Incontestablement le lourd volume consacré à une biographie de Radek, par Jean-FrançoisFayet, réalisé sous la direction d'Eric à Toulouse, mérite des louanges. D'abord parce qu'il se lit comme un roman hugolien de 700 pages. Pas ce blabla et ronchonnant, ou redondant, des ouvrages militants « connaisseurs » des « fractions de gauche », diplômés es stalinisme, radoteurs de ce qu'il faut comprendre de la gloire et de la déchéance d'Octobre 17. Ce n'est pas non plus un roman pour lecteurs de Voici ou lecteur fervent des niaiseries de LO et LFI.
Le cheminement de l'itinéraire est fondé sur de nombreuses sources, qu'on est épargné de se fader, elles sont compilées en fin d'ouvrage. Cet itinéraire n'est pas non plus idéalisé ni fixé sur la seule personnalité de Radek, mais peint de tableau de toute cette génération de révolutionnaires marxistes à cheval sur le 19 ème et le 20ème, soucieux, et capables, de transmettre et continuer l'héritage socialiste en le concrétisant ou le réaffirmant, ou le dépassant comme perspective communiste.
Pas un tableau nunuche et idéalisé de ces combattants du prolétariat contrairement aux bondieuseries des thèses ou ouvrages militants. Rien n'est caché des faiblesses humaines, des compétitions mesquines même chez ceux que nous admirons depuis toujours, Rosa Luxemburg et son entourage, Lénine lui-même rétif à tout souhait d'être déifié, les petites manœuvres entre bolcheviques, les coups bas. Nul dénigrement en vérité de cet extraordinaire mouvement social et politique qui ébranla le monde entier. On n'est pas chez ces compilateurs anarchistes qui recopient les fadaises et les haines de classe des historiens bourgeois, qui s'offusquent des mesures d'une terreur circonstancielle et à laquelle ils auraient eu recours s'ils avaient été en situation de responsabilité.
Cette lucidité en impose parce qu'elle vient revaloriser le génie de la révolution malgré les querelles, les diatribes entre groupes et individus avec parfois les pires accusations débiles qui devraient faire réfléchir les principaux procureurs moralistes des minorités d'aujourd'hui où personne n'est blanc ni complètement rouge, mais imagine liquider l'adversaire par l'opprobre injurieux, javelisation du contradicteur qui ouvrirait la voie à la révolution pure, nonobstant tout goulag infamant supposé par ces menteurs forcément coupables de collaboration avec « l'Etat démocratique bourgeois » puant et putrescent.
Est remarquable la façon d'expliquer le passage à la contre-révolution, pas fondée sur la pitoyable dénonciation du sinistre personnage de Staline à la manière simpliste des trotskiens ni par l'excommunication de la figure aussi simpliste du traître par nos maximalistes de la phrase. Le repli de la révolution est plus complexe à expliquer que la « montée du stalinisme ! Même Staline est longtemps dans la confusion car de plus il n'est pas assez intelligent pour être l'incarnation du diable absolu.
Sur ce plan l'étude du comportement de Radek, qui est à mon avis le quatrième personnage de l'Etat « soviétique » (sans soviets), après les Lénine, Trotsky, Boukharine, et plus que Zinoviev, est fondamentale. Fondamentale pourquoi ? Parce qu'il est et restera le principal diplomate de l'expérience en Russie. D'ordinaire, les connaisseurs raisonnent comme raisonnent historiens et journalistes bourgeois, comme si le camp révolutionnaire était un calque de l'arc en ciel des cliques parlementaires capitalistes. Feu donc sur les « droitiers » Boukharine, etc. Or les motivations de ces dits droitiers ne sont nullement bourgeoises. Certes ils s'identifient à la préservation de « l'Etat prolétarien » sans vraiment voir qu'ils sont emportés dans le courant de la contre-révolution et favorisent la montée de tout ce qu'une société en crise comporte comme fonctionnaires arrivistes et sans scrupules, sans oublier, plus lancinant encore la misère rampante, omniprésente, la peur ; et enfin, mais oui enfin, les terribles désillusions. On n'est pas un révolutionnaire réaliste et honnête si on ne considère l'échec que comme l'accumulation de rivalités de personnes.
Et de la même manière, l'affirmation de l'Etat russe, qu'on a simplifié comme « stalinisme » comme s i Staline avait été le tout puissant seul maître du jeu, est une farce pour écoliers. Radek comme Boukharine, même s'il est laid et poilu reste un type de révolutionnaire intransigeant. Il est utilisé par l'Etat bourgeois renaissant. Staline est un crétin inculte. Il a besoin de Radek bien connu au niveau international, apprécié et respecté par les autres diplomates. Lénine savait toutes ses qualités, d'où leur proximité pendant les années de feu.
Paradoxe qui n'en est pas un, la contre-révolution a eu besoin de certains des meilleurs vrais révolutionnaires pour assurer sa « transition » avant de les tuer chacun à leur tour..
Un livre indispensable pour tout néophyte en milieu étudiant qui veut comprendre les raisons de l'échec du début de révolution mondiale, et pour le lecteur qui apprécie tout historien intelligent et soucieux de coller au plus près de la réalité historique, des joies et des défaites.
Un révolutionnaire puant et criminel à qui Rosa Luxembourg refusait de parler…
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