"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mercredi 22 mai 2019

LE MORALISME IMPUISSANT D'UNE SECTE


(Quand le CCI en revient à l'humanisme théorique et spéculatif)

« La morale, c’est « l’impuissance mise en action ». » Marx, « La Sainte Famille »
« On voit, dans les époques de réaction triomphante, MM. les démocrates, sociaux-démocrates, (…) et autres représentants de la gauche, sécréter de la morale en quantité double, de même que les gens transpirent davantage quand ils ont peur. Répétant à leur façon les dix commandements ou le sermon sur la montagne, ces moralistes s’adressent moins à la réaction triomphante qu’aux révolutionnaires traqués, dont les « excès » et les principes « amoraux » « provoquent » la réaction et lui fournissent une justification morale. Il y aurait cependant un moyen élémentaire, mais sûr, d’éviter la réaction : l’effort intérieur, la renaissance morale. Des échantillons de perfection éthique sont distribués gratuitement dans toutes les rédactions intéressées. Cette prédication aussi ampoulée que fausse a sa base sociale, de classe, dans la petite bourgeoisie intellectuelle. Sa base politique est dans l’impuissance et le désarroi devant la réaction ». Trotsky


En 2006, j'avais fait mon signe de croix en lisant le nouveau sermon sur la montagne (Marxisme et éthique, débat interne au CCI)1 en espérant que ce débat révisionniste resterait interne. Je me trompais, ils veulent y mêler désormais le prolétariat. C'est toujours ainsi quand les sectes croient avoir trouvé la science infuse ils lèvent les bras au ciel et hurlent « euréka » ! Leur débat interne fût très étroit, franchement limité en connaissances philosophiques, pour ne pas dire conclave de semi-illettrés.
Dans le marasme politique et social actuel, et en pleine période d'apolitisme électoral, décervelage organisé pour empêcher de penser sérieusement, il est tout naturel que des sectes veuillent exploiter le scepticisme ambiant en ayant recours au vieillot dogmatisme moral ; au fond toujours religieux :  « il n'existe que les vérités éternelles de la religion pour justifier la morale, ce qui représente une conception rétrograde. D'ailleurs, la bourgeoisie applique largement cette formule, sans le dire ouvertement » (Trotsky).
Après une utilisation aléatoire de clins d'oeil à la « jeunesse révoltée », car le CCI est vieux. Un premier tract (mondial) avait été trop démagogique et avait été retiré (erreur du comité central faillible?)2.

