(Quand le CCI en revient à l'humanisme théorique et spéculatif)
« La morale, c’est « l’impuissance mise en action ». » Marx, « La Sainte Famille »
« On
voit, dans les époques de réaction triomphante, MM. les démocrates,
sociaux-démocrates, (…) et autres représentants de la gauche,
sécréter de la morale en quantité double, de même que les gens
transpirent davantage quand ils ont peur. Répétant à leur façon
les dix commandements ou le sermon sur la montagne, ces moralistes
s’adressent moins à la réaction triomphante qu’aux
révolutionnaires traqués, dont les « excès » et les
principes « amoraux » « provoquent » la
réaction et lui fournissent une justification morale. Il y aurait
cependant un moyen élémentaire, mais sûr, d’éviter la réaction
: l’effort intérieur, la renaissance morale. Des échantillons de
perfection éthique sont distribués gratuitement dans toutes les
rédactions intéressées. Cette prédication aussi ampoulée que
fausse a sa base sociale, de classe, dans la petite bourgeoisie
intellectuelle. Sa base politique est dans l’impuissance et le
désarroi devant la réaction ». Trotsky
En
2006, j'avais fait mon signe de croix en lisant le nouveau sermon sur
la montagne (Marxisme et éthique, débat interne au CCI)1
en espérant que ce débat révisionniste resterait interne. Je me
trompais, ils veulent y mêler désormais le prolétariat. C'est
toujours ainsi quand les sectes croient avoir trouvé la science
infuse ils lèvent les bras au ciel et hurlent « euréka » !
Leur débat interne fût très étroit, franchement limité en
connaissances philosophiques, pour ne pas dire conclave de
semi-illettrés.
Dans
le marasme politique et social actuel, et en pleine période
d'apolitisme électoral, décervelage organisé pour empêcher de
penser sérieusement, il est tout naturel que des sectes veuillent
exploiter le scepticisme ambiant en ayant recours au vieillot
dogmatisme moral ; au fond toujours religieux : « il
n'existe que les vérités éternelles de la religion pour justifier
la morale, ce qui représente une conception rétrograde. D'ailleurs,
la bourgeoisie applique largement cette formule, sans le dire
ouvertement » (Trotsky).
Après
une utilisation aléatoire de clins d'oeil à la « jeunesse
révoltée », car le CCI est vieux. Un premier tract (mondial)
avait été trop démagogique et avait été retiré (erreur du
comité central faillible?)2.
NATURE
ET MORALE
Ce
n'est pas un simple Poutou ou Besancenot qui fait la réclame, non,
un groupe lilliputien qui se réclame du prolétariat seul et unique.
Le ton démagogique est resté le même que pour la première version
retirée :
« Les
jeunes
descendent dans la rue pour exprimer leur
inquiétude totalement justifiée
pour l'avenir de la planète et de l'espèce humaine elle-même, un
avenir de plus en plus compromis par les effets d'un système de
production qui détruit l'environnement naturel (tout en détruisant
la vie de millions d'êtres humains par l'exploitation, la guerre et
la misère qu'il provoque) et qui entraîne des changements des
conditions climatiques, atmosphériques et reproductives de la
planète aux conséquences toujours plus catastrophiques. De
même, ils expriment leur
indignation
face au cynisme et à l'hypocrisie des dirigeants qui ont la bouche
pleine de déclarations exprimant "leur préoccupation"
pour le "problème de l’environnement ».
A
aucun moment ne nous est dit de quels « jeunes » il
s'agit. S'agit-il de la jeunesse en général, de celle des beaux
quartiers, des cités ouvrières et des banlieues immigrées ?
On met en garde ces « dizaines de milliers de jeunes »
contre un « piège » organisé par ceux-là même qui
font les guerres et polluent la planète. On propose une vision
coranique, manichéenne du prolétariat ce semeur d'avenir, sans la
moindre démonstration de la fiabilité de ce messianisme :
« La
classe ouvrière n'a aucun intérêt, en tant que classe la plus
exploitée de la société, à défendre ce système décadent et,
d'autre part, en raison de la manière associée dont elle est
organisée dans le capitalisme, elle peut semer les graines d'une
autre société, une société qui n'impose pas une division entre
les peuples, entre la nature et les produits qui en découlent, entre
l'homme et son environnement naturel. Quand la classe ouvrière
s'affirme comme classe autonome en développant une lutte massive,
sur son propre terrain de classe, elle entraîne derrière elle une
part toujours plus grande de la société, derrière ses propres
méthodes de lutte et ses mots d’ordre unitaires et, finalement,
son propre projet révolutionnaire de transformation de la société ».
On
s'aperçoit vite qu'en réalité cette classe ouvrière, qui ne
s'aime pas et ne sème pas grand chose en ce moment, a besoin de
sermons et de leçons de morale :
« Le
mouvement contre le réchauffement climatique3
se développe dans un contexte d'absence quasi totale de luttes de la
classe ouvrière, qui fait également face à une perte de confiance
en soi et même de sa propre identité de classe. En conséquence, la
classe ouvrière n'est pas encore en mesure de répondre à la
question que se poseront certains des participants au mouvement pour
le climat, à savoir celle d'une perspective d'avenir face à une
société capitaliste qui se dirige vers l’abîme.Les
jeunes qui participent au mouvement doivent comprendre qu'ils ne sont
pas de "futurs citoyens" mais, dans leur très grande
majorité, de futurs précaires, de futurs chômeurs, de futurs
exploités, qui devront unir à leur lutte contre l'exploitation
capitaliste la lutte contre la guerre, la catastrophe
environnementale, la barbarie morale, etc. que ce système
d'exploitation transpire par tous ses pores (…) Dans le
capitalisme, il n'y a pas de solution : ni à la destruction de
la planète, ni aux guerres, ni au chômage, ni à la précarité.
