"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

dimanche 29 mars 2020

COVID-19 : SAUVETAGE OU EFFONDREMENT DU CAPITALISME ?



UN MILLIARD DE MASQUES ET MOI ET MOI...
« Le Titanic, c’est nous, notre société triomphante, orgueilleuse, aveugle, hypocrite, impitoyable aux pauvres, où tout est prévu, sauf les moyens de prévoir ». Jacques Attali
« … ils ont choisi de tenir un discours de déni. « Pourquoi ne pas faire plus de tests ? - Parce que c’est inutile ! » « Pourquoi ne pas distribuer pas plus de masques ? - Parce que c’est inutile ! »
Je suis consterné que les porte-parole du gouvernement se soient cramponnés à cette pseudoscience. Un tel manquement est très contre-productif car il vient affaiblir la confiance que l’opinion peut avoir dans d’autres mesures gouvernementales, qui, elles, sont tout à fait argumentables, tel que le confinement ». Ronny Brauman

Cruelle situation invraisemblable il y a encore un peu plus de trois mois. On ne se souvient déjà plus que l'épidémie avait commencé en novembre 2019 dans la région de Wuhan en Chine, puis que l'OMS n'avait alerté au niveau international que le 30 janvier, que la Chine faisait sourire en généralisant les premières mesures de confinement, qu'il faut attendre fin février pour que les gouvernements occidentaux se bougent... On est encore au mois de mars et avec cette impression fausse que la pandémie est commencée depuis longtemps, qu'il s'est écoulé des mois et des années, alors qu'on n'en est qu'au début en effet comme l'a dit notre peu transparent Premier ministre ce jour1. Stupéfiant comme le temps semble aboli avec ce confinement de trois milliards d'hommes. Stupéfiant comme économistes et journalistes nous assurent que dans deux mois à peine le capitalisme reprendra son cours normal. Les hommes politiques bourgeois, dans tous les pays, ont fait preuve d'un criminelle impéritie qui leur vaudra d'avoir à rendre des comptes. On nous promet des milliards de masques alors qu'il est déjà trop tard pour d'immenses masses et que les masques ne seront que des confettis face à la pandémie. Si l'on avait le goût de faire de l'humour comme avant, on pourrait dire que la bourgeoisie s'est démasquée. On est obligé d'ajouter qu'il est simpliste d'en vouloir simplement à l'Etat bourgeois pour son impéritie quand on réfléchit à l'indiscipline par rapport au confinement, dont le résultat est terrifiant dans la bouche de ce médecin du 93 : « les gens se tuent les uns les autres et on n'a plus assez de lits ».

Les cinq articles précédents sur ce blog ont été motivés depuis la fin du mois de février par le souci de réexaminer la théorie marxiste de l'effondrement du capitalisme, en même temps que je n'ai cessé de répéter que les « autorités » et leurs sous-fifres des médias ne cessent pas de sous-estimer ce drame de portée historique et dont les conséquences terribles sont encore difficiles à apprécier.. Le « catastrophisme marxiste » refait son apparition brutalement, non pas comme prophétie de fin des temps à la manière des gourous charlatans qui pullulent à nouveau, mais comme une réalité tangible. La mort du capitalisme, annoncée autrefois par Marx et d'autres tel Schumpeter, qui peut être envisagée, ne se pose pas comme une autoroute sans feux rouges vers une société sans classes et libérée de l'exploitation et des virus de la nature2. Une hypothèse cependant de plus en plus sérieuse selon les apôtres écolos de la collapsologie, cette théorie qui prophétise aussi l’effondrement inévitable de notre civilisation industrielle qui fera des milliards de mort, et selon laquelle il est trop tard pour la lutte des classes. L'idée d’une « crise finale du système capitaliste », considérée comme mystique, comme un effondrement automatique, était rejetée par Lénine et Trotski, car selon eux ce système tend à se relever de ses crises, et que même avec une chute étalée dans le temps, il a besoin du coup de pouce des masses pour être véritablement renversé. Pendant les crises les plus profondes du passé et même durant les guerres, on a pu constater que les grands capitalistes se portaient bien. La plupart continuent même de s’enrichir. Certes, telle phase de crise économique aggrave les conditions de vie de milliards d’individus. Mais du point de vue de la grande bourgeoisie internationale, le système « fonctionne », car il garantit fortunes et privilèges. Même lorsque le PIB s’effondre, comme dans les années 30, les rapports de production capitalistes demeurent. Lénine et Trotsky n'oubliaient pas le terme de l'équation, la possibilité de destruction totale de l'humanité et l'absence de garantie qu'une société alternative au capitalisme soit assumée sous le contrôle du prolétariat mais doutaient d'un effondrement automatique; ce que le parti communiste des ouvriers d'Allemagne (KAPD) contestait violemment. Trotski dira une ânerie à la veille de la Seconde Guerre mondiale ; dans "Le programme de transition" il est écrit que "les forces productives ont cessé de croître"3. Rosa Luxemburg a mis à l'époque à peu près tout le monde d'accord, mieux que Pannekoek : « Socialisme ou barbarie » ! Après les détails dépendront du moment historique et Marx n'est plus là pour dire quoi en penser ; il n'était ni infaillible ni amateur de la boule de cristal.

Ne trouve-t-on pas chez les modernistes comme Robert Kurz une plus grande lucidité (en 2018) que chez certains de nos marxistes « orthodoxes » ? : « C’est simplement la situation historique dans laquelle nous nous trouvons, et il serait oiseux de pleurer sur les batailles perdues du passé. Si le capitalisme se heurte objectivement à des limites historiques absolues, il n’en reste pas moins vrai que, faute d’une conscience critique suffisante, l’émancipation peut échouer aujourd’hui aussi. Le résultat serait alors non pas un nouveau printemps de l’accumulation, mais, comme l’a dit Marx, la chute de tous dans la barbarie »4. Le grand porte parole hollandais de la II ème Internationale, Anton Pannekoek était lui aussi très sceptique sur l'idée d'un effondrement automatique du capitalisme et critiqua d'emblée l'analyse du KAPD (qui me semble pourtant plus d'actualité avec l'étrange Coronakrach) : « Quand le mouvement ouvrier révolutionnaire d’Europe occidentale commença de faiblir, la IIIe Internationale abandonna cette théorie. Pourtant, le mouvement d’opposition, représenté par le KAPD, s’y tint avec énergie : selon lui, reconnaître l’existence d’une crise mortelle constituait un signe distinctif entre le point de vue révolutionnaire et le point de vue réformiste (…) la théorie selon laquelle le capitalisme est entré dans sa crise finale (cf. Grossmann) constitue certes une réfutation définitive, frappante et simple, de tous les réformismes, de tous les programmes de partis qui se livrent au travail parlementaire et au travail syndical, une preuve facilement administrée que seule la tactique révolutionnaire est indispensable, si bien que des groupes révolutionnaires peuvent être enclins à la considérer avec sympathie. Mais en réalité le combat n’est ni si simple ni si aisé. Et cette remarque est tout autant valable pour le combat qui se déroule au niveau des principes et de l’administration des preuves »5.

