La venue de la diva à la bourre :
Le
conférencier sur « les révolutions arabes » saura vous parler de la
renaissance arabe du XIXe siècle ou de ses amis politiques de l’opposition
syrienne mieux que retrouver son chemin dans le RER et le métro. Il fallut
envoyer un spectateur le chercher à Denfert-Rochereau pour animer cette soirée
de « L’Université populaire » d’Arcueil qui invite régulièrement des
sommités nullités comme Marcel Gauchet.
Il est
depuis 2006 professeur à Sciences Po
Paris, où il enseigne en français, en anglais, en espagnol ou en
arabe. Il a publié en France comme à l'étranger de nombreux articles sur le monde arabo-musulman. Ses livres ou ses
analyses ont été diffusés dans une douzaine de langues. Ses travaux sur Al-Qaida
ou le millénarisme insistent sur la rupture entre cet
extrémisme contemporain et la tradition islamique.Il voit dans la
"Révolution arabe" en cours depuis l'hiver 2010-2011 le début d'une
vague historique de longue durée, une "seconde renaissance arabe" qui
s'inscrit dans le prolongement de la Nahda du XIXe siècle.
Il a par
ailleurs publié deux essais biographiques sur des musiciens contemporains, l'un
consacré à Jimi Hendrix ("Le Gaucher
magnifique"), l'autre à Camaron de la Isla ("La Révolution du
flamenco"). Il a contribué au scénario d'un roman graphique, dessiné par David B.
et consacré aux relations des États-Unis avec le Moyen-Orient. Enfin, il a
écrit les paroles d'une chanson de Zebda sur la bande de Gaza. Ils se sont rencontrés en Syrie en
1998 sous le régime d'Hafez el-Assad où Zebda y donnait des concerts
à Damas et Alep, et où Filiu était diplomate.
Le dit « spécialiste »
de l'Islam
contemporain. Professeur des universités à Sciences Po
Paris, il y enseigne au sein de l'École des affaires
internationales, après avoir été professeur invité aux États-Unis à l'université Columbia et à l'université de Georgetown. Conseiller des
Affaires étrangères, il a été en poste en Jordanie, en Syrie et en Tunisie,
ainsi qu'aux États-Unis. Il a aussi été membre des cabinets du Ministre de
l'Intérieur Pierre Joxe (1990-91), du même ministre à la
Défense (1991-93) et du Premier Ministre Lionel Jospin
(2000-2002). Il a été couvert d'éloges récemment par le président du Sénat, Jean-Pierre Bel et a posé avec lui pour la photo de presse. Un véritable révolutionnaire en somme.
Un tel CV de Jean-Pierre
Filiu a de quoi vous annoncer comme une vedette incontestable. En effet il
arrive avec une bourre considérable mais telle Madonna se fait applaudir tout
de même par un public déjà servile et voyeur de la future prestation de la
diva. Il précise en guise d’excuse qu’il revient d’une réunion de solidarité
avec la « révolution syrienne ».
Je ne venais point assister
à cette conférence pour reluquer une telle diva ni lui porter la contradiction,
car, de toute manière vu ses états de service et ses billevesées historiques il
ne fait pas le poids face aux analyses du camp prolétarien maximaliste. Comme
je l’avais annoncé je venais croyant possible une confrontation avec des
islamistes, vu la proximité de leur repaire à Bagneux ou en tout cas la gauche
islamo-gauchiste. Que nenni, la salle archi-comble comprenait une bonne
centaine de personnes de deux catégories extrêmes de la population, têtes
chenues de profs retraités + leurs collègues encore valides, et leurs
étudiants. Point non plus de révolutionnaires maximalistes parisiens alors que je les avais prévenus. A cette heure dinatoire les prolétaires d’Arcueil étaient, eux, devant Koh
Lanta.
