Préface au livre de Simon Pirani,par Eric Aunoble
La Révolution bat en retraite, La nouvelle aristocratie communiste et les ouvriers (Russie 1920-24) [2008] Les Nuits Rouges, Paris, 2020 (livre dont je conseille vivement la lecture à tout ce microscopique milieu maximaliste qui se croit connaisseur révolutionnaire grâce à des bribes d'histoire collectés de ci de là dans tel ou tel bouquin ou qui croient posséder la véritable histoire de la contre révolution et du stalinisme, non ils ne connaissent rien du point de vue ouvrier, c'est dans ce travail récent d'historien qu'on lira la vérité de l'échec, qui, toutefois confirme quand même mais plus précisément les analyses de ce qu'on nomma jadis, et à tort, l'ultra-gauche anti-léniniste! La focalisation sur le grand méchant Staline ne permet pas de comprendre l'installation de la contre-révolution, il n'est d'ailleurs mentionné qu'épisodiquement. L'historien, enrichi d'un travail de fond sur la base des archives les plus récentes décrit ce qui se passe "dans" la classe ouvrière et comment le parti "communiste" au pouvoir tente de la berner, et ce sont bien les bolcheviques pourtant de la première heure qui font le sale boulot...étatique que le régime stalinien ne fera que poursuivre et "approfondir"! Où l'on voit aussi que les diverses oppositions dites "gauche communiste", souvent plus ouvriériste que politique, restent au fond complices de l' Etat "prolétarien" comme beaucoup d'ouvriers du moment que le salaire sous forme de troc reprend la forme argent et que le niveau de vie s'améliore peu à peu. Eric Aunoble apporte aussi des éléments de réflexion intéressants dans son introduction avec le terme de "stabilisation" qui caractérise plus justement le moment du début de la contre révolution dans l'isolement national.
Cette même période de stabilisation peut nous permettre de comprendre la prégnance idéologique d'un Poutine sur la population russe actuelle; sur 146 millions de russes, 100 millions sont payés par l'Etat! Et cette même population n'a jamais oublié la misère des années 1920-1930 ni les terribles années de privations et de faim pendant la deuxième boucherie mondiale. Poutine n'est ni un nouveau Lénine ni un nouveau Staline mais le chef terroriste pitoyable d'un Etat gangster qui tient en otage sa population...mais ne peut la précipiter complètement dans sa guerre de rapine impérialiste.
Ce livre de Simon Pirani décrit l’action des ouvriers russes de 1920 à 1924, au début de la stabilisation du régime soviétique. Avec quelques autres ouvrages récemment traduits ou réédités .Il achève de donner au lecteur français une vision d'ensemble du rôle des ouvriers dans les révolutions russes. Cent et quelques années après 1917, il était temps ! Oskar Anweiler avait relaté la naissance et l’évolution des conseils ouvriers depuis 1905.Traduit en 1972, son livre a été réédité chez Agone en 2019. L’action du parti bolchévique en 1917dans le bastion prolétarien de Petrograd est connu grâce au travail d’Alexander Rabinowitch, traduità la Fabrique en 2016
. Stephen Smith a décrit les modalités de l’intervention ouvrière sur les lieux de travail toujours à Petrograd et leur transformation juste après la révolution d’Octobre. Le lecteur français a pu en prendre connaissance grâce aux Nuits rouges en 2017
. Enfin, les éditions Syllepse ont publié également en 2017 l’étude de David Mandel sur la classe ouvrière de la capitale du Nord jusqu’en juin 1918, quand la guerre civile commence
Ce tour d’horizon bibliographique ne vise pas seulement à donner des idées de lecture. Quand les grandes maisons d’édition ressassent sur la nocivité du totalitarisme, c’est aussi un hommage aux « petites » maisons qui, elles, donnent à lire et à réfléchir au problème central de la révolution russe.
En effet, alors que le rôle des travailleurs est fondamental dans le renversement du tsarisme en Russie mais aussi dans la destruction du pouvoir patronal dans les usines, comment expliquer que le nouveau régime, censé incarner la « dictature du prolétariat », se soit transformé en dictature sur le prolétariat ? On rappellera à grands traits les étapes de ce processus qui vit la révolution prendre une force incroyable dans sa composante ouvrière avant que la contre-révolution ne se forme en son sein même.
Le prolétariat, de l’offensive à la retraite
Numériquement marginaux, les quelques trois millions d’ouvriers russes apparaissent dès1905 comme la force motrice de la contestation dans ce pays de 150 millions d’âmes. Leur manifestation réprimée en janvier à Petrograd alors qu’ils imploraient la protection du souverain libère la colère du peuple et la grève générale du mois d’octobre qui paralyse l’immense pays arrache au tsar les premières libertés démocratiques. En décembre, le conseil des délégués ouvriers(soviet ) de Saint-Petersbourg s’affirme comme un contre-gouvernement prolétarien et Moscous s'embrase dans une insurrection dont l’épicentre est le quartier ouvrier de la Presnia (dont il sera beaucoup question dans ce livre).
