(mais qui révèle l’absence de la prétendue
solidarité universelle de la diaspora juive, ce cache-sexe du nationalisme juif)
« Killing Kasztner », documentaire de
Gaylen Ross (2H09, réalisé en 2008), Etats Unis, Le Juif qui négocia avec les nazis, sortie en France ce 4 avril
2012.
Cette contribution sera une synthèse documentaire à
l’intention des révolutionnaires maximalistes (et des militants ignorantins) qui seront d’abord interloqués
par une nouvelle histoire ambiguë concernant le sauvetage des juifs européens –
il faudrait dire plutôt des juifs de diverses nationalités (car comme le révèle
ledit documentaire, la plupart des juifs concernés étaient avant tout des
patriotes des pays où ils vivaient, tout comme l’immense majorité des juifs
arrêtés dans les pays de l’Est étaient des prolétaires avant d’être des
juifs ; mais ce constat les propagandes réciproques nazis/démocraties l’ont
toujours refusé). Nos amis maximalistes se demanderont aussi où classifier
cette nouvelle histoire de sauvetage mi-ratée, ambiguë d’un « Schindler
juif » et qui se termine étrangement par l’assassinat du
« sauveur » après même qu’il soit passé en jugement en Israël
après-guerre. Collabo ou sauveur, la presse française qui lance le film
s’efforce d’allécher le spectateur potentiel en individualisant le problème par
une fixette sur la personnalité du seul Kasztner et contribue encore et
toujours à faire passer sous la table la perversité du capitalisme en guerre
mondiale. Une petite frange de militants, d’anciens ou nouveaux, et des
étudiants éveillés se rappellent de la négociation avec le juif hongrois Joël
Brand (qui n’était qu’un second de Kasztner) quand la masse des endoctrinés
citoyens spectateurs du monde et des mensonges à la tonne sur l’histoire passée
se contente de sa connaissance hollywoodienne de la « liste de
Schindler » - une liste limitative pourtant elle aussi un peu comme on le
verra avec celle de Kasztner… Schindler
reste un patron efficace, qui protège « ses juifs », c'est-à-dire ses
ouvriers, lesquels ne sont pas rétribués. La bonne cause antifasciste appliquée
à l’industrie par un ponte nazi, même s’il demeure un exploiteur âpre au profit,
servira à consacrer comme un « juste » un homme incontestablement
courageux et honorable, mais qui permit la continuation du capitalisme dans les
usines libérées… M’enfin le big cinéaste Spielberg aura donné bonne conscience à
cette masse terrienne de spectateurs superficiels pour penser qu’il y eût de
bons patrons allemands, et nazis ; et que l’essentiel, concernant cette
chose monstrueuse que fût l’holocauste capitaliste, est qu’il reste
perpétuellement une source d’inspiration pour synopsis démocratique truqué.
Spielberg a refusé d’être payé pour son film, estimant qu’il n’avait pas à
profiter de la « dette du sang »; pour la propagande de leurs maîtres politiques, les artistes savent toujours qu'il y va de leur intérêt de de leur gagne-pain futur de travailler gratis.
1.
L’épisode le
plus connu… cinématographiquement.
Oskar
Schindler
(1908-1974) était un industriel
allemand
qui a sauvé durant l'Holocauste plus de 1100 personnes en les faisant
travailler dans sa fabrique d'émail et de munitions située en Pologne
(actuellement en République tchèque). Sa vie a été le sujet d'un
roman de Thomas Keneally et d'un film de Steven
Spielberg. Il est enterré au cimetière chrétien du Mont Sion
à Jérusalem.
Industriel
allemand sudète, membre du parti Nazi,
Oskar Schindler a fait fortune dans la fabrication de batteries de cuisine en
émail à Cracovie
en profitant du travail obligatoire des Juifs en dirigeant la Deutsch Emailwaren Fabrik.
Bourgeois irrité par les abus de la hiérarchie nazie à son égard, il finit par
compatir pour le sort de ses employés juifs mais strictement dans le cadre de
la marche de son entreprise.
A la demande de ses amis de
l'Inspection, Schindler s’était lancé dans la fabrication d'obus antichars dans
une aile de l'usine. Poussé par le comptable Itzhak Stern, qui a su gagner sa
confiance, il avait commencé à recruter des travailleurs juifs par l'entremise
d'Abraham Bankier et sous le contrôle du bureau de placement du Judenrat
(conseil juif). Ces derniers ne percevaient aucun salaire, leurs employeurs
versant quant à eux une dîme au quartier général SS de Cracovie : 7,5
Reichsmark par jour pour un travailleur qualifié, 5 pour un manoeuvre ou un
jeune. Mais Schindler inspirait confiance à ses recrues – en tant que patron
social modèle - en les assurant qu'ils
seraient, chez lui, à l'abri des persécutions et survivraient à la guerre.
