UN
MILLIARD DE MASQUES ET MOI ET MOI...
« Le
Titanic, c’est nous, notre société triomphante, orgueilleuse,
aveugle, hypocrite, impitoyable aux pauvres, où tout est prévu,
sauf les moyens de prévoir ». Jacques Attali
« …
ils ont choisi de tenir un discours de déni. « Pourquoi
ne pas faire plus de tests ? - Parce que c’est inutile ! »
« Pourquoi ne pas distribuer pas plus de masques ? - Parce
que c’est inutile ! »
Je
suis consterné que les porte-parole du gouvernement se soient
cramponnés à cette pseudoscience. Un tel manquement est très
contre-productif car il vient affaiblir la confiance que l’opinion
peut avoir dans d’autres mesures gouvernementales, qui, elles, sont
tout à fait argumentables, tel que le confinement ». Ronny
Brauman
Cruelle
situation invraisemblable il y a encore un peu plus de trois mois. On
ne se souvient déjà plus que l'épidémie avait commencé en
novembre 2019 dans la région de Wuhan en Chine, puis que l'OMS
n'avait alerté au niveau international que le 30 janvier, que la
Chine faisait sourire en généralisant les premières mesures de
confinement, qu'il faut attendre fin février pour que les
gouvernements occidentaux se bougent... On est encore au mois de mars
et avec cette impression fausse que la pandémie est commencée
depuis longtemps, qu'il s'est écoulé des mois et des années, alors
qu'on n'en est qu'au début en effet comme l'a dit notre peu
transparent Premier ministre ce jour1.
Stupéfiant comme le temps semble aboli avec ce confinement de trois
milliards d'hommes. Stupéfiant comme économistes et journalistes
nous assurent que dans deux mois à peine le capitalisme reprendra
son cours normal. Les hommes politiques bourgeois, dans tous les
pays, ont fait preuve d'un criminelle impéritie qui leur vaudra
d'avoir à rendre des comptes. On nous promet des milliards de
masques alors qu'il est déjà trop tard pour d'immenses masses et
que les masques ne seront que des confettis face à la pandémie. Si
l'on avait le goût de faire de l'humour comme avant, on pourrait
dire que la bourgeoisie s'est démasquée. On est obligé d'ajouter
qu'il est simpliste d'en vouloir simplement à l'Etat bourgeois pour
son impéritie quand on réfléchit à l'indiscipline par rapport au
confinement, dont le résultat est terrifiant dans la bouche de ce
médecin du 93 : « les gens se tuent les uns les autres et
on n'a plus assez de lits ».
Les
cinq articles précédents sur ce blog ont été motivés depuis la
fin du mois de février par le souci de réexaminer la théorie
marxiste de l'effondrement du capitalisme, en même temps que je n'ai
cessé de répéter que les « autorités » et leurs
sous-fifres des médias ne cessent pas de sous-estimer ce drame de
portée historique et dont les conséquences terribles sont encore
difficiles à apprécier.. Le « catastrophisme marxiste »
refait son apparition brutalement, non pas comme prophétie de fin
des temps à la manière des gourous charlatans
qui pullulent à nouveau, mais comme une réalité tangible. La
mort du capitalisme, annoncée autrefois par Marx et d'autres tel
Schumpeter, qui peut être envisagée, ne se pose pas comme une
autoroute sans feux rouges vers une société sans classes et libérée
de l'exploitation et des virus de la nature2.
Une hypothèse cependant de plus en plus sérieuse selon les apôtres
écolos de la collapsologie, cette théorie qui
prophétise aussi l’effondrement inévitable de notre civilisation
industrielle qui fera des milliards de mort, et selon laquelle il est
trop tard pour la lutte des classes. L'idée d’une « crise
finale du système capitaliste », considérée comme
mystique, comme un effondrement automatique, était rejetée par
Lénine et Trotski, car selon eux ce système tend à se relever de
ses crises, et que même avec une chute étalée dans le temps, il a
besoin du coup de pouce des masses pour être véritablement
renversé. Pendant les crises les plus profondes du passé et même
durant les guerres, on a pu constater que les grands capitalistes se
portaient bien. La plupart continuent même de s’enrichir. Certes,
telle phase de crise économique aggrave les conditions de vie de
milliards d’individus. Mais du point de vue de la grande
bourgeoisie internationale, le système « fonctionne »,
car il garantit fortunes et privilèges. Même lorsque le PIB
s’effondre, comme
dans les années 30, les rapports de production capitalistes
demeurent. Lénine et Trotsky n'oubliaient pas le terme de
l'équation, la possibilité de destruction totale de l'humanité et
l'absence de garantie qu'une société alternative au capitalisme
soit assumée sous le contrôle du prolétariat mais doutaient d'un
effondrement automatique; ce que le parti communiste des ouvriers
d'Allemagne (KAPD) contestait violemment. Trotski dira une ânerie à
la veille de la Seconde Guerre mondiale ; dans
"Le programme de transition" il est écrit que "les
forces productives ont cessé de croître"3.
Rosa Luxemburg a mis à l'époque à peu près tout le monde
d'accord, mieux que Pannekoek : « Socialisme ou
barbarie » ! Après les détails dépendront du moment
historique et Marx n'est plus là pour dire quoi en penser ; il
n'était ni infaillible ni amateur de la boule de cristal.
Ne
trouve-t-on pas chez les modernistes comme Robert Kurz une plus
grande lucidité (en 2018) que chez certains de nos marxistes
« orthodoxes » ? : « C’est
simplement la situation historique dans laquelle nous nous trouvons,
et il serait oiseux de pleurer sur les batailles perdues du passé.
Si le capitalisme se heurte objectivement à des limites historiques
absolues, il n’en reste pas moins vrai que, faute d’une
conscience critique suffisante, l’émancipation peut échouer
aujourd’hui aussi. Le résultat serait alors non pas un nouveau
printemps de l’accumulation, mais, comme l’a dit Marx, la chute
de tous dans la barbarie »4.
Le grand porte parole hollandais de la II ème Internationale, Anton
Pannekoek était lui aussi très sceptique sur l'idée d'un
effondrement automatique du capitalisme et critiqua d'emblée
l'analyse du KAPD (qui me semble pourtant plus d'actualité avec
l'étrange Coronakrach) : « Quand
le mouvement ouvrier révolutionnaire d’Europe occidentale commença
de faiblir, la IIIe Internationale abandonna cette théorie.
Pourtant, le mouvement d’opposition, représenté par le KAPD, s’y
tint avec énergie : selon lui, reconnaître l’existence d’une
crise mortelle constituait un signe distinctif entre le point de vue
révolutionnaire et le point de vue réformiste (…) la théorie
selon laquelle le capitalisme est entré dans sa crise finale (cf.
Grossmann) constitue certes une réfutation définitive, frappante et
simple, de tous les réformismes, de tous les programmes de partis
qui se livrent au travail parlementaire et au travail syndical, une
preuve facilement administrée que seule la tactique révolutionnaire
est indispensable, si
bien que des groupes révolutionnaires peuvent être enclins à la
considérer avec sympathie.