Seule la lutte du prolétariat mondial avec tous les opprimés et
exploités du monde peut ouvrir la voie à une alternative ».
Ce
ne sont que généralités que vous pouvez lire aussi bien sur les
sites du NPA que de LO ou tant de particules de gauche. On s'est bien
mis à la remorque du dogmatisme intraitable de la morale dominante
écolo-compatible et immigrationniste, comme la décrivait si bien
par avance Engels4.
En d'autres termes, il ne peut pas exister de « morale
prolétarienne » tant que la bourgeoisie possède le pouvoir
« dominant » en politique comme en... philosophie et
religions. Le CCI, qui déplore le cloaque de la Porte de la
Chapelle, indique que la classe ouvrière, l'actuelle, n'a qu'à bien
se tenir : « En tant que telle, la vision de la classe
ouvrière n’est pas seulement une critique de la société, c’est
aussi une vision morale »5
. On n'est pas loin de la religion du « politiquement
correct » : « En réalité, les classes dominantes
servent moins les minorités qu'elles ne s'en servent, notamment
pendant les périodes électorales où les minorités sont appelées
à défendre le système au nom de la lutte contre le racisme (ou
pour l'écologie planétaire, ndt JLR) (ce qui n'empêche pas cette
nouvelle bourgeoisie de pratiquer l'évitement résidentiel et
scolaire des quartiers ou collèges où se concentrent les
minorités). La victimisation des minorités par le monde d'en haut,
cette essentialisation qui rappelle celle de l'indigène à l'époque
coloniale, participe à l'enfermement identitaire des minorités et
permet aux classes supérieures d'évacuer la question sociale en la
substituant à l'altérité culturelle ».6
Dans
une série de quatre articles – Migrants et réfugiés victimes du
capitalisme – on apprenait récemment que : « le sort
tragique des réfugiés pose désormais un vrai problème moral pour
la classe ouvrière (…) la
classe ouvrière doit désormais assumer des responsabilités
croissantes, il lui faudra nécessairement bannir les discours
haineux qui considèrent d'un côté qu'il faut « jeter
dehors les immigrés »
et ceux qui, dans leur élan patriotique et démocratique, pensent
qu'« on
ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Il faut déjouer les pièges de la propagande officielle, les
contraintes qui font obstacle à l'affirmation de la nécessaire
solidarité comme expression consciente de ce combat moral. Si le
chiffre des migrants explose, traduisant toujours plus de
souffrances, il ne représente pourtant que 3% de la population
mondiale »7.
« Les
prolétaires doivent absolument agir de manière consciente et
rejeter les réflexes de peur conditionnés par les médias, prendre
conscience que les réfugiés sont avant tout des victimes du
capitalisme et des politiques barbares de ces mêmes États. C'est ce
qu'a tenté de montrer notre série d'articles. La classe ouvrière
devra, à terme, être capable de percevoir que derrière la question
des migrants se pose l'unité internationale du combat
révolutionnaire contre le système capitaliste. « Si
notre classe parvient à retrouver son identité de classe, la
solidarité peut être un important moyen unificateur dans sa lutte.
Si par contre, elle ne voit dans les réfugiés que des concurrents
et une menace, si elle ne parvient pas à formuler une alternative à
la misère capitaliste, permettant à tout individu de ne plus être
contraint de fuir sous la menace de la guerre ou de la faim, alors
nous serions sous la menace d’une extension massive de la mentalité
pogromiste, dont le prolétariat en son cœur ne saurait être
épargné »8.
Avec
cet esprit de clocher, on s'en va prêcher aux paroissiens la charité
et l'abnégation, on ressert, à cette masse (impure) à moraliser,
la morale des statistiques bourgeoises qui faussent le réel
problème et on fait reprendre du service, avec des trémolos, à la
martyrologie juive comme si elle était l'échelle de référence
universelle des crimes du capitalisme. D'où la porosité des sectes
à l'idéologie dominante. Avec ce truisme où tout le monde est
victime du capitalisme la question des migrants est devenue le stade
suprême de la lutte anticapitaliste, incluant la division entretenue
de la classe ouvrière (qui est le secret du maintien au pouvoir de
la bourgeoisie selon Marx), à condition de concevoir les migrants
comme partie intégrante de cette même classe ouvrière ; il
faudra alors nous expliquer pourquoi les millions de migrants fuyant
de partout la venue de la guerre mondiale dans les années 1930 n'ont
aucunement renforcé socialement et politiquement la classe ouvrière,
mais au contraire contribué à exacerber les divers nationalismes.
Quelle
MORALE et quelle unité dans la misère internationale ?
Le
CCI fait sans cesse référence au glorieux passé en Russie, comme
si tout le tintouin actuel ne surfait pas sur la formidable mise à
la casse de ce passé révolutionnaire, régulièrement et
systématiquement surtout en ce moment où les classes tanguent de
toutes parts ; ainsi on nous repassait hier encore sur la 4,
comme tous les deux ans au moins, ce monument de falsification :
'"Apocalypse,
Staline" 9.