NATURE ET MORALE

Ce n'est pas un simple Poutou ou Besancenot qui fait la réclame, non, un groupe lilliputien qui se réclame du prolétariat seul et unique. Le ton démagogique est resté le même que pour la première version retirée :
« Les jeunes descendent dans la rue pour exprimer leur inquiétude totalement justifiée pour l'avenir de la planète et de l'espèce humaine elle-même, un avenir de plus en plus compromis par les effets d'un système de production qui détruit l'environnement naturel (tout en détruisant la vie de millions d'êtres humains par l'exploitation, la guerre et la misère qu'il provoque) et qui entraîne des changements des conditions climatiques, atmosphériques et reproductives de la planète aux conséquences toujours plus catastrophiques. De même, ils expriment leur indignation face au cynisme et à l'hypocrisie des dirigeants qui ont la bouche pleine de déclarations exprimant "leur préoccupation" pour le "problème de l’environnement ».
A aucun moment ne nous est dit de quels « jeunes » il s'agit. S'agit-il de la jeunesse en général, de celle des beaux quartiers, des cités ouvrières et des banlieues immigrées ? On met en garde ces « dizaines de milliers de jeunes » contre un « piège » organisé par ceux-là même qui font les guerres et polluent la planète. On propose une vision coranique, manichéenne du prolétariat ce semeur d'avenir, sans la moindre démonstration de la fiabilité de ce messianisme :
« La classe ouvrière n'a aucun intérêt, en tant que classe la plus exploitée de la société, à défendre ce système décadent et, d'autre part, en raison de la manière associée dont elle est organisée dans le capitalisme, elle peut semer les graines d'une autre société, une société qui n'impose pas une division entre les peuples, entre la nature et les produits qui en découlent, entre l'homme et son environnement naturel. Quand la classe ouvrière s'affirme comme classe autonome en développant une lutte massive, sur son propre terrain de classe, elle entraîne derrière elle une part toujours plus grande de la société, derrière ses propres méthodes de lutte et ses mots d’ordre unitaires et, finalement, son propre projet révolutionnaire de transformation de la société ».
On s'aperçoit vite qu'en réalité cette classe ouvrière, qui ne s'aime pas et ne sème pas grand chose en ce moment, a besoin de sermons et de leçons de morale :
« Le mouvement contre le réchauffement climatique3 se développe dans un contexte d'absence quasi totale de luttes de la classe ouvrière, qui fait également face à une perte de confiance en soi et même de sa propre identité de classe. En conséquence, la classe ouvrière n'est pas encore en mesure de répondre à la question que se poseront certains des participants au mouvement pour le climat, à savoir celle d'une perspective d'avenir face à une société capitaliste qui se dirige vers l’abîme.Les jeunes qui participent au mouvement doivent comprendre qu'ils ne sont pas de "futurs citoyens" mais, dans leur très grande majorité, de futurs précaires, de futurs chômeurs, de futurs exploités, qui devront unir à leur lutte contre l'exploitation capitaliste la lutte contre la guerre, la catastrophe environnementale, la barbarie morale, etc. que ce système d'exploitation transpire par tous ses pores  (…) Dans le capitalisme, il n'y a pas de solution : ni à la destruction de la planète, ni aux guerres, ni au chômage, ni à la précarité. Seule la lutte du prolétariat mondial avec tous les opprimés et exploités du monde peut ouvrir la voie à une alternative ».
Ce ne sont que généralités que vous pouvez lire aussi bien sur les sites du NPA que de LO ou tant de particules de gauche. On s'est bien mis à la remorque du dogmatisme intraitable de la morale dominante écolo-compatible et immigrationniste, comme la décrivait si bien par avance Engels4. En d'autres termes, il ne peut pas exister de « morale prolétarienne » tant que la bourgeoisie possède le pouvoir « dominant » en politique comme en... philosophie et religions. Le CCI, qui déplore le cloaque de la Porte de la Chapelle, indique que la classe ouvrière, l'actuelle, n'a qu'à bien se tenir  : « En tant que telle, la vision de la classe ouvrière n’est pas seulement une critique de la société, c’est aussi une vision morale »5 . On n'est pas loin de la religion du « politiquement correct » : « En réalité, les classes dominantes servent moins les minorités qu'elles ne s'en servent, notamment pendant les périodes électorales où les minorités sont appelées à défendre le système au nom de la lutte contre le racisme (ou pour l'écologie planétaire, ndt JLR) (ce qui n'empêche pas cette nouvelle bourgeoisie de pratiquer l'évitement résidentiel et scolaire des quartiers ou collèges où se concentrent les minorités). La victimisation des minorités par le monde d'en haut, cette essentialisation qui rappelle celle de l'indigène à l'époque coloniale, participe à l'enfermement identitaire des minorités et permet aux classes supérieures d'évacuer la question sociale en la substituant à l'altérité culturelle ».6
Dans une série de quatre articles – Migrants et réfugiés victimes du capitalisme – on apprenait récemment que : « le sort tragique des réfugiés pose désormais un vrai problème moral pour la classe ouvrière (…)  la classe ouvrière doit désormais assumer des responsabilités croissantes, il lui faudra nécessairement bannir les discours haineux qui considèrent d'un côté qu'il faut « jeter dehors les immigrés » et ceux qui, dans leur élan patriotique et démocratique, pensent qu'« on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Il faut déjouer les pièges de la propagande officielle, les contraintes qui font obstacle à l'affirmation de la nécessaire solidarité comme expression consciente de ce combat moral. Si le chiffre des migrants explose, traduisant toujours plus de souffrances, il ne représente pourtant que 3% de la population mondiale »7.
« Les prolétaires doivent absolument agir de manière consciente et rejeter les réflexes de peur conditionnés par les médias, prendre conscience que les réfugiés sont avant tout des victimes du capitalisme et des politiques barbares de ces mêmes États. C'est ce qu'a tenté de montrer notre série d'articles. La classe ouvrière devra, à terme, être capable de percevoir que derrière la question des migrants se pose l'unité internationale du combat révolutionnaire contre le système capitaliste. « Si notre classe parvient à retrouver son identité de classe, la solidarité peut être un important moyen unificateur dans sa lutte. Si par contre, elle ne voit dans les réfugiés que des concurrents et une menace, si elle ne parvient pas à formuler une alternative à la misère capitaliste, permettant à tout individu de ne plus être contraint de fuir sous la menace de la guerre ou de la faim, alors nous serions sous la menace d’une extension massive de la mentalité pogromiste, dont le prolétariat en son cœur ne saurait être épargné »8.
Avec cet esprit de clocher, on s'en va prêcher aux paroissiens la charité et l'abnégation, on ressert, à cette masse (impure) à moraliser, la morale des statistiques bourgeoises qui faussent le réel problème et on fait reprendre du service, avec des trémolos, à la martyrologie juive comme si elle était l'échelle de référence universelle des crimes du capitalisme. D'où la porosité des sectes à l'idéologie dominante. Avec ce truisme où tout le monde est victime du capitalisme la question des migrants est devenue le stade suprême de la lutte anticapitaliste, incluant la division entretenue de la classe ouvrière (qui est le secret du maintien au pouvoir de la bourgeoisie selon Marx), à condition de concevoir les migrants comme partie intégrante de cette même classe ouvrière ; il faudra alors nous expliquer pourquoi les millions de migrants fuyant de partout la venue de la guerre mondiale dans les années 1930 n'ont aucunement renforcé socialement et politiquement la classe ouvrière, mais au contraire contribué à exacerber les divers nationalismes.


Quelle MORALE et quelle unité dans la misère internationale ?

