne de la théorie de la désindustrialisation notre auteur s'il détermine que les "classes populaires" n'ont pas disparu "elles ont perdu leur force collective". Les ouvriers de Longwy ont été dispersés, dans les boulots de merde des service, concierges à Paris, etc. Il note que sur cette défaite, car c'en est une, pousse la fine fleur du PS à entamer son ascension, notamment une certaine Auréli Fillipetti, professeur de lettres, qui tire son épingle de la défaite ouvrière, elle a du mérite, elle est fille de mineur et maire PCF! Conclusion toujours schizophrénique de Julian Machin: "... comme nous l'avons vu, les transformations de l'appareil productif et du salariat depuis le deuxième tiers du XXe siècle détruisent les conditions du militantisme ouvrier". Ou du militantisme stalinien? Il ne vient pas à l'idée de ce monsieur l'universitaire, répercuteur des pires bobards sociologiques, que la fin des "bastions" staliniens, l'enclave Longwy comme l'Île Séguin auront été une condition sine qua non de la libération du stalinisme en milieu ouvrier, certes suivie de décennies de marasme politique et social, mais inévitable pour une renaissance de la lutte de classe contre un capitalisme invariable mais débarrassée des mensonges marxistes-léniniste! J'y reviendrai.

OU NOTRE AUTEUR REMET EN CAUSE SA PREMIERE INTERPRETATION

Après tout ce bla-bla archi-connu sur la causalité méchante de la désindustrialisation, il s'interroge sur la "désouvriérisation du PCF". Il ne connait pas grand chose finalement du vieux machin du Komintern en nous expliquant que ce parti permettait la promotion à haute dose d'ouvriers du rang à des postes de bonzes directeurs, députés, etc. Les partis staliniens ont toujours été drivés par des intellectuels d'arrière-cour, d'arrière saison ou de basse cour. Il découvre comme une nouveauté dans la réorientation idéologique du dinosaure une montée des enseignants: "La pression des enseignants pour occuper des positions dirigeantes est traditionnellement forte car elle s'appuie sur un sentiment de compétence et la possession d'un capital scolaire (...) En 1977, près d'un communiste sur quatre de
la fédération de Paris est enseignant alors que les ouvriers n'y forment que 13% des effectifs militants". Or, à la fin des années 1970, vu la peur face aux multiples luttes insurrectionnelles des ouvriers, le PCF refait le coup bis de la bolchévisation, il lance une opération de reprolétarisation des directions locales; cela s'accompagne d'un "repli discursif autour de la "classe ouvrière". Mais ce recentrage provoque des tensions, d'une part les vieux permanents déclassés ne veulent pas s'en laisser imposer par les "intellectuels de profession", et les documents internes révèlent que l'adhérent de base se plaint de l'importance des "pédagos" au détriment des "prolos". Aux chantiers navals de Saint Nazaire, les ouvriers refusent d'être "commandés" par les instituteurs de la cellule. Il y a à l'époque une entrée massive des enseignants au PCF, le "pédantisme" fait face à "l'ouvriérisme"! Marchais savonne la planche en dénonçant "les intellectuels assis derrière leur bureau", comme cela se fait depuis toujours à la petite soeur du stalinisme LO. Pourtant la CGT a depuis toujours institutionnalisé la séparation entre CGT "collège ouvrier" et la CGT "collège cadre". Ce n'est qu'une parenthèse où il faut se débarrasser du croquemort Marchais, l'appareil va mettre tout le monde d'accord en accentuant son projet de défense du peuple de France, des couches populaires (comme Machin) pour prôner la défense des "pauvres" et des "exclus", nouvelle façon d'amenuiser la classe ouvrière, mieux que la fameuse désindustrialisation. Les cadres-parti sortent désormais directement des écoles d'apprentissage pour être nommés à des postes de bonzes de l'appareil parasite d'une classe méprisée sans avoir jamais connu la condition ouvrière.
"La part des permanents au sein des comités fédéraux augmente et les sections d'entreprise sont désormais le plus souvent dirigées par des cadres détachés du travail ouvrier. Les responsables promus à partir de la fin des années 1970 sont ouvriéristes sans avoir été ouvriers, titulaires de diplômes professionnels sans avoir pu travailler longtemps en usine en raison d'une accession rapide au statut de permanent mais également de la multiplication des fermetures d'entreprises". Où l'on voit encore que les fermetures sont secondaires dans la vie du parti, qui, opportunément y trouve l'occasion d'embaucher des cadres qui seront les otages à vie de l'appareil... qui leur évitele chômage et la condition ouvrière: "... le militantisme se professionnalise en adoptant une rationalité propre, un discours généraliste de moins en moins relié aux réalités concrètes des milieux populaires". "Les responsables du PCF tendent à se présenter de plus en plus comme les porte-parole "des pauvres, des plus défavorisés des salariés" et non plus comme les leaders du "parti de la classe ouvrière (...) évolution misérabiliste de la rhétorique communiste (qui) est à rebours du travail militant d'affirmation de la dignité ouvrière. Elle se fait au détriment d'un discours de classe et peut se voir comme une concession à l'idéologie dominante...".