En
réalité, la secte s'inspire d'une des plus mauvaises brochures du
Trotsky dégénéré – Leur morale et la nôtre. Le mitrailleur de
Cronstadt, plume de paon même dans ses pires périodes, tient ce
même langage de curé en dévoilant (humour) que les bolcheviks
étaient « trotskistes » :
« Il
va sans dire que les masses ne sont pas sans péché. Nous ne sommes
pas enclins à les idéaliser. Nous les avons vues en des
circonstances variées, à diverses étapes, au milieu des plus
grands bouleversements. Nous avons observé leurs faiblesses et leurs
qualités. Leurs qualités : la décision, l'abnégation, l'héroïsme
trouvaient toujours leur plus haute expression dans les périodes
d'essor de la révolution. A ces moments, les bolcheviks furent à la
tête des masses. Un autre chapitre de l'histoire s'ouvrit ensuite,
quand se révélèrent les faiblesses des opprimés: hétérogénéité,
insuffisance de culture, manque d'horizon. Fatiguées, déçues, les
masses s'affaissèrent, perdirent la foi en elles-mêmes et cédèrent
la place à une nouvelle aristocratie. Dans cette période les
bolcheviks (les "trotskistes") se trouvèrent isolés des
masses. »10
Si
la secte veut faire à ce point la morale, comme ce bon monsieur
Trotsky lorsqu'il nourrissait ses poules à Coyoacan, c'est que les
masses ont péché !11
Ou
qu'elles ne se rendent pas compte (insuffisance de culture... manque
d'horizon...) qu'elles sont en train de pécher ! Ce n'est pas
formulé aussi brutalement mais chacun le sait, de larges parties,
pour ne pas dire une majorité de la classe ouvrière et des classes
inférieures sont hostiles au phénomène migratoire ; je dis
phénomène migratoire car les fuites éperdues face à la guerre,
les noyades en mer, suscitent généralement dans toutes les classes
compassion et pitié. Ces fuites, non pas dû majoritairement à la
guerre comme le CCI le reprend du mensonge bourgeois, signifient bien
invasion de la misère et outrepassent les inquiétudes légitimes
liées à des immigrations croissantes. Les migrants qui débarquent
par chance après bien des malheurs et des chantages ne sont pas des
prolétaires et la majorité rêve plutôt d'une promotion sociale
individuelle au pays bien connu de la prime à la braguette12.
Ils viennent tenter d'échapper définitivement à la pauvreté et/ou
à une barbarie pire encore, pas pour se sentir prolétaire ou futur
acteur d'un « mouvement social émancipateur ». Nombre
d'entre eux ne sont pas des réfugiés mais des aventuriers, des
vagabonds au sens classique qui tentent leur chance comme les héros
de Jack London. Qu'ils soient noirs, arabes, musulmans ou pas ils ne
viennent pas tous de régions en guerre. Ils viennent par contre de
plus en plus nombreux avec leurs femmes voilées et une religion très
visible et conquérante, qui n'est ni pacifique ni intégrable dans
la culture occidentale contrairement aux chants de sirène de
l'extrême gauche et de la gauche du capital. Les gens d'en haut
encouragent d'autant plus la vague migratoire, sachant qu'elle n'est
en aucune manière un renforcement de la classe ouvrière comme
l'immigration de naguère : « En effet, le destin des
migrants n'est pas d'intégrer les quartiers, les immeubles ou
collèges des partisans de la « société ouverte », mais
bien les quartiers, les immeubles où vivent déjà les immigrés et
les minorités, ceux qui cumulent les plus hauts taux de chômage et
de précarité, ces zones urbaines sensibles dont on ne cesse de
déplorer la situation sans jamais évoquer les flux qui s'y
concentrent et en accentuent chaque jour les difficultés. De la même
manière leurs enfants ne seront pas scolarisés dans les collèges
des enfants de la nouvelle bourgeoisie, mais dans ceux qui
accueillent déjà une majorité d'enfants issus de l'immigration et
des minorités. L'intensification des flux migratoires débouche
partout sur les mêmes tensions, les mêmes demandes de régulation,
la même insécurité culturelle »13.
La
petite bourgeoisie du CCI, qui avait rejeté au début le mouvement
des gilets jaunes dans le camp des racistes et des fachos, reprend le
même sermon moralisateur que la plupart des sectes d'extrême gauche
et on espère ainsi « conscientiser » un prolétariat en
Europe qui voit arriver non seulement des concurrents sans le même
code civilisationnel14
mais qui viennent concrétiser l'insécurité dans la vie civile et
dans le monde du travail.
Je
comprends que tant de prolétaires de souche locale et nationale
aient envie de voter pour les partis souverainistes, et les
principaux rabatteurs de ces électeurs déprimés sont les petits
frères « antifas » de la grande bourgeoisie qui affichent dans
Porte de la Chapelle « Bienvenue aux migrants » parce que les
grands frères ont peur de manquer d'esclaves. Le CCI prétend que
chaque pays européen peut accueillir toute la misère du monde
laquelle se concentrant (sans doute en miel internationaliste)
débouchera sur le miracle prolétarien ; je recite un
paragraphe déjà utilisé plus haut, où était supposé que
« derrière
la question des migrants
se pose l'unité internationale du combat révolutionnaire contre le
système capitaliste » : « Si
notre classe parvient à retrouver son identité de classe, la
solidarité peut être un important moyen unificateur dans sa lutte.
Si par contre, elle ne voit dans les réfugiés que des concurrents
et une menace, si elle ne parvient pas à formuler une alternative à
la misère capitaliste, permettant à tout individu de ne plus être
contraint de fuir sous la menace de la guerre ou de la faim, alors
nous serions sous la menace d’une extension massive de la mentalité
pogromiste, dont le prolétariat en son cœur ne saurait être
épargné « .
Essayons
de suivre leur raisonnement.
- « si notre classe parvient à retrouver son identité de classe », il ne s'agit pas là des papiers d'identité pour la police de « leur classe imaginaire » mais du sentiment d'être une classe sociale « pour soi », c'est à dire par exemple refuse de se laisser assimiler à une quelconque classe moyenne ou considérer que tous les envahisseurs sont des « frères de classe » ; bon, on devrait patienter encore un moment !