Mais en réalité le combat n’est ni si simple ni si aisé. Et
cette remarque est tout autant valable pour le combat qui se déroule
au niveau des principes et de l’administration des preuves »5.
Alors,
après les affres de la crise environnementale, la crise du Covid-19
va-t-elle donner le coup de grâce au capitalisme ? Peut-on au
contraire continuer à croire que le système pourrait se réformer
et qu'il n'y aurait pas d'autre alternative que l'apocalypse ?
En
survolant ces contributions à un état des lieux , et en laissant de
côté diverses informations et réflexions qu'elles apportent, et
bien que sur un court laps de temps de deux mois, elles
m'apparaissent comme mettant en évidence la gabegie et l'impuissance
des principaux Etats, non à juguler complètement la pandémie, mais
à freiner la marche à l'effondrement économique et avec un
discours politique vide, incrédible pour la population. Les
comparaisons que j'effectue dans ma recherche du passé – la peste
au moyen âge, 1914, la grippe espagnole de 1918, 1929, 1945 et
enfin le Titanic – ne donnent que de faibles indications et ne sont
pas toujours appropriées avec la gravité de la pandémie mondiale
actuelle, surtout au sens où tout semble remis en cause,
déstabilisé, paralysant, incompréhensible. Nouveauté inédite
historiquement, pas seulement parce que ce virus se répand beaucoup
plus vite que ceux qui avaient été identifiés auparavant, parce
qu'il tue plus sûrement, mais parce que la « science
médicale » étale son incompétence et sa fébrilité. Au sens
de la globalité enfin, car, à la différence des drames lointains
d'autrefois, le monde entier est touché, pas un pays ne sera
épargné, pas une population. On frissonne déjà pour l'Afrique et
les favelas du Brésil. Si effondrement il y a, il ne se produira pas
dans un seul pays, comme dans le cas de la Russie en 1917, mais
PARTOUT.
Le
premier article du 26 février6
est sans doute inédit dans l'utilisation la métaphore de la guerre
mondiale, mais avec un humour grinçant7,
et à rappeler la destructivité inédite dont a été capable de
capitalisme moderne avec en particulier le « virus »
(inventé industriellement) des gaz pour tuer le maximum d'humains.
J'y évoque aussi la fake new d'une possible fabrication perverse,
qui n'est pas une idée complètement infondée si on sait quels
types d'armes ont été utilisées pendant les guerres coloniales ou
impérialistes actuelles8 ;
même si le Covid-19 apparaît surtout finalement comme un des
nouveaux virus que l'humanité devra toujours affronter de par ses
négligences, viols de la nature, ou pas, et qu'elle ne pourra jamais
complètement éradiquer même dans une société humaine débarrassée
de l'exploitation.
Le
deuxième article du 9 mars9
s'efforce d'écarter un marxisme simpliste où le capitalisme serait
responsable de tout et de rien10,
mais en estimant ses ressources dites « modernes »,
« progressistes » ou « scientifiques » comme
presque aussi dérisoires que celles du Moyen âge face à la peste
(le confinement comme seule bouée de sauvetage après dieu). Il
n'est plus question de la banale histoire des retraites, c'est la
mort à ma porte qui fait sa réapparition11.
Le
troisième article12
insiste sur les dommages irréparables qui seront causés à
l'économie mondiale, et dont les experts minimisent encore l'impact.
Il se confirme que, bien que la classe dominante ne semble pas
débordée, mais continue à naviguer à vue et à s'affoler, sans
parvenir à diminuer le nombre de morts un peu partout et en laissant
croire, par dépit et servilité, que la Chine dictatoriale a
vraiment trouvé la bonne solution13.
Le
quatrième article14,
le 18 mars, souligne le durcissement autoritaire qui succède à la
câlinothérapie macronienne avec le radotage des formules ringardes
sur union et solidarité « nationales ». Les causes de la
pénurie scandaleuse des masques sont détaillées.
Le
cinquième article15
aborde la question de la confrontation des classes malgré la
pression exercée par le confinement idéologique étroit du « tous
ensemble » gouvernemental et oecuménique. Les incriminations
de l'Etat contre « l'individualisme » ont clairement pour
but de culpabiliser, c'est à dire de soumettre à la doxa
sécuritaire sanitaire une population rétive à se laisser confiner
quand en même temps une partie est obligée de s'exposer au travail.
On assiste au contraire à des failles dans la « mobilisation
nationale » et même à des débuts de désertion (mise en
retrait, arrêts maladie) qui valent analogie (modeste) avec les
mutineries au front en 1917-1918.
Le
sixième article16
analyse les problèmes politiques et
sociaux sous-jacents que pose et ne va pas tarder de poser ce
Coronakrach. Tous les Etats capitalistes ont agi avec un retard
coupable parce que la santé des masses ne peut passer avant le
profit économique, vieille quadrature du cercle capitaliste
néo-malthusien. Ils n'ont pensé à généraliser le confinement
qu'à la mi-mars ! C'était il y a quelques jours à peine !
Et de s'étonner de l'hécatombe à l'heure présente.
LE
CAPITALISME N'A PAS ENVIE DE COULER MAIS IL EST EN TRAIN DE SOMBRER
Je
ne suis ni Nostradamus ni le docteur Raoult aux allures de hippie
sorcier17,
j'aimerais mieux me tromper complètement et que dans deux mois,
cahin-caha, on ait limité le taux de mortalité et même que les
bandits de la finance reprennent leurs magouilles financières, que
la planète puisse revivre « normalement » avec ses
soucis écologiques récurrents et ses conflits impérialistes sans
fin. Mais le virus résonne comme un message d'alerte dont les
conséquences philosophiques sont extraordinaires (j'y viens plus
loin) et par conséquent imposeront des conclusions politiques sans
fard. D'autres ont imaginé un univers planétaire où nous serions
« cloîtrés dans les soutes du monde », naufragés
affolés comme ceux du fameux Titanic, en particulier en 1998 un
certain Jacques Attali : « Le
Titanic, c’est nous, notre société triomphante, orgueilleuse,
aveugle, hypocrite, impitoyable aux pauvres, où tout est prévu,
sauf les moyens de prévoir ».
Jacques Attali 18.
L'analogie est criante là aussi. Lisons Le Figaro du 20 avril 1912 :
« Les
officiers rassuraient les passagers, mais il semble que les officiers
eux-mêmes ne pensaient pas alors que la collision fût aussi grave
qu'elle l'était. Et, de fait, comme il y avait un bal à bord, pour
fêter la soirée du dimanche, la musique jouait des airs gais et
joyeux. Ce ne fut qu'une
demi-heure plus tard, que la pleine conscience de la gravité de
la situation commença à se révéler aux passagers comme aux
officiers ».