Alors que le camp dirigé par Amon Göth
reçoit l'ordre de fermer et que des milliers de Juifs doivent alors être
transférés à Auschwitz, Schindler décide d'acheter
1 100 de ces hommes pour les « abriter » en les embauchant dans
la nouvelle usine d'armes qu'il a ouverte. Il rédige alors la liste contenant
les noms de ceux qui seront sauvés. Mais un train de femmes destinées à partir
à son usine est détourné vers Auschwitz. Elles échappent de peu à la mort et vont enfin à
l'usine de Schindler. Dans cette usine, il interdit aux gardiens tout méfait
sur les employés et ira même jusqu'à saboter sa propre marchandise pour qu'elle
ne puisse être tirée par les canons. Aidé de sa femme Émilie,
ainsi que de son comptable juif Itzhak Stern,
il sauve ainsi la vie de plus de 1 100 d'entre eux en les rachetant et en
les amenant en Tchécoslovaquie pour les faire travailler dans
une usine d'armement à Brněnec (Zwittau-Brinnlitz). Il « achète » ses employés juifs
non pas pour les libérer mais pour les ramener et les garder pour la production…
Sa légende assure qu’il orchestre ensuite la faillite
de l’usine d’armement de Brnenec, notamment (notamment seulement) pour sauver « ses »
travailleurs juifs (liste strictement exhaustive pour la postérité démocratique)et
ne pas ralentir l'avancée alliée par sa production d'armes (qu’on nomme
généralement « retournement de veste). Il se rend également jusqu'à
Auschwitz pour récupérer ses ouvrières juives dirigées vers le camp par
l'administration nazie (ce qui est tout à son honneur). Il joua parfaitement de
son charisme, de son savoir-faire pour mener à bien ses actions de sauvetage et
il y consacra aussi ses biens personnels. Ce « juste » apparaît pourtant, dans le film de Spielberg, qui
n’occulte pas les travers du personnage, typique du bourgeois ambigu tirant un
profit matériel de la situation.
Lorsque Amon Goeth, commandant du camp
de travaux forcés de Plaszow, situé à dix kilomètres de Cracovie, propose aux
industriels allemands employant du personnel juif d'installer leurs usines dans
l'enceinte même du camp, Schindler soutient que les machines de la DEF (Deutsche Emaillewaren-Fabrik) ne peuvent être déplacées sans
dommages ni perte de temps. En contrepartie, et en gage de sa bonne volonté, il
rachète à un vieux couple un terrain dont il fait un camp annexe, en payant
lui-même les frais d'installation (barrières, miradors, latrines,
bains-douches, lavoir, salon de coiffure, cabinet dentaire, magasin
d'alimentation, baraquements, etc.), pour un montant total de 300 000 Reichsmark.
Le projet est agréé avec enthousiasme par les autorités. Deux ateliers seront
construits, l'un destiné à la fabrication de marmites, l'autre à celle d'obus.
Cette année-là, la DEF présentera un bénéfice de 15, 8 millions de
Reichsmarks... Fidèle à ses engagements,
Schindler protège son personnel en maintenant les gardes SS et ukrainiens à
l'extérieur de l'usine, les officiers tant seuls autorisés à y pénétrer pour
inspection. Il veille à l'hygiène en faisant bouillir le linge pour écarter le
risque de typhus, et assure à tous une alimentation meilleure et plus abondante
qu'à Plaszow. Bien que les journées de travail soient longues (sic), personne
ne mourra d'épuisement dans son usine. Quelques mois plus tard, la guerre se
termine. Oskar Schindler et sa femme quittent le pays car ils sont pourchassés
comme criminels de guerre par les alliés (c’est du moins ce que prétend la
légende car les occupants US et russes ont pour l’heure d’autres chats à
fouetter que les industriels allemands), mais pas avant d'avoir dit adieu aux 1100
Juifs qu'ils ont sauvés et de s'être vu offrir par ces derniers une bague
portant la maxime tirée du Talmud : « Celui qui sauve une vie sauve l'humanité
tout entière ». Une belle connerie du Talmud, comme grand final de la
légende Schindler, qui conclut de cette façon minable un film à la gloire de l’industrie
capitaliste en paix, marquée du sceau de la religion rédemptrice.
2.
L’épisode moins connu…
Le glossaire
de l’Histoire d’Auschwitz mentionne à la date de mai-juillet 1944 (soit au même
moment que l’épisode précédent): Les Nazis envoient en mission le juif
hongrois Joël Brand pour essayer de marchander l’échange auprès des Alliés de
un million de juifs contre 10.000 camions. Les anglais refusèrent l’offre.
