« Une femme qui s’irrite change de sexe » (Mme De Puisieux)[1]
Par Georges
Anquetil[2]
Car la jalousie est bien le poison du mariage, mais
elle est inhérente à la monogamie, elle en est l’aboutissant fatal. Elevée dans
l’idée de fidélité maritale, habituée aux gros mots de trahison, de félonie, la
femme surtout est sujette à des accès de ce mal dont Diderot disait : « La
jalousie est parmi les passions ce qu’est parmi les maladies la rage : la
plus inconcevable dans son principe, la plus difficile à guérir, la plus
funeste dans ses effets ».
Dans son livre « De l’amour », Etienne Rey l’appelle
simplement l’amour-propre de la chair. Au fond ce serait plutôt l’égoïsme
stupide de la jument qui ne voudrait point qu’un étalon en couvrit d’autres qu’elle.
Marmontel dépeignit assez exactement la jalousie en ces termes :
« Quelle passion ! quelle triste et cruelle
passion que celle de la jalousie ! D’abord ressemblant à l’amour dont elle
a reçu naissance, elle est douce, tendre et timide ; honteuse d’elle-même,
elle se cache et dévore en secret le fiel qui la consume. Mais, tout à coup,
elle se dresse et s’élance, comme un serpent gonflé de son propre venin. Et qu’est-ce
qui l’irrite ? Bien souvent on l’ignore. D’autant plus redoutable que l’apparence
la plus faible et l’indice le plus léger en est le germe le plus imperceptible,
et qu’une fois jeté dans l’âme, ce germe empoisonné change tout en poison ».
Bélouino[3]
pousse plus loin encore sa pointe sèche, et si sombre qu’il soit, son tableau n’est
hélas ! point exagéré :
« Quand une femme est jalouse, rien ne la
fléchit, ni la vue des douleurs qu’elle fait endurer, ni les larmes, ni les
protestations, ni les prières. A chaque instant, elle épie les actions et les
pensées. Le jour, la nuit, à toute heure, elle se forge des chimères, poignards
qu’elle aiguise pour les enfoncer ensuite dans le cœur de sa victime qu’elle
aime pourtant, qu’elle aime trop. Mais hélas ! la pauvre folle n’a plus sa
raison ; peu à peu son esprit et ses facultés se sont fait un besoin d’exaltation
factice, qui ne rendent plus possible pour elle la vie commune, calme et
tranquille, avec ses joies et ses bonheurs. Il lui faut du drame et de la
tempête ; de jour en jour elle s’exaspère, elle devient furieuse, puis
quelques fois il arrive un moment où, finissant par ajouter foi aux chimères qu’elle
invente, elle croit vraiment criminel celui qui est l’objet de ses fureurs, et
alors elle se change en haine, elle maudit et repousse le cœur le plus dévoué,
le plus aimant, et cet amour qu’elle craignait tant de perdre, c’est elle qui
le tue, sans s’inquiéter des souffrances de celui qui le garde dans son cœur.
Parfois la jalousie la pousse au parjure, à la trahison, car elle a ses
vengeances aussi absurdes, aussi exagérées que les chimères qu’elle se forge.
Une femme exaspérée par cette passion est capable de tout : elle devient
infidèle, sans amour, pour se venger des infidélités qu’elle suppose. D’autres
fois même, elle ouvre son cœur aux séductions extérieures » .
Du point de vue médical et social, le professeur Auguste
Forel (célèbre psychiatre suisse) juge la jalousie avec une sévérité méritée :
« La jalousie est un héritage des animaux et de
la barbarie : Voilà ce que je voudrais crier à tous les héros qui, au nom
de l’honneur offensé, veulent lui octroyer des droits et même la placer sur un
piédestal. Mieux vaut dix fois pour une femme un mari infidèle qu’un mari
jaloux. La jalousie transforme le mariage en enfer. Dans les asiles d’aliénés,
dans les procès et dans les romans, la jalousie joue un rôle immense, car elle
est une des sources les plus fécondes des tragédies et des malheurs de l’existence
humaine. Les efforts combinés et persévérants de l’éducation et de la sélection
sont nécessaires pour qu’on en arrive à l’éliminer graduellement du cerveau
humain. La jalousie de la femme, tout aussi inefficace contre l’infidélité de l’homme,
se traduit par des scènes, des piqûres d’aiguilles, des chicanes, de petites
tyrannies et toutes sortes de ruses, qui empoisonnent l’existence commune ».
Or je prétends que la jalousie, si déplorable dans ses
effets, pourrait parfaitement et rapidement s’évanouir, comme elle avait
disparu chez les femmes Mormonnes, quand Jules Rémy[4],
qui les visita, il y a quelques années, écrivait ce qu’on lira plus loin, au
chapitre consacré à la polygamie chez les Mormons. Non seulement aucune femme
ne se plaignait, mais au contraire toutes disaient leur joie et leur bonheur.