Le CCI fait sans cesse référence au glorieux passé en Russie, comme si tout le tintouin actuel ne surfait pas sur la formidable mise à la casse de ce passé révolutionnaire, régulièrement et systématiquement surtout en ce moment où les classes tanguent de toutes parts ; ainsi on nous repassait hier encore sur la 4, comme tous les deux ans au moins, ce monument de falsification : '"Apocalypse, Staline" 9. En réalité, la secte s'inspire d'une des plus mauvaises brochures du Trotsky dégénéré – Leur morale et la nôtre. Le mitrailleur de Cronstadt, plume de paon même dans ses pires périodes, tient ce même langage de curé en dévoilant (humour) que les bolcheviks étaient « trotskistes » :
« Il va sans dire que les masses ne sont pas sans péché. Nous ne sommes pas enclins à les idéaliser. Nous les avons vues en des circonstances variées, à diverses étapes, au milieu des plus grands bouleversements. Nous avons observé leurs faiblesses et leurs qualités. Leurs qualités : la décision, l'abnégation, l'héroïsme trouvaient toujours leur plus haute expression dans les périodes d'essor de la révolution. A ces moments, les bolcheviks furent à la tête des masses. Un autre chapitre de l'histoire s'ouvrit ensuite, quand se révélèrent les faiblesses des opprimés: hétérogénéité, insuffisance de culture, manque d'horizon. Fatiguées, déçues, les masses s'affaissèrent, perdirent la foi en elles-mêmes et cédèrent la place à une nouvelle aristocratie. Dans cette période les bolcheviks (les "trotskistes") se trouvèrent isolés des masses. »10
Si la secte veut faire à ce point la morale, comme ce bon monsieur Trotsky lorsqu'il nourrissait ses poules à Coyoacan, c'est que les masses ont péché !11
Ou qu'elles ne se rendent pas compte (insuffisance de culture... manque d'horizon...) qu'elles sont en train de pécher ! Ce n'est pas formulé aussi brutalement mais chacun le sait, de larges parties, pour ne pas dire une majorité de la classe ouvrière et des classes inférieures sont hostiles au phénomène migratoire ; je dis phénomène migratoire car les fuites éperdues face à la guerre, les noyades en mer, suscitent généralement dans toutes les classes compassion et pitié. Ces fuites, non pas dû majoritairement à la guerre comme le CCI le reprend du mensonge bourgeois, signifient bien invasion de la misère et outrepassent les inquiétudes légitimes liées à des immigrations croissantes. Les migrants qui débarquent par chance après bien des malheurs et des chantages ne sont pas des prolétaires et la majorité rêve plutôt d'une promotion sociale individuelle au pays bien connu de la prime à la braguette12. Ils viennent tenter d'échapper définitivement à la pauvreté et/ou à une barbarie pire encore, pas pour se sentir prolétaire ou futur acteur d'un « mouvement social émancipateur ». Nombre d'entre eux ne sont pas des réfugiés mais des aventuriers, des vagabonds au sens classique qui tentent leur chance comme les héros de Jack London. Qu'ils soient noirs, arabes, musulmans ou pas ils ne viennent pas tous de régions en guerre. Ils viennent par contre de plus en plus nombreux avec leurs femmes voilées et une religion très visible et conquérante, qui n'est ni pacifique ni intégrable dans la culture occidentale contrairement aux chants de sirène de l'extrême gauche et de la gauche du capital. Les gens d'en haut encouragent d'autant plus la vague migratoire, sachant qu'elle n'est en aucune manière un renforcement de la classe ouvrière comme l'immigration de naguère : « En effet, le destin des migrants n'est pas d'intégrer les quartiers, les immeubles ou collèges des partisans de la « société ouverte », mais bien les quartiers, les immeubles où vivent déjà les immigrés et les minorités, ceux qui cumulent les plus hauts taux de chômage et de précarité, ces zones urbaines sensibles dont on ne cesse de déplorer la situation sans jamais évoquer les flux qui s'y concentrent et en accentuent chaque jour les difficultés. De la même manière leurs enfants ne seront pas scolarisés dans les collèges des enfants de la nouvelle bourgeoisie, mais dans ceux qui accueillent déjà une majorité d'enfants issus de l'immigration et des minorités. L'intensification des flux migratoires débouche partout sur les mêmes tensions, les mêmes demandes de régulation, la même insécurité culturelle »13.
La petite bourgeoisie du CCI, qui avait rejeté au début le mouvement des gilets jaunes dans le camp des racistes et des fachos, reprend le même sermon moralisateur que la plupart des sectes d'extrême gauche et on espère ainsi « conscientiser » un prolétariat en Europe qui voit arriver non seulement des concurrents sans le même code civilisationnel14 mais qui viennent concrétiser l'insécurité dans la vie civile et dans le monde du travail.
Je comprends que tant de prolétaires de souche locale et nationale aient envie de voter pour les partis souverainistes, et les principaux rabatteurs de ces électeurs déprimés sont les petits frères « antifas » de la grande bourgeoisie qui affichent dans Porte de la Chapelle « Bienvenue aux migrants » parce que les grands frères ont peur de manquer d'esclaves. Le CCI prétend que chaque pays européen peut accueillir toute la misère du monde laquelle se concentrant (sans doute en miel internationaliste) débouchera sur le miracle prolétarien ; je recite un paragraphe déjà utilisé plus haut, où était supposé que « derrière la question des migrants se pose l'unité internationale du combat révolutionnaire contre le système capitaliste » : « Si notre classe parvient à retrouver son identité de classe, la solidarité peut être un important moyen unificateur dans sa lutte. Si par contre, elle ne voit dans les réfugiés que des concurrents et une menace, si elle ne parvient pas à formuler une alternative à la misère capitaliste, permettant à tout individu de ne plus être contraint de fuir sous la menace de la guerre ou de la faim, alors nous serions sous la menace d’une extension massive de la mentalité pogromiste, dont le prolétariat en son cœur ne saurait être épargné « .
Essayons de suivre leur raisonnement.
  1. « si notre classe parvient à retrouver son identité de classe », il ne s'agit pas là des papiers d'identité pour la police de « leur classe imaginaire » mais du sentiment d'être une classe sociale « pour soi », c'est à dire par exemple refuse de se laisser assimiler à une quelconque classe moyenne ou considérer que tous les envahisseurs sont des « frères de classe » ; bon, on devrait patienter encore un moment !
  2. « la solidarité peut être un important moyen unificateur dans sa lutte », il ne nous est pas précisé de quelle solidarité il s'agit... manifester sans doute pour régulariser tous les migrants, leur offrir le toit et le couvert ? Mais tout cela est déjà effectif par les paroisses cathos et trotskiennes mais pas pour les prolétaires français largués !
  3. « si elle ne parvient pas à formuler une alternative à la misère... permettant à tout individu de ne plus être contraint de fuir... »; merveilleux ! On imagine déjà cette baguette magique d'un « prolétariat moral » sauvant « tout individu », à moins que ce soit juste un nouvel appel par le prolétariat en armes à la fin de la misère et de l'exploitation !
  4. Donc dans l'hypothèse déplorable, il faut s'attendre à « une extension massive de la mentalité pogromiste » ; et on imagine déjà les milliers de Dupont-la-joie armés de fourches et de fusils à pompe chassant le migrant pour l'enfermer dans des camps en lozère puis le gazer.
Je sais qui a écrit ces âneries mais je ne pensais pas que dans l'esprit ultra-gauche étroit de tels fantasmes politiques dignes de n'importe quel crétin de base gauchiste pouvaient encore traînasser (on trouve dans d'anciens articles une phrase comme celle-ci "il faut culpabiliser les ouvriers"... un freudo-stalinisme?) 
Il faudra bien tirer un jour un bilan plus global de la décadence et de la faillite du CCI. Certainement qu'il faudra y verser dans la causalité fatale deux origines ambiguës, l'idéalisme hollandais et des emprunts à une gauche italienne maximaliste en perdition en faveur d'un parti « qui ne prendrait pas le pouvoir ».