Cette notation était inconnue dans les
livres d’histoire avant l’an 2000. Ce n’est qu’une petite brochure du parti
bordiguiste « Auschwitz le grand alibi » (rédigée d’ailleurs par un
militant juif révolutionnaire décédé il y a peu) qui nous informait depuis la
fin des années 1960 qu’un infâme marchandage avait eu lieu, qui n’était pas
plus honorable du côté des négociateurs juifs que du côté des criminels nazis.
Pendant plusieurs années, le CCI, dans chaque article consacré à la Seconde
Guerre mondiale, a, très honorablement, déchiré l’hypocrisie qui avait présidé
à ces quelques marchandages « privés » et secrets (en fait je n’en ai
dénombré que deux : celui des Brand/Kasztner et celui de Schnidler) ;
voici à peu près ce que RI explique à chaque fois :
A la conférence des Alliés aux Bermudes
en 1943, les Alliés avaient même décidé de ne rien faire pour les juifs
d’Europe, laissant ainsi faire extermination (comme en Syrie aujourd’hui
quoique à une échelle moindre et dans une même opacité, nota de jlr) à
l'immense exode qu'ils auraient eu à charge si les nazis avaient choisi
l’expulsion ou le troc humain. Plusieurs marchandages incroyables eurent lieu
depuis la Roumanie et la Hongrie. Tous essuyèrent le refus poli de Roosevelt
sous prétexte de ne pas fournir des subsides à l'ennemi. La proposition la plus
connue, masquée aujourd'hui par la mafia d’Hollywood derrière l'action
humaniste très limitée du seul Schindler, mit en présence des représentants de
la bourgeoisie alliée avec Eichmann pour l'échange de 100 000 Juifs contre 10
000 camions, échange que les Alliés refusèrent : « transporter tant de monde risquerait de
nuire à l'effort de guerre », arguèrent les militaires britanniques.
UN SOUS-FIFRE DE KASZTNER
Joël Brand (1906-1964) était un juif hongrois, membre du Comité d'Aide et de Secours
d'Israël Kasztner. Il déménage
avec sa famille en 1910
en Allemagne,
pays où il devient communiste. Matelot, il fut brièvement arrêté en Allemagne en
1934 après l'incendie du Reichstag, puis émigra à Budapest.
Devenu sioniste,
il rejoignit le Mapai. En 1941, son frère fut déporté. Sa belle-sœur fut aussi déportée
lors de la rafle de Kamianets-Podilskyï (juillet 1941). Toutes les
légendes sur le secours ou l’aide automatique entre coreligionnaires s’écroulent
si on observe de près la trajectoire des uns et des autres ; dans la
guerre, c’est généralement le chacun pour soi qui prédomine comme l’illustre l’itinéraire
de Brand ; mais aussi celui de Kasztner, dans sa dimension « hongroise »
qui lui sera reprochée par l’Etat sioniste, et qui armera ainsi la main de son
meurtrier, au fond… parce qu’il aura attenté au sacro-saint mythe de la
solidarité indéfectible en diaspora nationaliste…(cf. voir plus loin).
Brand donna de l'argent à un espion hongrois, Josezf
Krem, afin de sauver sa belle-sœur d'une mort certaine, puis de faire exfiltrer
sa belle-famille. Il s'impliqua ensuite dans la contrebande et dans l'aide aux
réfugiés polonais et slovaques qui tentaient de passer la frontière hongroise,
alors encore refuge relatif contre les persécutions. Après
l'occupation de la Hongrie en mars 1944, le Comité d'Aide et de Secours de Kasztner
fut impliqué dans des négociations avec le représentant du RSHA IV, chargé des
« affaires juives », à Budapest, Adolf
Eichmann, pour sauver des « juifs hongrois ». Le 17 mai 1944, Brand fut renvoyé à Istanbul
par les « barbares nazis », afin de proposer à l'Agence juive
d'échanger « un million de Juifs contre dix mille camions » (ainsi
que du thé, du café, du savon, etc) qui seraient fournis par les Alliés. Le point de savoir
si le Reichsführer
Himmler
était informé de cette proposition, qui visait aussi à préparer une éventuelle
paix séparée, reste débattu. Aux côtés de Brand, les Allemands avaient envoyé
Bandi Grosz, un espion juif ( ? source wikipédia non indiquée), chargé par
le Sicherheitsdienst
(SD) de négocier une paix séparée avec les Américains ou les Britanniques, qui
aurait exclu l'URSS
et peut-être aussi Hitler (wikipédia ne donne aucune source
précise à cet endroit). Certaines sources, dont Brand lui-même lors du procès
Eichmann, affirment que Grosz était en fait un agent double
travaillant également pour les Alliés. De toute manière on ne saura jamais
précisément ce qui s’est passé dans ce bourbier, comme toujours on ne peut
vraiment savoir ce qui s’est dit lors de négociations secrètes et même les
historiens se laissent abuser quand les plus intelligents prennent des
pincettes. La réalité de la proposition demeure controversée à ce jour. L'historien Raoul Hilberg
affirme qu'on ne peut que spéculer à son sujet. L'historien Miroslav Kárný
estime que contrairement à la parole donnée Eichmann a ordonné des déportations
au lendemain de l'offre faite, et qu'en outre il ne restait déjà plus « un
million de Juifs » dans le Reich, et considère qu'il s'agit sans aucun
doute d'un leurre.