Lire la suite ici :
(99+)
La question ouvrière dans la Révolution russe | AUNOBLE Eric - Academia.edu
La Révolution bat en retraite (extraits)
La nouvelle aristocratie communiste et les ouvriers (Russie
1920-24)
Simon PIRANI
On a
souvent du mal à se représenter comment la Russie est passée de la prise du
pouvoir par les bolchéviques fin 1917 à la terreur stalinienne. Sur les
traces de Stephen A. Smith (Pétrograd rouge), Simon Pirani a choisi de décrire
une partie du processus en étudiant la vie quotidienne et les conditions de
travail des ouvriers de Moscou pendant la période 1920-24, et en se faisant
l’écho de leurs revendications et de leurs protestations face à une classe
dirigeante en formation qui alternait encore répression et dialogue. L’auteur
explique que les travailleurs soviétiques en général, au sortir des ravages
de la guerre civile, firent le choix de soutenir nolens volens le nouveau
régime, afin de rétablir la production des marchandises indispensables et un
minimum de régularité dans les approvisionnements alimentaires – et ce
malgré l’écrasement de la révolte de Cronstadt et des grèves de Pétrograd
en 1921. Mais ce choix, ils le firent, insiste Pirani, en sachant bien qu’en
échange ils devraient abandonner les quelques libertés et pouvoirs politiques
qu’ils détenaient encore.
Renégats, opposants, suicidés et administrateurs
Le Parti en 1921
La vie dans les rangs
bolchéviques changea radicalement au cours de la première année de la NEP.
Une minorité importante des « communistes de la guerre civile » se sentirent
d’un coup étrangers au parti, souvent parce qu’ils pensaient que celui-ci abandonnait
la classe ouvrière et que la lutte contre la bureaucratie était perdue. Leurs
tentatives de structurer leur opposition, que ce soit à l’intérieur ou à
l’extérieur du parti, se heurtaient à la répression. D’autres, qui en 1920
avaient nourri des espoirs exagérés de succès rapides dans la marche vers le
communisme, perdaient ces illusions. Mais, pour la plupart des militants, la
reprise économique les conduisit à aller occuper des postes administratifs dans
la machine d’Etat soviétique, pour lesquels ils n’étaient souvent pas préparés.
A la fin de 1921, ces travailleurs-devenus administrateurs – ainsi que les
soldats-devenus administrateurs et les administrateurs-devenus
bolchéviques – formaient la majorité du parti au sein duquel la nouvelle
élite dirigeante commençait à s’assurer des appuis. Mais au fur et à mesure que
le parti consolidait son rôle dans l’Etat, son implantation parmi les
travailleurs s’affaiblissait. Ses militants travaillant en usine devenaient
minoritaires, et parmi ceux-ci ceux qui étaient effectivement devant les
machines plutôt que derrière des bureaux devenaient minoritaires au sein de
cette minorité. Les discussions sur les formes alternatives de pouvoir
politique et d’organisation de l’Etat qui avaient fait rage en 1920 furent mises
de côté. Selon l’explication prédominante, la racine des problèmes du parti
était constituée par l’influence exagérée des éléments petit-bourgeois. Il
fallait s’y attaquer en formant les membres de la classe ouvrière à l’art de
gouverner et en augmentant leur proportion au sein des responsables. C’est ce
raisonnement qui inspira la purge menée à la fin de 1921. Mais sa mise en œuvre
manifestait l’absence d’unanimité sur la relation du parti avec l’Etat :
certains essayaient d’utiliser la rhétorique antibureaucratique comme une arme
contre les privilèges de l’appareil, tandis que d’autres y voyaient surtout une
occasion de faire taire les oppositions.
Avec l’introduction de
la NEP, un nuage d’incertitude politique s’installa sur le parti. le
centraliste-démocratique Ossinski avait fait une tournée dans les provinces
centrales de la Russie en avril-mai 1921 et, à son retour, avait signalé au
Comité central (CC) que la nouvelle politique n’avait « pas été comprise » par
les militants. Sur sa proposition, une conférence spéciale fut convoquée du 26
au 28 mai.1 Ses procès-verbaux, qui ne furent jamais publiés, révèlent de
profondes divergences. Le soutien enthousiaste de Lénine au libre-échange des
produits agricoles excédentaires y était remis en question par les responsables
de l’approvisionnement alimentaire, qui craignaient que les forces du marché ne
succombent à leurs vieux démons. Mais ces responsables furent à leur tour
accusés de continuer à réquisitionner les céréales comme si la décision de leur
abolition n’avait jamais été prise. De leur côté, les organisations du parti en
milieu rural interprétèrent l’appel de Lénine à l’initiative locale comme l’autorisation
de se subordonner l’appareil d’approvisionnement alimentaire. Les communistes
des villes, y compris les moscovites, exprimaient la crainte que l’industrie ne
soit délaissée et la classe ouvrière perdante si des compromis indus étaient
passés avec la paysannerie. Larine, le journaliste Lev Sosnovski2 et d’autres
craignaient que la campagne proposée par Lénine pour relancer la petite
industrie puisse, si elle n’était pas correctement menée, nuire à la grande
industrie et, par extension, à la classe ouvrière et à l’Etat ouvrier. La
conférence entendit également des rappels sur les niveaux d’incompréhension
pure et simple de la NEP dans les rangs du parti.3 Les changements dans les
systèmes de versement des salaires, la location des usines aux anciens
propriétaires et l’échec jusqu’à présent du plan de relance de la grande
industrie avaient « provoqué le chaos [au sein du parti], encore aggravé par la
famine [de la Volga] », ainsi que le rapporta Zaslavski à Molotov : « Les
membres du parti issus de la base, au niveau intermédiaire et très souvent
supérieur, adoptent un ton absolument inacceptable dans les discussions sur les
récents décrets [de mise en œuvre de la NEP] » ; les réunions de militants
présentent des « caractères inopportuns et oppositionnels » ; et, pire encore,
il n’y a pas d’informations claires émanant de la direction centrale.4
La désaffection des
communistes de la guerre civile.