Même sans recourir à un think tank le PCF comprend qu'il doit s'aligner sur le modernisme idéologique de la "société dans sa diversité", à la suite de la CFDT et du PS. La notion de classe est définitivement bannie du discours stalinien relooké, et devient diversité interne en termes de secteurs d'emploi. Le recrutement du PCF dans les années 1990 devient petit-bourgeois, la présence enseignante redevient plus importante, les fils d'enseignants sont l'élément dominant de l'encadrement4. L'auteur note que la "fonctionnarisation" du corps militant est "un processus commun aux partis communistes d'Europe de l'Ouest". Avec la mutation du nain de jardin Robert Hu, le parti devient "le parti des gens", mieux: "L'humanisme individualiste s'inscrit en rupture avec le marxisme-léninisme". L'auteur semble regretter une "dilution idéologique du PCF" et une "décomposition doctrinale" accélérée par le démantèlement de l'Union soviétique où "ce rejet de la conception scientifique du socialisme favorise un discours éclectique, déterminé par l'actualité, sans cohérence avec une vision d'ensemble (...) D'un parti où l'on débat désormais de moins en moins autour d'un "programme" et de "principes" mais où l'on échange plutôt sur le "projet" ou la "visée".
L'auteur croit que la pourriture du PCF date de ses années lycée!

Mais nombre de ses considérations ultérieures frappent par leur justesse: "Cette professionnalisation de la gestion communiste autour d'une oligarchie locale s'inscrit dans un processus général d'accroissement de la distance sociale des élites politiques, fussent-elles de gauche".

UN PROCESSUS DE DECREDIBILIATION COMMUN AU GAUCHISME ET A L'ULTRA-GAUCHE

Le déclin de l'influence politique du PCF était patent dès le milieu des années 1970, le coup fatal lui ayant été porté par mai 68 puis par la grève de masse des ouvriers polonais en 1980. En réaction, le parti avait tenté de sauver les meubles en lançant un débat sur la "morale", dont il était hélas féru depuis les interdits sexuels du couple fusionnel Thorez/Vermesch. Ce débat avait été indissociable de repli ouvriériste de la fin des années 1970, mais en même temps symbolique de l'arriération d'un appareil de vieux impuissants comme les gérontocrates du Kremlin. L'élargissement du recrutement sans contrôle dans une dynamique électorale concurrentielle avec le PS avait ensuite ouvert la voie à une crise permanente typique du mode de vie des milieux intellectuels toujours en proie aux doutes et à la contestation. La rigidité "marxiste-léniniste" qui n'avait plus rien à voir avec le marxisme comme théorie et lieu de réflexion critique frappa d'obsolescence également tous les groupes gauchistes et ultra-gauches qui se rétractèrent comme peau de chagrin sans que leur ambition, après l'avoir tant parodié, de supplanter le PCF se réalise.

Les permanents se retrouvent nombreux au chômage, cette petite bourgeoisie culturelle flicarde chargée de cornaquer les "classes populaires" perd pied, face aux événements en Pologne, bien avant la chute du bloc russe; mais il n'y a pas que des pourris autistes mannequins d'appareil:
"Dans la région de Longwy, les militants d'une section ouvrière préparent des amendements sur les atteintes aux libertés dans les pays de l'Est mais ils sont empêchés de les présenter lors de la conférence fédérale. Ils ne protestent pas mais se mettent en retrait des activités de la fédération et le tissu militant locale s'effondre.

TRIOMPHE DU "COMMUNISME MUNICIPAL" RELOOKE

"La remise en cause de la primauté de la cellule d'entreprise est souvent le fait des militants eux-mêmes. En réaction à l'autonomisation des élus et à la désagrégation de l'appareil militant, ils expriment leur volonté de participer aux affaires locales pour empêcher qu'elles ne deviennent le domaine réservé des élus".
" La tendance à la localisation des pratiques militantes sur le lieu de résidence se traduit par une ambiance "familiale" des réunions de cellules. Dans ces années 1980 et 1990, les réunions se déroulent généralement au domicile du secrétaire et fonctionnent féquemment autour d'une même famille...".
Repli familial minable comme dérive politicienne nationaliste ont miné le vieil appareil. L'affaire de Montigny-les-Cormeilles où le maire Robert Hue (promis à un destin national) a mené et organisé une manif contre une famille de marocains (soupçonnée de dealer) – accusation infirmée par la police – contribuera encore plus à la dégringolade du PCF épisode Marchais. Le PCF va payer cher ce clientélisme municipal chauvin et étroit, et compte ainsi parmi les facteurs qui ont favorisé le repli religieux des familles de travailleurs immigrés ou pas des "couches populaires". Les jeunes préfèreront aller retrouver une identité à la mosquée plutôt que d'être méprisés par les "communistes".

