"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

vendredi 30 mars 2012

QUI VA BAISER LA FRANCE?




(d’après L’Express : « Les gagnants et les perdants du sarkozysme »)

UN CONSTAT : LA PAUVRETE

Loin de reculer, la pauvreté progresse en France: elle concerne aujourd'hui plus de 11 millions de personnes. C'est ce que révèle le rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (Onpes) publié jeudi, qui dresse un tableau inquiétant en compilant une vingtaine d'indicateurs datant de 2009, dernière année disponible. Le point avec Didier Gelot, secrétaire général de l'Onpes.
Quelles sont les grandes tendances du rapport?
Didier Gelot: Premier constat, le taux de pauvreté en France augmente depuis 2004. Alors qu'il était de 12,6%, il s'élevait à 13,5% de la population en 2009, soit 8,2 millions de personnes pauvres, vivant avec moins de 954 euros par mois. Quant aux personnes en situation de grande pauvreté, c'est-à-dire en dessous du seuil de 640 euros mensuels, elles sont au nombre de deux millions. Sans compter les personnes touchées par des "privations matérielles sévères de biens et de services" ou une "très faible intensité de travail". Ce qui représente au total plus de 11 millions de personnes. En tout, 700.000 personnes cumulent ces trois indicateurs.
La pauvreté s'accentue chez les familles monoparentales, soit deux à trois fois plus que l'ensemble de la population, chez les enfants où le taux est de 18% et chez les jeunes de 18 à 24 ans. Et la pauvreté est encore plus présente en zones urbaines sensibles (ZUS), où le taux de pauvreté s'établit à 32%. Et près d'un jeune sur deux de moins de 25 ans habitant en zone urbaine sensible est pauvre. Deuxièmement, on ne parle pas assez de la pauvreté en milieu rural. Moins de personnes sont touchées qu'en zone sensible, mais le taux de pauvreté est supérieur qu'en zone urbaine. En 2008, il était de 14,4%. Il s'agit principalement de néo-ruraux et de paysans paupérisés.
Enfin, on peut gagner sa vie, avoir un travail et vivre en dessous du seuil de 954 euros par mois. C'est un phénomène qui s'accentue, il touche aujourd'hui 7% de la population. C'est particulièrement le cas pour les femmes seules avec enfant. De plus en plus de professions ne vous permettent pas de franchir le seuil de pauvreté, c'est notamment le cas dans le secteur du service à la personne, dans la restauration, l'agriculture.
Comment peut-on expliquer cette augmentation de la pauvreté ?
On observe qu'il y a eu un tournant dans les années 2000. Pourtant, c'était avant la crise, mais depuis dix ans le travail est de plus en plus précarisant, grisant. Certains sont exclus du marché du travail et la crise a accentué ces phénomènes déjà présents. Elle n'a pas tout fait, mais elle les a rendus de plus en plus aigus. Sur le marché du travail, le CDI (contrat à durée indéterminé) a laissé place à des contrats courts, des temps partiels.
Par ailleurs, le nombre et la fréquence des missions intérimaires se réduisent, tandis que la sous-traitance se développe y compris pour les postes qualifiés de l'industrie. Il faut avant tout une vraie politique de l'emploi.
Quelle est la situation de la France par rapport aux autres pays européens ?
La France fait partie des pays où le taux de pauvreté demeure un des plus modérés. Si l'on compare avec des pays voisins comme l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, le système de protection sociale de la France a permis de diviser par deux le nombre de pauvres. Aujourd'hui, sans aides sociales, le taux de pauvres serait de 20%. L'effet a été net sur la réduction du taux de pauvreté, reste le niveau des minima sociaux. Par exemple, le RSA (revenu de solidarité active) se situe aux alentours de 450 euros par mois, en dessous du seuil de pauvreté. Or le pouvoir d'achat s'est dégradé depuis les années 2000. Les minima sociaux sont n'étaient que peu revalorisés ces dernières années. Le conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion prône une revalorisation de ces minima sociaux de 25%.