Le
naufrage
du Titanic
fit environ 1500 morts. Les membres
d'équipage
sont les plus touchés puisque 76 % d'entre eux sont morts. 75 %
de la troisième classe19
ont également trouvé la mort. Seules 25 % des femmes sont
mortes dans le naufrage contre 82 % des passagers masculins. La règle
« les femmes et les enfants d'abord » avait été
respectée. Au total une poignée de milliardaires parmi les plus
riches de la planète ont été noyés mais avec un grand nombre de
la « troisième classe » (prolétaires migrants)
cadenassés à fond de soute et parce qu'on n'avait pas voulu remplir
les barques de sauvetage. Le désastre est un choc pour le monde
entier car il prouve à tous que l'homme et ses réussites
technologiques peuvent être dépassés par les puissances de la
nature à une époque où le progrès scientifique semblait
impossible à arrêter.
Il met également la lumière sur les insuffisances techniques de
l'époque. Pour les socialistes et Jean Jaurès, les morts du Titanic
ne sont pourtant pas la conséquence d'une quelconque fatalité mais
celle de la concurrence et de la recherche du profit ; on peut
dire la même chose au vu de l'imprévoyance de tous les Etats,
successivement avec les mêmes oeillères, dans le déni de
l'expansion irrésistible du Convid-19, ajouté à la mutation de
l'hôpital en entreprise « comme les autres ». Devant la
presse, le vice-président, Philippe A.S. Franklin avait pratiqué
lui aussi la câlinothérapie : « Nous
avons une confiance absolue dans le Titanic. Nous sommes persuadés
que c’est un navire qui ne peut pas couler »,
ce qui ne l'empêcha pas d'envoyer un télégramme alarmant au
capitaine Smith : « Attendons anxieusement nouvelles
navire et précisions sur sort passagers ». Comme Macron
téléphonant au docteur Raoult.
C'est
sur le plan économique que les avaries sont effarantes. Les
prévisions économiques tablent encore ou inventent des taux
rassurants. Les pays du G20 devraient subir collectivement une
contraction de 0,5% de leur Produit intérieur brut (PIB) cette année
d'après Moody's. Aux Etats-Unis, elle sera de -2% et dans la zone
euro de -2,2%. La Chine devrait croître de 3,3%, un rythme très
faible pour ce pays. Pour les Etats-Unis, Goldman Sachs prévoit une
année 2020 à -3,8% et Deutsche Bank la pire contraction pour
l'économie américaine depuis "au moins la deuxième guerre
mondiale". Ce qui est trop moderne, la réserve fédérale
prévoit une explosion américaine du chômage à 30% pour les mois à
venir. Mais le drame ne se joue plus principalement dans l'économie.
Avant
de procéder à nouveau aux comparaisons, il suffit de prendre encore
le cas de la première économie du Monde. Il y a une paire de jours
s'est tenu, sans protestation de Trump, le carnaval de La
Nouvelle
Orléans, véritable bombe sanitaire comme le match de foot
italo-espagnol ou ce nouveau Titanic de voyageurs de luxe où les
futurs morts inconscients du virus ont fait une boume alors que le
navire était confiné...
L'autre
virus, le chômage refait son apparition lui aussi brutalement, pas
n'importe où, aux Etats-Unis. En trois ou quatre jours trois
millions de nouveaux chômeurs ! Et face à l'expansion à
marche forcée du virus au quatre coins des Etats désunis, on
imagine avec horreur les milliers qui vont rester sur les trottoirs
parce qu'ils n'ont pas les moyens de se faire soigner ni d'être pris
en charge en oxygénation clinique mais seront placés en inhumation
réelle. Crise sociale géante en perspective au principal pays déjà
en tête des taux de mortalité.
UN
CORONAKRACH BIEN PIRE QUE LA CRISE DE 1929
Le
naufrage mondial actuel s'annonce plus sévère que ceux de 1929 et
de 2008 car le coronakrach touche cette fois non pas seulement le
système financier mais l'ensemble de l'économie réelle, avec un
effondrement en quelques semaines de la production et donc de
l'offre, et aussi de la demande, à cause de milliards de personnes
en confinement. Les transports, le tourisme, la distribution sont
particulièrement sinistrés, même si quelques secteurs s'en sortent
mieux: la pharmacie, l'industrie liée aux équipements et produits
sanitaires, le commerce alimentaire ou en ligne.
Le
krach de 1929 était paradoxal mais pas vraiment ni comparable ni
équivalent au coronakrach de 2020, quand, pour l'instant, le système
financier va encore très bien, où les Etats de la mondialisation
optimiste – leurs sous-fifres journalistes économiques pensent que
la crise sera courte - se concertent et font marcher la planche à
billets au coude à coude via leurs institutions comme le FMI et
l'OCDE. Dieu les entende. 1929
et 2008, il a fallu dix ans pour s'en remettre, à cette différence
près que 1939 a été le début de la Deuxième Guerre mondiale et
que, d'une certaine façon 2020 est le châtiment de 2008.
1929
est une crise de la magouille financière mais c'est encore en plein
dans l'ère de l'automobile, de la radio, des premiers robots
ménagers. Les « années folles » sont une période de
forte croissance économique. De nouveaux produits et services en
expansion dopent l'économie : radio, automobiles, aéronefs,
pétrole, électricité. La production française d'hydroélectricité
est multipliée par huit sur la décennie. Malgré l'explosion du
chômage, on croit pleinement au « progrès » et à « la
science ». Le krach au mitan de ces « années folles »
ne provoque pas immédiatement une réaction de classe au niveau
mondial – chacun voulant conserver jalousement son emploi et ne pas
risquer la grève -, contrairement au moment de la guerre en 1917.
En
2020 on est déjà gavé du poste de télévision, saoulé de la
bagnole, habitué au chômage endémique, perpétuellement stressé
pour l'avenir des enfants, des vieux... Et ce qui nous tombe sur la
tête ce n'est ni une crise boursière ni une bombe. Jamais
l'humanité n'a été confinée comme ça même en temps de guerre.
Cette crise est pire qu'une guerre pour l'économiste Nicolas
Baverez : « En
temps de guerre, l’offre et la demande ne disparaissent pas
physiquement, les industries ne s’arrêtent pas, elles sont
redéployées. Là, la brutalité de la chute de la consommation en
fait un phénomène unique ». (...) « Les gens
pensent à 1929 parce qu’ils n’arrivent pas à penser la
radicalité de cette crise ».
Selon
lui le caractère absolument universel du phénomène actuel, c’est
tout d’abord qu’il
touche l’ensemble de la planète, contrairement à 1929, où
c’était essentiellement les pays développés.
Par ailleurs, c’est une crise à plusieurs niveaux. C’est une
crise d’abord sanitaire, qu’on peut comparer à la grippe
espagnole de 1918. C’est aussi une crise économique, et
effectivement la brutalité du choc ressemble à 1929. Et enfin c’est
une crise financière inédite où se combinent effondrement des
marchés et chute du prix du pétrole. D’habitude ce dernier
indicateur est positif. Or ce n’est pas du tout le cas”. Selon
lui, les conséquences, ainsi que l’ampleur et la rapidité de la
réponse politique, renforcent la spécificité du phénomène20.