- « la solidarité peut être un important moyen unificateur dans sa lutte », il ne nous est pas précisé de quelle solidarité il s'agit... manifester sans doute pour régulariser tous les migrants, leur offrir le toit et le couvert ? Mais tout cela est déjà effectif par les paroisses cathos et trotskiennes mais pas pour les prolétaires français largués !
- « si elle ne parvient pas à formuler une alternative à la misère... permettant à tout individu de ne plus être contraint de fuir... »; merveilleux ! On imagine déjà cette baguette magique d'un « prolétariat moral » sauvant « tout individu », à moins que ce soit juste un nouvel appel par le prolétariat en armes à la fin de la misère et de l'exploitation !
- Donc dans l'hypothèse déplorable, il faut s'attendre à « une extension massive de la mentalité pogromiste » ; et on imagine déjà les milliers de Dupont-la-joie armés de fourches et de fusils à pompe chassant le migrant pour l'enfermer dans des camps en lozère puis le gazer.
Je
sais qui a écrit ces âneries mais je ne pensais pas que dans
l'esprit ultra-gauche étroit de tels fantasmes politiques dignes de
n'importe quel crétin de base gauchiste pouvaient encore traînasser (on trouve dans d'anciens articles une phrase comme celle-ci "il faut culpabiliser les ouvriers"... un freudo-stalinisme?)
Il
faudra bien tirer un jour un bilan plus global de la décadence et de
la faillite du CCI. Certainement qu'il faudra y verser dans la
causalité fatale deux origines ambiguës, l'idéalisme hollandais et
des emprunts à une gauche italienne maximaliste en perdition en
faveur d'un parti « qui ne prendrait pas le pouvoir ».
UN
LEGS DE L'IDEALISME GERMANO-HOLLANDAIS
C'est
paradoxalement Trotsky qui, au faite de son rayonnement politique, a
bien souligné les faiblesses du courant de la gauche hollandaise
même si celle-ci menait une critique juste du syndicalisme et du
parlementarisme. En assemblée plénière à Moscou, Gorter se fait
remonter les bretelles :
« Gorter
soutient qu'on ne peut pas commencer la révolution, tant que les
chefs n'auront suffisamment élevé le niveau mental de la classe
ouvrière pour que celle-ci comprenne bien sa mission historique.
Mais c'est là de l'idéalisme le plus pur ! Comme si le
commencement de la révolution pouvait en réalité dépendre du
degré d'éducation de la classe ouvrière et non d'une série
d'autres facteurs - intérieurs et internationaux - économiques et
politiques et, en particulier, des besoins des masses laborieuses les
plus déshéritées, car - n'en déplaise au camarade Gorter - le
besoin demeure le ressort le plus important de la révolution
prolétarienne »15.
Le
besoin, voilà ce que nos moralistes petits bourgeois du CCI ont
oublié ! Pas la solidarité en soi, éthérée ou évanescente
mais le besoin. Pas le soutien oecuménique à l'arrivée de tous les
malheureux du monde mais le besoin du prolétaire qui pue, qui fume
et qui pollue sur place !16
Notre
historien le plus spécialisé de la gauche germano-hollandaise,
Philippe Bourrinet, avait depuis longtemps révélé cet idéalisme
qui a tant caractérisé le CCI intra-muros pour se différencier à
tout prix de la gauche maximaliste italienne :
« C’était
surtout un appel à l’énergie et à l’enthousiasme de la classe
ouvrière dans sa lutte contre le régime existant, lutte qui
exigeait une volonté conscience, esprit de sacrifice a sa cause,
bref des qualités morales et intellectuelles. Cet appel à une,
nouvelle éthique prolétarienne, les marxistes hollandais le
trouvèrent ou crurent le découvrir dans l’œuvre de Dietzgen
(10).
Par la critique du matérialisme bourgeois classique et du marxisme
vulgarisé et simplifié, les théoriciens hollandais développaient
en fait une nouvelle conception de la «morale» prolétarienne et de
la conscience de classe. Dietzgen ne fut pour eux qu’un révélateur
de sens du marxisme, dont les concepts avaient été faussés par la
vision réformiste. Dans la Gauche hollandaise, cependant,
l’interprétation qui était donnée du rôle de «l’esprit»
dans la lutte de classe divergeait. L’interprétation par Roland
Holst de Dietzgen était rien moins qu’idéaliste, un mélange
d’enthousiasme et de morale, une vision religieuse minimisant le
recours à la violence dans la lutte contre le capitalisme. (11).
Chez Gorter, beaucoup plus «matérialiste», ce qui l’emportait
c’était une interprétation plus volontaire, axée sur les
conditions subjectives, dites «spirituelles» : «L’esprit doit
être révolutionné. Les préjugés, la lâcheté doivent être
extirpés. De toutes les choses, la plus importante, c’est la
propagande spirituelle. La connaissance, la force spirituelle, voilà
ce qui prime et s’impose comme la chose la plus nécessaire. Seule
la connaissance donne une bonne organisation, un bon mouvement
syndical, la politique juste et par-là des améliorations dans le
sens économique et politique.» (12)
Et Gorter, qualifié parfois d’idéaliste et «d’illuministe»
(13),
prenait soin de donner surtout un contenu militant au terme de
«spirituel», en excluant tout fatalisme »17.
Cet
aspect idéaliste philosophard, présent également chez Pannekoek,
permet de comprendre ce qui a conduit ce dernier à nier toute
nécessité du parti, comme si le combat des classes n'était qu'un
combat d'idées entre forces et institutions équivalentes, avec
uniquement des professeurs et des étudiants...18
LA
FIN JUSTIFIE-T-ELLE N'IMPORTE QUEL MOYEN ?
