Quel gouvernement pourrait être contre la croissance? Pas celui de cette innocente cuvée scolaire hollandaise "paritaire" que nous a si bien croqué le subtil dessinateur Placide.
L’économie
capitaliste est programmée de telle façon qu'une croissance nulle ou faible,
c'est forcément beaucoup de chômage. Hollande a fait le beau en Amérique avec
son thème électoral engageant à stimuler la croissance (la relance), mais
comment et avec quels moyens, oui avec quels moyens? En flattant les PME, en
lançant de grands travaux ? En priant Keynes de revenir parmi nous avec
de nouvelles recettes pour, au moins, sauver le capitalisme en France ?
Le système économique actuel peut être vu comme
un éternel cycle offre/demande. Depuis la fin du XIXe siècle, la
théorie de l'offre et de la demande a peu évolué.
L’offre est la quantité d’un bien économique que les producteurs souhaitent
vendre à un prix donné. Ses principaux déterminants sont le prix du marché et
les coûts de production. En fait, les fonctions d’offre sont obtenues à partir
des coûts de production de l’entreprise à long terme. La demande est la quantité voulue d’un bien, à un prix donné, par les consommateurs ayant les moyens de l’acheter. Ses principaux déterminants seront donc le prix du bien, le revenu, les goûts, mais aussi l’offre et la demande des biens de substitutions (ainsi l’évolution des prix du pétrole a un effet sur la demande de gaz par exemple).
Une société crée un produit qu'elle met sur le
marché, les consommateurs l'achètent donc le carnet de commandes de
l'entreprise grossit, elle embauche et ainsi de suite (sachant que l'Etat
prélève des taxes au passage). Il faut imaginer la même chose au niveau d'un
pays. On parle beaucoup de Keynes depuis le début de la crise et on l’invoque à
nouveau pour parler relance ou croissance. Keynes a bâti une théorie, notamment
à partir de la crise de 1929. Pour lui, s'il y a crise, c'est que le cercle
offre/demande s'est grippé par manque de demande. Sous l'effet d'un événement
déclencheur (la crise de 1929), les ménages et les entreprises sont devenus
profondément pessimistes. Les premiers ne consomment plus assez et les seconds
n'investissent plus. La «roue de l'économie» ralentit, le chômage
monte.
Pour dégripper la roue, Keynes proposait deux
moyens: la monnaie et le budget. Le premier consiste à injecter de la liquidité
(de la monnaie) dans le système. Cela consiste à baisser les taux d'intérêts,
ce qui a été fait par toutes les banques centrales occidentales depuis le début
de la crise (ils sont proches de 0% aux USA). On peut également faire tourner
la planche à billets, ce qui est pratiqué (massivement) aux Etats-Unis ou en
Angleterre. On sait que la BCE est très réticente dans ce domaine mais elle a
aussi injecté de la liquidité par des moyens alternatifs, notamment le prêt
récent de 1.000 milliards d'euros aux banques européennes. Si ce dernier plan a
donné de l'oxygène aux banques, la monnaie ne semble pas infuser dans
l'économie «réelle». Les parades des banques centrales ne parviennent
pas à huiler un système grippé où « l’argent-roi » permet toutes les
tricheries, des enrichissements faramineux qui ne sont pas réinvestis dans l’industrie.
Marc Roche raconte très bien comment le grand truandage de Goldman 1 Sachs « dirige
le monde » ; en décrivant en particulier l’hypocrisie et la
complicité qui ont présidé au camouflage de la dette grecque (p. 18 et suiv. de son Livre « La
Banque » (poche points). Les dettes sont un puits sans fond et ne pourront
jamais être honorées dans la crise croissante, malgré les mensonges des
économistes qui raisonnent pour le public au cas par cas, et dans des
hypothèses d’école, toutes impuissantes à redonner du tonus à un capitalisme
essoufflé.