Un flux constant de
démissions, notamment de la part de militants ouvriers de valeur, s’accéléra au
début de 1921. Ainsi, l’organisation régionale de Moscou passa de 52 254
membres en juillet 1920 à 50 836 en juin 1921, puis à 40 767 en septembre
1921 et à 34 436 en février 1922 après la réinscription nationale.5 Mais
une minorité avait démissionné pour des raisons clairement politiques. Le
secrétaire du CC, Molotov, attribua ces « démissions individuelles ou
collectives » à une « vacillation », suite au tournant politique pris lors du
Xe congrès.6 Mais le malaise était plus profond. Les départs avaient
commencé avant, résultant en partie de l’accroissement des pouvoirs et des
privilèges. La cellule de Goznak dut accepter la démission de six membres actifs
entre novembre 1920 et mars 1921. Celle de l’AMO connut au même moment des
départs importants (voir chapitre 1). Ignatov déclara au Xe congrès que les
départs « en masse » de militants ouvriers prouvaient que le parti avait «
rompu ses liens » avec la classe dont il était censé être l’avant-garde.7 Les
démissions expriment les inquiétudes de la base concernant le « bureaucratisme
», expliquait en avril 1921 dans une lettre à Lénine, G. Lébédev, un
responsable du district de Gorodskoï, qui avait signé le manifeste d’Ignatov en
février 1921 mais avait renoncé à toute activité oppositionnelle après le
Xe congrès.8 Lébédev avertissait que « non seulement des travailleurs pris
individuellement, mais des cellules ouvrières entières, partaient ». Il donnait
à Lénine l’exemple du groupe communiste de l’atelier d’imprimerie du
Registroupr (les services de renseignement de l’armée), où lui-même avait été
envoyé pour prévenir une démission collective qui s’annonçait.9 Il expliquait
la position du leader du groupe, Ermolaïev, typographe et communiste « éclairé
et indépendant », récemment promu à sa direction. Les raisons de sa démission
concernaient « l’éloignement du parti des masses prolétariennes »,
« l’exploitation de la base et du prolétariat dans son ensemble par les
dirigeants du parti » et la généralité du « népotisme, du trafic d’influence et
du marchandage, [ainsi que la disparition de] la fraternité et de l’égalité
».10 Ermolaïev avait adhéré en octobre 1919 pendant une « Semaine du parti ».
Au cours des dix-huit mois qui s’étaient écoulés, celui-ci n’avait fait que se
détourner de la classe ouvrière et même avait « depuis longtemps cessé d’être
un parti ouvrier » disait Ermolaïev qui en tant qu’ouvrier ne voulait pas le
cautionner en demeurant dans ses rangs. Il avait ensuite préconisé la
construction d’un « parti communiste ouvrier », distinct des bolchéviques.
Lébédev signalait à Lénine que ces militants en instance de départ et d’autres
restaient en contact les uns avec les autres, et lui confiait ses soupçons
qu’ « un parti parallèle était en train de s’organiser ». Cette
crainte était justifiée.