Il
faudrait citer des paragraphes entiers de notre Trotsky claudiquant
mais encore génial :
« Serait-ce
que pour atteindre cette fin tout est permis ? Nous demandera
sarcastiquement le philistin, révélant qu'il n'a rien compris.Est
permis, répondrons-nous, tout ce qui mène réellement à la
libération des hommes.Cette fin ne pouvant être atteinte que par
les voies révolutionnaires, la morale émancipatrice du prolétariat
a nécessairement un caractère révolutionnaire ; de même
qu'aux dogmes de la religion,elle s'oppose irréductiblement aux
fétiches, quels qu'ils soient,de l'idéalisme ,ces gendarmes de la
classe dominante.Elle déduit les règles de la conduite des lois du
développement social,c'est à dire avant tout de la lutte des
classes, qui est la loi des lois.
Le
moraliste insiste encore :
Serait-
ce que dans la lutte des classes contre le capitalisme tous les
moyens sont permis ? Le mensonge,le faux, la
trahison,l'assassinat "et caetera" ?
Nous
lui répondons : ne sont admissibles et obligatoires que les
moyens qui accroissent cohésion du prolétariat,lui insufflent dans
l'âme une haine inextinguible de l'oppression,lui apprennent à
mépriser la morale officielle et ses suiveurs démocrates,le
pénètrent de la conscience de sa propre mission
historique,augmentent son courage et son abnégation.
Il
découle de là précisément que tous les moyens ne sont point
permis.Quand nous disons que la fin justifie les moyens,il en résulte
pour nous que la grande fin révolutionnaire repousse, d'entre ses
moyens, les procédés et les méthodes indignes qui dressent une
partie de la classe ouvrière contre les autres : ou qui tentent
de faire le bonheur des masses sans leur propre concours ; ou
qui diminuent la confiance des masses en elles mêmes et leur
organisation en y substituant l'adoration des "chefs". Par
dessus tout , irréductiblement, la morale révolutionnaire condamne
la servilité à l'égard de la bourgeoisie et la hauteur à l'égard
des travailleurs,c'est à dire un des traits les plus profonds de l a
mentalité des pédants et des moralistes petits-bourgeois.
Ces
critères ne disent pas ,cela va de soi,ce qui est permis ou
inadmissible dans une situation donnée.Il ne saurait y avoir de
pareilles réponses automatiques.Les questions de morale
révolutionnaire se confondent avec les questions de stratégie et de
tactique révolutionnaire.L'expérience vivante du mouvement,
éclairée par la théorie,leur donne la juste réponse.
Le
matérialisme dialectique ne sépare pas la fin des moyens.La fin se
déduit tout naturellement du devenir historique.Les moyens sont
subordonnés à la fin.La fin immédiate devient le moyen de la fin
ultérieure...Ferdinand Lassalle fait dire dans son drame, "Franz
von Sickingen", à l'un de ses personnages :
Ne
montre pas seulement le but,
motre
aussi le chemin,
Car
le but et le chemin sont tellement unis
Que
l'un change avec l'autre et se meut avec lui
Et
qu'un nouveau chemin révèle un autre but.
Les
vers de Lassalle sont forts imparfaits. Lassalle lui même, et c'est
plus fâcheux encore, s'écarta dans sa politique pratique de la
règle qu'il exprimait ainsi : on sait qu'il en arriva à des
négociations occultes avec Bismarck.Mais l'interdépendance de la
fin et des moyens est bien exprimée dans ces quatre vers.
Il
faut semer un grain de froment pour obtenir un épi de froment.
L'émancipation
des ouvriers ne peut être l'oeuvre que des ouvriers eux même.
Il
n' y a donc pas de plus grand crime que de tromper les masses,de
faire passer des défaites pour des victoires,des amis pour des
ennemis,d'acheter des chefs,de fabriquer des légendes...il
n'existe que les vérités éternelles de la religion pour justifier
la morale, ce qui représente une conception rétrograde. D'ailleurs,
la bourgeoisie applique largement cette formule, sans le dire
ouvertement.
« La classe dominante impose ses fins à la société et
l'accoutume à considérer comme immoraux les moyens qui vont à
l'encontre de ces fins. Telle est la mission essentielle de la morale
officielle. Elle poursuit « le plus grand bonheur possible »
non du plus grand nombre, mais d'une minorité sans cesse
décroissante. Un semblable régime, fondé sur la seule contrainte,
ne durerait pas une semaine. Le ciment de l'éthique lui est
indispensable. La
fabrication de ce ciment incombe aux théoriciens et aux moralistes
petits-bourgeois. »
C'est malheureux à constater, mais ce n'est pas dans les minuscules groupes révolutionnaires qu'on peut trouver un marxisme sensé, mais chez un philosophe professionnel et franchement laïc, Yvon Quiniou. II
reste que la morale fait théoriquement problème puisque le marxisme
est un matérialisme — pas n'importe lequel, mais un matérialisme
- et que le matérialisme paraît bien devoir exclure la morale. La
tentation est grande alors de voir dans le marxisme un amoralisme ou
un anti-moralisme théorique - comme le stalinien Althusser y a vu un
anti-humanisme théorique, et a déformé des générations de
gauchistes. Le stalinisme est condamnable non
pas au nom d'une éthique abstraite mais parce que ses pratiques,
tromper les masses, faire passer des défaites pour des victoires,
des amis pour des ennemis, acheter les chefs, forger des légendes,
monter des procès truqués, tout cela ne peut servir qu'une fin :
prolonger la domination d'une coterie qui est un obstacle à la
victoire du socialisme (cit de T.).