Alors, après les affres de la crise environnementale, la crise du Covid-19 va-t-elle donner le coup de grâce au capitalisme ? Peut-on au contraire continuer à croire que le système pourrait se réformer et qu'il n'y aurait pas d'autre alternative que l'apocalypse ?

En survolant ces contributions à un état des lieux , et en laissant de côté diverses informations et réflexions qu'elles apportent, et bien que sur un court laps de temps de deux mois, elles m'apparaissent comme mettant en évidence la gabegie et l'impuissance des principaux Etats, non à juguler complètement la pandémie, mais à freiner la marche à l'effondrement économique et avec un discours politique vide, incrédible pour la population. Les comparaisons que j'effectue dans ma recherche du passé – la peste au moyen âge, 1914, la grippe espagnole de 1918, 1929, 1945 et enfin le Titanic – ne donnent que de faibles indications et ne sont pas toujours appropriées avec la gravité de la pandémie mondiale actuelle, surtout au sens où tout semble remis en cause, déstabilisé, paralysant, incompréhensible. Nouveauté inédite historiquement, pas seulement parce que ce virus se répand beaucoup plus vite que ceux qui avaient été identifiés auparavant, parce qu'il tue plus sûrement, mais parce que la « science médicale » étale son incompétence et sa fébrilité. Au sens de la globalité enfin, car, à la différence des drames lointains d'autrefois, le monde entier est touché, pas un pays ne sera épargné, pas une population. On frissonne déjà pour l'Afrique et les favelas du Brésil. Si effondrement il y a, il ne se produira pas dans un seul pays, comme dans le cas de la Russie en 1917, mais PARTOUT.

Le premier article du 26 février6 est sans doute inédit dans l'utilisation la métaphore de la guerre mondiale, mais avec un humour grinçant7, et à rappeler la destructivité inédite dont a été capable de capitalisme moderne avec en particulier le « virus » (inventé industriellement) des gaz pour tuer le maximum d'humains. J'y évoque aussi la fake new d'une possible fabrication perverse, qui n'est pas une idée complètement infondée si on sait quels types d'armes ont été utilisées pendant les guerres coloniales ou impérialistes actuelles8 ; même si le Covid-19 apparaît surtout finalement comme un des nouveaux virus que l'humanité devra toujours affronter de par ses négligences, viols de la nature, ou pas, et qu'elle ne pourra jamais complètement éradiquer même dans une société humaine débarrassée de l'exploitation.
Le deuxième article du 9 mars9 s'efforce d'écarter un marxisme simpliste où le capitalisme serait responsable de tout et de rien10, mais en estimant ses ressources dites « modernes », « progressistes » ou « scientifiques » comme presque aussi dérisoires que celles du Moyen âge face à la peste (le confinement comme seule bouée de sauvetage après dieu). Il n'est plus question de la banale histoire des retraites, c'est la mort à ma porte qui fait sa réapparition11.
Le troisième article12 insiste sur les dommages irréparables qui seront causés à l'économie mondiale, et dont les experts minimisent encore l'impact. Il se confirme que, bien que la classe dominante ne semble pas débordée, mais continue à naviguer à vue et à s'affoler, sans parvenir à diminuer le nombre de morts un peu partout et en laissant croire, par dépit et servilité, que la Chine dictatoriale a vraiment trouvé la bonne solution13.
Le quatrième article14, le 18 mars, souligne le durcissement autoritaire qui succède à la câlinothérapie macronienne avec le radotage des formules ringardes sur union et solidarité « nationales ». Les causes de la pénurie scandaleuse des masques sont détaillées.

Le cinquième article15 aborde la question de la confrontation des classes malgré la pression exercée par le confinement idéologique étroit du « tous ensemble » gouvernemental et oecuménique. Les incriminations de l'Etat contre « l'individualisme » ont clairement pour but de culpabiliser, c'est à dire de soumettre à la doxa sécuritaire sanitaire une population rétive à se laisser confiner quand en même temps une partie est obligée de s'exposer au travail. On assiste au contraire à des failles dans la « mobilisation nationale » et même à des débuts de désertion (mise en retrait, arrêts maladie) qui valent analogie (modeste) avec les mutineries au front en 1917-1918.
Le sixième article16 analyse les problèmes politiques et sociaux sous-jacents que pose et ne va pas tarder de poser ce Coronakrach. Tous les Etats capitalistes ont agi avec un retard coupable parce que la santé des masses ne peut passer avant le profit économique, vieille quadrature du cercle capitaliste néo-malthusien. Ils n'ont pensé à généraliser le confinement qu'à la mi-mars ! C'était il y a quelques jours à peine ! Et de s'étonner de l'hécatombe à l'heure présente.