Du
point de vue de l'opposition des classes, qui nous importe toujours
en premier lieu, tout
le long des années 1930, malgré les événements de 1936 en France
et en Espagne, la crise de cette époque n'est pas une alliée du
prolétariat révolutionnaire, elle entraîne un repli
protectionniste qui favorise les nationalismes et la montée vers la
Guerre mondiale. En 2020, l'éclatement de la pandémie ne vient pas
retaper la croyance au progrès ininterrompu du système capitaliste,
et ce pâle remake du protectionnisme, le souverainisme actuel, n'est
guère susceptible d'entraîner les masses appauvries et terrorisées
dans l'idée du sacrifice pour la patrie ou pour faire barrage à une
idéologie totalitaire. Nouriel Roubini, économiste devenu célèbre
pour avoir prédit la crise financière de 2008, enjoint aussi, dans
The Guardian, les gouvernements à doper les mesures sanitaires tout
comme les aides directes aux personnes ayant perdu emploi ou revenus,
au risque de voir surgir "une nouvelle Grande Dépression, pire
que celle" des années 30.
La
perpétuelle menace de guerre nucléaire, pas plus que la pollution
ou la libération des femmes ne viennent brouiller le questionnement
principal, anxiogène : quel avenir pour l'humanité entière ?
Et dans ce questionnement, il y a pire, un doute généralisé des
masses face à l'action sanitaire redondante des Etats, une mise en
question des mandarins arrogants et autres sommités médicales
impuissantes à juguler la mort mais qui ne cessent de pontifier sans
se rendre compte qu'ils sont tous petits et ridicules. Ce
questionnement est déjà révolutionnaire.
LA
BOURGEOISIE MISE A NU
(salut
à la caissière Aïcha décédée du fait de la négligence
patronale bourgeoise!)
Depuis
le début de l'épidémie je ne cesse de m'insurger ici sur la mise
en danger de la population en général et surtout de la partie la
plus consciente et la plus opprimée de la classe ouvrière, non pas
des braves cadres protégés du télétravail improductif, et leur
fuite indécente à Varennes21,
mais de « ceux d'en bas », comme mes parents les plus
proches, ces « invisibles » - caissières, routiers,
livreurs, boueux – sans qui vous crèveriez tous de faim en ce
moment. Dans la hiérarchie des représentations du bobo moyen,
l'infirmière (exaltée comme héroïne du quotidien) représente le
substitut de la mère dans le massacre en temps de guerre, quand la
bonne n'est qu'une intouchable sauf si elle est belle et qu'on peut
la niquer22.
Extraits :
« Nos
concitoyens parisiens devraient – en toute vraisemblance – éviter
le triste destin des bourgeois provençaux de Giono fuyant le
choléra, placés manu
militari
en quarantaine dans des villages isolés et attendant la mort en se
goinfrant de volailles chèrement négociées auprès des paysans du
coin. Mais le choix de l’exode pourrait se révéler a posteriori
bien peu avisé.
Une
question nous taraude. Comment expliquer que le gouvernement n’ait
rien anticipé ? Les Italiens venaient pourtant de connaître la
même mésaventure deux semaines plus tôt avec ces familles
milanaises ou vénitiennes parties prendre le soleil du Mezzogiorno.
Mais il faut croire que ce qui vaut en Italie ne vaut pas dans
l’Hexagone. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a d’ailleurs
commencé par minimiser le phénomène, avant d’appeler chacun à
la responsabilité… une fois le gros des départs passé.
Pourtant,
qui peut ignorer que tout bon Parisien est un provincial caché. La
gentrification de la ville – on y compte 51 % de familles très
favorisées - a fait de la mise au vert, une habitude bourgeoise, une
pratique généralisée.
Tous
nos exilés n’ont certes pas le manque de distanciation sociale
d’une Leila Slimani ou d’une Marie
Darrieusecq qui, telles des comtesses russes, se sont lancées fissa
dans le récit de leur nouvel exil :
la souffrance des enfants contraints de se mettre au travail dans des
grandes maisons de famille associées jusque-là à l’indolence
estivale, l’impéritie de la grand-mère n’ayant pas prévu des
stocks de bois suffisants pour alimenter la cheminée…(...) Dans
notre pays hypercentralisé, Paris et les Parisiens, en toute bonne
conscience, oublient trop souvent de se poser des questions vitales
sur ce qu’ils sont, ce qu’ils projettent et ce qu’ils
produisent. Ville à prétention écologique, mais ville sous cloche
incapable de penser sa transformation au-delà des limites du
périphérique. Ville ancrée à gauche, mais puissamment
inégalitaire, organisant de fait la
ségrégation sociale et raciale au sein de ses établissements
scolaires, comme « l’Obs » l’a déjà raconté.
Le
parallèle entre la propagation du coronavirus et le développement
incontrôlé de l’entre-soi dans les écoles de la capitale est
d’ailleurs troublant. Mêmes décisions individuelles parfaitement
compréhensibles (peur des violences, volonté d’offrir « le
meilleur » à ses rejetons), même absence de régulation
politique, et même
« résultat
collectivement désastreux »
pour paraphraser l’économiste Julien Grenet,
spécialiste de ces questions de choix scolaire »23.
L'extraordinaire
de cette crise est donc, non seulement qu'elle paupérise cette masse
inflationniste de couches moyennes, qu'elle montre leurs réticences
à « tomber dans le prolétariat », mais qu'elle expose
son cynisme qui la relie à la minorité bourgeoise depuis au moins
un demi siècle. Economiquement les petits bourgeois vont pourtant
plonger dans l'indigence avec la paralysie croissante du système ;
politiquement ils pourront toujours se consoler avec les catégories
idéologiques ridicules du NPA et de Mélenchon qui ne sauveront
pourtant pas un chat du coronavirus, ou, la partie en jaune avec
ploucs et petits commerçants dans les urnes de la pauvresse
blondasse du RN. Mais, cruelle, la crise contaminante déchire un peu
plus l'indifférence à la barbarie qui se cache derrière tous ces
« anti-ceci et anti-cela », comme le confirment les
promeneurs bourgeois du Touquet nullement inquiétés par la police
complice. Friqués et députés ont droit à un dépistage rapide.
Tout cela marque en effet un grand changement, philosophiquement
j'entends, pour ceux qui croient que la crise épidémiologique va
changer les mentalités de classe, pardon des classes étrangères
l'une à l'autre.