UN LEGS DE L'IDEALISME GERMANO-HOLLANDAIS

C'est paradoxalement Trotsky qui, au faite de son rayonnement politique, a bien souligné les faiblesses du courant de la gauche hollandaise même si celle-ci menait une critique juste du syndicalisme et du parlementarisme. En assemblée plénière à Moscou, Gorter se fait remonter les bretelles :
« Gorter soutient qu'on ne peut pas commencer la révolution, tant que les chefs n'auront suffisamment élevé le niveau mental de la classe ouvrière pour que celle-ci comprenne bien sa mission historique. Mais c'est là de l'idéalisme le plus pur ! Comme si le commencement de la révolution pouvait en réalité dépendre du degré d'éducation de la classe ouvrière et non d'une série d'autres facteurs - intérieurs et internationaux - économiques et politiques et, en particulier, des besoins des masses laborieuses les plus déshéritées, car - n'en déplaise au camarade Gorter - le besoin demeure le ressort le plus important de la révolution prolétarienne »15.
Le besoin, voilà ce que nos moralistes petits bourgeois du CCI ont oublié ! Pas la solidarité en soi, éthérée ou évanescente mais le besoin. Pas le soutien oecuménique à l'arrivée de tous les malheureux du monde mais le besoin du prolétaire qui pue, qui fume et qui pollue sur place !16
Notre historien le plus spécialisé de la gauche germano-hollandaise, Philippe Bourrinet, avait depuis longtemps révélé cet idéalisme qui a tant caractérisé le CCI intra-muros pour se différencier à tout prix de la gauche maximaliste italienne :
« C’était surtout un appel à l’énergie et à l’enthousiasme de la classe ouvrière dans sa lutte contre le régime existant, lutte qui exigeait une volonté conscience, esprit de sacrifice a sa cause, bref des qualités morales et intellectuelles. Cet appel à une, nouvelle éthique prolétarienne, les marxistes hollandais le trouvèrent ou crurent le découvrir dans l’œuvre de Dietzgen (10). Par la critique du matérialisme bourgeois classique et du marxisme vulgarisé et simplifié, les théoriciens hollandais développaient en fait une nouvelle conception de la «morale» prolétarienne et de la conscience de classe. Dietzgen ne fut pour eux qu’un révélateur de sens du marxisme, dont les concepts avaient été faussés par la vision réformiste. Dans la Gauche hollandaise, cependant, l’interprétation qui était donnée du rôle de «l’esprit» dans la lutte de classe divergeait. L’interprétation par Roland Holst de Dietzgen était rien moins qu’idéaliste, un mélange d’enthousiasme et de morale, une vision religieuse minimisant le recours à la violence dans la lutte contre le capitalisme. (11). Chez Gorter, beaucoup plus «matérialiste», ce qui l’emportait c’était une interprétation plus volontaire, axée sur les conditions subjectives, dites «spirituelles» : «L’esprit doit être révolutionné. Les préjugés, la lâcheté doivent être extirpés. De toutes les choses, la plus importante, c’est la propagande spirituelle. La connaissance, la force spirituelle, voilà ce qui prime et s’impose comme la chose la plus nécessaire. Seule la connaissance donne une bonne organisation, un bon mouvement syndical, la politique juste et par-là des améliorations dans le sens économique et politique.» (12) Et Gorter, qualifié parfois d’idéaliste et «d’illuministe» (13), prenait soin de donner surtout un contenu militant au terme de «spirituel», en excluant tout fatalisme »17.
Cet aspect idéaliste philosophard, présent également chez Pannekoek, permet de comprendre ce qui a conduit ce dernier à nier toute nécessité du parti, comme si le combat des classes n'était qu'un combat d'idées entre forces et institutions équivalentes, avec uniquement des professeurs et des étudiants...18

LA FIN JUSTIFIE-T-ELLE N'IMPORTE QUEL MOYEN ?