La diva entreprit donc sa
prestation sur les dites « révolutions arabes » pendant plus d’une
heure et demi, s’affichant décontract, sans notes, parsemant son discours
d’anecdotes qu’il pensait marrantes mais ne déclenchant que quelques sourires
compatissants. J’en venais même à penser que la salle puisse ne pas être
moutonnière ni fanatique face au blaireau de sciences-Po. Je me trompais. Donc
pas d’ex-colonisés ni d’arabes salafistes ni de trotskien déguisé, mais cette
mouvance intellectuelle bien nourrie, en partie peuplée de vieux grigous
staliniens mélenchonisés de la banlieue sud de Paris.
Je m’étais renseigné sur le
gus conférencier. Ce commis d’Etat est à peu près partout mis sur estrade dans
la presse, dans Rue 89 comme sur Oumma.com. Ses analyses délirantes y sont
référencées comme celles du « spécialiste ». Tout ce qu’il déclare
révèle surtout le radical… conformiste. Le voici à nouveau ambassadeur mais de
la théorie fumiste d’un monde arabe « en révolution » qui lui permet
de faire fructifier son petit commerce littéraire aux marges des intellectuels
islamistes d’ autant qu’il y a du Tariq
Ramadan en lui, du moins dans son discours sans méthode et compilatoire. C’est
le cas de son ouvrage sur l’histoire de Gaza où il accumule une quantité
considérable d’informations successives sur la longue crucifixion et
persécution des Palestiniens, sans jamais développer une argumentation
historique et surtout sans s’élever au-dessus du local et du partiel.
Pendant près de deux heures
il faut se fader ce discours désormais connu dans le milieu germanopratin et
élyséen. En gros, le monde entier assiste à des « révolutions
arabes » sur le long terme – ne confondez pas avec les bordiguistes qui
assurent que c’est le 1848 arabe – un « temps long » d’à peu près
deux siècles où « indépendamment » du monde occidental les arabes
(qui ne sont pas que des révoltés) tracent et traceront leur chemin vers la
modernité. On ne peut plus contrôler les peuples assure la diva. Contrairement
aux visions simplistes véhiculées en Occident l’alternative n’est pas entre
dictature et islamisme. On exagère en France la capacité de contrôle des
islamistes. Electoralement les islamistes sont partout en régression. En
Tunisie un député salafiste qui, en cession plénière du Parlement avait appelé
à faire la prière, s’est entendu répondre « ta gueule » et a été prié
de sortir prier dehors. Les réseaux sociaux n’ont pas été le facteur principal
de la révolte mais ce sont les liens traditionnels dans la population qui ont
permis l’extension de la « révolution ». En tout cas c’est une
révolution de la « jeunesse » - « une classe cosmopolite de
diplômés » (ce sera bien la première fois qu’il utilisera le mot classe,
vidé de son sens) - des jeunes qui étouffent parce qu’ils ne trouvent pas de
débouchés. La diva en vient enfin à son gadget explicatif et autarcique de ce
qu’il récuse dans la dénomination de printemps arabe (pour mieux nier l’hiver
islamique…) : le long mouvement en cours n’est que le prolongement de la
« Nahda » renaissance arabe du XIXe siècle, où pourtant l’imprimerie
arabe se développe seulement quatre siècles après Gutenberg. Le régime
dictatorial a été balayé, mieux le régime est tombé de lui-même. Près de deux
ans après rien n’est réglé, il n’y a pas d’hiver islamiste. Les peuples font
leur histoire. Cette longue révolution en gestation a été symboliquement
patronnée par le premier peuple (le tunisien) qui a imprimé sa marque à la
« révolution » : la capacité à exercer le droit
démocratique ! L’ex-ambassadeur bourgeois devenu traficant d’histoire,
esquisse une moue finale : bien sûr tout n’est pas rose mais les
nationalistes n’ont pas à copier les nationalistes européens.