Puis la libéralisation du vieux parti stalinien a ouvert la porte à toutes les "diversités", mais comme le Front de Gauche, surtout aux désidératas des couches petites bourgeoises, par la gentrification des quartiers

"Autre signe de la perte d'emprise du PCF sur ses élus, les successions aux postes électoraux s'effectuent de plus en plus en dehors des structures militantes".

"De nombreuses mairies, en même temps qu'elles sont investies par des élus plus diplômés, engagent des politiques de rénovation urbaine et des opérations d'accession à la propriété pour attirer des populations "extérieures", c'est à dire des classes moyennes et supérieures".
"Les élus vivent de plus en plus de leurs mandats, ils font de la politique leur métier".

Le PCF "reconstruit" est si décentralisé, si diversifié (qu'il a fallu le détacher de la CGT pour que celle-ci prétende un peu s'occuper des "salariés") qu'il vogue sur toutes les modes idéologiques triomphantes: il ne s'occupe plus des "travailleurs" mais des "habitants", il ethnicise les problèmes sociaux, il a recours à des spécialistes de la communication, il sollicite comme le PS et l'UMP des jeunes femmes diplômées issues de l'immigration maghrébine; tout est centré sur l'individu et plus le parti comme éventuel promoteur d'un programme révolutionnaire. Les cellules d'entreprise ont été supprimées. Le PCF avec son petit croupion Mélanchon se fond dans la cogestion de la société capitaliste en crise pour le bien des "gens".
Bon j'arrête là car je ne peux citer tout ce livre, mais il est une mine d'or – malgré mes critiques en introduction – pour mieux connaitre la veulerie et l'adaptation lamentable d'un vieux machin du stalinisme au capital en voie d'implosion.
Malgré ses défauts et répétition qui ne respectent pas la chronologie historique ce livre restera utile à une réflexion à la fois sur la nécessité d'un parti politique internationaliste mais aussi à ce que ne doit pas être le fonctionnement d'une organisation révolutionnaire qui pose la nécessité de faire tomber la bourgeoisie et d'abolir les rapports de domination et d'exploitation. A ce point de vue, ce n'est pas parce que le FN se la joue parti ouvriériste de promotion militante à la Marchais qu'il peut nous refaire le coup du parti émancipateur. A ce point de vue, le dégoût de la politique stalinienne et son rejet total est une avancée pour la conscience de classe. Et la future renaissance communiste des masses du monde. Bonne nouvelle, tout reste à réinventer. Ou presque.


1Tel le bureaucrate Roger Martelli, confrère et ami de Greg un ancien jeune du CCI tombé dans le milieu humaniste des "communisateurs", à peu près dans les mêmes délires consensuels du PCF sur les gens en quête de justice, les concitoyens électeurs responsables, la "révolution humaniste", etc.
2L'auteur n'est pas un idiot, il note: "Mais de ce déclin de la classe ouvrière comme classe, il ne faudrait pas en conclure à la fin des ouvriers et à la disparition des conflits de classe". Dans le même ordre de mépris que le clown Cohn-Bendit qui m'avait répondu à une émission de Canal + en 1985: "je ne nie pas que la classe ouvrière n'ait pas à exprimer ses revendications"... comme simple catégorie sociale, membre à part entière du système de foutage de gueule bourgeois!
3Evoquant cet épisode avec mon ami et camarade André Claisse, dit Goupil (un des animateurs de la grève Renault de 1947 qui n'avait été qu'un élément secondaire dans le départ du gouvernement des ministres staliniens (= éjecter les pantins de l'impérialisme russe), je m'entendis répondre: "le sabotage du PCF est un éternel recommencement"!
4Déjà dans les années 1970 en banlieue sud j'avais eu le témoignage de plusieurs voisins ouvriers ou employés qui avaient désertés les "cellules" face à la prédominance des discoureurs enseignants qui étouffaient toute parole ouvrière avec leur bagout interminable.

1 commentaire:

  1. Les biais académiques (de classe académique) sont bien vus. Finalement l'histoire se répète historiographiquement. Et écrire l'histoire ouvrière quand on n'en fait pas partie, c'est un niveau de dépossession supplémentaire.

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