Le second moyen de feu Keynes était budgétaire,
se servir dans les caisses de l'Etat pour relancer l'économie. La façon de
procéder la plus immédiate est de donner de l'argent aux ménages (ce que
Hollande fait avec l'augmentation de l'Allocation de Rentrée Scolaire). Ils
vont alors consommer plus, ce qui remplira les carnets de commande, créera des
embauches, augmentera la consommation et les recettes de l'Etat. C'est ce que
Keynes appellait le multiplicateur d'investissement: pour 1 Euro dépensé par
l'Etat, X euros de richesse sont créés. Pour que ce X soit intéressant, il faut
que le cycle soit complet. Or, celui-ci peut être rompu de différentes façons.
La première, c'est l'épargne. Si l'argent donné par l'Etat vient remplir les
livrets A et ne se retrouve pas dans la consommation, c'est perdu. Or, vu le désarroi
face à la crise et l’incertitude grecque, le taux d'épargne est très haut (7,4% des revenus). Le moyen le plus sûr consisterait donc à
donner plus de revenus (allocations, aides, ...) aux plus pauvres qui ne
peuvent pas épargner. La seconde manière dont le cycle peut se rompre est
beaucoup plus pernicieuse. Si l'argent versé aux ménages les plus pauvres
trouve un débouché de consommation dans des produits importés, la relance
budgétaire aura permis une aide aux plus pauvres (une fois) et une relance ...
de l'exportation chinoise ou allemande. Ce risque est cependant relativement
limité. Les biens importés ne représentent que 14% de la consommation des ménages et ce pourcentage est
plutôt plus faible pour les bas revenus.
La dernière possibilité keynesienne est le
lancement de «grands travaux». Quand Roosevelt lance le «New Deal»,
il inclut une politique de grands travaux d'infrastructure - barrages, ponts,
autoroutes - qui vont préparer les Etats-Unis à la guerre puis à la fantastique
croissance d'après-Guerre. L'avantage des travaux de BTP, c'est qu'ils ne sont
pas délocalisables (ou très peu). L'Etat emploie de la main d'oeuvre, ce qui
fait baisser le chômage. Le cycle a plus de chance de se compléter qu'en
donnant l'argent directement aux ménages. Mais nous ne sommes plus en 1933.
S'il y a bien encore des infrastuctures de transport à bâtir en Europe, ça
n'est pas la demande la plus urgente. Les think tank hollandais pensent plus à
des travaux de conversion écologique (photovoltaïque, éolien), de transport
d'électricité ou encore de données. Encore faut-il que les matériaux
proviennent d'Europe et non de Chine, le meilleur moyen de s'en assurer étant
de mettre une dose de protectionnisme (préférence communautaire dans les appels
d'offre), refrain des Montebourg et Mélenchon, refrain plus du domaine du
patriotisme idéologique racoleur que transposable dans la réalité de la
compétition acharnée où les grandes puissances dictent la partition.
Voilà en quoi consiste l'économie de la demande
dont les recettes ont été très largement utilisées depuis le début de la crise,
en Europe comme aux USA.
Etudions l'économie de l'offre qui s'attache à
travailler sur un autre plan et qui est d'inspiration libérale. Cette fois-ci,
la base est que c'est l'offre (les entreprises) qui crée de la richesse qui se
transmettra aux salariés créant de la demande. En flexibilisant le travail à
outrance. Cette idéologie dite de droite libérale veut qu'il faille libérer
tout ce qui entrave les entreprises, principalement la fiscalité et les
réglementations. Pas très probant dans la crise actuelle, et l’exemple
allemand, efficace dix ans en arrière, n’est pas très porteur. Les prolétaires
en Europe comme ailleurs commencent à en avoir marre d’être traités comme du
bétail précarisé de plus en plus et respecté de moins en moins.