Lorsque vient le tour des
questions, la proviseure donne la parole en primeur aux jeunes étudiants avec
portable sur les genoux. A ma grande surprise ils vont à l’essentiel contre le
discours de la diva diplomatico-islamiste. Le premier jeune tape dans le
mille : « Pouvez-vous nous dire les rapports des grandes puissance et
en particulier des Etats-Unis avec la « révolution
arabe » ? ». Je fais applaudir cette intervention. La diva
grimace. Un autre intervient longuement mais reste assez inaudible bien qu’on
comprenne qu’il va dans le même sens que le précédent. Un jeune noir fait
ensuite une intervention très intéressante : « Vous avez été
ambassadeur en Syrie… Comment expliquez-vous que l’Arabie Saoudite et les
petits Etats du Golfe se mêlent de plus en plus de la politique intérieure
syrienne. Ils financent en particulier l’Armée syrienne libre, ils paient les
salaires et fournissent des armes via la Turquie, l’Irak ou le Liban. Les
Etats-Unis font de plus en plus savoir qu’ils songent à une intervention en
Syrie. L’avenir des Syriens n’est donc plus entre leurs mains mais va dépendre
de ce que ces puissances étrangères, qui ont de plus en plus d’influence sur
l’opposition, jugeront bon pour la Syrie ».
Un élégant intellectuel
arabe émet des doutes lui aussi sur la « révolution syrienne » :
« Selon
plusieurs services de renseignements, l’opposition syrienne serait infiltrée
par Al-Qaïda, quel est votre commentaire ? ».
J’observe que pendant le
déroulé des questions la diva affiche une moue méprisante. A l’évidence comme
partout ailleurs où il va exhiber sa science infuse il doit confronter le même
type de remarques pertinentes contre ses contes arabes à dormir debout.
Il a convenu avec les
organisateurs de « l’Université populaire » de répondre
« globalement » aux questions grâce au « brainstorming ».
Cette technique de réponse aux questions groupées s’apparente au remue-méninges
de l’animateur inculte de base en entreprise, méthode soupçonnée d'inciter non
à la clarté mais au consensus et donc au conformisme. Le boss ou le politicien
qui laisse poser les questions à la queue leu leu peut ainsi se passer de
répondre aux questions gênantes en ne répondant qu’à deux ou trois prises
arbitrairement dans le tas mais uniquement parce qu’elles servent à appuyer le
discours de l’impétrant voyageur de commerce.
La diva rejette d’un revers noble de la main
l’ensemble des questions et remarques en laissant entendre qu’elles sont d’une
banalité d’un niveau provincial. Ces histoires de complot de la CIA et du
Mossad sont passées de mode. Les peuples font leur histoire. À franchement
parler, la théorie du complot occidental sert parfaitement les intérêts du
régime Assad, du fait de son extraversion internationale. La révolution se
résumerait, comme le répète la propagande de Damas, à « la main de l’étranger
». Certains en sont sincèrement convaincus, en Syrie mais aussi en Iran et en
Russie. Au-delà des intérêts des uns et des autres, je vois dans cette démarche
une erreur fondamentale : elle privilégie l’idéologie au lieu d’analyser les
mouvements révolutionnaires arabes pour ce qu’ils sont ; elle projette sur eux
des catégories qu’ils ont dépassées. Faire de ce qui se passe en Syrie le
énième épisode d’une guerre froide disparue voici plus de vingt ans n’a pas de
sens. Il est néanmoins indéniable que les Saoudiens ou les Qataris
interviennent dans les conflits. Est-ce pour – en Syrie comme ailleurs –
endiguer ou détourner le processus révolutionnaire ? Près de deux ans après le
déclenchement du processus révolutionnaire, chacun a pris ses marques. Les
régimes saoudien et qatari, tous deux obsédés par leur stabilité intérieure, se
disputent le magistère dans l’islam politique : le premier mise sur les
salafistes, et le second sur les Frères musulmans. Et le Qatar a pris de
l’avance… C’est pourquoi l’Arabie saoudite – ou plutôt des Saoudiens –
s’investissent beaucoup en Syrie. Mais quand vous parlez, sur le terrain, aux
gens qui manifestent ou se battent, ils vous disent ne pas avoir vu grand-chose
de l’argent et encore moins des armes censés arriver en masse. Réduire la
révolution syrienne à cette « aide » étrangère, c’est ajouter
l’insulte à l’outrage. Les peuples font leur histoire. Il faut être capable de
constater ce qui se passe dans la révolution arabe. Il y a d’ailleurs de
nombreuses luttes sociales et grèves en Tunisie. Infiltrée la révolution arabe
c’est beaucoup dire. Mais il est clair que si un Etat s’effondre et qu’une
opposition se forme, les islamistes radicaux seront là. De là à dire qu’ils
sont liés à Al-Qaïda n’est pas sérieux. Mais les islamistes radicaux exploitent
sans nul doute l’instabilité à leurs fins. Partout j’ai vu surtout la
débandade. La dynamique dans les pays arabe ne rentre dans aucune catégorie.