LE CAPITALISME N'A PAS ENVIE DE COULER MAIS IL EST EN TRAIN DE SOMBRER

Je ne suis ni Nostradamus ni le docteur Raoult aux allures de hippie sorcier17, j'aimerais mieux me tromper complètement et que dans deux mois, cahin-caha, on ait limité le taux de mortalité et même que les bandits de la finance reprennent leurs magouilles financières, que la planète puisse revivre « normalement » avec ses soucis écologiques récurrents et ses conflits impérialistes sans fin. Mais le virus résonne comme un message d'alerte dont les conséquences philosophiques sont extraordinaires (j'y viens plus loin) et par conséquent imposeront des conclusions politiques sans fard. D'autres ont imaginé un univers planétaire où nous serions « cloîtrés dans les soutes du monde », naufragés affolés comme ceux du fameux Titanic, en particulier en 1998 un certain Jacques Attali : « Le Titanic, c’est nous, notre société triomphante, orgueilleuse, aveugle, hypocrite, impitoyable aux pauvres, où tout est prévu, sauf les moyens de prévoir ». Jacques Attali 18. L'analogie est criante là aussi. Lisons Le Figaro du 20 avril 1912 : « Les officiers rassuraient les passagers, mais il semble que les officiers eux-mêmes ne pensaient pas alors que la collision fût aussi grave qu'elle l'était. Et, de fait, comme il y avait un bal à bord, pour fêter la soirée du dimanche, la musique jouait des airs gais et joyeux. Ce ne fut qu'une demi-heure plus tard, que la pleine conscience de la gravité de la situation commença à se révéler aux passagers comme aux officiers ».
Le naufrage du Titanic fit environ 1500 morts. Les membres d'équipage sont les plus touchés puisque 76 % d'entre eux sont morts. 75 % de la troisième classe19 ont également trouvé la mort. Seules 25 % des femmes sont mortes dans le naufrage contre 82 % des passagers masculins. La règle « les femmes et les enfants d'abord » avait été respectée. Au total une poignée de milliardaires parmi les plus riches de la planète ont été noyés mais avec un grand nombre de la « troisième classe » (prolétaires migrants) cadenassés à fond de soute et parce qu'on n'avait pas voulu remplir les barques de sauvetage. Le désastre est un choc pour le monde entier car il prouve à tous que l'homme et ses réussites technologiques peuvent être dépassés par les puissances de la nature à une époque où le progrès scientifique semblait impossible à arrêter. Il met également la lumière sur les insuffisances techniques de l'époque. Pour les socialistes et Jean Jaurès, les morts du Titanic ne sont pourtant pas la conséquence d'une quelconque fatalité mais celle de la concurrence et de la recherche du profit ; on peut dire la même chose au vu de l'imprévoyance de tous les Etats, successivement avec les mêmes oeillères, dans le déni de l'expansion irrésistible du Convid-19, ajouté à la mutation de l'hôpital en entreprise « comme les autres ». Devant la presse, le vice-président, Philippe A.S. Franklin avait pratiqué lui aussi la câlinothérapie : « Nous avons une confiance absolue dans le Titanic. Nous sommes persuadés que c’est un navire qui ne peut pas couler », ce qui ne l'empêcha pas d'envoyer un télégramme alarmant au capitaine Smith : « Attendons anxieusement nouvelles navire et précisions sur sort passagers ». Comme Macron téléphonant au docteur Raoult.
C'est sur le plan économique que les avaries sont effarantes. Les prévisions économiques tablent encore ou inventent des taux rassurants. Les pays du G20 devraient subir collectivement une contraction de 0,5% de leur Produit intérieur brut (PIB) cette année d'après Moody's. Aux Etats-Unis, elle sera de -2% et dans la zone euro de -2,2%. La Chine devrait croître de 3,3%, un rythme très faible pour ce pays. Pour les Etats-Unis, Goldman Sachs prévoit une année 2020 à -3,8% et Deutsche Bank la pire contraction pour l'économie américaine depuis "au moins la deuxième guerre mondiale". Ce qui est trop moderne, la réserve fédérale prévoit une explosion américaine du chômage à 30% pour les mois à venir. Mais le drame ne se joue plus principalement dans l'économie.

Avant de procéder à nouveau aux comparaisons, il suffit de prendre encore le cas de la première économie du Monde. Il y a une paire de jours s'est tenu, sans protestation de Trump, le carnaval de La
Nouvelle Orléans, véritable bombe sanitaire comme le match de foot italo-espagnol ou ce nouveau Titanic de voyageurs de luxe où les futurs morts inconscients du virus ont fait une boume alors que le navire était confiné...
L'autre virus, le chômage refait son apparition lui aussi brutalement, pas n'importe où, aux Etats-Unis. En trois ou quatre jours trois millions de nouveaux chômeurs ! Et face à l'expansion à marche forcée du virus au quatre coins des Etats désunis, on imagine avec horreur les milliers qui vont rester sur les trottoirs parce qu'ils n'ont pas les moyens de se faire soigner ni d'être pris en charge en oxygénation clinique mais seront placés en inhumation réelle. Crise sociale géante en perspective au principal pays déjà en tête des taux de mortalité.

UN CORONAKRACH BIEN PIRE QUE LA CRISE DE 1929

Le naufrage mondial actuel s'annonce plus sévère que ceux de 1929 et de 2008 car le coronakrach touche cette fois non pas seulement le système financier mais l'ensemble de l'économie réelle, avec un effondrement en quelques semaines de la production et donc de l'offre, et aussi de la demande, à cause de milliards de personnes en confinement. Les transports, le tourisme, la distribution sont particulièrement sinistrés, même si quelques secteurs s'en sortent mieux: la pharmacie, l'industrie liée aux équipements et produits sanitaires, le commerce alimentaire ou en ligne.
Le krach de 1929 était paradoxal mais pas vraiment ni comparable ni équivalent au coronakrach de 2020, quand, pour l'instant, le système financier va encore très bien, où les Etats de la mondialisation optimiste – leurs sous-fifres journalistes économiques pensent que la crise sera courte - se concertent et font marcher la planche à billets au coude à coude via leurs institutions comme le FMI et l'OCDE. Dieu les entende. 1929 et 2008, il a fallu dix ans pour s'en remettre, à cette différence près que 1939 a été le début de la Deuxième Guerre mondiale et que, d'une certaine façon 2020 est le châtiment de 2008.

1929 est une crise de la magouille financière mais c'est encore en plein dans l'ère de l'automobile, de la radio, des premiers robots ménagers. Les « années folles » sont une période de forte croissance économique. De nouveaux produits et services en expansion dopent l'économie : radio, automobiles, aéronefs, pétrole, électricité. La production française d'hydroélectricité est multipliée par huit sur la décennie. Malgré l'explosion du chômage, on croit pleinement au « progrès » et à « la science ». Le krach au mitan de ces « années folles » ne provoque pas immédiatement une réaction de classe au niveau mondial – chacun voulant conserver jalousement son emploi et ne pas risquer la grève -, contrairement au moment de la guerre en 1917.
En 2020 on est déjà gavé du poste de télévision, saoulé de la bagnole, habitué au chômage endémique, perpétuellement stressé pour l'avenir des enfants, des vieux... Et ce qui nous tombe sur la tête ce n'est ni une crise boursière ni une bombe. Jamais l'humanité n'a été confinée comme ça même en temps de guerre. Cette crise est pire qu'une guerre pour l'économiste Nicolas Baverez : « En temps de guerre, l’offre et la demande ne disparaissent pas physiquement, les industries ne s’arrêtent pas, elles sont redéployées. Là, la brutalité de la chute de la consommation en fait un phénomène unique ». (...) « Les gens pensent à 1929 parce qu’ils n’arrivent pas à penser la radicalité de cette crise ». Selon lui le caractère absolument universel du phénomène actuel, c’est tout d’abord qu’il touche l’ensemble de la planète, contrairement à 1929, où c’était essentiellement les pays développés. Par ailleurs, c’est une crise à plusieurs niveaux. C’est une crise d’abord sanitaire, qu’on peut comparer à la grippe espagnole de 1918. C’est aussi une crise économique, et effectivement la brutalité du choc ressemble à 1929. Et enfin c’est une crise financière inédite où se combinent effondrement des marchés et chute du prix du pétrole. D’habitude ce dernier indicateur est positif. Or ce n’est pas du tout le cas”. Selon lui, les conséquences, ainsi que l’ampleur et la rapidité de la réponse politique, renforcent la spécificité du phénomène20.