C’est pourquoi le Dr Binet-Sanglé[5]
(op.cit.) écrit avec sûreté :
« On pourra, sans inconvénient, instituer cette
communauté des femmes que Platon recommande dans sa République et suivre, en ce
qui concerne les pensionnaires et les
clientes du haras, l’exemple du socialiste John Humphrey Noyes, qui
constitua, à Oneida Creeck, dans les Etats-Unis d’Amérique, un mariage groupé
de plus de deux cent personnes »[6] (…)
En tout cas, aujourd’hui, non seulement la jalousie
empoisonne le bonheur des époux, mais le perfectionnement des armes à feu et la
création des revolvers-miniature, véritables joyaux ciselés, qui sont devenus l’accessoire
de la garniture du sac de la Parisienne, ont exercé une fâcheuse influence sur
la facilité avec laquelle une femme qui a ses nerfs supprime une existence
humaine. Et comme l’incompréhensible faiblesse des jurys devant les crimes
passionnels fait que les héroïnes de ces drames d’amour ne risquent d’autre
sanction que le bénéfice d’une tapageuse publicité avec photographie retouchée
en première page des quotidiens à deux millions de tirage, elles n’hésitent pas
à assassiner un homme , comme si la guerre ne nous avait point déjà massacré
suffisamment de mâles.
L’expérience est là pour attester qu’il n’y a de
meurtres semblables ni chez les Mormons, ni chez les peuples qui pratiquent la
polygamie.
La femme chez eux, plus intelligente, mieux éduquée,
comprend plus sainement l’importance toute relative de l’acte sexuel quand il n’a
pas pour but la procréation, mais uniquement l’exercice normal d’une fonction
sexuelle. C’est alors qu’il n’est en effet, selon le mot de Chamfort, que le
contact de deux épidermes, sans plus.
D’ailleurs, même chez nous, avec de la patience, de la
douceur et du raisonnement, l’homme qui le veut arrive, avec une relative
facilité, à faire entendre cette vérité à sa femme, preuve de plus de la
justesse de la pensée de Mirabeau[7],
rappelée au début de cette méditation, que les femmes sont ce que nous les
faisons.
Résumons-nous : la monogamie et son inséparable
compagne, la jalousie, engendrent des heurts, des dangers et des maux
incompatibles avec le calme, l’harmonie et la confiance indispensables à l’amour
et au bonheur : nous allons voir qu’elle est génératrice ou responsable de
bien d’autres fléaux dont est exempte la polygamie.
A suivre…
[1] Madeleine d'Arsant de
Puisieux a écrit de nombreux romans et traités de morale. Amante de Diderot
qu’elle avait rencontré en 1745, sa collaboration à quelques-uns de ses textes fit
d’abord attribuer ses Conseils à une
amie (1749)
où elle traite de l’éducation et Les
Caractères (1750)
à ce dernier. Diderot contesta la paternité du
conte L'Oiseau blanc : conte bleu :
il ne reconnaissait qu'avoir corrigé l'orthographe du texte de sa maîtresse.
On attribue parfois à Madeleine de Puisieux, ou à son mari le texte féministe intitulé La femme n'est pas inférieure à
l'homme publié en 1750 et republié l'année suivante sous le titre Le Triomphe des dames. Mais d'autres
auteurs envisagent plutôt qu'il ait été rédigé par Mary Wortley Montagu.
[2]
Avocat, publiciste bouillant - et brouillon -, directeur du Courrier
français à partir de 1914, éditeur de livres à scandale, Georges
Anquetil (1888-?) fut un curieux personnage mais malgré tout un
révolutionnaire des mœurs bourgeoises. Il dirigea à partir de 1927, une
feuille à scandales, La Rumeur, où, comme dans son Satan conduit
le bal, indigeste pamphlet, il dénonçait à tour de bras. (On
raconte que lorsqu'il dénonçait, il palpait, comme Eugène Merle, célèbre "balance" anarchiste...). Il se
présenta aux élections législatives en Guyane sous l'étiquette galmotiste (de
Jean Galmot) et se trouva au printemps 1929 à Fleury-Mérogis d'où il
écrivait : « On est allé, dans l’odieux, jusqu’à me jeter, en plein
hiver glacial, dans une cellule pas chauffée, à tinettes asphyxiantes, alors
qu’à la Santé, treize divisions sur dix-sept ont le chauffage et le tout à
l’égout. (...) L’instruction est finie. J’offre une grosse caution. Le dossier
est vide. Je suis malade. Mais Poincaré, toujours au pouvoir, se venge. O
République ! O justice et politique ! ». Il est le probable
concepteur d’un projet de loi présenté au parlement pour légaliser la polygamie,
à laquelle il consacre un intéressant pamphlet La Maîtresse légitime (1926) – publié
à compte d’auteur et qui devient un véritable best-seller d'époque. Il en vendit plusieurs
centaines de milliers d'exemplaires, lui donna une suite avec Jane sous le
titre L'Amant légitime qui comme son Satan qui s'acheta à
tour de bras.
[3] Il
s’agit de l’abbé Léon Bélouino (1824-1890) auteur d’une célèbre oraison funèbre
au curé progressiste de La Mennais.