La tentative la plus
avancée en ce sens fut celle de Panioutchkine, dont le « Parti socialiste
ouvrier et paysan » trouva des soutiens parmi les communistes dissidents des
districts de Gorodskoï et de Bauman.11 Le premier manifeste du groupe dénonçait
la corruption idéologique et organisationnelle du parti bolchévique « sous
l’emprise d’éléments étrangers aux travailleurs », qui avaient créé une
atmosphère « de chaos, de bacchanales, de manigances absurdes, de clientélisme,
de pratiques brutales et de toutes les formes imaginables de khlestakovchtchina
».12 Tout cela, « il était impossible de le combattre » en restant dans ses
rangs. L’introduction de la NEP amena Panioutchkine à conclure que la direction
bolchévique avait rendu « à la bourgeoisie » le pouvoir conquis par les
ouvriers en octobre 1917. En mars 1921, juste avant de quitter le parti, il
dénonça les décrets du Sovnarkom sur l’impôt en nature et la libéralisation du
commerce comme « favorisant les capitalistes, les propriétaires terriens et la
bourgeoisie ». Mais le RKSP était plus qu’une réaction impulsive à la NEP. En
politique, il cherchait à restaurer la démocratie soviétique de 1917, comme le
montrait son appel aux sans-parti du soviet. Dans le domaine économique, il
soutenait les « syndicats de production » défendus par l’Opposition ouvrière ;
proposait que toutes les nominations administratives se fassent par
l’intermédiaire de ces syndicats, et que les personnes ainsi nommées soient à
l’abri des vetos du Conseil suprême de l’économie (VSNKh) ou de ses organes
affiliés ; et aussi qu’elles puissent être immédiatement révocables par les
syndicats, en cas de besoin.13 Le RKSP se développa rapidement au cours de ses
quelques semaines d’existence active, entre avril et juin 1921. Il recruta 200
à 300 personnes et installa un local dans le centre de Moscou, où se tenaient
des réunions qui pouvaient en attirer près de 100. Ce parti envoyait aussi des
agitateurs sur les lieux de travail et organisait des assemblées plus
importantes avec des ouvriers et des soldats, au cours desquelles ils
cherchaient à entamer la discussion avec les bolchéviques.14 Le 7 juin, les
locaux du RKSP furent perquisitionnés. Au moins 18 personnes furent arrêtées,
Panioutchkine et d’autres emprisonnés ou envoyées en exil administratif,
c’est-à-dire sans jugement. Comme les cibles étaient vraisemblablement des
communistes, même dissidents, la Tchéka se sentit obligée de justifier son
action en prétendant que le RKSP « essayait » de corrompre des fonctionnaires
et « se préparait » à voler du matériel d’impression. Mais au Comité de Moscou
(CM), Zélenski reconnut qu’il ne s’agissait que de « mettre hors d’état de
nuire [les partisans de Panioutchkine] ». Celui-ci sera libéré sous
caution en décembre 1921. Puis, il rencontrera Lénine pour « reconnaître son
erreur » avant d’être réadmis au sein du parti.15
Un autre groupe de
dissidents qui rompit avec le parti en 1921, les « Communistes de gauche
révolutionnaires », accusait la direction bolchévique d’en être « revenue au
capitalisme ». Ils appelaient à voter aux élections des soviets pour des «
communistes du rang, des syndicalistes, de l’Opposition ouvrière et de la
gauche » en général plutôt que pour ceux qui, « sous l’influence du sommet, ont
abandonné et oublié nos intérêts ». Ce groupe affirmait que, pour avoir tenté
de réformer l’organisation du parti de Moscou et de contester la « démagogie
kaménevienne », ses membres avaient été « poussés dans la clandestinité ». Il
reprenait les arguments des communistes de gauche au niveau international,
dénonçant la politique de « Front uni » 15* du Comintern comme étant
préjudiciable aux luttes des travailleurs allemands et anglais.16
Il faut faire une
distinction entre ces opposants, qui quittaient le parti pour poursuivre un
combat politique, et les autres communistes qui en démissionnaient par
désillusion. Pour les Panioutchkine et les Ermolaïev – ainsi que pour les
opposants restés à l’intérieur du parti –, le marxisme était un moyen de
comprendre le monde et de le changer, et qui pouvait être retourné contre les
dirigeants du parti au sein duquel ils l’avaient étudié. Ces dissidents
acceptaient la nécessité du recul implicite représenté par la NEP, mais
rejetaient la manière dont elle était mise en œuvre ainsi que la forme du
régime politique. Pour d’autres militants, dont la relation avec le parti était
fondée plus sur des émotions que sur des considérations politiques, et en particulier
sur l’exaltation générale qui avait suivi la fin victorieuse de la guerre
civile, la NEP fut un choc désagréable. Pour ceux qui avaient vu dans le «
communisme de guerre » une voie vers une sorte de socialisme d’Etat, la NEP
marquait la perte de beaucoup de valeurs pour lesquelles ils s’étaient battus
– qu’ils aient ou non envisagé sérieusement une alternative à celle-ci. A
l’AMO, le jeune communiste Dvoretski, à peine rentré de Cronstadt, où il avait
été blessé lors de l’assaut contre la forteresse, démissionna immédiatement du
parti. « Je ne peux pas dire exactement de quoi il était mécontent. J’ai vu
simplement que son humeur avait complètement changé », se souvient un de ses
camarades. Un autre manuscrit trouvé à l’AMO raconte comment Vigant Zemliak, un
communiste letton qui avait participé à des combats de rue en 1917, avait
quitté le parti en 1921. « Il est arrivé un jour à l’usine avec ses bottes en
lambeaux et s’est mis à hurler : “Mais pourquoi nous battons-nous ?” »