Il
y a une dimension morale chez Marx mais qui n'est pas celle inventée
par les curés du CCI, c’est la moitié du livre I du Capital dit Quiniou...
des chapitres entiers de cette grande œuvre sont littéralement
envahis par le pathos moral : singulièrement le chap. X, sur la
durée de la journée de travail, le chap. XV sur le machinisme et la
grande industrie, et le chap. XXV sur l’accumulation. Marx constate
que l’exploitation capitaliste produit les pires formes de barbarie
et transforme les hommes en choses dont le capitaliste use à son
gré. Si on se contente de la description scientifique, on peut tout
simplement dire : « et alors ? » La
civilisation grecque est impensable sans l’esclavage et Aristote ne
trouvait pas choquant de comparer un esclave avec un bœuf ou un
« outil animé ». Marx est indigné, révolté contre la
barbarie capitaliste ; il commence par là et finira sa vie avec
cette révolte. Plus largement, il faut dire
que l'ontologie matérialiste du marxisme converge avec celle de
Nietzsche et de Freud - par-delà les différences de contenu - pour
exclure la figure théorique du Sujet souverain et originaire propre
à l'humanisme spiritualiste et pour affirmer, sur fond de finitude
ontologique que c'est la vie qui détermine la conscience et non
l'inverse. L'hypothèse d'une conscience morale transcendant la vie
et émanant de ce Sujet en sort bien évidemment détruite. Marx,
dans Le Capital, soulignait que les hommes sont davantage les «
créatures » que les « créateurs » des rapports sociaux et que
cela lui interdisait d'attaquer les personnes et l'obligeait à ne se
livrer qu'à une analyse critique des fonctions socio-économiques.
La
théorisation de la morale mène au stalinisme. Il y a donc bien une
vérité matérialiste du refus de la morale et, en ce sens, le
matérialisme conscient de soi est le meilleur rempart contre les
dérives ultimement meurtrières du moralisme, potentiellement
présentes dans la morale elle-même, et qui ont affecté le marxisme
dans sa version stalinienne, hard ou soft: l'intolérance, le
fanatisme, la recherche d'ennemis et donc de « sujets » coupables,
les procès, la peine de mort (y compris pour des raisons politiques,
choses que le CCI n'a pu pratiquer que virtuellement en Occident
moderne) etc. - sans parler bien sûr, des formes plus criantes de
moralisme dans le domaine des mœurs où le thème de la culpabilité
individuelle n'est jamais absent. Tout cela a bel et bien accompagné
la politique des faussaires marxistes au XXe siècle et traduit,
contre le choix historique et classique communiste, l'oubli du
matérialisme fondateur et la résurgence en son sein d'un idéalisme
d'autant plus pernicieux qu'il se masquait dans un langage
ultrapolitique du stalinisme et du maoïsme et du trotskisme, . Si
donc le marxisme stalinisé au XXe a présenté pour une part un
visage repoussant, ce n'est pas en raison de son option matérialiste
propre comme tend à le faire croire une propagande hostile
d'inspiration sectaire ou libérale , c'est au contraire faute de lui
avoir été pleinement fidèle.
Le
matérialisme marxiste oblige à une révolution par rapport à
l'approche morale : celle-ci accuse les individus comme s'ils étaient
responsables de leurs actions ou exactions, crimes, violence,
délinquance, comportements de classe, etc. Le matérialisme
historique, lui, à la fois renverse la perspective et déplace le
chef d'accusation : au lieu d'incriminer les individus, il accuse les
structures sociales. Il n'y a donc pas pour le marxisme d'individus
méchants, il n'y a que des structures sociales mauvaises qui
produisent ce qui s'appréhende imaginairement comme de la «
méchanceté ». Cela modifie dès lors complètement l'attitude
pratique qu'il convient d'adopter pour supprimer le « mal » : au
couple idéaliste accusation (ou responsabilisation) individuelle, il
faut substituer la mise en accusation de la chaîne des causes
capitalistes déterministe dans l'horizon d'une « révolution »
contre l'ordre injuste du monde. Marx a très bien exprimé ce point
quand il dit, dans La Sainte Famille, parlant de la liaison du
matérialisme au communisme et au socialisme : « Si l'homme n'est
pas libre au sens matérialiste (...) il ne faut pas punir le crime
dans l'individu mais détruire les foyers antisociaux du crime ».
Le
marxisme n'est pas une science. C'est pourquoi on doit le considérer
comme étant à la fois théorique et critique, théorico-critique :
aucune science n'est par elle-même critique (sauf en un sens interne
à la théorie), la critique suppose l'élément de la valeur. La
présence de ces deux aspects a évidemment été aperçue ; mais la
reconnaissance de l'un se faisant au détriment de l'autre : c'était
soit la morale contre la science (c'est le cas de l'idéaliste
Rubel), soit la science contre la morale (cas du stalinien
Althusser). Or c'est leur présence simultanée, dans une tension
contradictoire, qui est passionnante.