Lorsque Brand aurait demandé à Eichmann comment être
assuré que la proposition soit honorée, Eichmann aurait répondu non seulement
que les « escrocs » étaient les Juifs, pas les Allemands, et qu'il
était prêt à « dissoudre Auschwitz » (acte qui dépassait sa
compétence) et délivrerait progressivement les Juifs promis en fonction des
camions et du matériel fourni. Les représentants du comité d’aide de Kasztner
se rendirent en Syrie,
où ils furent arrêtés et menés au Caire
pour être interrogés par les Alliés. Si la proposition fut refusée, Brand fut
relâché et envoyé en Palestine. Il meurt en Israël
en 1964, quelques années après le procès
Kasztner et son assassinat1.
Son rôle est subjectivement décrit dans L'histoire
de Joël Brand (Die Geschichte
von Joel Brand), un récit pseudo-autobiographique écrit par Alex Weissberg et par
lui-même.
LE CAS KASZTNER
Rudolf (Rezső) Kasztner, aussi
dénommé Israel (Yisrael) Kasztner,
(1906 – 12 mars
1957) était donc le
dirigeant du Va'adat Ezrah Vehatzalah
(Vaada), ou Comité d'Aide et de
Secours, pendant l'occupation de la Hongrie
par les nazis
lors de la Seconde Guerre mondiale chargé de négocier
avec les SS l'autorisation pour 1684 Juifs de quitter la
Hongrie pour la Suisse,
en échange d'argent, d'or et de diamants, dans ce qui sera appelé le "train de
Kasztner".
Kasztner émigre en Israël
après la guerre et devient en 1952 le porte-parole du Ministre
du Commerce
et de l'Industrie.
Son rôle dans les négociations avec les SS est contesté en 1953, quand il est accusé
dans un pamphlet
auto-publié de Malchiel Greenwald d'avoir
été un collaborateur
des nazis pour avoir entre autres fourni des témoignages à décharge aux Alliés
sur l'officier SS Kurt Becher en évitant à
ce dernier d'être jugé au procès de Nuremberg. Rattrapé par son histoire « légendaire »
à lui aussi, il intente un procès à ce chroniqueur qui l’accuse ne quelque
sorte d’avoir collaboré. Greenwald est poursuivi en justice par le gouvernement israélien au nom de Kasztner, ce
qui conduit à un procès qui dure deux ans et qui se termine par une décision du
juge, stipulant qu'en
effet Kasztner « avait vendu son âme au diable »,
c'est-à-dire qu’il aurait non seulement semé des illusions sur les négociéteurs
nazis mais ne se serait préoccupé à des fins personnelles que des juifs « hongrois ».
La Cour suprême d'Israël annule ce jugement
en 1958,
mais entre temps, Kasztner a été assassiné par Zeev Eckstein. En 1957, Kasztner
avait été abattu par ce membre d’un groupuscule israélien d’extrême droite,
quelques mois avant que le jugement soit infirmé en appel.
Fut-il héros ou traître ?
Qu’a donc négocié cet homme qui, dès 1943 à
Bucarest, avait mis en place un comité de salut et de secours (la Vaada ) pour venir en aide aux
siens ? Fut-il héros ou traître ? Intriguée par cette figure et les
faits qui lui sont associés, l’Américaine Gaylen Ross a entrepris une longue
enquête qui débute sur le lieu du crime, en présence de l’assassin, libéré
après une courte peine de prison. Cette présence doit moins à un goût
malsain du spectaculaire qu’au cheminement du film lui-même, débutant dans le
doute et le malaise, s’achevant dans une impressionnante catharsis
individuelle, familiale et collective. Au long de ces deux heures intenses,
l’auteure éclaire peu à peu la démarche de Kasztner qui, avec quelques autres,
tenta de soustraire les Juifs « hongrois » de la déportation en
échange de livraisons de matériel (principalement des camions) à l’Allemagne,
mais sa démarche « hongroise » remet en cause le nationalisme juif,
ce qu’un critique de cinéma enrobe sous cette suave phrase : « Le film interroge les fondements de la société
israélienne »…
Les livraisons n’eurent jamais lieu, mais le
versement d’une forte rançon permit au premier convoi organisé par Kasztner
d’arriver jusqu’en Suisse, après avoir stationné plusieurs mois à Bergen
Belsen. Poursuivant ses efforts, le « négociateur » serait parvenu à
éviter le pire à des milliers d’autres internés, réorientés des camps de la
mort vers des camps de travail. La cinéaste Gaylen Ross montre la culpabilité
des survivants du convoi aujourd’hui très âgés, qui durent vivre avec les
questions : « Pourquoi vous ? » et « En échange de
quoi ? ».