Grisline, un « bon camarade » qui travaillait près de lui, essaya de lui dire
qu’ « on ne peut pas tout faire en même temps, qu’il faut attendre le
bon moment… » Zemliak lui répondit hors de lui que pendant la guerre
civile les dirigeants de la cellule « étaient tranquillement chez eux pendant
que ma femme et moi on se battait ». L’honnête bolchévique, ancien combattant
désillusionné par la NEP, était une figure littéraire très populaire à
l’époque. Le roman de Iouri Libédinski, Kommissary, rapporte des conversations
fréquentes sur le même thème : des héros de la guerre civile frappés par la
pauvreté, des responsables du parti restés à la maison pendant que d’autres
combattaient, et les doutes engendrés par la NEP. Peut-être, les mémorialistes
de l’AMO, relatant ces faits dix ans plus tard, furent-ils influencés par des
anecdotes qu’ils avaient entendues et lues entre-temps. Mais la puissance de la
désillusion de l’après-guerre civile se retrouve dans d’autres témoignages
contemporains.17
Elle fut exprimée avec
éloquence par certains des plus grands poètes ouvriers de Russie. Sur les six
poètes ouvriers élus au comité central de la Proletkoult (Proletarskaïa
koultoura) lors de son congrès fondateur de septembre 1918, un (Fédor Kalinine)
est mort en 1920 et quatre autres (Mikhaïl Guérassimov et Ilia Sadofiev de
Moscou, Vladimir Kirillov et Alekseï Machirov de Pétrograd) ont quitté le parti
en 1921.18 Parmi les poètes moscovites qui, avec Guérassimov, formèrent le
groupe Kouznitsa (La Forge) en 1920, Vassili Aleksandrovski (probablement) et
Sergueï Obradovitch (certainement) quittèrent également le parti en 1921,
tandis que Grigori Sannikov et Vassili Kazine y demeuraient.19. Le cri
d’indignation poétique de Guérassimov de 1921, Tchernaïa pena (« Ecume noire
»), contient un jeu de mots anti-NEP (pena/NEPa) dans son titre.20 Le poète
oppose une victime de la faim « au visage de plomb », tremblante, languissante
sous un pont, aux « grosses dames blanches sov-bourj («
bourgeoises soviétiques », un mot de l’époque) assises à l’orchestre du
théâtre, « engoncées » dans leurs soieries étincelantes. Furieux de la parure
de ces dames, Guérassimov écrivait : « Col bleu et vulgaire, je pleure / Avec
les dents qui claquent et les veines qui se tordent : / « Serrez vos
lèvres carminées ! » / Elles, ces plaies de l’ordure, / Suppurent du suint
du passé ! » Guérassimov s’inscrivait dans une tendance, bien établie parmi les
ouvriers communistes, à dénigrer les épouses des fonctionnaires. Les exemples
sont nombreux. La lettre de Vlassov à Lénine, citée au chapitre 2, dénonçait
les femmes des dirigeants qui « se rendent dans leurs datchas, portant
d’énormes chapeaux faits de plumes d’oiseaux-de-paradis ». Au cours de la
discussion sur « la base et le sommet », une cellule du chemin de fer reliant
Moscou à Nijni-Novgorod, après avoir demandé que le parti soit « purgé des
opportunistes qui se dissimulent sous le drapeau communiste », notait avec
colère que « pendant qu’un communiste du rang se sacrifie et regarde ses enfants
mourir de faim, d’autres ne sont pas prêtes à abandonner même leurs bijoux
d’argent ».21 La compagne du fonctionnaire privilégié en question occupera en
1930 une place dans la littérature en tant qu’ « épouse du camarade Pachkine »
dans Kotlovan, (La Fouille ou Le Chantier, en français), le roman d’Andreï
Platonov, sombre parodie de la collectivisation forcée. Le caractère sexiste de
ces récriminations, et la culture masculine du mouvement ouvrier qu’elles
reflètent, ne signifie pas qu’elles étaient toujours sans fondements. De plus,
dans le contexte des épanchements de Guérassimov, elles exprimaient
l’impuissance sociale et politique ressentie par certains héros de la guerre
civile. Certainement, dans Tchernaïa pena, les symboles qui, pendant cette
guerre, avaient signifié la vitalité de la révolution prolétarienne sont-ils
ébréchés. « La force irradiante sombre dans le bourbier moscovite. » Le soleil
de mai – qui, selon le poète Vassili Kazine (un camarade de Guérassimov) «
pren[ait] des forces » un an auparavant et « souleva[it] le feu des épaules
hâlées »22 – « faiblissait » désormais.
Le sujet de Boudni (La
vie de tous les jours), écrit en juin 1921 par Vassili Aleksandrovski 23,
est le fossé créé entre les apparatchiks et les communistes de la base. La
morale est un « nouveau continent » pour les hommes de l’appareil, écrivait-il
avec sarcasme. Ils s’imaginent qu’ils peuvent faire face à la division et à
l’aliénation de la société soviétique par un décret du Sovnarkom, mais cette
vie corrompue « rampe vers les dirigeants, vers le comité local, en
s’accrochant aux ourlets des madame au visage rouge ». La cible principale de
sa colère est « cette racaille assise derrière un bureau » d’un service
soviétique quelconque : « Il ne travaille que de 3 à 4 heures du soir/ Et
comment osez-vous vous présenter sans un rapport ? », glapit-elle ; à
4 heures, il grimpe dans sa voiture tandis que le visiteur reste là, «
interdit ». Aleksandrovski oppose l’apparatchik aux véritables militants : « Je
sais qu’il y a une autre vie, d’autres gens, / Qui créent l’œuvre de leur vie :
un grand rêve, / Leurs poitrines rongées par la consomption, / Comme des
sentinelles en faction. / Il y a des gens qui ont une grande patience ; / Les
larcins, la Soukharevskaïa et les rations, ce n’est pas pour eux, / Ils sont
convaincus de leur propre transfiguration / Et on ne les arrachera pas à
l’établi rouillé.»