Il faudrait citer des paragraphes entiers de notre Trotsky claudiquant mais encore génial :
« Serait-ce que pour atteindre cette fin tout est permis ? Nous demandera sarcastiquement le philistin, révélant qu'il n'a rien compris.Est permis, répondrons-nous, tout ce qui mène réellement à la libération des hommes.Cette fin ne pouvant être atteinte que par les voies révolutionnaires, la morale émancipatrice du prolétariat a nécessairement un caractère révolutionnaire ; de même qu'aux dogmes de la religion,elle s'oppose irréductiblement aux fétiches, quels qu'ils soient,de l'idéalisme ,ces gendarmes de la classe dominante.Elle déduit les règles de la conduite des lois du développement social,c'est à dire avant tout de la lutte des classes, qui est la loi des lois.
Le moraliste insiste encore :
Serait- ce que dans la lutte des classes contre le capitalisme tous les moyens sont permis ? Le mensonge,le faux, la trahison,l'assassinat "et caetera" ?
Nous lui répondons : ne sont admissibles et obligatoires que les moyens qui accroissent cohésion du prolétariat,lui insufflent dans l'âme une haine inextinguible de l'oppression,lui apprennent à mépriser la morale officielle et ses suiveurs démocrates,le pénètrent de la conscience de sa propre mission historique,augmentent son courage et son abnégation.
Il découle de là précisément que tous les moyens ne sont point permis.Quand nous disons que la fin justifie les moyens,il en résulte pour nous que la grande fin révolutionnaire repousse, d'entre ses moyens, les procédés et les méthodes indignes qui dressent une partie de la classe ouvrière contre les autres : ou qui tentent de faire le bonheur des masses sans leur propre concours ; ou qui diminuent la confiance des masses en elles mêmes et leur organisation en y substituant l'adoration des "chefs". Par dessus tout , irréductiblement, la morale révolutionnaire condamne la servilité à l'égard de la bourgeoisie et la hauteur à l'égard des travailleurs,c'est à dire un des traits les plus profonds de l a mentalité des pédants et des moralistes petits-bourgeois.
Ces critères ne disent pas ,cela va de soi,ce qui est permis ou inadmissible dans une situation donnée.Il ne saurait y avoir de pareilles réponses automatiques.Les questions de morale révolutionnaire se confondent avec les questions de stratégie et de tactique révolutionnaire.L'expérience vivante du mouvement, éclairée par la théorie,leur donne la juste réponse.
Le matérialisme dialectique ne sépare pas la fin des moyens.La fin se déduit tout naturellement du devenir historique.Les moyens sont subordonnés à la fin.La fin immédiate devient le moyen de la fin ultérieure...Ferdinand Lassalle fait dire dans son drame, "Franz von Sickingen", à l'un de ses personnages :
Ne montre pas seulement le but,
motre aussi le chemin,
Car le but et le chemin sont tellement unis
Que l'un change avec l'autre et se meut avec lui
Et qu'un nouveau chemin révèle un autre but.

Les vers de Lassalle sont forts imparfaits. Lassalle lui même, et c'est plus fâcheux encore, s'écarta dans sa politique pratique de la règle qu'il exprimait ainsi : on sait qu'il en arriva à des négociations occultes avec Bismarck.Mais l'interdépendance de la fin et des moyens est bien exprimée dans ces quatre vers.
Il faut semer un grain de froment pour obtenir un épi de froment.
L'émancipation des ouvriers ne peut être l'oeuvre que des ouvriers eux même.
Il n' y a donc pas de plus grand crime que de tromper les masses,de faire passer des défaites pour des victoires,des amis pour des ennemis,d'acheter des chefs,de fabriquer des légendes...il n'existe que les vérités éternelles de la religion pour justifier la morale, ce qui représente une conception rétrograde. D'ailleurs, la bourgeoisie applique largement cette formule, sans le dire ouvertement. « La classe dominante impose ses fins à la société et l'accoutume à considérer comme immoraux les moyens qui vont à l'encontre de ces fins. Telle est la mission essentielle de la morale officielle. Elle poursuit « le plus grand bonheur possible » non du plus grand nombre, mais d'une minorité sans cesse décroissante. Un semblable régime, fondé sur la seule contrainte, ne durerait pas une semaine. Le ciment de l'éthique lui est indispensable. La fabrication de ce ciment incombe aux théoriciens et aux moralistes petits-bourgeois. » 