Bien que Kasztner ait été présenté, lors du
procès en Israël, comme un représentant des notables juifs et des Judenräte,
il provenait en fait d'un milieu différent que celui des notables de la
communauté juive hongroise. D'origine roumaine, il
fut contraint d'abandonner le journalisme après l'application des lois
antisémites du régime Horthy. Sioniste
et socialiste,
ces deux traits le distinguent des notables juifs hongrois lesquels, orthodoxes
ou libéraux, prônent plutôt l'assimilation et se considèrent comme des
« hongrois juifs », méfiants à l'égard de juifs venus d'ailleurs, et
par son action Kasztner n’avait-il pas souhaité être assimilé lui aussi comme « hongrois
juif » ? Il vivait modestement à Budapest,
travaillant pour de petits organismes sionistes tels que le Keren Kayemet.
En décembre 1941, Kasztner avertit ses amis juifs
de l'extermination menée sur le front de l'Est par les Einsatzgruppen
et co-fonde en janvier 1943 le Comité d'assistance, avec Joël Brand,
Ottó Komoly (qui le
préside, avec Kasztner comme vice-président mais qui en devient de fait le
dirigeant), Samuel Springmann (trésorier), deux Juifs orthodoxes sionistes et
Ernst Szilagyi, de l'Hachomer Hatzaïr (gauche). Celui-ci, allant à
l'encontre des sentiments des notables juifs hongrois, aident à traverser la
frontière aux réfugiés polonais et slovaques.
Pendant l'été
1944, Kasztner rencontre donc
Adolf
Eichmann, chargé de la déportation
des 800 000 Juifs de Hongrie vers le camp d'extermination d'Auschwitz
en Pologne. Pendant cette rencontre, le
comité d'assistance voulait aboutir à cet échange horrible de 10 000
camions fournis à l'armée allemande via l'Agence juive
par les Britanniques en échange du sauvetage d'un million de juifs. Finalement,
un accord aurait été trouvé pour sauver 1685 Juifs moyennant le versement d'une
somme de 1000 dollars
par personne sauvée (sic !). La plupart des passagers ne peuvent pas se
procurer une telle somme. Aussi Kasztner aurait-il mis aux enchères
150 places pour des Juifs fortunés de façon à payer les places pour les autres.
En plus, l'officier SS Kurt Becher (en), l'envoyé d'Heinrich
Himmler, insistait pour que 50 sièges soient réservés aux familles de
personnes qui lui avaient versé de l'argent personnellement afin d'obtenir de
sa part certaines faveurs, moyennant la somme de 25 000 dollars par
personne. Becher lors des négociations réussit aussi à augmenter le prix de la
place de 1 000 à 2 000 dollars. Le montant total de la rançon est
estimée par la communauté juive à 8 600 000 francs
suisses, bien que Becher lui-même la chiffre à seulement
3 000 000 de francs suisses.
Le 30 juin 1944, le train partit de Budapest
mais, contrairement à la parole donnée à Kasztner, il est dirigé vers le camp de
Bergen-Belsen,
où il arrive le 9 juillet avec 1 684 Juifs à bord. Les
passagers furent gardés pendant quelques semaines dans une section spéciale du
camp de concentration. En août, 318 furent admis à partir pour la Suisse, pays
resté neutre. En décembre 1944,
le reste des passagers, à part 17 qui furent contraints de rester à
Bergen-Belsen sous différents prétextes, furent autorisés à partir pour la
Suisse dans le même train.
Collaboration supposée
La réunion entre Kasztner et Eichmann aura des
répercussions à très long terme en Israël, et surtout parmi la communauté juive
d'origine hongroise. Un des points reprochés à Kasztner, est qu'il participe
lui-même à l'établissement de la liste de ceux qui seront autorisés à quitter
la Hongrie par train. De nombreux Juifs sauvés sont des parents, des amis
personnels de Kasztner ou des Juifs hongrois fortunés pouvant payer pour ceux
qui n'en ont pas les moyens, ainsi que les responsables sionistes
et de la communauté. Même pendant les négociations, des milliers de Juifs
hongrois continuent d'être déportés vers le camp d'Auschwitz.