L’animatrice proviseure, à
l’évidence, voulait éviter mon entrée dans ce faux débat, vu que, depuis le
début mes grimaces et haussements d’épaule m’avaient sans doute faire repérer
comme opposant hypocondriaque. Elle m’apporte enfin le micro, sinon gare à moi.
Difficile de retrouver mes
marques après un tel tourbillon du "spécialiste" pour enfumer les questions et
enjeux posés par les événements du Croissant arabe. Je m’étais résolu à
développer brièvement trois points : l’absence de révolution, la duperie démocratique
avec le contrôle US sur les évènements et l’absence de solution dans les pays
arabes sous égide nationaliste et islamiste. Je commence donc par
interroger : « … Je suis très inquiet concernant l’utilisation du mot
révolution aussi fréquemment que le mot prostitution. Je suis inquiet pour la
compréhension de l’histoire par les jeunes étudiants ici présents avec la
notion de révolution conjuguée à toutes les sauces fleuries : révolution
des œillets, révolution orange, révolution de jasmin… prenez garde jeunes gens
lorsque l’on vous présente la révolution avec des fleurs. C’est comme la fleur
au bout du fusil en 1914. Une révolution ce n’est pas pacifiste ni
« démocratique », c’est sanglant. Une vraie révolution renverse
l’Etat et les institutions établies. Ce n’est pas le cas dans les dites
« transitions arabes ». Deux révolutions méritent ce nom : 1789
et 1917. Ce monsieur Filiu est un bien étrange historien qui nous propose de
jouer aux échecs sans la dame et sans le roi. Il n’est pas besoin d’aller chercher
dans la renaissance arabe du XIXe siècle les raisons de l’explosion ni dans les
réseaux sociaux. C’est la crise économique qui a poussé tant de jeunes à se
sacrifier, s’immoler. Le capitalisme s’est développé de façon inégale…
-
Non ! crie un papy qui s’est levé pour m’arracher le micro. Le capitalisme ne s’est pas développé de
façon inégale ? J’en ai trop dit ? Je ne peux pas continuer ?
Je repousse sans ménagements
le vieux sur sa chaise. La salle fait : « Oooooooh ». Me voilà
réduit à l’état du forcené de service. J’aperçois la proviseure qui répète
depuis plusieurs fois : posez votre question ! Personne n’ose
m’approcher car je parais baraqué et j’ai l’air méchant quand on me réduit au
rôle de simple questionneur comme aux cercles Léon T de LO. Décontenancé par
tout ce brouhaha et ces cris de bestiaux soumis, je ne peux reprendre le fil de
mon raisonnement, mais je parviens à en récupérer un bout : « vous
imaginez qu’en Egypte où tant de gens se sont fait tuer l’armée a changé ?