L'abandon des jeunes générations

La France a mal à sa jeunesse. Comment le dire autrement ? En Europe, ce sont en effet les jeunes Français qui sont les plus pessimistes. Que ce soit en termes de revenu, de patrimoine, d'emploi, de taux d'effort financier pour se loger ou de précarité, les inégalités générationnelles n'ont cessé de se creuser depuis au moins une décennie. La crise économique récente n'a fait qu'accentuer le fossé entre les seniors et leurs petits-enfants.
Certes, les statistiques sont parfois contradictoires. Entre mai 2007 et janvier 2012, le nombre de chômeurs de plus de 50 ans inscrits à Pôle emploi a bondi de près de 60 %, contre une hausse de 28 % pour les moins de 25 ans. Un résultat cependant trompeur. D'abord, parce que le taux de chômage des jeunes (22,4 % au dernier trimestre 2011) est trois fois et demie plus élevé que celui des plus de 50 ans. Ensuite, parce qu'il a grimpé de 4 points sur la période, contre une hausse de 1,5 point pour celui des plus de 50 ans. Surtout, les difficultés d'insertion des jeunes sur le marché du travail se sont encore accrues avec le développement de poches de travail quasi gratuit : stages, piges, free-lance... Résultat : près de 20 % des jeunes vivent aujourd'hui avec moins de 60 % du revenu médian, alors que le taux de pauvreté des retraités est désormais inférieur à celui de la moyenne de la population. La flambée immobilière des dernières années a encore accru les écarts patrimoniaux : les jeunes ont aujourd'hui peu d'espoirs d'accéder à la propriété sans un endettement maximal.
S'ajoute enfin la réforme des retraites. "En décidant de siphonner les 34 milliards d'euros du Fonds de réserve des retraites pour assurer le bouclage financier à court terme du système, le gouvernement a pris aux actifs de demain pour donner aux retraités d'aujourd'hui", dénonce Olivier Ferrand, le président de Terra Nova. Gare à la guerre générationnelle (n’importe quoi…).

Les smicards, grands oubliés

En théorie, la création du revenu de solidarité active (RSA) par Martin Hirsch, en 2009, devait profiter aussi bien aux RMistes qu'aux smicards. Les premiers sont assurés d'être toujours gagnants financièrement à la reprise d'un emploi, même à temps partiel. Avec un smic à mi-temps, un allocataire touchera ainsi son salaire, 550 euros, plus 266 euros au titre du RSA activité, qui est la vraie nouveauté de la réforme. "Avec un total de 816 euros, le gain par rapport au seul RSA est de 342 euros, contre 76 euros auparavant", calcule Yannick L'Horty, économiste de l'emploi. Par ricochet, le RSA activité bénéficie aussi à tous les travailleurs pauvres, passés ou non par la case minima sociaux. Pour reprendre le même exemple, un salarié au smic à mi-temps devrait aussi gagner 816 euros, même s'il n'a jamais été inactif. Mais 68 % des bénéficiaires potentiels du RSA activité ne le réclament pas. Un taux que les chercheurs s'expliquent mal. Méconnaissance ? Peur de la stigmatisation ? Lourdeur des démarches ? Toujours est-il que les smicards dans cette situation sont de fait perdants. D'autant que, depuis 2007, le gouvernement a toujours refusé de donner un coup de pouce au smic, se contentant d'appliquer la revalorisation minimale légale.

SALARIES DU PRIVE ET DU PUBLIC TOUS VICTIMES

Le public au régime sec
Début 2012, la France comptait presque 35 % de demandeurs d'emploi de plus qu'en mai 2007. Bien sûr, la crise économique qui s'est déclenchée dans les premiers mois de l'ère Sarkozy a laissé des traces, pénalisant en priorité les jeunes arrivants sur le marché du travail et les seniors des entreprises en restructuration. De fait, les effectifs du secteur privé ont fondu de près de 1,6 % durant le quinquennat, et la montée du chômage a pesé sur les négociations salariales.
Salaire mensuel par tête
Depuis 2006, les gains de pouvoir d'achat ont été plus forts dans le privé que chez les fonctionnaires. Cependant, la cure d'austérité a été plus sévère dans la fonction publique - non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, pressions sur les salaires, gel du point d'indice de rémunération en 2010 et 2011 -, même si le gouvernement a tenté de mettre en place un système de rémunération à la performance. Entre 2007 et 2011, le salaire mensuel nominal par tête a progressé de 7,8 % dans la fonction publique, alors qu'il a crû de 9,4 % dans les secteurs marchands non agricoles. En tenant compte de l'inflation, les gains de pouvoir d'achat des fonctionnaires ont donc été plus faibles que ceux des salariés du privé.
Les trous du cul patronaux grands bénéficiaires
La différence de traitement entre l'élite et le gros de la troupe s'accroît. Entre 2003 et 2010, les patrons du CAC 40 ont vu leurs émoluments s'envoler de 35%, quand la masse salariale ramenée à chacun de leurs employés progressait de 13%. Cas extrême au sein du groupe industriel Air liquide : sur la même période, le président Benoît Potier obtient une rallonge de 61%, contre 6% pour la masse salariale (par personne). Plus globalement, d'après les dernières statistiques (fin 2009), le revenu du décile le mieux loti (les 10% le mieux payés) s'élève à 3,4 fois celui du décile le plus pauvre (les 10% le moins bien payés). Ce "ratio d'inégalité" s'établissait à 3,2 en 2005. Consolation pour le président : la fracture salariale s'accroît presque partout en Europe, et dans des proportions équivalentes.

APERCU D’UN DECOUPAGE « SCIENTIFIQUE » DE LA France ELECTORALE (nettoyée de ses classes sociales) d’après le Nobs et Le Monde (« Pourquoi Hollande reste-t-il si flegmatique ?)