La croyance des poètes
prolétariens dans le pouvoir de transformation sociale de leur art est
frappant. Pendant la guerre civile, ils avaient tout balayé derrière eux, mais
au milieu de 1921, ils étaient profondément conscients de leur impuissance.
Dans Tchernaïa pena, Guérassimov imagine que son soliloque rageur est en
quelque sorte efficace. « C’est moi, le syndicaliste en col bleu / Je crie
depuis la galerie / Et qui fera taire mon cri de fer ? » Ce cri qui fait
que les grosses dames blanches de la sov-bourgeoisie « sombrent dans un gouffre
noir ». Mais de nouveau dans la rue, alors qu’une « marque ignoble » est gravée
sur le front des gens, les poètes ouvriers sont « crucifiés sur les lampadaires
». C’est là que se termine le poème. Et il est signé du même Guérassimov dont
les revendications exagérées sur le pouvoir de transformation de son métier
avaient, un an auparavant, été saluées par l’ensemble du mouvement Proletkoult.
Les membres loyaux du parti se sont aussi amollis. Sémion Rodov, dans son court
poème Pesnia (Chansons),24 marche la nuit, chantant seul un chant
révolutionnaire : « Il y eut des moments – il n’y a pas si longtemps – /
Où sont-ils passés ? / Quand nous marchions en rangs serrés / Tous ensemble, /
Un million de cœurs / Comme un seul, / Et la moitié du ciel / Secouée par notre
chanson. » Mais désormais, sa « chanson solitaire » n’aidait pas à rallier ceux
qui avaient faibli. Anton Prishelets, un jeune collaborateur de Kouznitsa
déplorait dans son poème Poète le caractère banal d’un emploi dans une
rédaction – courant à cette période pour un écrivain en herbe.25
« «Sur les murs – Zinoviev, Trotski, /Lénine, Sur le sol – bouts
de clopes, poussière et paquets vides. »
On est loin des
déclamations conquérantes de la guerre civile. Mark Steinberg, dans son étude
sur les écrivains prolétariens, a souligné que « le doute, l’ambivalence et
l’ambiguïté non résolus jouent un grand rôle dans cette histoire ».26 Il montre
que, même pendant la révolution et la guerre civile, les écrivains ouvriers ont
parfois exprimé des doutes sur le développement collectif et technique, sur la
ville et la modernité – tout en exprimant simultanément des croyances
fortes construites sur ces thèmes modernistes. Ces doutes et ces points
d’interrogation étaient certainement présents, même pendant la guerre civile :
il s’agissait de personnes qui prenaient les idées et les sentiments au sérieux
et essayaient de réfléchir à leurs conséquences. Néanmoins, pendant les
hostilités, un sentiment de force collective prédominait ; en 1921, il se
dégonfla rapidement.
La désillusion de
1921-22 fut également à l’origine d’une vague de suicides. Il y a trop peu de
statistiques pour déterminer l’ampleur de ce phénomène – mais il a existé,
surtout dans les universités et l’armée. La plus grande vague de suicides parmi
les militants communistes, en 1924-26, était encore à venir. Mais, au début de
1922, M. Reisner avait déjà écrit :
C’est le plus difficile
pour les romantiques révolutionnaires. La vision d’un âge d’or se déployait si
près d’eux. Leurs cœurs se sont consumés. […] Et des histoires tristes
circulent. Ici, un de nos héros de la guerre est rentré chez lui et s’est
suicidé. Il ne pouvait plus supporter les vilaines querelles mesquines. Une
goutte de trop et la coupe a débordé. […] Et là, on parle de la mort précoce
d’un jeune ouvrier, membre du Komsomol. Aussi à cause de broutilles. Il y a
plus d’un incident de ce genre à déplorer.27
L’opposition au sein du
parti.
Le Xe congrès apporta de
profonds changements pour les opposants qui se battaient à l’intérieur du
parti. Les assurances de Lénine que l’interdiction des fractions n’entraverait
pas la libre discussion se révélèrent sans valeur. Les collaborateurs de Lénine
(Molotov, Iaroslavski et V. M. Mikhaïlov) remplacèrent les partisans de
Trotski (Krestinski et Sérébriakov) et de Préobrajenski au secrétariat du CC,
et en mai 1921 ce secrétariat voulut marquer son autorité sur les fractions
syndicales bolchéviques.28 Il imposa une nouvelle direction au syndicat des
métallurgistes, jusqu’alors le cœur de l’Opposition ouvrière, et écarta les
dirigeants bolchéviques modérés du Conseil central des syndicats panrusse
(VTsSPS), Tomski, Riazanov et Roudzoutak, pour avoir ignoré une instruction
obscure concernant la formulation d’une résolution du congrès.29 Alors que les
CD, relativement soudés, pouvaient se retirer dans une semi-clandestinité,
l’OO, qui disposait d’un soutien considérable parmi la base, devait choisir :
se battre et risquer l’exclusion, ou se soumettre. Cette alternative fut
discutée lors de réunions tenues en février 1922. Parmi les participants
figuraient des syndicalistes et des directeurs d’usines moscovites, dont
Genrikh Bruno, F. D. Boudniak et Mikhaïl Mikhaïlov, qui occupaient des postes
de direction dans les « trusts » de l’artillerie, de l’automobile et de
l’aviation, respectivement, et Grigori Deulenkov, un responsable du syndicat
des métallurgistes qui avait gravi les échelons de la hiérarchie au Dinamo.