Vous pouvez croire, assemblée de bobos, que le « peuple a fait sa
révolution » quand le pouvoir n’a pas changé de main, quand sur le fond il
s’est agi d’un règlement de compte où l’armée, privée de le rente pétrolière
(erreur je me suis trompé je voulais dire rente américaine), a viré le clan
Moubarak et a maintenu l’Etat… Vous les bobos vous n’aimez jamais tant que
gloser sur l’écologie, les arabes, l’antiracisme et le mariage des pédés,
surtout éviter de parler des classes sociales car c’est pas bien… Drôle de "spécialiste", comme tous les fameux spécialistes de l'économie capitaliste, ce mossieur s’est planté avec toutes ses prévisions « démocratiques », il raisonne
sur les ghettos nationalistes arabes comme s’ils étaient coupés du monde…et
avaient leur dynamique propre ». On me coupe. On me crie dessus. Je bafouille, bouche asséchée. Je hurle :
« mais c’est la même armée qui continue à tirer sur les prolétaires arabes !
Et l’oppression de la femme… ». J’ai
encore la force de m’insurger : « C’est quoi l’apologie de la
démocratie de M. Filiu ? Elle n’existe nulle part la vraie démocratie !
On vient de voir aux Etats Unis une élection basée sur un code électoral oligarchique du 18ème
siècle, les élections basées sur le pognon on a vu à quoi elles conduisent dans
les pays arabes, et celles des Sarkozy et Hollande c’est votre choix « démocratique » ? ».
Le brouhaha a raison finalement de mon raisonnement mais j’ai la ressource de
poser la question (gardée dans ma poche comme encas) à laquelle Filiu le
diplomate contrit ne pourra pas répondre : « Est-ce que le monsieur à
la table peut nous expliquer ce qu’il fait dans le comité de ladite opposition « révolutionnaire
syrienne », qui la finance et s’il y a BHL avec lui et monsieur Hollande ? ».
Je refile le micro à la
proviseure et je m’assieds. La dame commence alors ma punition :
« Nous venons de voir là une illustration d’un comportement parfaitement
anti-démocratique… ». Je coupe : « allez lâchez-moi la grappe et
répondez ». « Bouh quel langage », fait la dame en se repliant
dans sa coquille. Vous comprenez, madame, pourquoi votre fille, enseignante
autoritaire, est muette.
La diva, contrariée, boude
mais éructe qu’il n’a jamais entendu pareilles horreurs… Incontinent, je
réplique qu’en matière d’horreur il est meilleur que moi quand il va déclarer
sur le site gauchiste Rue 89 qu’une monarchie comme celle du Maroc,
« basée sur trois siècles d’histoire et de pouvoir, est de toutes les
façons beaucoup plus légitime qu’une dictature de type baasiste arrivée dans
les années 60 avec des justifications artificielles ».
Filiu : « Des
types comme çà j’en ai un par an ».
Moi : « des mecs
comme toi j’en vois des milliers chaque soir devant leur TV ».
Filiu : « Non je
ne vais pas répondre à ce type ». Na !
Moi : « je ne vous
ai pas posé de question ». Brouhaha.
Inutile d’insister et à
l’échange d’invectives il n’aurait pas le dernier mot avec un
« type » comme moi. Je me lève, et, comme depuis l’allée centrale il
faut repasser devant la tribune, j’en profite pour asséner en passant un coup
de poing sur la table du conférencier diva : « Continue pauvre toto à
enseigner tes inepties aux enfants des bourgeois à sciences Po ! ».
Et la phrase suivante glisse naturellement de ma bouche, suave, concluante et
jolie comme un au-revoir élégant, comme çà c'est sorti sans forcer, sans compression mentale superflue : « Petit toutou du
Capital » !