LA
METAPHORE GUERRIERE RELEVE DE LA MEDECINE DE CATASTROPHE
« Nous
sommes face à une catastrophe. Au moment où nous parlons, des
structures de soins sont débordées et l’on voit réapparaître
les
méthodes de la médecine de catastrophe,
mises au point, il est vrai, par la médecine militaire mais élargies
aux situations de crises majeures, notamment de catastrophes
naturelles : les techniques de triage séparant les gens qu’on
va pouvoir aider à sortir et ceux pour lequel le pronostic est trop
mauvais, relèvent typiquement de la médecine de catastrophe. De
façon plus générale, cette métaphore est trompeuse, en ce qu’elle
laisse entendre que la santé passe par la défaite de la maladie.
Mais la maladie fait partie de la vie et l’on devrait parler de
droit à la maladie, plutôt que de droit à la santé. Je pense au
philosophe Georges Canguilhem observant que pour la plupart des gens,
la santé, ce n’est pas l’absence de maladie mais la possibilité
de tomber malade et de s’en relever. (…) depuis
Pasteur, le germe infectieux place les sociétés dans une situation
complexe. Dès
lors que nous sommes tous potentiellement vecteurs de contagion,
chaque individu devient une menace pour la collectivité, chaque
voisin est un risque potentiel.
Et inversement, l’individu se sent menacé par le groupe, qui peut
cacher des malades, et il va donc chercher à s’en isoler. Le
confinement nous demande d’être à la fois solidaires et
individualistes.
C’est
le paradoxe de l’épidémie, que dissimule la métaphore de la
guerre. Dire qu’on mène une guerre contre un virus, c’est
prendre le risque d’alimenter la guerre de tous contre tous, chacun
étant potentiellement le vecteur de l’ennemi invisible. Quand
j’entends le président conclure son
discours de Mulhouse,
le 25 mars, par un martial « Nous
ne céderons rien ! »,
je suis abasourdi. Céder quoi, à qui ? »24.
Le
docteur Brauman réduit nos philosophes germanopratins à des belles
de salon, celles qui vont surinterpréter de façon romantique
l'apocalypse en résidence secondaire. S'il poursuivait son
raisonnement il pourrait dire que la manière de combattre le virus
par la pseudo-science gouvernementale n'est qu'une vulgaire méthode
nationaliste, qui a besoin de faire croire à un ennemi « commun »
de surcroît comme si le virus était un ennemi de guerre classique
avec les soldats du camp opposé et la nécessité de s'enfermer dans
les tranchées du profit et des inégalités sociales temporairement
mise sous le boisseau. Le virus au contraire NOUS RESSEMBLE, et ce
n'est pas en pensant l'éradiquer définitivement qu'on peut en
limiter les dégâts ni éveiller un quelconque espoir de
« victoire ». C'est pourquoi la logique gouvernementale
est mortifère. Au départ en assurant qu'il y faudrait un an ou deux
avant la réalisation du vaccin sauveur, puis en catégorisant comme
des enfants la population plus « confinée » dans une
absence de réflexion et de conscience que véritablement protégée
du fait de l'inadmissible absence de masques et de produits
hydroalcooliques. Ce confinement avant tout idéologique, pire que ce
qui avait été décrit par Orwell, n'a qu'un seul but :
empêcher de souhaiter l'effondrement du capitalisme, sous prétexte
que la maladie se répandrait encore plus vite.
« Le
propre du vivant, c’est de chercher à répandre ses gènes et le
virus obéit à une logique de vie,
qui s’inscrit dans une dialectique entre contagiosité et
mortalité. Il lui faut trouver des vecteurs – des organismes
vivants – qui lui permettent de se répandre. Mais s’il tue trop
vite ces vecteurs ou s’il ne trouve pas de nouveaux organismes à
contaminer, il arrive à une impasse et meurt. Ce que vise le
confinement, c’est à mettre le virus dans une impasse :
chacun doit être le cimetière du virus. C’est ici que l’on voit
la limite de la méthode : cet isolement total serait notre
cimetière à tous, pas seulement celui du virus »25.
On
ne peut en rester à ce constat de la guerre de tous contre tous, il
faut penser à l'après, qui sera de toute façon un champ de ruines.
Qu'en sortira-t-il ? Un capitalisme rajeuni ? Non mais des
masses de chômeurs comme jamais, des masses de crève-la-faim, de la
misère, et le même système de « lois du marché », de
trafic des banques, de répression... Un retour à l'Etat providence
et à des productions nationales ? Qui y croira sérieusement à
l'heure de demander des comptes aux dominants ? N'oublions pas
que la révolution mondiale a commencé à la fin de la Première
Guerre mondiale parce qu'on avait envoyé les peuples « au
casse-pipe », mais en uniforme. Aujourd'hui c'est toute la
population civile qui a été envoyée au casse-pipe !
VERS
UNE EXPLOSION SOCIALE PLANETAIRE ?
Je
l'ai déjà souligné à plusieurs reprises nous ne sommes pas et ne
serons pas égaux dans l'enfoncement dans la catastrophe sanitaire.
Il ne faut pas seulement penser à l'Afrique ou aux favelas. En
premier lieu, on l'a vu et souligné, c'est la classe ouvrière qui,
partout, est la première exposée, parce qu'il faut bien faire
tourner le monde et bouffer. Revenons au Titanic. L’image a été
souvent utilisée. Nous sommes peut-être tous dans le même bateau –
la planète – mais nous n’y sommes pas au même étage. Certains
ont un accès prioritaire aux canots de sauvetage quand d’autres
restent coincés à fond de cale. La métaphore est très révélatrice
concernant la pandémie du Covid-19. Alors que Macron en appelle à
« l’union
nationale »
et exhorte chacun à rester chez soi, le coût et l'atmosphère du
confinement n’est pas du tout le même pour tous selon que vous
êtes confiné
dans une tour de banlieue ou en résidence secondaire à l'île de
Ré. Les habitants de logements insalubres et de quartiers populaires
sont en moins bonne santé depuis bien avant la pandémie. Ils ont
une alimentation dégradée, et des métiers, souvent en horaires
décalés, qui fatiguent énormément. Nos héroïnes méprisées,
les caissières ou les femmes, et hommes, qui font le ménage. Nombre
de familles monoparentales ne survivent que parce que les rejetons
trafiquent. Dans les « quartiers », ils cumulent
malbouffe, mal-logement, insécurité et pollution. Cette épidémie,
elle risque d'y être encore plus terrible. « Si des gens
doivent mourir, ce sera plus là »dit un médiateur de
quartier. Le jeune Engels n'avait pas constaté une situation
différente en décrivant la misère de la classe ouvrière au milieu
du XIX ème siècle en Angleterre. Confrontés au manque de lits en
réanimation ainsi qu’au manque de respirateurs, les soignants ne
peuvent que constater
le nombre croissant de décès dans le département 93.
La
principale cause de la très forte affluence dans les hôpitaux en
cette fin de semaine était prévisible dans les banlieues : le
non-respect des règles de confinement. « On
vit un enfer ici. Il faut que ça s’arrête, les gens se tuent les
uns les autres en sortant. Oui, le coronavirus touche tout le
monde »,
ajoute ce médecin qui souligne l’état de fatigue du personnel
hospitalier.