C'est malheureux à constater, mais ce n'est pas dans les minuscules groupes révolutionnaires qu'on peut trouver un marxisme sensé, mais chez un philosophe professionnel et franchement laïc, Yvon Quiniou. II reste que la morale fait théoriquement problème puisque le marxisme est un matérialisme — pas n'importe lequel, mais un matérialisme - et que le matérialisme paraît bien devoir exclure la morale. La tentation est grande alors de voir dans le marxisme un amoralisme ou un anti-moralisme théorique - comme le stalinien Althusser y a vu un anti-humanisme théorique, et a déformé des générations de gauchistes. Le stalinisme est condamnable non pas au nom d'une éthique abstraite mais parce que ses pratiques, tromper les masses, faire passer des défaites pour des victoires, des amis pour des ennemis, acheter les chefs, forger des légendes, monter des procès truqués, tout cela ne peut servir qu'une fin : prolonger la domination d'une coterie qui est un obstacle à la victoire du socialisme (cit de T.).
Il y a une dimension morale chez Marx mais qui n'est pas celle inventée par les curés du CCI, c’est la moitié du livre I du Capital dit Quiniou... des chapitres entiers de cette grande œuvre sont littéralement envahis par le pathos moral : singulièrement le chap. X, sur la durée de la journée de travail, le chap. XV sur le machinisme et la grande industrie, et le chap. XXV sur l’accumulation. Marx constate que l’exploitation capitaliste produit les pires formes de barbarie et transforme les hommes en choses dont le capitaliste use à son gré. Si on se contente de la description scientifique, on peut tout simplement dire : « et alors ? » La civilisation grecque est impensable sans l’esclavage et Aristote ne trouvait pas choquant de comparer un esclave avec un bœuf ou un « outil animé ». Marx est indigné, révolté contre la barbarie capitaliste ; il commence par là et finira sa vie avec cette révolte. Plus largement, il faut dire que l'ontologie matérialiste du marxisme converge avec celle de Nietzsche et de Freud - par-delà les différences de contenu - pour exclure la figure théorique du Sujet souverain et originaire propre à l'humanisme spiritualiste et pour affirmer, sur fond de finitude ontologique que c'est la vie qui détermine la conscience et non l'inverse. L'hypothèse d'une conscience morale transcendant la vie et émanant de ce Sujet en sort bien évidemment détruite. Marx, dans Le Capital, soulignait que les hommes sont davantage les « créatures » que les « créateurs » des rapports sociaux et que cela lui interdisait d'attaquer les personnes et l'obligeait à ne se livrer qu'à une analyse critique des fonctions socio-économiques.
La théorisation de la morale mène au stalinisme. Il y a donc bien une vérité matérialiste du refus de la morale et, en ce sens, le matérialisme conscient de soi est le meilleur rempart contre les dérives ultimement meurtrières du moralisme, potentiellement présentes dans la morale elle-même, et qui ont affecté le marxisme dans sa version stalinienne, hard ou soft: l'intolérance, le fanatisme, la recherche d'ennemis et donc de « sujets » coupables, les procès, la peine de mort (y compris pour des raisons politiques, choses que le CCI n'a pu pratiquer que virtuellement en Occident moderne) etc. - sans parler bien sûr, des formes plus criantes de moralisme dans le domaine des mœurs où le thème de la culpabilité individuelle n'est jamais absent. Tout cela a bel et bien accompagné la politique des faussaires marxistes au XXe siècle et traduit, contre le choix historique et classique communiste, l'oubli du matérialisme fondateur et la résurgence en son sein d'un idéalisme d'autant plus pernicieux qu'il se masquait dans un langage ultrapolitique du stalinisme et du maoïsme et du trotskisme, . Si donc le marxisme stalinisé au XXe a présenté pour une part un visage repoussant, ce n'est pas en raison de son option matérialiste propre comme tend à le faire croire une propagande hostile d'inspiration sectaire ou libérale , c'est au contraire faute de lui avoir été pleinement fidèle.
Le matérialisme marxiste oblige à une révolution par rapport à l'approche morale : celle-ci accuse les individus comme s'ils étaient responsables de leurs actions ou exactions, crimes, violence, délinquance, comportements de classe, etc. Le matérialisme historique, lui, à la fois renverse la perspective et déplace le chef d'accusation : au lieu d'incriminer les individus, il accuse les structures sociales. Il n'y a donc pas pour le marxisme d'individus méchants, il n'y a que des structures sociales mauvaises qui produisent ce qui s'appréhende imaginairement comme de la « méchanceté ». Cela modifie dès lors complètement l'attitude pratique qu'il convient d'adopter pour supprimer le « mal » : au couple idéaliste accusation (ou responsabilisation) individuelle, il faut substituer la mise en accusation de la chaîne des causes capitalistes déterministe dans l'horizon d'une « révolution » contre l'ordre injuste du monde. Marx a très bien exprimé ce point quand il dit, dans La Sainte Famille, parlant de la liaison du matérialisme au communisme et au socialisme : « Si l'homme n'est pas libre au sens matérialiste (...) il ne faut pas punir le crime dans l'individu mais détruire les foyers antisociaux du crime ».
Le marxisme n'est pas une science. C'est pourquoi on doit le considérer comme étant à la fois théorique et critique, théorico-critique : aucune science n'est par elle-même critique (sauf en un sens interne à la théorie), la critique suppose l'élément de la valeur. La présence de ces deux aspects a évidemment été aperçue ; mais la reconnaissance de l'un se faisant au détriment de l'autre : c'était soit la morale contre la science (c'est le cas de l'idéaliste Rubel), soit la science contre la morale (cas du stalinien Althusser). Or c'est leur présence simultanée, dans une tension contradictoire, qui est passionnante.