La plupart des Juifs sauvés par Kasztner le
considèrent comme un héros qui a risqué sa vie en négociant avec Eichmann. Cependant
d'autres Juifs hongrois s'interrogent pour savoir si Kasztner devait négocier
avec Eichmann et si Kasztner, au lieu d'un héros, ne serait pas plutôt un
collaborateur. En 1960,
seize ans après sa rencontre avec Kasztner, Eichmann raconte au magazine Life que Kasztner « avait accepté de faire tout son possible pour que les Juifs n'opposent
aucune résistance à leur déportation, et même qu'ils se comportent correctement
dans les camps de regroupement, si je fermais les yeux et laissais quelques
centaines ou quelques milliers de jeunes Juifs émigrer vers la Palestine.
C'était une bonne affaire. »
En mai 1944,
Kasztner et beaucoup d'autres responsables juifs savent, après avoir reçu fin avril 1944, le rapport Vrba-Wetzler, que les Juifs sont
envoyés à la mort. Ce rapport est communiqué aux responsables des organisations
juives dans l'espoir que les Juifs hongrois soient avertis qu'ils sont envoyés
dans des camps de la mort et non dans des camps de regroupement, comme on le
leur fait croire. Cependant, ce rapport n'est pas rendu public par Kasztner et
les autres responsables de la communauté juive hongroise.
En particulier, le 3 mai 1944, lorsque Kasztner se
rend à Cluj,
douze jours avant le début des déportations, il omet d'informer la communauté
juive, mis à part les notables à qui il offrait des places sur le train vers la
Suisse, du sort qui les attend. Les notables [avertis par Kasztner, lui-même
venant d'un milieu différent des notables de la communauté juive hongroise]
furent dès lors acculés à collaborer « objectivement » avec les
nazis, puisque ceux-ci, par l'entremise de Kasztner, leur promettaient la vie
sauve, à la condition formulée seulement de façon implicite mais sans qu'il y
ait de doute sur le sens du marché, qu'ils diffusent des nouvelles rassurantes
auprès du vaste public qui leur faisait confiance, endorment toute vigilance,
et donnent la consigne d'obéir sans broncher aux ordres des autorités,
hongroises ou allemandes. Opération de mystification répétée à plus grande
échelle, lorsque la liste des passagers du train de la survie, dont le départ
eut lieu effectivement le 30 juin 1944, fut élargie pour
inclure non seulement les Juifs de Cluj, à l'origine pris en compte en
priorité, mais les membres d'organisations juives de toutes sortes sur
l'ensemble de la Hongrie (...) Et Kasztner n'oublia pas d'inscrire sa famille
et ses amis sur la liste qui assurait le salut. »
À la fin de la guerre, 450 000 Juifs
hongrois auront été assassinés. Les détracteurs de Kasztner prétendent qu'il
s'est mis d'accord avec Eichmann pour ne pas avertir les Juifs hongrois de la
menace qui pèse sur eux, afin de ne pas mettre en danger les négociations pour
sauver les Juifs qui s'échapperont par le « train de Kasztner ». Les
défenseurs contemporains de Kasztner soutiennent que cet accord sur le train
faisait partie du projet beaucoup plus important de négociations que de sauver
tous les Juifs hongrois, le fameux « un million de Juifs hongrois contre
10 000 camions » ou l’affaire Joël Brand, que j’ai évoquée ci-dessus.
La défense de l'officier SS Kurt Becher
Renvoi d’ascenseur naturel… Au début de 1945, Kasztner voyage en Allemagne
avec Kurt Becher (en), qui a reçu l'argent et les objets de valeur
payés pour sauver les Juifs du train. Himmler a ordonné à Becher d'accélérer la
destruction des camps de concentration, alors que les alliés gagnent du
terrain, dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale. Bien que
Kasztner soit un Juif hongrois et Becher un officier SS, il semble qu'ils aient
travaillé correctement ensemble. Après la guerre, Becher est jugé à Nuremberg
pour crimes de guerre. Kasztner témoigne
en sa faveur, déclarant que Becher est « taillé dans un bois différent de ceux des meurtriers de masse
professionnels de la SS politique ». Sa défense d'un officier SS
met en colère la communauté juive hongroise, même plus que ses négociations
avec Eichmann. En tout, Kasztner témoigne cinq fois, de 1946 à 1948, en faveur de Becher
et des autres SS impliqués dans les négociations sur le train et la rançon.
Le Procès Kasztner ou la surenchère nationaliste juive
Kasztner émigre en Israël après la guerre, et devient
actif au sein du Mapaï (centre-gauche). Il est candidat
deux fois mais ne réussit pas à être élu à la Knesset
(Parlement israélien), et est nommé porte-parole du Ministre du Commerce et de
l'Industrie en 1952.