Certains partisans de l’OO insistèrent pour passer à l’offensive et faire du
groupe un centre de lutte contre les tendances petites-bourgeoises renforcées
par la NEP. Mais cela aurait probablement signifié une rupture avec le parti,
ce qui faisait hésiter la plupart de ses membres. On décida donc de publier un
appel de Chliapnikov, Medvedev et d’autres dirigeants de l’OO de la Comintern
pour protester contre les mesures disciplinaires imposées par la direction.
Mais celui-ci fut rejeté. Le XIe congrès du parti renforça encore ces mesures,
plaçant l’opposition irréversiblement sur la défensive.30
Les groupes d’opposition
de Moscou, qui avaient valu à l’organisation locale du parti une réputation de
dissidence, étaient confrontés au même dilemme. Le groupe dirigé par Ignatov se
dissout formellement, mais celui du quartier de Bauman passa à l’offensive. Il
s’opposait à certains aspects de la NEP qu’il considérait comme préjudiciables
à la classe ouvrière et insistait pour que soient appliquées les résolutions du
Xe congrès touchant au respect de la démocratie à l’intérieur du parti. En
juillet 1921, Chliapnikov prit la parole lors d’une réunion dans le district et
affirma que le gouvernement soviétique n’avait pas utilisé les richesses
arrachées à la bourgeoisie pour renforcer la dictature prolétarienne ou
améliorer la situation des travailleurs. Au contraire, il avait distribué ces
richesses avec une grande prodigalité, même aux groupes sociaux qui n’ont rien
donné en retour. Sovétov proposa une résolution qui acceptait le principe de la
NEP, mais poussait vivement à l’adoption de politiques qui « renforceraient le
prolétariat » et utiliseraient ses « ressources de créativité collective », par
exemple en louant des entreprises à des collectifs de travailleurs plutôt qu’à
des « preneurs à bail entrepreneuriaux et spéculatifs ».31 Les arguments du
groupe de Bauman sur la démocratie intérieure furent présentés dans une lettre
aux délégués de la conférence régionale du parti d’octobre 1921. Il était
demandé au Comité de Moscou (CM) de « rompre résolument avec la pratique des
affectations centralisées (le naznatchenstvo) et de privilégier l’élection des
responsables du parti à tous les niveaux » et de « rompre avec
l’irresponsabilité et l’absence de retours d’information qui produisent
inévitablement servilité et flagornerie, [ainsi qu’] un type particulier
de cadres très appréciés des dirigeants du parti et des carriéristes ». Une
véritable unité et l’élaboration collective des décisions du parti ne peuvent
se réaliser que si toutes les questions sont discutées « en toute liberté »
poursuivait la lettre, qui protestait aussi contre la pratique désormais
courante consistant à « déplacer sans cesse les militants d’un secteur à
l’autre et d’une région à l’autre ».32
Les arguments du groupe
de Bauman demeuraient pertinents, car les privilèges de l’appareil et les
libertés prises avec la démocratie interne continuaient à susciter l’émotion
dans les rangs communistes. En juin, la conférence régionale avait noté que la mise
en œuvre de « l’effort d’égalisation des conditions matérielles des militants,
décidé par le Xe congrès », avait été médiocre et appelé à de « véritables
mesures » à cet égard. La cellule de Kaoutchouk, qui n’avait pas soutenu
l’opposition de 1920, avertissait que l’autorité morale du parti dépendait de
la cessation par certains membres de l’exercice des « avantages spéciaux
associés à leurs responsabilités administratives ». La question des privilèges
des résidents du Kremlin, si explosive en 1920, se posa à nouveau. En novembre
1921, le bureau du CM décida d’exiger du CC des réponses sur les « droits
exclusifs d’appropriation » dont jouissait la coopérative de la forteresse, et
de transférer la gestion de son approvisionnement alimentaire aux organisations
locales.33 La colère du Comité de Moscou contre le confort relatif des
résidents du Kremlin était certainement sincère, tout comme d’ailleurs sa
conviction que des critiques aussi virulentes que celles des baumaniens
devaient être étouffées, notamment en déployant contre eux toute la panoplie
des méthodes disciplinaires habituelles : redéploiement des cadres, « exil »
des indésirables hors de Moscou et « fabrication » des salles avant les
réunions publiques. En août-septembre, le district fut réorganisé, les
effectifs loyalistes augmentés par l’affectation de jeunes à plein temps venus
d’ailleurs, tandis que les dissidents étaient éjectés du comité de district.