Avec
Yvon Quiniou nous pouvons conclure que la question morale dans le
marxisme est du coup politique : c'est la politique, réalité
pratique de l'histoire, et envisagée comme application technique
de la théorie historique, qui prend en charge pratiquement la question morale, jusqu'à sa dissolution. Dans le communisme, les questions morales issues des contradictions sociales seront supprimées, et d'ici là c'est la politique comme instance réellement pratique ou efficace qui est première - cette primauté étant quasiment ontologique. Il y a, si l'on peut dire, une ontologie de la praxis comme porteuse de la dissolution politique de la question morale : les problèmes moraux sont de faux problèmes moraux et de vrais problèmes politiques, qui recevront un jour leur solution.
de la théorie historique, qui prend en charge pratiquement la question morale, jusqu'à sa dissolution. Dans le communisme, les questions morales issues des contradictions sociales seront supprimées, et d'ici là c'est la politique comme instance réellement pratique ou efficace qui est première - cette primauté étant quasiment ontologique. Il y a, si l'on peut dire, une ontologie de la praxis comme porteuse de la dissolution politique de la question morale : les problèmes moraux sont de faux problèmes moraux et de vrais problèmes politiques, qui recevront un jour leur solution.
« L'œuvre
de Marx - mais c'est vrai du marxisme en général pour autant qu'il
se situe dans son sillage et ne verse pas dans la pure et simple
idéologie - est donc double, non pas ambiguë mais ambivalente : à
la fois scientifique et normative ou morale car se déployant dans
l'horizon normatif du communisme qui habite ses analyses du présent
capitaliste. Elle dit donc à la fois ce qui est et ce qui doit être
et la référence à ce qui doit être - le communisme - est présente
dans ce qu'il dit de ce qui est - le capitalisme ».
NOTES
1https://fr.internationalism.org/rint127/ethique_morale.html
et procurez-vous la brochure de l'ex-fraction diabolisée qui
dénonçait déjà la dérive, interne encore seulement :
http://igcl.org/Morale-proletarienne-lutte-des.
Débat interne de 2004-2009
https://fr.internationalism.org/rint127/ethique_morale.html
2« Nous
avons retiré un article et le premier tract sur les protestations
contre le changement climatique des pages française, néerlandaise
et espagnole (ils n'ont pas été publiés en anglais), parce qu'il
y a un accord général dans l'organisation que ces deux textes
originaux n'étaient pas assez critiques sur l'implication de la
bourgeoisie dans les manifestations sur le changement climatique. Le
nouveau tract international sur notre site Internet exprime la
position de l'organisation sur ces manifestations. Nous produirons
une analyse plus détaillée des protestations contre le changement
climatique en temps voulu ».
3Sans
aucun sens critique contre ce grand barnum à fake news écologiques
et idéologiques... alors qu'ils s'étaient précipités pour
conchier le mouvement des gilets jaunes à ses débuts, pas assez
pur ni naturel...
4« C’est
pourquoi nous repoussons toute prétention de nous imposer quelque
dogmatisme moral que ce soit comme loi éthique éternelle,
définitive, désormais immuable, sous le prétexte que le monde
moral a lui aussi ses principes permanents qui sont au-dessus de
l’histoire et des différences nationales. Nous affirmons, au
contraire, que toute théorie morale du passé est, en dernière
analyse, le produit de la situation économique de la société de
son temps. Et de même que la société a évolué jusqu’ici dans
des oppositions de classes, la morale a été constamment une morale
de classe ; ou bien elle justifiait la domination et les
intérêts de la classe dominante, ou bien elle représentait, dès
que la classe opprimée devenait assez puissante, la révolte contre
cette domination et les intérêts d’avenir des opprimés. »
Engels,
« Anti-Dühring »
5
Signé CCI, l'article a été traduit par leurs moralistes anglais,
toujours très peu marxistes et beaucoup pragmatiques :
6Christophe
Guilluy, No society p.90.
7https://fr.internationalism.org/icconline/201612/9501/migrants-et-refugies-victimes-du-capitalisme-partie-iv.
Ce qui n'est pourtant pas rien = 60 millions de personnes !
8Signé
WH novembre 2016.
9En
lire la bonne critique :
https://www.lesinrocks.com/.../la-polemique-autour-dapocalypse-staline-est-
elle-justifiee/3
nov. 2015 ...
Isabelle Clarke
et Daniel Costelle proposent, ce mardi soir sur France 2, ...
Capture d'écran de l'affiche du documentaire
"Apocalypse, Staline" .... à comprendre pourquoi cette
révolution
russe,
aussi sanglante qu'elle ait été, … et sa démolition
https://dissidences.hypotheses.org/6376.
Le texte hyper-réac est ahané par l'inénarrable Mathieu
Kassovitz.
11Le Trotsky de la fin est un condensé, une compilation d'âneries politiques mais aussi de traits de génie. Voici ce qu'il dit à ceux qui veulent ajouter de la morale à leur politique, plus ou moins défaillante : « Toute une école "marxiste" se forma en Russie à la fin du siècle dernier, qui entendait compléter la doctrine de Marx en lui ajoutant un principe moral autonome, supérieur aux classes (Strouvé, Berdiaeff, Boulgakov et autres...). Ses tenants commençaient naturellement par Kant et son impératif catégorique. Comment finirent-ils? Strouvé est aujourd'hui un ancien ministre du baron de Wrangel et un bon fils de l'Eglise ; Boulgakov est prêtre orthodoxe ; Berdiaeff interprète en plusieurs langues l'Apocalypse. Des métamorphoses aussi inattendues à première vue ne s'expliquent pas par "l'âme slave" -- l'âme de Strouvé étant du reste germanique -- mais par l'envergure de la lutte sociale en Russie. L'orientation essentielle de cette métamorphose est en réalité internationale.
L'idéalisme
classique en philosophie, dans la mesure où il tendait à
séculariser la morale, c'est-à-dire à l'émanciper de la sanction
religieuse, fut un immense progrès (Hegel). Mais, détachée des
cieux, la morale avait besoin de racines terrestres. La découverte
de ces racines fut l'une des tâches du matérialisme. Après
Shaftesbury, il y eut Darwin, après Hegel, Marx. Invoquer de nos
jours les "vérités éternelles" de la morale, c'est
tenter de faire rétrograder la pensée. L'idéalisme philosophique
n'est qu'une étape : de la religion au matérialisme ou, au
contraire, du matérialisme à la religion » .