Son rôle dans les négociations avec les SS pour sauver des Juifs hongrois fait
la une du journal de droite Hérout (en)
en 1953,
quand il fut accusé par Malchiel Gruenwald (en), écrivain
amateur et pamphlétaire activiste d'extrême
droite :
- de collaboration avec les nazis ;
- d'avoir favorisé le meurtre des Juifs hongrois ;
- d'être complice avec l'officier nazi Kurt Becher (en) du vol de biens juifs ;
- d'avoir, après la guerre, évité à Becher le châtiment qui lui était réservé.
Ironiquement, Gruenwald lui-même fut plus tard accusé
d'avoir demandé aux autorités britanniques d'empêcher un
navire de réfugiés, le SS Patria (en), d'accoster en
Palestine. Gruenwald accusait entre autres Kasztner d'avoir été placé en bonne
position sur la liste législative du Mapaï, alors qu'en fait il avait été placé
suffisamment bas pour que le Mapai soit sûr qu'il ne soit pas élu. Haim Cohen, procureur général d'Israël et ministre de la
Justice, décide alors que les accusations de Gruenwald doivent soit faire
l'objet de réparations lors d'un procès en diffamation,
soit admises par Kasztner qui devrait alors démissionner, le nouvel Etat d'Israël
ne pouvant se permettre, selon ses termes, qu'un homme sur lequel pèserait un
soupçon sérieux de collaboration avec les nazis ne soit investi de fonctions
officielles.
Gruenwald fut poursuivi en justice pour diffamation
par le gouvernement de centre-gauche pour le compte de Kasztner. Son avocat, Shmuel Tamir , est un
ancien membre de l'Irgoun,
ex-chef du service des renseignements de l'Irgoun à Jérusalem, et un partisan
de l'aile droite du parti d'opposition Hérout
conduit par Menahem Begin. Tamir fait du procès en calomnie
contre son client un procès politique contre Kasztner et par ricochet contre le
Parti travailliste. Appelée à la barre le 14 juin 1954, la mère de l'héroïne
juive hongroise Hannah Szenes accuse aussi Kasztner d'avoir
refusé de la recevoir après l'arrestation de sa fille et de ne lui avoir fourni
aucune aide. Après deux ans de procès, dans son jugement, le juge Benjamin
Halevi, du tribunal de grande instance, acquitte Gruenwald de calomnie pour le
premier, second et quatrième chef d'accusations. Il écrit :
« Le parrainage
nazi de Kasztner et leur accord pour lui laisser sauver six cents Juifs
importants, faisaient partie du plan d'extermination des Juifs.
Kasztner avait une chance d'en ajouter quelques uns à ce nombre. La tentation
l'a séduit. L'opportunité de sauver des gens importants lui plaisait
énormément. Il considérait le sauvetage des Juifs les plus importants comme un
grand succès personnel et un succès pour le sionisme. C'était un succès qui
justifierait aussi sa conduite – ses négociations politiques avec les nazis et
le parrainage nazi de son comité. Quand Kasztner recevait son cadeau des nazis,
Kasztner vendait son âme
au satan
allemand ». La décision du gouvernement israélien de faire appel au nom de
Kasztner conduit à sa chute et à de nouvelles élections.
Kasztner devient alors le symbole du « parvenu » ou du « notable
juif » qui aurait préféré négocier avec les nazis afin de protéger ses
proches en sacrifiant les plus modestes de la communauté juive, figure
diamétralement opposée à celle du héros résistant figurée par Hannah Szenes
ou par les insurgés du ghetto de Varsovie.
Le 3 mars 1957, Zeev Eckstein, jeune
homme d'extrême droite alors âgé de 24 ans, et qui n'a aucun lien avec l'Holocauste,
lui tire dessus. Kasztner meurt de ses blessures neuf jours plus tard. En se
basant sur des rapports de la Cour israélienne, le journaliste et écrivain Ben Hecht
écrit qu'Eckstein était, quelques mois avant l'assassinat, un indicateur payé
par les services de renseignements du gouvernement israélien.
La Cour Suprême d'Israël annule la plus
grande partie du jugement et innocente Kasztner en 1958. La décision est
justifiée dans son rapport par :
- Pendant cette période, Kasztner n'était motivé que par son désir de sauver des Juifs hongrois, dans leur ensemble, c'est-à-dire le plus grand nombre possible qu'il estimait pouvoir sauver dans les circonstances de l'époque.
- Ce motif était conforme au devoir moral de secours auquel il était soumis en tant que responsable du Comité d'Aide et de Secours de Budapest.
- Influencé par ce motif, il adopta la méthode de négociation financière ou économique avec les nazis.
- Le comportement de Kasztner semble à la fois plausible et raisonnable.