Avec Yvon Quiniou nous pouvons conclure que la question morale dans le marxisme est du coup politique : c'est la politique, réalité pratique de l'histoire, et envisagée comme application technique
de la théorie historique, qui prend en charge pratiquement la question morale, jusqu'à sa dissolution. Dans le communisme, les questions morales issues des contradictions sociales seront supprimées, et d'ici là c'est la politique comme instance réellement pratique ou efficace qui est première - cette primauté étant quasiment ontologique. Il y a, si l'on peut dire, une ontologie de la praxis comme porteuse de la dissolution politique de la question morale : les problèmes moraux sont de faux problèmes moraux et de vrais problèmes politiques, qui recevront un jour leur solution.
« L'œuvre de Marx - mais c'est vrai du marxisme en général pour autant qu'il se situe dans son sillage et ne verse pas dans la pure et simple idéologie - est donc double, non pas ambiguë mais ambivalente : à la fois scientifique et normative ou morale car se déployant dans l'horizon normatif du communisme qui habite ses analyses du présent capitaliste. Elle dit donc à la fois ce qui est et ce qui doit être et la référence à ce qui doit être - le communisme - est présente dans ce qu'il dit de ce qui est - le capitalisme ».




NOTES


1https://fr.internationalism.org/rint127/ethique_morale.html et procurez-vous la brochure de l'ex-fraction diabolisée qui dénonçait déjà la dérive, interne encore seulement : http://igcl.org/Morale-proletarienne-lutte-des. Débat interne de 2004-2009 https://fr.internationalism.org/rint127/ethique_morale.html

2« Nous avons retiré un article et le premier tract sur les protestations contre le changement climatique des pages française, néerlandaise et espagnole (ils n'ont pas été publiés en anglais), parce qu'il y a un accord général dans l'organisation que ces deux textes originaux n'étaient pas assez critiques sur l'implication de la bourgeoisie dans les manifestations sur le changement climatique. Le nouveau tract international sur notre site Internet exprime la position de l'organisation sur ces manifestations. Nous produirons une analyse plus détaillée des protestations contre le changement climatique en temps voulu ».
3Sans aucun sens critique contre ce grand barnum à fake news écologiques et idéologiques... alors qu'ils s'étaient précipités pour conchier le mouvement des gilets jaunes à ses débuts, pas assez pur ni naturel...
4« C’est pourquoi nous repoussons toute prétention de nous imposer quelque dogmatisme moral que ce soit comme loi éthique éternelle, définitive, désormais immuable, sous le prétexte que le monde moral a lui aussi ses principes permanents qui sont au-dessus de l’histoire et des différences nationales. Nous affirmons, au contraire, que toute théorie morale du passé est, en dernière analyse, le produit de la situation économique de la société de son temps. Et de même que la société a évolué jusqu’ici dans des oppositions de classes, la morale a été constamment une morale de classe ; ou bien elle justifiait la domination et les intérêts de la classe dominante, ou bien elle représentait, dès que la classe opprimée devenait assez puissante, la révolte contre cette domination et les intérêts d’avenir des opprimés. »
Engels, « Anti-Dühring »
5 Signé CCI, l'article a été traduit par leurs moralistes anglais, toujours très peu marxistes et beaucoup pragmatiques :