Du point de vue de l'opposition des classes, qui nous importe toujours en premier lieu, tout le long des années 1930, malgré les événements de 1936 en France et en Espagne, la crise de cette époque n'est pas une alliée du prolétariat révolutionnaire, elle entraîne un repli protectionniste qui favorise les nationalismes et la montée vers la Guerre mondiale. En 2020, l'éclatement de la pandémie ne vient pas retaper la croyance au progrès ininterrompu du système capitaliste, et ce pâle remake du protectionnisme, le souverainisme actuel, n'est guère susceptible d'entraîner les masses appauvries et terrorisées dans l'idée du sacrifice pour la patrie ou pour faire barrage à une idéologie totalitaire. Nouriel Roubini, économiste devenu célèbre pour avoir prédit la crise financière de 2008, enjoint aussi, dans The Guardian, les gouvernements à doper les mesures sanitaires tout comme les aides directes aux personnes ayant perdu emploi ou revenus, au risque de voir surgir "une nouvelle Grande Dépression, pire que celle" des années 30.
La perpétuelle menace de guerre nucléaire, pas plus que la pollution ou la libération des femmes ne viennent brouiller le questionnement principal, anxiogène : quel avenir pour l'humanité entière ? Et dans ce questionnement, il y a pire, un doute généralisé des masses face à l'action sanitaire redondante des Etats, une mise en question des mandarins arrogants et autres sommités médicales impuissantes à juguler la mort mais qui ne cessent de pontifier sans se rendre compte qu'ils sont tous petits et ridicules. Ce questionnement est déjà révolutionnaire.

LA BOURGEOISIE MISE A NU
(salut à la caissière Aïcha décédée du fait de la négligence patronale bourgeoise!)

Depuis le début de l'épidémie je ne cesse de m'insurger ici sur la mise en danger de la population en général et surtout de la partie la plus consciente et la plus opprimée de la classe ouvrière, non pas des braves cadres protégés du télétravail improductif, et leur fuite indécente à Varennes21, mais de « ceux d'en bas », comme mes parents les plus proches, ces « invisibles » - caissières, routiers, livreurs, boueux – sans qui vous crèveriez tous de faim en ce moment. Dans la hiérarchie des représentations du bobo moyen, l'infirmière (exaltée comme héroïne du quotidien) représente le substitut de la mère dans le massacre en temps de guerre, quand la bonne n'est qu'une intouchable sauf si elle est belle et qu'on peut la niquer22. Extraits :

« Nos concitoyens parisiens devraient – en toute vraisemblance – éviter le triste destin des bourgeois provençaux de Giono fuyant le choléra, placés manu militari en quarantaine dans des villages isolés et attendant la mort en se goinfrant de volailles chèrement négociées auprès des paysans du coin. Mais le choix de l’exode pourrait se révéler a posteriori bien peu avisé.
Une question nous taraude. Comment expliquer que le gouvernement n’ait rien anticipé ? Les Italiens venaient pourtant de connaître la même mésaventure deux semaines plus tôt avec ces familles milanaises ou vénitiennes parties prendre le soleil du Mezzogiorno. Mais il faut croire que ce qui vaut en Italie ne vaut pas dans l’Hexagone. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a d’ailleurs commencé par minimiser le phénomène, avant d’appeler chacun à la responsabilité… une fois le gros des départs passé.
Pourtant, qui peut ignorer que tout bon Parisien est un provincial caché. La gentrification de la ville – on y compte 51 % de familles très favorisées - a fait de la mise au vert, une habitude bourgeoise, une pratique généralisée.
Tous nos exilés n’ont certes pas le manque de distanciation sociale d’une Leila Slimani ou d’une Marie Darrieusecq qui, telles des comtesses russes, se sont lancées fissa dans le récit de leur nouvel exil : la souffrance des enfants contraints de se mettre au travail dans des grandes maisons de famille associées jusque-là à l’indolence estivale, l’impéritie de la grand-mère n’ayant pas prévu des stocks de bois suffisants pour alimenter la cheminée…(...) Dans notre pays hypercentralisé, Paris et les Parisiens, en toute bonne conscience, oublient trop souvent de se poser des questions vitales sur ce qu’ils sont, ce qu’ils projettent et ce qu’ils produisent. Ville à prétention écologique, mais ville sous cloche incapable de penser sa transformation au-delà des limites du périphérique. Ville ancrée à gauche, mais puissamment inégalitaire, organisant de fait la ségrégation sociale et raciale au sein de ses établissements scolaires, comme « l’Obs » l’a déjà raconté.
Le parallèle entre la propagation du coronavirus et le développement incontrôlé de l’entre-soi dans les écoles de la capitale est d’ailleurs troublant. Mêmes décisions individuelles parfaitement compréhensibles (peur des violences, volonté d’offrir « le meilleur » à ses rejetons), même absence de régulation politique, et même « résultat collectivement désastreux » pour paraphraser l’économiste Julien Grenet, spécialiste de ces questions de choix scolaire »23.

L'extraordinaire de cette crise est donc, non seulement qu'elle paupérise cette masse inflationniste de couches moyennes, qu'elle montre leurs réticences à « tomber dans le prolétariat », mais qu'elle expose son cynisme qui la relie à la minorité bourgeoise depuis au moins un demi siècle. Economiquement les petits bourgeois vont pourtant plonger dans l'indigence avec la paralysie croissante du système ; politiquement ils pourront toujours se consoler avec les catégories idéologiques ridicules du NPA et de Mélenchon qui ne sauveront pourtant pas un chat du coronavirus, ou, la partie en jaune avec ploucs et petits commerçants dans les urnes de la pauvresse blondasse du RN. Mais, cruelle, la crise contaminante déchire un peu plus l'indifférence à la barbarie qui se cache derrière tous ces « anti-ceci et anti-cela », comme le confirment les promeneurs bourgeois du Touquet nullement inquiétés par la police complice. Friqués et députés ont droit à un dépistage rapide. Tout cela marque en effet un grand changement, philosophiquement j'entends, pour ceux qui croient que la crise épidémiologique va changer les mentalités de classe, pardon des classes étrangères l'une à l'autre.
LA METAPHORE GUERRIERE RELEVE DE LA MEDECINE DE CATASTROPHE

« Nous sommes face à une catastrophe. Au moment où nous parlons, des structures de soins sont débordées et l’on voit réapparaître les méthodes de la médecine de catastrophe, mises au point, il est vrai, par la médecine militaire mais élargies aux situations de crises majeures, notamment de catastrophes naturelles : les techniques de triage séparant les gens qu’on va pouvoir aider à sortir et ceux pour lequel le pronostic est trop mauvais, relèvent typiquement de la médecine de catastrophe. De façon plus générale, cette métaphore est trompeuse, en ce qu’elle laisse entendre que la santé passe par la défaite de la maladie. Mais la maladie fait partie de la vie et l’on devrait parler de droit à la maladie, plutôt que de droit à la santé. Je pense au philosophe Georges Canguilhem observant que pour la plupart des gens, la santé, ce n’est pas l’absence de maladie mais la possibilité de tomber malade et de s’en relever. (…) depuis Pasteur, le germe infectieux place les sociétés dans une situation complexe. Dès lors que nous sommes tous potentiellement vecteurs de contagion, chaque individu devient une menace pour la collectivité, chaque voisin est un risque potentiel. Et inversement, l’individu se sent menacé par le groupe, qui peut cacher des malades, et il va donc chercher à s’en isoler. Le confinement nous demande d’être à la fois solidaires et individualistes.
C’est le paradoxe de l’épidémie, que dissimule la métaphore de la guerre. Dire qu’on mène une guerre contre un virus, c’est prendre le risque d’alimenter la guerre de tous contre tous, chacun étant potentiellement le vecteur de l’ennemi invisible. Quand j’entends le président conclure son discours de Mulhouse, le 25 mars, par un martial « Nous ne céderons rien ! », je suis abasourdi. Céder quoi, à qui ? »24.