Je sors de la salle sous le
regard courroucé du public de vieillards et de jeunes bobos. J’entends soudain
un pas de course derrière moi. Un bobo qui vient me régler mon compte ou un
stalinien avec son déambulatoire ? La jeune et jolie étudiante essoufflée
qui pile devant moi me fait cette déclaration : « Merci monsieur pour
votre intervention parce que tous ces gens dans cette salle ils sont
tous… ».
Je me pâme devant la
demoiselle et m’en retourne guilleret vers mes pénates. La vie est belle
n’est-ce pas ? Même s’il n’y a aucune réunion politique ni universitaire
où pouvoir réellement s’exprimer car la démocratie bourgeoise n’autorise que
les questions, même sans réponse.
Bilan : nul, coup d’épée
dans l’eau. Inutile d’aller cautionner les réunions de bobos en banlieue. Je m’en
fiche, ne représentant aucun parti ni ne prétendant parler au nom de la classe
ouvrière, mais pas complètement, car il existe parmi la jeunesse « déclassée »
et plus aussi arrogante que les étudiants des eighties des lueurs d’intelligence
de ce monde qu’il faut renverser. De
plus, quelques « vieux con » sont encore prêts à les aider à se
frayer la bonne voie, quitte à faire scandale !
Après mon départ, le "toutou du capital" a au moins reconnu qu'il se situait hors des classes sociales et que son critère était simplement "la révolte de la jeunesse". Le pauvre bourgeois dans son néant idéologique...
Après mon départ, le "toutou du capital" a au moins reconnu qu'il se situait hors des classes sociales et que son critère était simplement "la révolte de la jeunesse". Le pauvre bourgeois dans son néant idéologique...
Post
scriptum éloquent :
Dans sa pub sur le web pour sa littérature, Les
« dix leçons » du livre de Filiu, il y a le fait que ce sont des
« révolutions sans chef », voici ce qu’il répond au journaliste :
« Je suis convaincu que ce n’est pas une faiblesse. Le
fait de ne pas avoir de chef a failli être fatal à la Révolution libyenne dans
un contexte de guerre civile. Mais je reste convaincu que la Libye sera
l’exception ». Or une révolution qui n’a pas de chef, c'est-à-dire qui n’a
ni parti ni éléments d’avant-garde capables d’orienter, non pas des masses en
général, mais le prolétariat, est mort-née. C’est la gogolité des apologistes
des réseaux sociaux (contrôlés par Washington) et des « indignés » où
personne ne décide et où rien ne se décide pour laisser le pouvoir finalement à
l’Etat et à ses polices diverses, flics et syndicalistes.
Filiu nous ressort encore la
fable éculée du soulèvement de la jeunesse dans « le monde arabe »…
en autarcie civilisationnelle sur Rue 89 :
« Cette dynamique arabe indéniable va se
traduire par le fait que chacun de ces mouvements, s’il progresse, peut en
entraîner d’autres ; s’il stagne, ça a aussi un impact sur la dynamique
des autres ; s’il est contrarié, réprimé, ou s’il y a contre-révolution,
cela affectera l’ensemble. On a aujourd’hui un monde arabe qui est porté,
traversé, par le soulèvement de sa jeunesse, que ce soulèvement soit actif ou
prêt à se déclencher. Cette jeunesse partage le même refus du système – en
arabe, régime et système, c’est le même mot – dont elle demande, selon les cas,
le renversement ou la réforme ».
A la question du journaliste à l’apôtre de la révolution imaginaire et
perpétuelle arabe : Quel est le « programme commun » de ce
mouvement ?:
« Partout,
on retrouve la même exigence partagée, qui tourne autour de principes très
simples :
- transparence ;
- lutte contre la corruption ;
- partage du pouvoir et des richesses ;
- élections libres.