- Son comportement lors de sa visite à Cluj-Napoca (le 3 mai) et ultérieurement, aussi bien son aspect actif (le plan des « juifs importants ») et son aspect passif (cacher les « nouvelles d'Auschwitz » et le manque d'encouragement pour des actes de résistance et d'évasion sur une large échelle) est conforme avec sa loyauté à la méthode qu'il considérait, pendant les moments cruciaux de la négociation, comme étant la seule chance de sauvetage.
- En conséquence, on ne peut pas trouver de faute morale dans son comportement, on ne peut pas trouver de lien entre son comportement et la facilité du transport et de la déportation des Juifs hongrois, on ne peut pas considérer son comportement comme une collaboration avec les nazis.
Contrairement aux années 1950, le procès de Kasztner
représente aujourd'hui en Israël, selon l'historien M. Kriegel, « avant
tout l'incapacité du jeune Etat (...) à saisir la nature des dilemmes
qu'affrontaient les membres des conseils juifs, et sa tendance à resserrer
toute la distribution, sur le théâtre de la Shoah, sur les deux seuls rôles du
héros et du traître. Une société qui (...) considère dorénavant le procès de
1954 comme l'un des symptômes les plus problématiques
de la maladie infantile de son nationalisme (je souligne, jlr). »
Cette perception tranche cependant avec l'arrêt de la Cour, qui ne reprochait
pas à Kasztner de n'avoir pas mené une révolte, mais surtout de n'avoir pas
averti les juifs de Cluj
du destin qui les attendait dans les camps, ainsi que de ne pas avoir aidé les
parachutistes juifs, dont Hannah Szenes, voire d'avoir « quasiment
obligé » deux d'entre eux de se livrer à la Gestapo,
et d'avoir témoigné en faveur du SS Becher.
Des questions posent problème aux journalistes
naïfs : pourquoi Kasztner a-t-il
démenti, lors de son procès, qu'il avait témoigné en faveur des officiers nazis
? Ce mensonge couvrait-il l'aval des autorités sionistes et leur implication
dans ces négociations ? Quant à son assassin, agent infiltré des services secrets au sein
de l'extrême droite, libéré de prison dès 1964, faut-il le croire lorsqu'il prétend avoir été retourné par l'idéologie qu'il était censé combattre ? Faut-il porter davantage crédit à sa version de l'assassinat, selon
laquelle la balle qui a tué Kasztner provenait d'un tireur embusqué ?
« Ces questions, dit l’un, jalonnent le
film très documenté de Gaylen Ross, mais n'en épuisent pas la substance. Car la
réalisatrice ne se contente ni de son travail d'enquête, ni des
supputations qu'elle suscite. Elle fait de son film un acteur de l'Histoire, en
convainquant à la fois la fille et la petite-fille de Kasztner, mais aussi bien
son assassin, non seulement d'y témoigner, mais de se rencontrer pour la première fois. Ce "scoop" qui
confine à la télé-réalité est le point d'orgue d'une mise en scène qui ne
lésine pas sur les moyens de captiver le spectateur, depuis le suspense qui gouverne son
récit jusqu'à la reconstitution du crime sur fond musical emphatique, en
passant par un happy end tiré par les cheveux. L'affaire Kasztner, suffisamment
tragique, n'en demandait pas tant. Reste une enquête impressionnante et une
histoire forte, dont on aurait aimé que les nombreuses hypothèses, ainsi que
les implications politiques, soient davantage passées au filtre de l'expertise
historienne ».
Voilà c’est tout. Vous êtes documenté. Vous
pouvez aller voir le film. Mais que cela ne vous empêche pas de réfléchir à la
grande histoire, celle de la lutte des classes, et de bien considérer que
la victimologie juive persiste à voiler les causes et conséquences de la
Seconde Guerre mondiale. Sous le masque du nationalisme juif, à prétention
universaliste.
PS : Pour réfléchir sur le nazisme en tant que « modernisme »,
«avant-gardiste du capitalisme décadent » et sa perpétuation… sarkozienne,
je suggère de lire Franz Neumann, ami de Marcuse, décédé accidentellement en
1954), Behemoth, grand classique et « Notes on the theory of Dictatorship »
où il énumère cinq facteur qui caractérisent le totalitarisme moderne :
passage de l’Etat de droit (Rechtstat) à l’Etat policier ; concentration
du pouvoir ; existence d’un parti monopolisant le pouvoir d’Etat ;
contrôle par l’Etat de tous les aspects de la société ; enfin,
instauration de la terreur. Ce totalitarisme étatique est typiquement un
produit de la société industrielle ou même post-industrielle, à la fois en
raison du besoin d’organisation que celle-ci engendre, et en raison des masses
désorganisées et des groupes déclassés qui lui fournissent ses troupes.
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