Le docteur Brauman réduit nos philosophes germanopratins à des belles de salon, celles qui vont surinterpréter de façon romantique l'apocalypse en résidence secondaire. S'il poursuivait son raisonnement il pourrait dire que la manière de combattre le virus par la pseudo-science gouvernementale n'est qu'une vulgaire méthode nationaliste, qui a besoin de faire croire à un ennemi « commun » de surcroît comme si le virus était un ennemi de guerre classique avec les soldats du camp opposé et la nécessité de s'enfermer dans les tranchées du profit et des inégalités sociales temporairement mise sous le boisseau. Le virus au contraire NOUS RESSEMBLE, et ce n'est pas en pensant l'éradiquer définitivement qu'on peut en limiter les dégâts ni éveiller un quelconque espoir de « victoire ». C'est pourquoi la logique gouvernementale est mortifère. Au départ en assurant qu'il y faudrait un an ou deux avant la réalisation du vaccin sauveur, puis en catégorisant comme des enfants la population plus « confinée » dans une absence de réflexion et de conscience que véritablement protégée du fait de l'inadmissible absence de masques et de produits hydroalcooliques. Ce confinement avant tout idéologique, pire que ce qui avait été décrit par Orwell, n'a qu'un seul but : empêcher de souhaiter l'effondrement du capitalisme, sous prétexte que la maladie se répandrait encore plus vite.

« Le propre du vivant, c’est de chercher à répandre ses gènes et le virus obéit à une logique de vie, qui s’inscrit dans une dialectique entre contagiosité et mortalité. Il lui faut trouver des vecteurs – des organismes vivants – qui lui permettent de se répandre. Mais s’il tue trop vite ces vecteurs ou s’il ne trouve pas de nouveaux organismes à contaminer, il arrive à une impasse et meurt. Ce que vise le confinement, c’est à mettre le virus dans une impasse : chacun doit être le cimetière du virus. C’est ici que l’on voit la limite de la méthode : cet isolement total serait notre cimetière à tous, pas seulement celui du virus »25.

On ne peut en rester à ce constat de la guerre de tous contre tous, il faut penser à l'après, qui sera de toute façon un champ de ruines. Qu'en sortira-t-il ? Un capitalisme rajeuni ? Non mais des masses de chômeurs comme jamais, des masses de crève-la-faim, de la misère, et le même système de « lois du marché », de trafic des banques, de répression... Un retour à l'Etat providence et à des productions nationales ? Qui y croira sérieusement à l'heure de demander des comptes aux dominants ? N'oublions pas que la révolution mondiale a commencé à la fin de la Première Guerre mondiale parce qu'on avait envoyé les peuples « au casse-pipe », mais en uniforme. Aujourd'hui c'est toute la population civile qui a été envoyée au casse-pipe !

VERS UNE EXPLOSION SOCIALE PLANETAIRE ?

Je l'ai déjà souligné à plusieurs reprises nous ne sommes pas et ne serons pas égaux dans l'enfoncement dans la catastrophe sanitaire. Il ne faut pas seulement penser à l'Afrique ou aux favelas. En premier lieu, on l'a vu et souligné, c'est la classe ouvrière qui, partout, est la première exposée, parce qu'il faut bien faire tourner le monde et bouffer. Revenons au Titanic. L’image a été souvent utilisée. Nous sommes peut-être tous dans le même bateau – la planète – mais nous n’y sommes pas au même étage. Certains ont un accès prioritaire aux canots de sauvetage quand d’autres restent coincés à fond de cale. La métaphore est très révélatrice concernant la pandémie du Covid-19. Alors que Macron en appelle à « l’union nationale » et exhorte chacun à rester chez soi, le coût et l'atmosphère du confinement n’est pas du tout le même pour tous selon que vous êtes confiné dans une tour de banlieue ou en résidence secondaire à l'île de Ré. Les habitants de logements insalubres et de quartiers populaires sont en moins bonne santé depuis bien avant la pandémie. Ils ont une alimentation dégradée, et des métiers, souvent en horaires décalés, qui fatiguent énormément. Nos héroïnes méprisées, les caissières ou les femmes, et hommes, qui font le ménage. Nombre de familles monoparentales ne survivent que parce que les rejetons trafiquent. Dans les « quartiers », ils cumulent malbouffe, mal-logement, insécurité et pollution. Cette épidémie, elle risque d'y être encore plus terrible. « Si des gens doivent mourir, ce sera plus là »dit un médiateur de quartier. Le jeune Engels n'avait pas constaté une situation différente en décrivant la misère de la classe ouvrière au milieu du XIX ème siècle en Angleterre. Confrontés au manque de lits en réanimation ainsi qu’au manque de respirateurs, les soignants ne peuvent que constater le nombre croissant de décès dans le département 93.
La principale cause de la très forte affluence dans les hôpitaux en cette fin de semaine était prévisible dans les banlieues : le non-respect des règles de confinement. « On vit un enfer ici. Il faut que ça s’arrête, les gens se tuent les uns les autres en sortant. Oui, le coronavirus touche tout le monde », ajoute ce médecin qui souligne l’état de fatigue du personnel hospitalier.

Les informations sociales cruciales sont évidemment censurées mieux qu'en 1914 puisque lorsqu'elles peuvent être dérangeantes, elles deviennent forcément des « fake news ». Est-ce une fake new le fait que des supermarchés ont été pris d'assaut en Italie ? Et les révoltes dans les prisons ? Et l'étonnant grand nombre de lieux de travail en retrait ? Et les menaces de grève ?