Toutes
choses qui prennent quelques minutes à dire, mais parfois des mois de lutte et
des années à mettre en place. Et non seulement ça ne va pas se calmer, mais ça
va plutôt s’intensifier, car ce mouvement charrie beaucoup d’énergie, mais ne
sera pas linéaire : il connaîtra des phases de désespoir, de
désenchantement, voire de trahisons, ce qu’on n’a pas encore vu. Mais il
connaîtra aussi de très grandes victoires. Et je suis personnellement convaincu
qu’en Syrie, il ira jusqu’au bout, et il faudrait mieux que le régime syrien,
au lieu de s’entêter dans une répression abjecte, tire les conséquences de la
poursuite de la contestation, malgré plus de 2 000 morts, soit deux
fois le bilan de la Révolution égyptienne dans un pays quatre fois moins
peuplé. Le mouvement ne faiblira pas selon moi, et il fera tout pour s’en tenir
à sa dynamique citoyenne. La leçon que l’on tire de la Libye c’est que, sauf en
cas de menace d’extermination – il n’y a pas d’autre mot, la Révolution
libyenne était menacée de liquidation –, il faut s’en tenir à la voie
citoyenne.
« La voie citoyenne »
de cet agent de l’Etat bourgeois passe en réalité par les mêmes voies que la
fausse libération libyenne : armements fournis par divers impérialismes
locaux et composition avec les gangs islamistes et libéraux pour reprendre et
assurer la continuité de l’Etat bourgeois. Sachant qu’on ne peut pas parler
d’ « opposition syrienne ». Il existe différents groupes
d’opposition en Turquie, en France, en Grande-Bretagne, et en Syrie. Le bloc
dominant est le Conseil national syrien (CNS), dont le siège est à Istanbul. Il
regroupe différentes personnes dont des intellectuels. C’est un mensonge de dire
qu’ils sont soutenus par la population syrienne ; c’est qui la population
syrienne et quelle classe ? Le fait de s’être ralliés à l’Armée syrienne
libre (ASL) leur a donné un peu plus d’écho en Syrie. Mais l’opposition est
loin d’être unie et c’est un mouvement qui risque de ne pas durer. Si les
choses finissent par se calmer, ce sont encore une fois les Frères musulmans
qui au final rafleront la mise dans la lutte contre Bachar el -Assad, car ils
représentent une véritable force politique.
Allez encore un morceau de
choix du Filiu :
Le journaliste : « Vous inscrivez
pleinement la révolution syrienne, avec ses spécificités, dans le processus en
cours dans l’ensemble du monde arabe. Mais d’autres analystes y discernent une
sorte de complot occidental contre ce pilier anti-impérialiste qu’incarnerait
encore, malgré tout, Damas, aux côtés de Téhéran et du Hezbollah, le tout sur
fond de nouvelle guerre froide. Mais le précédent libyen a traumatisé tout le
monde… ».
Filiu : « Le plus important à mes yeux,
dans l’expérience libyenne, est moins l’intervention militaire que le transfert
de légitimité. Le jour où l’on a dit : la Libye, ce n’est plus Kadhafi, mais
les révolutionnaires. Rappelez-vous François Mitterrand affirmant, lors du
siège de Beyrouth en 1982, que les Palestiniens avaient conquis une représentativité
à la mesure de leur droit de se battre. Les Syriens aussi, vous ne croyez pas ?
Le journaliste : « Élargissons un peu
le champ de l’analyse. Certains disent que le « printemps arabe » est entré
dans son hiver. Et les mêmes qui défendaient hier les dictatures comme «
rempart » contre le fondamentalisme, enterrent aujourd’hui les révolutions en
cours parce que les forces islamistes ont tiré les marrons électoraux du feu ».