Les
informations sociales cruciales sont évidemment censurées mieux
qu'en 1914 puisque lorsqu'elles peuvent être dérangeantes, elles
deviennent forcément des « fake news ». Est-ce une fake
new le fait que des supermarchés ont été pris d'assaut en Italie ?
Et les révoltes dans les prisons ? Et l'étonnant grand nombre
de lieux de travail en retrait ? Et les menaces de grève ?
Pourrait-on
faire grève dans la terrible situation sanitaire actuelle ?
Dans la plupart des cas jusqu'à présent, la protestation a eu
recours au très étriqué droit de retrait. Il convient de noter que
le droit de retrait ne doit pas être utilisé par les salariés pour
faire valoir des revendications professionnelles (augmentation des
salaires, de l'effectif, amélioration des conditions de travail,
etc.), relevant pour leur part du droit de grève. En effet, le droit
de grève s'entend d'un arrêt collectif de travail en vue de
l'amélioration des conditions de travail, alors que le droit de
retrait pourra être utilisé par un ou plusieurs salariés tant que
leur employeur n'aura pas pris les mesures nécessaires pour
supprimer le danger et par exemple, n’aura pas mis en conformité
ses machines ou bien n’aura pas renforcé son personnel de
sécurité. Dans la situation de confinement, et sans aucune
publicité de la part des médias, ça a « frité » dans
nombre d'entreprises. On a appris seulement que, par exemple, des
postes avaient fermé. Le bâtiment est quasiment à l'arrêt
officiellement par mesure de sécurité, etc.
Coup
de tonnerre ou pétard de carnaval, la CGT a dit « envisager »
la grève des services publics pour tout le mois d'avril. Franchement
qui peut prendre au sérieux le petit moustachu qui a agité ses
petits bras en vain dans la comédie pour les retraites ? Si une
girouette réac du réac Le Point, Sophie Coignard qui dénonce « un
suicide en direct ». Bof. Du tout, la CGT joue les gros bras de
la contestation anti-union sacrée, parce qu'il n'y a ni union sacrée
ni risque que des masses de travailleurs descendent s'exposer dans la
rue. A moins que le gouvernement ne laisse faire (pour mieux se
débarrasser à l'hosto des bureaucrates permanents?), tel le stupide
gouvernement espagnol qui a autorisé les manifs le 8 mars pour la
commémoration de la journée de la femme... et de la mort en
clinique.
La
grève n'est plus la méthode pour vraiment se défendre ni pour
revendiquer l'effondrement du système d'exploitation. Les permanents
syndicaux payés par le gouvernement ne sont même pas drôles. La
situation inédite rend pour l'instant quasi impossible toute riposte
de classe et on n'a guère de comparaison possible avec le passé du
mouvement ouvrier, pas du tout même, sauf à s'imaginer sous un
tapis de bombes en 1943 ou 1944. Mais nous disposons quand même d'un
échantillon de comparaison grâce à un personnage brillant et
original, quasi notre contemporain puisqu'il était encore vivant en
1940. Examinons comment il demande aux ultra-gauches de son temps
« d'apprendre à penser », même s'il apparaît
finalement non seulement très opportuniste mais inconscient de
l'aide qu'il apporte à l'Etat bourgeois à une époque où les
« fronts unis » servent à préparer à la guerre. Il se
faisait appeler Trotski.
« Tout le monde connaît le
postulat du fameux théoricien militaire allemand Clausewitz, que la
guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens.
Cette pensée profonde conduit naturellement à la conclusion que la
lutte contre la guerre n’est que la continuation de la lutte
prolétarienne générale en temps de paix. Le prolétariat en temps
de paix rejette-t-il et sabote-t-il toutes les actions et toutes les
mesures du gouvernement bourgeois ?
Même
dans le cours d’une grève qui embrasse une ville entière, les
ouvriers prennent des mesures pour assurer la livraison du
ravitaillement dans leurs quartiers, s’assurer qu’ils auront de
l’eau, que les hôpitaux ne vont pas souffrir, etc. De telles
mesures leur sont dictées non par de l’opportunisme vis-à-vis de
la bourgeoisie, mais par le souci des intérêts de la grève
elle-même, le souci d’avoir les sympathies des masses de la ville
ainsi submergée, etc. Ces règles élémentaires de stratégie
prolétarienne en temps de paix conservent toute leur vigueur en
temps de guerre aussi.
Une
attitude intransigeante à l’égard du militarisme bourgeois ne
signifie pas du tout que le prolétariat, dans tous les cas, entre en
lutte contre sa propre armée « nationale ». Au minimum,
les ouvriers n’empêcheraient pas les soldats d’éteindre un
incendie ou de recueillir des gens en train de se noyer pendant une
inondation, au contraire, ils aideraient, aux côtés des soldats et
fraterniseraient avec eux. Et la question n’est pas épuisée
simplement par les cas des calamités naturelles. Si les fascistes
français essayaient aujourd’hui un coup d’Etat et que le
gouvernement Daladier soit obligé d’envoyer ses troupes contre les
fascistes, les ouvriers révolutionnaires, tout en maintenant leur
indépendance politique complète, combattraient aux côtés de ces
troupes contre les fascistes. Ainsi, dans un certain nombre de cas,
les ouvriers sont obligés, non seulement de permettre et de tolérer,
mais de soutenir activement les mesures pratiques du gouvernement
bourgeois.
Dans
quatre-vingt-dix pour cent des cas, les ouvriers placent un signe
moins là où la bourgeoisie place un signe plus. Dans dix cas
cependant, ils sont obligés de mettre le même signe que la
bourgeoisie, avec leur propre sceau, dans lequel s’exprime leur
méfiance à l’égard de la bourgeoisie. La politique du
prolétariat ne se déduit pas du tout automatiquement de la
politique de la bourgeoisie, en mettant simplement le signe contraire
(cela ferait de chaque sectaire, un maître stratège). Non, le parti
révolutionnaire doit chaque fois s’orienter, de façon
indépendante, dans la situation intérieure comme extérieure, et
arriver à prendre les décisions qui correspondent le mieux aux
intérêts du prolétariat. Cette règle s’applique aussi bien à
la période de guerre qu’à la période de paix. » (Trotsky,
Il faut apprendre à penser, un conseil amical à certains
ultra-gauchistes. 22/05/1938 , ILT, T.17, p.247)26
L'écriture
de Trotski est toujours chatoyante et pleine de subtilités. Nombre
d'observations sont justes. Dans la première partie il démontre
très bien (mieux que je m'efforce de le faire en général)
l'impossibilité d'une grève générale totale. Par contre lorsqu'il
prend cet exemple empirique de soldats qui viennent éteindre un
incendie – et il n'a pas connu la Seine Saint-Denis – soutenus
par les travailleurs il confond pompiers et militaires, mais surtout
il se croit en 1830 où la classe ouvrière pouvait encore s'allier à
la bourgeoisie ; on est dans un de ses multiples tournants dans
l'avant-guerre, avec sa théorie du « front unique »
antifasciste où il est prêt à s'allier avec le diable et sa
grand-mère. L'exemple factuel empirique reste toujours l'arme du
démagogue : « il y a le feu donc il n'y a plus de
classes, tous ensemble éteignons l'incendie » ! En soi le
langage tout plein du camarade Macron ! Certes si je suis au
front à Verdun entre les barbelés avec un boche comme moi perdu, on
va se jeter à terre tous les deux et éviter les balles des deux
camps.