Pourrait-on faire grève dans la terrible situation sanitaire actuelle ? Dans la plupart des cas jusqu'à présent, la protestation a eu recours au très étriqué droit de retrait. Il convient de noter que le droit de retrait ne doit pas être utilisé par les salariés pour faire valoir des revendications professionnelles (augmentation des salaires, de l'effectif, amélioration des conditions de travail, etc.), relevant pour leur part du droit de grève. En effet, le droit de grève s'entend d'un arrêt collectif de travail en vue de l'amélioration des conditions de travail, alors que le droit de retrait pourra être utilisé par un ou plusieurs salariés tant que leur employeur n'aura pas pris les mesures nécessaires pour supprimer le danger et par exemple, n’aura pas mis en conformité ses machines ou bien n’aura pas renforcé son personnel de sécurité. Dans la situation de confinement, et sans aucune publicité de la part des médias, ça a « frité » dans nombre d'entreprises. On a appris seulement que, par exemple, des postes avaient fermé. Le bâtiment est quasiment à l'arrêt officiellement par mesure de sécurité, etc.
Coup de tonnerre ou pétard de carnaval, la CGT a dit « envisager » la grève des services publics pour tout le mois d'avril. Franchement qui peut prendre au sérieux le petit moustachu qui a agité ses petits bras en vain dans la comédie pour les retraites ? Si une girouette réac du réac Le Point, Sophie Coignard qui dénonce « un suicide en direct ». Bof. Du tout, la CGT joue les gros bras de la contestation anti-union sacrée, parce qu'il n'y a ni union sacrée ni risque que des masses de travailleurs descendent s'exposer dans la rue. A moins que le gouvernement ne laisse faire (pour mieux se débarrasser à l'hosto des bureaucrates permanents?), tel le stupide gouvernement espagnol qui a autorisé les manifs le 8 mars pour la commémoration de la journée de la femme... et de la mort en clinique.
La grève n'est plus la méthode pour vraiment se défendre ni pour revendiquer l'effondrement du système d'exploitation. Les permanents syndicaux payés par le gouvernement ne sont même pas drôles. La situation inédite rend pour l'instant quasi impossible toute riposte de classe et on n'a guère de comparaison possible avec le passé du mouvement ouvrier, pas du tout même, sauf à s'imaginer sous un tapis de bombes en 1943 ou 1944. Mais nous disposons quand même d'un échantillon de comparaison grâce à un personnage brillant et original, quasi notre contemporain puisqu'il était encore vivant en 1940. Examinons comment il demande aux ultra-gauches de son temps « d'apprendre à penser », même s'il apparaît finalement non seulement très opportuniste mais inconscient de l'aide qu'il apporte à l'Etat bourgeois à une époque où les « fronts unis » servent à préparer à la guerre. Il se faisait appeler Trotski.

« Tout le monde connaît le postulat du fameux théoricien militaire allemand Clausewitz, que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Cette pensée profonde conduit naturellement à la conclusion que la lutte contre la guerre n’est que la continuation de la lutte prolétarienne générale en temps de paix. Le prolétariat en temps de paix rejette-t-il et sabote-t-il toutes les actions et toutes les mesures du gouvernement bourgeois ?
Même dans le cours d’une grève qui embrasse une ville entière, les ouvriers prennent des mesures pour assurer la livraison du ravitaillement dans leurs quartiers, s’assurer qu’ils auront de l’eau, que les hôpitaux ne vont pas souffrir, etc. De telles mesures leur sont dictées non par de l’opportunisme vis-à-vis de la bourgeoisie, mais par le souci des intérêts de la grève elle-même, le souci d’avoir les sympathies des masses de la ville ainsi submergée, etc. Ces règles élémentaires de stratégie prolétarienne en temps de paix conservent toute leur vigueur en temps de guerre aussi.
Une attitude intransigeante à l’égard du militarisme bourgeois ne signifie pas du tout que le prolétariat, dans tous les cas, entre en lutte contre sa propre armée « nationale ». Au minimum, les ouvriers n’empêcheraient pas les soldats d’éteindre un incendie ou de recueillir des gens en train de se noyer pendant une inondation, au contraire, ils aideraient, aux côtés des soldats et fraterniseraient avec eux. Et la question n’est pas épuisée simplement par les cas des calamités naturelles. Si les fascistes français essayaient aujourd’hui un coup d’Etat et que le gouvernement Daladier soit obligé d’envoyer ses troupes contre les fascistes, les ouvriers révolutionnaires, tout en maintenant leur indépendance politique complète, combattraient aux côtés de ces troupes contre les fascistes. Ainsi, dans un certain nombre de cas, les ouvriers sont obligés, non seulement de permettre et de tolérer, mais de soutenir activement les mesures pratiques du gouvernement bourgeois. 
Dans quatre-vingt-dix pour cent des cas, les ouvriers placent un signe moins là où la bourgeoisie place un signe plus. Dans dix cas cependant, ils sont obligés de mettre le même signe que la bourgeoisie, avec leur propre sceau, dans lequel s’exprime leur méfiance à l’égard de la bourgeoisie. La politique du prolétariat ne se déduit pas du tout automatiquement de la politique de la bourgeoisie, en mettant simplement le signe contraire (cela ferait de chaque sectaire, un maître stratège). Non, le parti révolutionnaire doit chaque fois s’orienter, de façon indépendante, dans la situation intérieure comme extérieure, et arriver à prendre les décisions qui correspondent le mieux aux intérêts du prolétariat. Cette règle s’applique aussi bien à la période de guerre qu’à la période de paix. » (Trotsky, Il faut apprendre à penser, un conseil amical à certains ultra-gauchistes. 22/05/1938 , ILT, T.17, p.247)26

L'écriture de Trotski est toujours chatoyante et pleine de subtilités. Nombre d'observations sont justes. Dans la première partie il démontre très bien (mieux que je m'efforce de le faire en général) l'impossibilité d'une grève générale totale. Par contre lorsqu'il prend cet exemple empirique de soldats qui viennent éteindre un incendie – et il n'a pas connu la Seine Saint-Denis – soutenus par les travailleurs il confond pompiers et militaires, mais surtout il se croit en 1830 où la classe ouvrière pouvait encore s'allier à la bourgeoisie ; on est dans un de ses multiples tournants dans l'avant-guerre, avec sa théorie du « front unique » antifasciste où il est prêt à s'allier avec le diable et sa grand-mère. L'exemple factuel empirique reste toujours l'arme du démagogue : « il y a le feu donc il n'y a plus de classes, tous ensemble éteignons l'incendie » ! En soi le langage tout plein du camarade Macron ! Certes si je suis au front à Verdun entre les barbelés avec un boche comme moi perdu, on va se jeter à terre tous les deux et éviter les balles des deux camps.
Lorsqu'il envisage ensuite, une chose qui ne s'est jamais produite, une alliance des ouvriers et des flics contre les bourgeois (le 6 février 1934 la police de Daladier n'a pas eu besoin de la grève des ouvriers pour réprimer les fachos), il invente l'anti-fascisme interclassiste bête qui sert de bréviaire à ses morveux du NPA jusqu'à nos jours. C'est le gouvernement de front populaire issu de la mobilisation antifasciste de février 1934 qui votera la guerre. Puis, dans la guerre, les enfants du prophète choisiront un camp bourgeois.

Actuellement, les ouvriers sont de toute façon « obligés de soutenir les mesures pratiques du gouvernement bourgeois », mesures sanitaires mais pas « activement », pas en acceptant de se transformer en sœurs de la charité pour rattraper les carences des hôpitaux déshabillés depuis des années, ni travailler 60 heures par semaine pour le saint esprit. Si l'on suivait le raisonnement de Trotski, un front unique contre le virus supposerait pour la classe ouvrière de se plier aux désidérata de la bourgeoisie affolée. Mais Trotski donnait des leçons à des partis qui n'existent plus, et actuellement la classe ouvrière n'a plus de parti comme pendant la débâche de 1940.