6Christophe Guilluy, No society p.90.
8Signé WH novembre 2016.
9En lire la bonne critique : https://www.lesinrocks.com/.../la-polemique-autour-dapocalypse-staline-est- elle-justifiee/3 nov. 2015 ... Isabelle Clarke et Daniel Costelle proposent, ce mardi soir sur France 2, ... Capture d'écran de l'affiche du documentaire "Apocalypse, Staline" .... à comprendre pourquoi cette révolution russe, aussi sanglante qu'elle ait été, … et sa démolition https://dissidences.hypotheses.org/6376. Le texte hyper-réac est ahané par l'inénarrable Mathieu Kassovitz.
10Trotsky, Coyoacan 16 février 1938.
11Le Trotsky de la fin est un condensé, une compilation d'âneries politiques mais aussi de traits de génie. Voici ce qu'il dit à ceux qui veulent ajouter de la morale à leur politique, plus ou moins défaillante :  « Toute une école "marxiste" se forma en Russie à la fin du siècle dernier, qui entendait compléter la doctrine de Marx en lui ajoutant un principe moral autonome, supérieur aux classes (Strouvé, Berdiaeff, Boulgakov et autres...). Ses tenants commençaient naturellement par Kant et son impératif catégorique. Comment finirent-ils? Strouvé est aujourd'hui un ancien ministre du baron de Wrangel et un bon fils de l'Eglise ; Boulgakov est prêtre orthodoxe ; Berdiaeff interprète en plusieurs langues l'Apocalypse. Des métamorphoses aussi inattendues à première vue ne s'expliquent pas par "l'âme slave" -- l'âme de Strouvé étant du reste germanique -- mais par l'envergure de la lutte sociale en Russie. L'orientation essentielle de cette métamorphose est en réalité internationale.
L'idéalisme classique en philosophie, dans la mesure où il tendait à séculariser la morale, c'est-à-dire à l'émanciper de la sanction religieuse, fut un immense progrès (Hegel). Mais, détachée des cieux, la morale avait besoin de racines terrestres. La découverte de ces racines fut l'une des tâches du matérialisme. Après Shaftesbury, il y eut Darwin, après Hegel, Marx. Invoquer de nos jours les "vérités éternelles" de la morale, c'est tenter de faire rétrograder la pensée. L'idéalisme philosophique n'est qu'une étape : de la religion au matérialisme ou, au contraire, du matérialisme à la religion » .
12Les créoles disent « argent braguette ».
13No society p.216.
14La femme doit être cachée, battue et fouettée. Il faut répandre la foi coranique avec la guerre des yeux...
15 https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1920/11/201124.htm
16Pour ceux, prolétaires ou pas, qui sont écoeurés par cette compassion petite bourgeoise outrancière et hypocrite, je conseille de lire Engels. En 1845, il avançait que l’immigration irlandaise a contribué, en Angleterre, à « abaisser le salaire et avec lui la classe ouvrière elle-même » ; un demi-siècle plus tard, Jean Jaurès faisait l’éloge du « socialisme douanier » pour mieux « protéger la main d’œuvre française contre la main d’œuvre étrangère » bon marché. Engels encore, sur les réfugiés irlandais ; lumpen sale et inéduqué, composé de mendiants, de vagabonds, de criminels, prolétariat en guenilles, « pourriture passive des couches inférieures de la vieille société » ; la « populace irlandaise » n'est pas une armée de réserve du capital mais une couche populaire unie à l'aristocratie par la solidarité religieuse ». Cette bohème est l'écume de toutes les classes de la société, mais un lumpen dont Bakounine, lui, se portait caution morale... Marx démontre par après comment la bourgeoisie se sert de la différence de situation et de statut social de l'ouvrier anglais et de l'irlandais ; on notera simplement la différence aujourd'hui : la bourgeoisie porte au pinacle le migrant (qui se berce de préjugés religieux) et ridiculise « l'ouvrier blanc », et la plupart des migrants ne peuvent même plus être intégrés à la production, il faut en chasser sans cesse avec le même discours humanitaire .  Extrait de la lettre de Karl Marx à Siegfried Meyer et August Vogt, du 9 avril 1870. Le sens général de la lettre est de convaincre les membres de l'Internationale de lutter pour l'indépendance de l'Irlande. Mais on y trouve aussi ce passage clairvoyant sur le rôle que les classes dirigeantes anglaises font jouer à l'immigration irlandaise en Angleterre pour appauvrir et diviser la classe ouvrière, qu'elle soit britannique ou irlandaise : « Mais la bourgeoisie anglaise a encore d’autres intérêts, bien plus considérables, au maintien de l’économie irlandaise dans son état actuel. En raison de la concentration toujours plus grande des exploitations agricoles, l’Irlande fournit sans cesse un excédent de main-d’œuvre au marché du travail anglais et exerce, de la sorte, une pression sur les salaires dans le sens d’une dégradation des conditions matérielles et intellectuelles de la classe ouvrière anglaise. Ce qui est primordial, c’est que chaque centre industriel et commercial d’Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L’ouvrier anglais moyen déteste l’ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l’ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l’Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L’Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l’ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C’est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente ».
17J'ai laissé le renvoi aux notes du texte original que vous pouvez lire ici : http://kropot.free.fr/conseils.htm
La critique des bordiguistes, qui sont très gauchistes sur la question des migrants, enfonçait un peu plus l'idéaliste Gorter : « Il est vrai que Gorter, qui reprend dans son fond la dichotomie idéaliste bourgeoise et tente ainsi de résoudre un faux problème, fait appel pour se justifier à des raisonnements «marxistes» sur les différences de développement économique entre l'Allemagne et la Russie. Il admet du bout des lèvres que des chefs aient été nécessaires... pour la Russie. Mais, en Europe occidentale, se hâte-t-il d'ajouter, les conditions sont différentes. La révolution russe a bénéficié du soutien d'une insurrection démocratique-paysanne, qui n'est plus à l'ordre du jour en Allemagne. Le fait est incontestable. Mais les conclusions qu'en tire Gorter sont étranges. Au lieu de démontrer que, quelles que soient les conditions, le parti du prolétariat est partout fondé sur les mêmes principes, parce qu'il n'existe qu'un prolétariat mondial luttant pour la révolution mondiale, Gorter en déduit que:«Dans la mesure où l'importance de la classe augmente, baisse en proportion l'importance des chefs». http://www.sinistra.net/lib/bas/progco/qioi/qioinnocef.htm

18Pannekoek reste cependant un de nos meilleurs penseurs prolétariens, il voit bien l'inversion que suppose la morale religieuse, l'ambiguïté de la domination religieuse :« La loi morale - selon Kant - ne règne pas parce qu´elle est obéie, mais justement parce qu´elle ne l´est pas. Cette loi n´est pas un fait pratique, mais la conscience intérieure de ce qu´il faut faire. Dans la société bourgeoise domine cette idée que, dans ce monde, l´homme ne peut survivre qu´en péchant contre les règles de la morale. Et c´est bien de péché qu´il s´agit car les forces spirituelles, dont on ne connaît pas l´origine sociale, sont ressenties comme des émanations divines : la loi morale est un ordre venu de Dieu. Et toute offense envers cette loi morale est une offense envers Dieu ».

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