12Les
créoles disent « argent braguette ».
13No
society p.216.
14La
femme doit être cachée, battue et fouettée. Il faut répandre la
foi coranique avec la guerre des yeux...
16Pour
ceux, prolétaires ou pas, qui sont écoeurés par cette compassion
petite bourgeoise outrancière et hypocrite, je conseille de lire
Engels.
En 1845, il avançait que l’immigration irlandaise a contribué,
en Angleterre, à « abaisser
le salaire et avec lui la classe ouvrière elle-même »
; un demi-siècle plus tard, Jean Jaurès faisait l’éloge du
« socialisme
douanier »
pour mieux « protéger
la main d’œuvre française contre la main d’œuvre étrangère
»
bon marché.
Engels encore, sur
les réfugiés irlandais ; lumpen sale et inéduqué, composé
de mendiants, de vagabonds, de criminels, prolétariat en guenilles,
« pourriture passive des couches inférieures de la vieille
société » ; la « populace irlandaise »
n'est pas une armée de réserve du capital mais une couche
populaire unie à l'aristocratie par la solidarité religieuse ».
Cette bohème est l'écume de toutes les classes de la société,
mais un lumpen dont Bakounine, lui, se portait caution morale...
Marx démontre par après comment la bourgeoisie se sert de la
différence de situation et de statut social de l'ouvrier anglais et
de l'irlandais ; on notera simplement la différence
aujourd'hui : la bourgeoisie porte au pinacle le migrant (qui
se berce de préjugés religieux) et ridiculise « l'ouvrier
blanc », et la plupart des migrants ne peuvent même plus être
intégrés à la production, il faut en chasser sans cesse avec le
même discours humanitaire . Extrait
de la lettre de Karl Marx à Siegfried Meyer et August Vogt, du 9
avril 1870. Le sens général de la lettre est de convaincre les
membres de l'Internationale de lutter pour l'indépendance de
l'Irlande. Mais on y trouve aussi ce passage clairvoyant sur le rôle
que les classes dirigeantes anglaises font jouer à l'immigration
irlandaise en Angleterre pour appauvrir et diviser la classe
ouvrière, qu'elle soit britannique ou irlandaise : « Mais
la bourgeoisie anglaise a encore d’autres intérêts, bien plus
considérables, au maintien de l’économie irlandaise dans son
état actuel. En raison de la concentration toujours plus grande des
exploitations agricoles, l’Irlande fournit sans cesse un excédent
de main-d’œuvre au marché du travail anglais et exerce, de la
sorte, une pression sur les salaires dans le sens d’une
dégradation des conditions matérielles et intellectuelles de la
classe ouvrière anglaise. Ce qui est primordial, c’est que
chaque centre industriel et commercial d’Angleterre possède
maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles :
les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L’ouvrier
anglais moyen déteste l’ouvrier irlandais en qui il voit un
concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l’ouvrier
irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi
un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays
utilisent contre l’Irlande. Ce faisant, il renforce leur
domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux,
sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se
comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres
dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L’Irlandais
lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans
l’ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide
de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est
artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé
et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent
les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de
l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son
organisation. C’est le secret du maintien au pouvoir de la classe
capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente ».
17J'ai
laissé le renvoi aux notes du texte original que vous pouvez lire
ici : http://kropot.free.fr/conseils.htm
La
critique des bordiguistes, qui sont très gauchistes sur la question
des migrants, enfonçait un peu plus l'idéaliste Gorter : « Il
est vrai que Gorter, qui reprend dans son fond la dichotomie
idéaliste bourgeoise et tente ainsi de résoudre un faux problème,
fait appel pour se justifier à des raisonnements «marxistes» sur
les différences de développement économique entre l'Allemagne et
la Russie. Il admet du bout des lèvres que des chefs aient été
nécessaires... pour la Russie. Mais, en Europe occidentale, se
hâte-t-il d'ajouter, les conditions sont différentes. La
révolution russe a bénéficié du soutien d'une insurrection
démocratique-paysanne, qui n'est plus à l'ordre du jour en
Allemagne. Le fait est incontestable. Mais les conclusions qu'en
tire Gorter sont étranges. Au lieu de démontrer que, quelles que
soient les conditions, le parti du prolétariat est partout fondé
sur les mêmes principes, parce qu'il n'existe qu'un prolétariat
mondial luttant pour la révolution mondiale, Gorter en déduit
que:«Dans la mesure où l'importance de la classe augmente, baisse
en proportion l'importance des chefs».
http://www.sinistra.net/lib/bas/progco/qioi/qioinnocef.htm
18Pannekoek
reste cependant un de nos meilleurs penseurs prolétariens, il voit
bien l'inversion que suppose la morale religieuse, l'ambiguïté de
la domination religieuse :« La
loi morale - selon Kant - ne règne pas parce qu´elle est obéie,
mais justement parce qu´elle ne l´est pas. Cette loi n´est pas un
fait pratique, mais la conscience intérieure de ce qu´il faut
faire. Dans la société bourgeoise domine cette idée que, dans ce
monde, l´homme ne peut survivre qu´en péchant contre les règles
de la morale. Et c´est bien de péché qu´il s´agit car les
forces spirituelles, dont on ne connaît pas l´origine sociale,
sont ressenties comme des émanations divines : la loi morale est un
ordre venu de Dieu. Et toute offense envers cette loi morale est une
offense envers Dieu ».
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