Je préfère conclure avec Anton Pannekoek, à qui j'ai envie pourtant de répondre cette fois-ci avec Trotski : « la spontanéité ne suffit pas ».


« La classe ouvrière doit s’attendre à un grand nombre de catastrophes et non spécialement espérer une catastrophe finale ; catastrophes politiques comme la guerre et catastrophes économiques comme les crises, qui ravageront toujours ce système, tantôt irrégulièrement. Plus ou moins périodiquement, mais en gros allant en se renforçant au fur et à mesure que le capitalisme se développe. Grâce à cela les illusions du prolétariat cesseront, sa tendance au repos se dissipera de plus en plus et une lutte de classe, de plus en plus forte, de plus en plus profonde, se développera. Si on l’examine du point de vue de ces contradictions, il ne semble pas que la crise d’aujourd’hui, pourtant plus profonde et plus ravageante que toutes celle qui l’on précédées, montre des signes de l’éveil d’une révolution prolétarienne. Mais ce quelle doit réaliser c’est la dissipation des vieilles illusions : illusions, d’un côté, de rendre la capitalisme supportable par la politique parlementaire social démocrate et l’action syndicale ; illusion, de l’autre, de pouvoir bousculer le capitalisme par un assaut sous la direction d’un parti communiste accoucheur de la révolution. C’est la classe ouvrière elle-même qui, en tant que classe, doit mener le combat et qui a encore à trouver son chemin vers de nouvelles formes de lutte, tandis que la bourgeoisie, elle, renforce sa puissance. On ne pourra éviter qu’il y ait des combats encore plus durs qu’autrefois. Et cette crise aussi peut se terminer, mais il viendra d’autres crises et d’autres combats. C’est au cours de ces combats que la classe ouvrière développera sa force, dégagera ses buts, s’éduquera et apprendra à tenir debout par elle-même : alors elle prendra en mains son propre destin, c’est-à-dire la production sociale. Et au cours de ce processus, s’accomplira le déclin du capitalisme. L’auto-libération du prolétariat, voilà l’écroulement du capitalisme »27.