[4] Jules Achille
Rémy était un naturaliste et explorateur
(1826-1893). Explorateur, il parcourut les îles d’Hawaï et de Sandwich (il y
rencontra la reine Elisabeta Kinau, et pendant son séjour il
faillit être empoisonné par un indigène fanatique), visita les Canaries, le
Brésil, le Chili, la Bolivie, le Pérou, l’Océanie et resta trois ans à
Honolulu, où il sut gagner l’amitié du roi Kamehameha
III qui essaya de le convaincre de devenir membre de son
gouvernement. Là, il fit la rencontre d’un voyageur anglais sir Brenchley,
devenu son ami, avec lequel il visita la Californie, le Grand Lac Salé, le pays
des mormons (dont il écrivit l’histoire, la religion et les mœurs), puis San
Francisco. Il visita l’Amérique du Sud et revint parcourir les États-Unis et le
Canada. Dans un autre voyage, il parcourut le Nord de l’Afrique depuis l’Égypte
jusqu’au Maroc. En 1863, il visita l'Asie, le Tibet et l’Hindoustan
et fit l’ascension de l’Himalaya. Il fut une référence pour Jules Verne
dans Les Enfants du capitaine Grant.
Ernest Renan
dans son Histoire des origines du christianisme ; Volume
2 "Les apôtres" (1866), fait référence à son ouvrage "Voyage
au pays des Mormons".
[5]
Encore un révolutionnaire des mœurs oublié comme Anquetil lui-même (ombre
portée par le cycliste dopé ?) ! Charles Hippolyte Louis Jules Binet, dit Binet-Sanglé, né le 4 juillet 1868 à Clamecy (Nièvre) et mort le 14 novembre 1941 à Nice (Alpes-Maritimes),
était un médecin
militaire et psychologue français. Il se fit connaître pour son livre sur La Folie de Jésus, qui fit polémique
et heurta particulièrement les milieux conservateurs et chrétiens. Scientiste
positiviste
convaincu, Charles Binet-Sanglé fit de cette œuvre une application de ses
théories rationalistes en vertu desquelles tout abandon
de sa puissance individuelle à une « croyance » est le symptôme d'une
pathologie
d'ordre physiologique.
[6] Morris Hillquit, Histoire du socialisme aux
Etats-Unis, Stuttgart, Dietz, 1906. John Humphrey Noyes (3 septembre 1811 – 13 avril 1886) est un socialiste utopique américain. Il a fondé la communauté d'Oneida en 1848. En 1847, Noyes,
qui est marié avec Harriet Holton depuis 1838, est arrêté pour adultère.
Plusieurs de ses disciples sont également sous la menace d'une condamnation. Le
groupe décide donc de quitter l'État du Vermont pour Oneida, dans l'État de
New-York, où Noyes connaît quelques Perfectionnistes. Ils s'installent là-bas
et construisent leur premier logement communal en 1848. La communauté d'Oneida
a prospéré jusqu'en 1879. Elle a grossi peu à peu pour atteindre plus de 300
membres, avec également des implantations à Brooklyn, Wallingford dans le
Connecticut, Newark dans le New Jersey, Cambridge et Putney dans le Vermont. La
communauté possède plusieurs industries florissantes. Elle produit par exemple
des pièges pour animaux, tisse de la soie et vend des conserves de fruits et
légumes. Il développe sa théorie autour du salut de l'homme et de la perfection
humaine. Selon lui, le Christianisme est un mensonge puisque les vrais
Chrétiens ne sont que ceux qui sont Parfaits et totalement libérés de leurs
pêchés. Noyes proclame dès lors qu'il "n'a jamais pêché" et développe
son idée de Perfectionnisme, selon
laquelle il est possible de se libérer du pêché au quotidien. Sa théorie est
centrée autour de l'idée que si l'homme a sa propre volonté, c'est parce que
Dieu l'a voulu. Or, si cette volonté indépendante provient de Dieu, celle-ci
est donc divine. Noyes considère par conséquent qu'il est impossible à l'Église
d'obliger les hommes à obéir à la loi divine, et de les condamner à la
damnation dans le cas contraire. Dès lors, leur nouvelle relation avec Dieu
supprime leur obligation d'obéissance aux normes morales de la société. Noyes
agit alors selon ses intuitions plutôt qu'en prenant en considération toutes
les conséquences de ses actions. Le 20 février 1834, il se proclame lui-même
Parfait et libéré de tout pêché. Cette déclaration fait scandale à l'université
qui le révoque et lui interdit de prêcher. Après son expulsion de Yale, Noyes
retourne à Putney
dans le Vermont
où, malgré sa révocation, il continue de prêcher. Il forme alors une première
communauté en 1836 autour de la Putney Bible School, qui devient réellement une
organisation communautaire en 1844, pratiquant le mariage complexe, la
rétention de l'éjaculation et la recherche de la Perfection.
[7]
L’opinion de Mirabeau (citée en page 85) apparaîtra machiste aux féministes
bourgeoises simplistes du XXIe siècle, mais elle est non seulement vraie sur
lefond (la société est dominée par les
désidératas des hommes) mais aussi sur la forme : « C’est nous qui
faisons les femmes telles qu’elles sont : c’est pourquoi elles ne valent
rien ». Et bing pour notre gueule ! (JLR)
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