Ensuite, des mesures punitives vinrent. [L’un des exclus,] Sovétov, qui était
revenu de la guerre civile avec la tuberculose et qui avait rechuté en
septembre 1921, reçut à plusieurs reprises l’ordre de se rendre à la campagne
pour en ramener des denrées alimentaires. Le CM voulut bien revenir sur cette
décision après une première réclamation de Sovétov contre cet assassinat
programmé, mais la deuxième, formulée en décembre, selon laquelle l’expédition
à la campagne n’était qu’ « un moyen de me régler mon compte pour
avoir osé exprimer avoir mes propres opinions », resta lettre morte. Le bureau
du CM maintint son exclusion.34
Kouranova et Berzina
furent mutées hors du district, et aux Ateliers d’artillerie lourde, Bourdakov
fut exclu pour « désaccord sur la question de la NEP ».35 Les dirigeants du
défunt groupe Ignatov furent également touchés : Ignatov lui-même fut envoyé prendre
la tête de l’organisation du parti à Vitebsk – ce qui dans le contexte
était une forme d’exil – et Angarski nommé à la mission commerciale
soviétique de Berlin.36
Les idées dissidentes
avaient trouvé un public réceptif dans les établissements d’enseignement
supérieur qui devaient poser les fondements d’une nouvelle « intelligentsia
rouge ». Très vite, sous l’effet de l’arrivée de nombreux anciens combattants
de la guerre civile, ces institutions – à Moscou, l’Université communiste
Sverdlov, destinée aux ouvriers ; l’Institut des professeurs rouges, une école
supérieure analogue ; et les facultés ouvrières (rabfaky) installées dans
d’autres universités – offraient un terrain favorable à la propagande de
l’opposition.37 Le groupe clandestin de la « Vérité ouvrière », selon qui la
direction du parti représentait une « intelligentsia technique » œuvrant à la
restauration du capitalisme, avait sa base principale dans le monde
universitaire « rouge ». Deux de ses principales organisatrices, Polina
Lass-Kozlova et Fania Choutskever, étaient des étudiantes.38 La plate-forme du
groupe affirmait que la NEP équivalait au « rétablissement de rapports sociaux
capitalistes typiques ». La Révolution d’octobre fut « l’événement le plus
héroïque de l’histoire des luttes du prolétariat russe », mais, en brisant le
pouvoir des propriétaires terriens, de la bureaucratie tsariste parasitaire et
de la bourgeoisie, elle n’a fait qu’ouvrir la voie à la « transformation rapide
de la Russie en un pays capitaliste avancé », expliquait-on. Après la
révolution et la guerre civile, la bourgeoisie était divisée et la classe
ouvrière « pas préparée à l’organisation de la société sur de nouvelles bases ».
Une « intelligentsia organisationnelle technique » se mit donc en place ; et
une nouvelle bourgeoisie commença à se former au fur et à mesure que ce groupe
social fusionnait avec des éléments de l’ancienne. Le parti bolchévique,
ouvrier en 1917, était devenu le représentant de cette intelligentsia
organisatrice, séparée des ouvriers par un gouffre toujours plus profond.
Le « travail militant de classe » parmi les « ouvriers d’avant-garde
sans parti et les éléments du parti [bolchévique] ayant une conscience de
classe » étaient les moyens par lesquels devait être construit un nouveau «
parti du prolétariat russe », qui défendrait des liens plus étroits avec les
Etats-Unis et l’Allemagne, ainsi qu’un boycott de la France réactionnaire » ;
il lutterait pour des objectifs démocratiques de « liberté d’expression et de
réunion pour les éléments révolutionnaires du prolétariat », s’opposerait à «
l’arbitraire administratif » et combattrait l’illusion engendrée par le
monopole électoral formellement exercé par les travailleurs. Tels étaient les
principaux points de leur programme.
(…)
SOMMAIRE
Introduction : les
travailleurs et l’Etat soviétique
1.
Lutter pour survivre :
les travailleurs en juillet-décembre 1920
2.
Douces visions et
affrontements amers : la fête de juillet-décembre 1920
3.
Une révolution qui ne
l’était pas : les travailleurs et le parti en janvier-mars 1921
4.
La NEP et le
« sans-partisme » : les travailleurs en 1921
5.
Renégats, opposants,
suicidés et administrateurs : le parti en 1921
6.
Mobilisations de masse
contre participation des masses : les travailleurs en 1922
7.
L’élite du parti, les
directeurs d’usines et les cellules du parti en 1922
8.
Le contrat social en
pratique : les travailleurs en 1923
9.
Les dirigeants
prennent les commandes : le parti en 1923-1924
Conclusions : l’impact
sur le socialisme
https://www.cairn.info/publications-de-%C3%89ric-Aunoble--653827.htm
La question ouvrière dans la Révolution
russe
Éric Aunoble
Préface au livre de
Simon Pirani,
La Révolution bat en retraite, La nouvelle
aristocratie communiste et les ouvriers
(Russie 1920-24)
[2008]
Les Nuits Rouges, Paris, 2020
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