notes

1Son sous-fifre Véran a encore trouvé le moyen de mentir comme Salomon sur l'imprévoyance de l'Etat : « les usines chinoises avaient fermé ». Plus c'est gros, moins ça passe ! La Chine contrôle la quasi-totalité de la production industrielle de masques. Face à la pénurie criante dans les pays occidentaux, comme aux Etats-Unis ou en France, la voilà encore en position de force. Il ne faut pas être naïf. La Chine utilise les masques pour renverser la vapeur, améliorer son image, réécrire l’histoire du virus. Et faire oublier qu’elle en est à l’origine. C’est de la diplomatie réparatrice. Qui coexiste avec des tensions géopolitiques persistantes, autour des masques, apparues dès la fin du mois de janvier. Le Drian s'était félicité du don (charitable) de un million de masques par la Chine... une goutte d'eau, le prix d'une pub avant la vente du milliard.
2 A la source Marx a défini la loi de la baisse tendancielle du taux de profit asse facile à comprendre. Dans une entreprise artisanale, on compte 70% de coûts pour le matériel, auxquels s'ajoutent 30% de coûts salariaux. Dans une entreprise hautement mécanisée, 90% des coûts sont des coûts fixes alors que les coûts salariaux ne représentent que 10% des coûts de production. Sachant toutefois que le travail est le seul facteur à même de réaliser de la valeur ajoutée, le capitalisme scie lui-même la branche sur laquelle il est assis : l’entreprise investit de plus en plus dans des machines pour rester concurrentielle, alors que ces machines sont incapables de produire de la valeur ajoutée. En conséquence, l’entrepreneur voit son profit se réduire au fur et à mesure que la part des coûts fixes augmente dans ses coûts de production. En 2014, voyant la machine capitaliste se gripper, Immanuel Wallerstein et Randall Collins, estimant que l'informatisation détruit les emplois des classes moyennes, pronostiquaient la chute du capitalisme en 2045. C'est pas loin !
3Les sectes trotskiennes actuelles oublie de mentionner que Trotsky à la veille de son assassinat avait repris à son compte la théorie de l'effondrement inévitable, qui pouvait être une hypothèse peu farfelue à la veille de la deuxième boucherie mondiale, cf. « Le marxisme et notre époque ».
4Nos grands intellos académistes peuvent se reporter à « Théorie de Marx, crise et dépassement du capitalisme », ardu, intéressant et discutable, mais riche de rappels des opinions sur le sujet dans la IIème Internationale : http://www.palim-psao.fr/article-theorie-de-marx-crise-et-depassement-du-capitalisme-a-propos-de-la-situation-de-la-critique-social-108491159.html. Par contre d'autres modernistes nous font pisser de rire comme Contrepoints niant la baisse tendancielle du taux de profit : « Plus généralement, on connaît l’extraordinaire développement en matière de santé, d’éducation et de pouvoir d’achat qu’a connu le monde depuis les années 1970. Rien à voir avec le communisme, champ de ruines partout où il passe, mais tout à voir avec les effets conjugués de la mondialisation et de la libéralisation des économies ». https://www.contrepoints.org/2018/07/07/319762-pour-en-finir-avec-karl-marx
5Http://www.mondialisme.org/spip.php?article1237
6Une atmosphère de guerre mondiale.
7Contrairement à l'usage militariste et rigide qu'en fera Macron par la suite. Avec pour but la soumission aux considérations débiles de ses médecins aux ordres, sergents recruteurs d'une guerre... sans masques.
8Le bon sens populaire, si méprisé et caricaturé, est ainsi régulièrement sitgmatisé parce que c'est un moyen de ridiculiser la colère qui, elle, est fondée contre la gabegie gouvernementale. Cf. Les sondages ad hoc : https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-plus-d-un-quart-des-francais-pensent-que-le-virus-ete-fabrique-en-laboratoire-6794371. Curieux virus tout de même qui pour se propager ne s'intéresse ni à la peau, ni au sang, ni au sperme, il a besoin de la respiration humaine ; il a cette particularité infâme de provoquer une infection qui touche les alvéoles des poumons, les empêchant de laisser passer l’oxygène dans le sang et les organes. Il peut donc tout à fait passer pour une arme létale perverse typiquement conçue par l'homme !
9Le capitalisme est-il responsable du coronavirus ?
10Engels écrit dans « La question du logement : « MM. Les capitalistes ne peuvent impunément se permettre de favoriser dans la classe ouvrière des épidémies dont ils subiraient les conséquences ; l’ange exterminateur sévit parmi eux avec aussi peu de ménagements que chez les travailleurs ».
11En temps normal, six cent mille personnes meurent chaque année en France, donc avec près de 1600 décès par jour (si si même si vous ne le voyez pas en ville!). En 2019, 612 000 décès ont été enregistrés, selon des données provisoires de l'Insee. Cela représente en moyenne 1676 morts par jour en France, tout mois confondus. Jeudi dernier, le bilan des autorités sanitaires françaises (il est sans doute loin du compte) faisait état de 365 morts dues au Covid-19. 231 morts la veille, 240 mardi, etc. Si l'on remonte jusqu'au 16 mars, on peut établir une moyenne d'environ 142 morts par jour depuis - mais cela étant en hausse très rapide, en plus des 1600 décès journaliers... Mais c'est plus violent parce qu'on nous le rabâche chaque jour.
12Le capitalisme se relèvera-t-il de la crise du coronavirus ?
13Il est indéniable que les pays asiatiques, avec leur longue expérience des épidémies, ont sérieusement limité les dégâts, en Corée comme au Vietnam, en particulier grâce à des Etats « forts » tenus en laisse par un « parti communiste ». On en deviendrait un peu moins critique sur l'efficacité de la méthode stalinienne et moins pressé à ce que l'Etat disparaisse tout de suite en période de transition au communisme, tout en souhaitant aussi un vrai parti communiste international...
14Une loi martiale ridicule. Dès lors mes articles sont plus fréquents, un tous les deux jours.
15La lutte de classe au temps de la pandémie.
16Le virus de la peur au ventre : TRACS FAMILLE PATROUILLE.
17Qui gardera toujours au moins le mérite d'avoir mis un coup de pied au cul dans la fourmilière des institutions lourdingues des hautains carabins serviles et incompétents.
18Le "socialiste" Attali continuait ainsi : « « Des icebergs, il n’en manque pas. L’iceberg financier qui commence avec l’Indonésie, continue avec le Japon et la Chine, la Russie, et qui se prolongera avec l’Europe si l’euro devenu refuge monte très au-delà de sa valeur. Et nous fonçons droit dessus, à pleine vitesse : il n’est pas possible d’avoir durablement une croissance des cours de Bourse triple des taux d’intérêt, des marchés follement surévalués, créateurs de richesses fictives et injustifiées, pour des détenteurs de titres, fonds de pensions ou épargnants convaincus d’avoir le temps de rendre réelles leurs fortunes virtuelles avant que les cours ne s’effondrent, sûrs de pouvoir, eux, quitter le bateau avant l’inévitable naufrage.L’iceberg social, avec la certitude, si on ne change pas de route, d’avoir dans cinquante ans plus de trois milliards d’hommes et de femmes sans réels moyens de survivre, cloîtrés dans les soutes du monde.Alors, quand on rencontrera l’un ou l’autre de ces icebergs géopolitiques, la catastrophe sera telle que nul n’aura plus les moyens de faire des films prémonitoires du désastre suivant. Le pire des naufrages est celui qui ne laissera même pas survivre assez de monde pour en raconter l’histoire.
Oui, sans doute, parce que ces icebergs ne sont dans la circonscription électorale d’aucun des grands du monde, parce que chacun préfère croire qu’on ne les rencontrera jamais. Et surtout parce que les hommes politiques ne sont plus aux commandes de ce bateau lancé à pleine vitesse qui, aujourd’hui, n’obéit plus qu’au marché à qui on a tout confié comme s’il était infaillible, alors qu’il ne sert en réalité que ceux qui savent tirer profit de ses erreurs et de sa myopie.
Le Titanic aurait pu être sauvé, si son équipage n’avait pas été si orgueilleux. S’il avait su veiller, prévoir, s’il s’était souvenu que le but poursuivi est plus important que la vitesse avec laquelle on s’en rapproche, se souvenir que le marin doit privilégier le but à atteindre sur les moyens pour l’atteindre, que la ligne droite est l’ennemie du navigateur. Et surtout, si, avant son départ, on l’avait doté des moyens de veille. Aujourd’hui, face au même enjeu, on ne fera sans doute rien, comme d’habitude. Jusqu’à ce que, faute de temps et pris par la panique, il ne reste plus d’autre solution, comme dans la marine, que destituer le capitaine, c’est-à-dire le marché. Osera-t-on ? ». 3 juillet 1998. En 2011, le film « Contagion » de Steven Soderbergh est une bonne anticipation de la crise sanitaire actuelle.
19 Cette troisième classe était la classe de l'immigration. Les gens qui voyageaient à bord étaient en famille, parfois par groupes d'une dizaine de personnes dans les étages inférieurs du navire. Avant l'embarquement ils avaient fait l'objet de stricts contrôles sanitaires et étaient rigoureusement séparés des autres passagers. La réglementation américaine était en effet très stricte pour éviter toute contamination.
20Déclarations au Huffpost le 27 mars.
21Lire l'édifiant article de l'OBS sur la fuite des bobos et grands bobos de la principale agglomération de bourgeois pourris : https://www.nouvelobs.com/confinement/20200327.OBS26656/17-des-parisiens-ont-fui-la-capitale-a-cause-du-covid-voici-ce-que-cela-dit-d-eux.html#xtor=EPR-1-[ObsActu8h]-20200327
22Génial Rony Brauman, que j'ai eu l'occasion de rencontrer. A la question de l'OBS« aujourd’hui, Emmanuel Macron ne tarit pas d’éloge sur le personnel hospitalier… : Ses propos qualifiant les soignants de « héros » me semblent particulièrement mal venus. Cette qualification a quelque chose de pervers, parce qu’elle gomme les raisons de la crise sanitaire. Outre qu’elle oubliait les autres professions qui continuent à travailler pour que notre vie soit encore vivable (éboueurs, policiers, livreurs, caissières, producteurs, distributeurs de produits essentiels), elle met les soignants dans une position délicate. Un héros, ça ne demande pas des journées de récupération pour s’occuper de ses enfants, de prime de risque, un salaire décent. On sait bien qu’une partie du vidage des hôpitaux vient de ce qu’on paye les gens de façon indécente. Brandir la figure du héros, c’est sous-entendre par contraste la médiocrité de revendiquer des conditions de travail correctes ».
23Ibid.
24Rony Brauman : https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200327.OBS26690/rony-brauman-repond-a-macron-la-metaphore-de-la-guerre-sert-a-disqualifier-tout-debat.htlm. Brauman est un ancien maoïste, donc il ne croit plus en une alternative ni stalinienne ni communiste. C'est son droit, mais sur la critique de l'hypocrise sanitaire bourgeoise, il fait mal.

25Brauman, ibid.
26Sur cette triste époque, lire le livre de Michel Roger : Envers et contre tout », de l'Opposition de gauche à l'Union communiste, ed sans patrie ni frontières.
27Cf. La théorie de l'effondrement du capitalisme par Anton Pannekoek, article très ardu dans sa partie économique mais très pédagogique. http://www.mondialisme.org/spip.php?article1237

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