Lorsqu'il
envisage ensuite, une chose qui ne s'est jamais produite, une
alliance des ouvriers et des flics contre les bourgeois (le 6 février
1934 la police de Daladier n'a pas eu besoin de la grève des
ouvriers pour réprimer les fachos), il invente l'anti-fascisme
interclassiste bête qui sert de bréviaire à ses morveux du NPA
jusqu'à nos jours. C'est le gouvernement de front populaire issu de
la mobilisation antifasciste de février 1934 qui votera la guerre.
Puis, dans la guerre, les enfants du prophète choisiront un camp
bourgeois.
Actuellement,
les ouvriers sont de toute façon « obligés de soutenir les
mesures pratiques du gouvernement bourgeois », mesures
sanitaires mais pas « activement », pas en acceptant de
se transformer en sœurs de la charité pour rattraper les carences
des hôpitaux déshabillés depuis des années, ni travailler 60
heures par semaine pour le saint esprit. Si l'on suivait le
raisonnement de Trotski, un front unique contre le virus supposerait
pour la classe ouvrière de se plier aux désidérata de la
bourgeoisie affolée. Mais Trotski donnait des leçons à des partis
qui n'existent plus, et actuellement la classe ouvrière n'a plus de
parti comme pendant la débâche de 1940.
Je
préfère conclure avec Anton Pannekoek, à qui j'ai envie pourtant
de répondre cette fois-ci avec Trotski : « la spontanéité
ne suffit pas ».
« La
classe ouvrière doit s’attendre à un grand nombre de catastrophes
et non spécialement espérer une catastrophe finale ;
catastrophes politiques comme la guerre et catastrophes économiques
comme les crises, qui ravageront toujours ce système, tantôt
irrégulièrement. Plus ou moins périodiquement, mais en gros allant
en se renforçant au fur et à mesure que le capitalisme se
développe. Grâce à cela les illusions du prolétariat cesseront,
sa tendance au repos se dissipera de plus en plus et une lutte de
classe, de plus en plus forte, de plus en plus profonde, se
développera. Si on l’examine du point de vue de ces
contradictions, il ne semble pas que la crise d’aujourd’hui,
pourtant plus profonde et plus ravageante que toutes celle qui l’on
précédées, montre des signes de l’éveil d’une révolution
prolétarienne. Mais ce quelle doit réaliser c’est la dissipation
des vieilles illusions : illusions, d’un côté, de rendre la
capitalisme supportable par la politique parlementaire social
démocrate et l’action syndicale ; illusion, de l’autre, de
pouvoir bousculer le capitalisme par un assaut sous la direction d’un
parti communiste accoucheur de la révolution. C’est la classe
ouvrière elle-même qui, en tant que classe, doit mener le combat et
qui a encore à trouver son chemin vers de nouvelles formes de lutte,
tandis que la bourgeoisie, elle, renforce sa puissance. On ne pourra
éviter qu’il y ait des combats encore plus durs qu’autrefois. Et
cette crise aussi peut se terminer, mais il viendra d’autres crises
et d’autres combats. C’est au cours de ces combats que la classe
ouvrière développera sa force, dégagera ses buts, s’éduquera et
apprendra à tenir debout par elle-même : alors elle prendra en
mains son propre destin, c’est-à-dire la production sociale. Et au
cours de ce processus, s’accomplira le déclin du capitalisme.
L’auto-libération du prolétariat, voilà l’écroulement du
capitalisme »27.
notes
1Son
sous-fifre Véran a encore trouvé le moyen de mentir comme Salomon
sur l'imprévoyance de l'Etat : « les usines chinoises
avaient fermé ». Plus c'est gros, moins ça passe ! La
Chine contrôle la quasi-totalité de la production industrielle de
masques. Face à la pénurie criante dans les pays occidentaux,
comme aux Etats-Unis ou en France, la voilà encore en position de
force. Il
ne faut pas être naïf. La Chine utilise les masques pour renverser
la vapeur, améliorer son image, réécrire l’histoire du virus.
Et faire oublier qu’elle en est à l’origine. C’est de la
diplomatie
réparatrice.
Qui coexiste avec des tensions géopolitiques persistantes, autour
des masques, apparues dès la fin du mois de janvier. Le Drian
s'était félicité du don (charitable) de un million de masques par
la Chine... une goutte d'eau, le prix d'une pub avant la vente du
milliard.
2
A la source Marx a défini la loi de la baisse
tendancielle du taux de profit
asse facile à comprendre. Dans une entreprise artisanale, on compte
70% de coûts pour le matériel, auxquels s'ajoutent 30% de coûts
salariaux. Dans
une entreprise hautement mécanisée, 90% des coûts sont des coûts
fixes alors que les coûts salariaux ne représentent que 10% des
coûts de production. Sachant toutefois que le travail est le seul
facteur à même de réaliser de la valeur ajoutée, le capitalisme
scie lui-même la branche sur laquelle il est assis :
l’entreprise investit de plus en plus dans des machines pour
rester concurrentielle, alors que ces machines sont incapables de
produire de la valeur ajoutée. En conséquence, l’entrepreneur
voit son profit se réduire au fur et à mesure que la part des
coûts fixes augmente dans ses coûts de production. En 2014, voyant
la machine capitaliste se gripper, Immanuel
Wallerstein et Randall Collins, estimant que l'informatisation
détruit les emplois des classes moyennes, pronostiquaient la chute
du capitalisme en 2045. C'est pas loin !
3Les
sectes trotskiennes actuelles oublie de mentionner que Trotsky à la
veille de son assassinat avait repris à son compte la théorie de
l'effondrement inévitable, qui pouvait être une hypothèse peu
farfelue à la veille de la deuxième boucherie mondiale, cf. « Le
marxisme et notre époque ».
4Nos
grands intellos académistes peuvent se reporter à « Théorie
de Marx, crise et dépassement du capitalisme », ardu,
intéressant et discutable, mais riche de rappels des opinions sur
le sujet dans la IIème Internationale :
http://www.palim-psao.fr/article-theorie-de-marx-crise-et-depassement-du-capitalisme-a-propos-de-la-situation-de-la-critique-social-108491159.html.