Le premier obstacle pour le nouveau gouvernement
français, c'est la régulation du marché du travail que le petit dictateur déchu
s’était engagé à ficeler toujours plus. Le code du travail français est
relativement protecteur pour les salariés, n’en déplaise à l’ex-chien de garde,
Copé, d’une droite caviar décapitée, mais il est à plusieurs vitesses. Les CDI
sont bien protégés et toute la flexibilité porte sur les CDD et les
intérimaires. Le modèle français se comporte comme un marché de
stabilisés/disqualifiés (lire Serge Paugam : La disqualification sociale,
puf) avec un noyau dur bien protégé et des exclus (jeunes, seniors, peu
diplômés). L'option rêvée serait alors de casser cette dualité en allant vers
un contrat unique qui soit plus protecteur qu'un CDD mais moins qu'un CDI,
l'objectif étant de fluidifier le marché du travail et donc d'améliorer la
situation de l'emploi. Par ailleurs, il existe aussi une asymétrie entre les
grandes sociétés privées et publiques qui peuvent relativement facilement
s'accommoder de la complexité du droit du travail et licencier (ou supprimer
des postes) sans trop de problème et les PME qui ont toutes les peines du monde
à licencier sans débourser beaucoup de pognons et de liquidités pour la justice
de classe.
Enfin, autre possibilité de relance, elle aussi
plutôt libérale, la dérégulation de marchés ou de corporations protégées qui
ferait baisser les prix.
La politique de l'offre a un désavantage: elle
prend du temps à produire ses effets. Mais elle a un gros point positif: elle
ne coûte rien ou pas grand chose. Alors que les relances par la demande
demandent de l'argent. Il faudrait alors soit retarder un hypothétique retour à
un équilibre budgétaire (prévu pour 2017) soit émettre encore et toujours plus
de dette, que ce soit de la dette française, européenne (eurobonds) ou des
dettes spécifiques à des projets (project bonds).
François
Hollande imagine la relance principalement sous l'angle de la demande et Angela
Merkel de l'offre. Quant à Mario Monti, il a mené une politique de l'offre pour
le moment. Il cherche certainement à panacher avec un peu de relance par la
demande pour relâcher un peu la pression sur son peuple. Il est donc un allié
objectif de Hollande pour la demande mais il voudra aussi surement que la
France fasse une politique de l'offre comme l'a fait l'Italie. Quant à François
Hollande, pour le moment, il cherche surtout une victoire politique aux
législatives, sans presser son gouvernement de transition.
Au final, la France va certainement mener une
politique restreinte de relance par la demande avec des mesures ciblées comme
la hausse de l'ARS (Allocation de Rentrée Scolaire). La chancelière l'acceptera
tant que la France suivra ses objectifs de ré-équilibrage budgétaire ( il y a
peu de chance que la France, comme beaucoup d'autres pays de l'UE, atteigne ses
objectifs). Là ou Hollande peut aller chercher sa victoire, ce sont sur les
grands travaux. Il y a environ 80 milliards d'euros de fonds européens non utilisés.
Nul doute
qu'il aura des pressions pour appliquer une politique de l'offre en France. Il
y a peu de chances qu'il accepte une réforme du code du travail qui pourrait
faire plonger sa popularité dès le début du quinquennat et agiter un chiffon
rouge devant les yeux de Jean-Luc Mélenchon et Aubry, moitié d’opposants dubitatifs
pour tenir en laisse le prolétariat si toutefois il en venait à se réveiller
brutalement contre ses nouveaux exploiteurs, leurs banquiers, leurs patrons et
leurs syndicats.
Le problème n’est pas que français ni qu’européen,
même si la bourgeoisie semble s’affoler beaucoup pour l’avenir de l’Europe en
ce moment, surtout en tant que marché du monde en train de péricliter, comme un
vaisseau à la mer, déjà coulé et qui entraîne par le fond un autre navire et
son équipage envoyé pour le tirer à flots, mais, de plus en plus, en peine
perdue…
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