Filiu : « Avec les mêmes œillères
idéologiques. J’envie ces gens qui ont tout compris à la Syrie et, plus
généralement, au Proche-Orient avant même de les étudier : ils arrivent et ils
savent. Mais qui a dit que les révolutions, c’était « cool » ? Qu’en quelques
mois, elles surmonteraient sans à-coups les conséquences de décennies de
dictatures, de corruption et de misère ? Nous assistons à un mouvement profond,
nouveau, complexe et durable. Il bouscule nos grilles de lectures, nos
concepts, nos catégories. Des recouvrements se produisent : l’ancien ordre
vampirise encore le nouveau. Ou, comme disait Gramsci, « le vieux ne veut
pas mourir et empêche le neuf de naître » ! En tout cas, tout cela devrait
inciter le chercheur – et, si vous me permettez, le journaliste – à la modestie
et à l’inventivité. Nous ne sommes qu’au début d’un processus de rattrapage et
d’émancipation sur le temps long, dont il serait évidemment absurde de
prétendre dresser le bilan sur le temps court. Commençons par bien l’observer.
Inscrivons-le dans la longue histoire du monde arabe.
Le journaliste : « Depuis la guerre de
1967 et l’échec des socialismes arabes ?
Filiu : « Non, depuis la Nahda, la
renaissance entamée il y a deux siècles ! Et j’ajoute : l’ethnocentrisme peut
être de droite comme de gauche. Projeter des stratégies et des étapes
occidentales sur des réalités qui n’y sont pas réductibles représente une grave
erreur. Comme si nous détenions le certificat de la bonne révolution. Eh bien
non ! Les Arabes ne nous ont pas demandé notre avis pour entamer la leur et ils
la mèneront jusqu’au bout – y compris en Syrie, j’en suis sûr. À ceux qui,
sincèrement, s’inquiètent de voir les « islamistes » – si cette étiquette
généralisatrice et homogénéisatrice a un sens – remporter, une à une, les
élections organisées dans les pays libérés de leur dictature, que répondez-vous
? Voyez-vous des signes garantissant que ces États ne sont pas engagés, comme
l’Iran il y a trente ans, dans un long tunnel théocratique ? C’est une phase
transitoire, et les islamistes le savent. C’est pourquoi ils s’efforcent de
transformer en acquis structurels leurs gains conjoncturels. De ce point de
vue, il faut suivre de près l’évolution d’Ennahda, en Tunisie : ses relations
ambiguës avec les salafistes, son invocation d’un délit d’« atteinte au
sacré » et surtout ses tergiversations sur la Constitution ont de quoi
inquiéter. C’est une période délicate, qui s’achèvera le 23 octobre
prochain. Soit l’Assemblée constituante aura achevé ses travaux, soit une crise
s’ouvrira. Si le parti Ennahda regarde du côté de l’Égypte, il verra que le
total des forces islamistes – Frères et salafistes – est passé, entre les
législatives de janvier et la présidentielle de mai, de 70 % à 40 % des
suffrages. En effet. Nous en savons un peu plus, par ailleurs, sur l’électorat
des Frères musulmans égyptiens, qui vient surtout des classes moyennes. Ce qui
n’a rien d’étonnant, car leur ligne économique, en Égypte aussi, est aussi
plutôt conservatrice…C’est dire que la restructuration du paysage politique
s’opérera aussi autour de la question sociale, avec des forces populaires en
voie de réorganisation. Bien sûr, chaque situation nationale est différente.
Mais un point commun se dégage : une partie du peuple ne peut plus s’imposer à
l’autre. Une Tunisie ne gagnera pas contre l’autre, une Égypte n’écrasera pas
l’autre. Et cela, tous doivent l’accepter : pour que la société se recompose
par le bas, et non d’en haut, aux forceps. C’est tout l’enjeu du processus
révolutionnaire en cours, du Maghreb au Machrek ».
Si Filiu a raison de noter une perte de
crédibilité des islamistes, il n’approfondit en rien le processus de délégitimation
des bandes politico-religieuses au pouvoir face à la crise économique et se
garde de révéler que jusqu’à présent les usurpateurs de la supposée révolution
arabe ont traité avec la dame et le roi, c'est-à-dire avec Obama et Mme Clinton
pour se partager la rente pétrolière, et que les gangs islamistes sont plus
coopérant que les dictateurs évincés…
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