Par contre d'autres modernistes nous font pisser de rire comme
Contrepoints niant la baisse tendancielle du taux de profit : « Plus
généralement, on connaît l’extraordinaire
développement
en matière de santé, d’éducation et de pouvoir d’achat qu’a
connu le monde depuis les années 1970. Rien à voir avec le
communisme, champ de ruines partout où il passe, mais tout à voir
avec les effets conjugués de la mondialisation et de la
libéralisation des économies ».
https://www.contrepoints.org/2018/07/07/319762-pour-en-finir-avec-karl-marx
5Http://www.mondialisme.org/spip.php?article1237
6Une
atmosphère de guerre mondiale.
7Contrairement
à l'usage militariste et rigide qu'en fera Macron par la suite.
Avec pour but la soumission aux considérations débiles de ses
médecins aux ordres, sergents recruteurs d'une guerre... sans
masques.
8Le
bon sens populaire, si méprisé et caricaturé, est ainsi
régulièrement sitgmatisé parce que c'est un moyen de ridiculiser
la colère qui, elle, est fondée contre la gabegie gouvernementale.
Cf.
Les sondages ad hoc :
https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-plus-d-un-quart-des-francais-pensent-que-le-virus-ete-fabrique-en-laboratoire-6794371.
Curieux
virus tout de même qui pour se propager ne s'intéresse ni à la
peau, ni au sang, ni au sperme, il a besoin de la respiration
humaine ; il a cette particularité infâme de provoquer une
infection qui touche les alvéoles des poumons, les empêchant de
laisser passer l’oxygène dans le sang et les organes. Il peut
donc tout à fait passer pour une arme létale perverse typiquement
conçue par l'homme !
9Le
capitalisme est-il responsable du coronavirus ?
10Engels
écrit dans « La question du logement : « MM. Les
capitalistes ne peuvent impunément se permettre de favoriser dans
la classe ouvrière des épidémies dont ils subiraient les
conséquences ; l’ange exterminateur sévit parmi eux avec
aussi peu de ménagements que chez les travailleurs ».
12Le
capitalisme se relèvera-t-il de la crise du coronavirus ?
13Il
est indéniable que les pays asiatiques, avec leur longue expérience
des épidémies, ont sérieusement limité les dégâts, en Corée
comme au Vietnam, en particulier grâce à des Etats « forts »
tenus en laisse par un « parti communiste ». On en
deviendrait un peu moins critique sur l'efficacité de la méthode
stalinienne et moins pressé à ce que l'Etat disparaisse tout de suite en période de transition au communisme, tout en souhaitant aussi un vrai parti communiste international...
14Une
loi martiale ridicule. Dès lors mes articles sont plus fréquents, un tous
les deux jours.
15La
lutte de classe au temps de la pandémie.
16Le
virus de la peur au ventre : TRACS FAMILLE PATROUILLE.
17Qui
gardera toujours au moins le mérite d'avoir mis un coup de pied au
cul dans la fourmilière des institutions lourdingues des hautains
carabins serviles et incompétents.
18Le "socialiste" Attali continuait ainsi : « « Des
icebergs, il n’en manque pas. L’iceberg financier qui commence
avec l’Indonésie, continue avec le Japon et la Chine, la Russie,
et qui se prolongera avec l’Europe si l’euro devenu refuge monte
très au-delà de sa valeur. Et nous fonçons droit dessus, à
pleine vitesse : il n’est pas possible d’avoir durablement une
croissance des cours de Bourse triple des taux d’intérêt, des
marchés follement surévalués, créateurs de richesses fictives et
injustifiées, pour des détenteurs de titres, fonds de pensions ou
épargnants convaincus d’avoir le temps de rendre réelles leurs
fortunes virtuelles avant que les cours ne s’effondrent, sûrs de
pouvoir, eux, quitter le bateau avant l’inévitable
naufrage.L’iceberg
social, avec la certitude, si on ne change pas de route, d’avoir
dans cinquante ans plus de trois milliards d’hommes et de femmes
sans réels moyens de survivre,
cloîtrés dans les soutes du monde.Alors,
quand on rencontrera l’un ou l’autre de ces icebergs
géopolitiques, la catastrophe sera telle que nul n’aura plus les
moyens de faire des films prémonitoires du désastre suivant. Le
pire des naufrages est celui qui ne laissera même pas survivre
assez de monde pour en raconter l’histoire.
Oui,
sans doute, parce que ces icebergs ne sont dans la circonscription
électorale d’aucun des grands du monde, parce que chacun préfère
croire qu’on ne les rencontrera jamais. Et surtout parce que les
hommes politiques ne sont plus aux commandes de ce bateau lancé à
pleine vitesse qui, aujourd’hui, n’obéit plus qu’au marché à
qui on a tout confié comme s’il était infaillible, alors qu’il
ne sert en réalité que ceux qui savent tirer profit de ses erreurs
et de sa myopie.
Le Titanic aurait pu être
sauvé, si son équipage n’avait pas été si orgueilleux. S’il
avait su veiller, prévoir, s’il s’était souvenu que le but
poursuivi est plus important que la vitesse avec laquelle on s’en
rapproche, se souvenir que le marin doit privilégier le but à
atteindre sur les moyens pour l’atteindre, que la ligne droite est
l’ennemie du navigateur. Et surtout, si, avant son départ, on
l’avait doté des moyens de veille. Aujourd’hui, face au même
enjeu, on ne fera sans doute rien, comme d’habitude. Jusqu’à ce
que, faute de temps et pris par la panique, il ne reste plus d’autre
solution, comme dans la marine, que destituer le capitaine,
c’est-à-dire le marché. Osera-t-on ? ». 3 juillet 1998. En
2011, le film « Contagion » de Steven Soderbergh est une
bonne anticipation de la crise sanitaire actuelle.
20Déclarations
au Huffpost le 27 mars.
21Lire
l'édifiant article de l'OBS sur la fuite des bobos et grands bobos
de la principale agglomération de bourgeois pourris :
https://www.nouvelobs.com/confinement/20200327.OBS26656/17-des-parisiens-ont-fui-la-capitale-a-cause-du-covid-voici-ce-que-cela-dit-d-eux.html#xtor=EPR-1-[ObsActu8h]-20200327
23Ibid.
24Rony
Brauman :
https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200327.OBS26690/rony-brauman-repond-a-macron-la-metaphore-de-la-guerre-sert-a-disqualifier-tout-debat.htlm.
Brauman est un ancien maoïste, donc il ne croit plus en une
alternative ni stalinienne ni communiste. C'est son droit, mais sur
la critique de l'hypocrise sanitaire bourgeoise, il fait mal.
25Brauman,
ibid.
26Sur
cette triste époque, lire le livre de Michel Roger : Envers et
contre tout », de l'Opposition de gauche à l'Union
communiste, ed sans patrie ni frontières.
27Cf.
La théorie de l'effondrement du capitalisme par Anton Pannekoek,
article très ardu dans sa partie économique mais très
pédagogique. http://www.mondialisme.org/spip.php?article1237
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