Une enquête Ipsos/Logica Business Consulting réalisée avec le concours du géographe Christophe Giulluy pour le Nouvel Observateur n’est pas étrangère au flegme qu’affiche actuellement François Hollande. Bousculé par la double offensive de Nicolas Sarkozy qui le dépasse désormais au premier tour dans les enquêtes d’opinion de cinq instituts sur huit, fragilisé par la montée de Jean- Luc Mélenchon (13 à 14% des intentions de vote) , le candidat socialiste a décidé pour le moment de ne rien changer à sa campagne. (…)
Si l’enquête Ipsos dit vrai, il a de quoi. Elle montre en effet que François Hollande  bénéficie d’une assise électorale très large alors que celle de son rival apparaît beaucoup plus rétrécie qu’en 2007. Combinant des indicateurs socio-économiques, démographiques mais aussi géographiques l’étude permet de distinguer quatre territoires géographiques et électoraux : la France métropolitaine aisée (25% de la population) qui est celle des grandes métropoles; la France périphérique intégrée (11%) qui regroupe les communes périurbaines ou rurales socialement intégrées ou aisées ; la France métropolitaine fragilisée (16%) qui s’apparente aux banlieues populaires ; La France périphérique fragilisée (48%) qui rassemble des communes périurbaines ou rurales fragiles ou populaires.
Le candidat socialiste a la particularité d’afficher un niveau d’intentions de vote homogène  ( entre 28 et 28,5%) dans trois catégories : la France métropolitaine aisée , la France  périphérique fragilisée et la France métropolitaine fragilisée . Il est plus faible dans la France périphérique intégrée» (25,5%) qui reste dominée par la droite et l’extrême droite . Mais au second tour, il l’emporterait dans les quatre France avec un score record de 56,5% dans la France périphérique défavorisée mais pas  négligeable dans la France métropolitaine aisée ( 54,5%) .  En 2007,  Ségolène Royal  n'était majoritaire que dans les banlieues. La situation de Nicolas Sarkozy apparait  beaucoup plus fragile. Le candidat UMP avait emporté le match de 2007 en agglomérant trois France : la France aisée ou protégée, dans laquelle il dominait largement, la France des banlieues où il talonnait Ségolène Royal, la France périphérique fragile où il dépassait la candidate socialiste ainsi que le leader du Front national . Aujourd’hui , il ne l’emporte plus que dans deux catégories : la France métropolitaine aisée et les zones périphériques intégrées,, mais avec une avance moindre qu’en 2007. En revanche il a complétement perdu son qualificatif de "candidat du peuple". Il recule fortement dans les banlieues populaires des grandes agglomérations où le Front national est à son plus haut niveau ( 19%) et surtout dans la France périphérique fragile qui représente le principal vivier électoral ( 48% ) .  Avec 25,5% des intentions de vote, il est pris en tenaille entre François Hollande ( 28,5% ) et le Front national (16%) lequel subit également la concurrence de Jean Luc Melenchon ( 14%).
« Cette France qui a cru à Nicolas Sarkozy en 2007 est en 2012, particulièrement sévère avec lui : c’est là que son bilan est le plus massivement jugé négativement, » indique Brice Teinturier , directeur général délégué d’IPSOS .
Le niveau de défiance atteint le record de 80% en matière de croissance et d’emploi qui sont les domaines dans lesquels se concentrent aujourd’hui les attentes les plus fortes. A trois semaines du premier tour , cette France périphérique fragile apparaît tout à fait stratégique car c’est elle qui concentre l’électorat le plus nombreux, le plus indécis et le plus susceptible de s'abstenir.


Les classes moyennes ont disparu (selon le géographe Christophe Guilluy. Interview dans leNobs).

 De l’autre côté, une France périphérique sur la défensive. Celle des nouvelles classes populaires...

Elle  représente  60% de la population. Dans la France périphérique, je mets à la fois des  espaces périurbains pavillonnaires, des zones rurales, des villages, des villes de mono-industries et même des centres urbains plus importants comme Perpignan. À l’écart du développement métropolitain, ces territoires représentent la France des fragilités sociales : celles des revenus, des statuts et du chômage. Regardez la carte des plans sociaux actuels : ce n’est pas celle des banlieues, pas celle non plus des grands centres urbains, mais bien celle de cette périphérie. Celle des petits salaires à 1.000 euros mensuels, voire 700 euros lorsqu’on étudie un département comme la Mayenne où le temps partiel est quasiment la norme. Une France bien moins dotée aussi en associations solidaires, au point que c’est dans ces territoires que la sous-utilisation du  RSA est la plus flagrante.

Vous insistez sur l’éloignement des pôles d’excellence scolaires et universitaires.

C’est le revers de la sympathique boboisation des centres des grandes villes, qui n’est rien d’autre qu’une appropriation du parc de logements populaires et des filières de la réussite par les catégories supérieures. Une lutte foncière des classes implacable. Du coup, les cursus éducatifs les plus performants sont de plus en plus excentrés et difficiles d’accès pour les enfants de la France périphérique. Et ils observent en silence que le recrutement prioritaire à Science Po concerne les étudiants des Zones urbaines sensibles. Jamais eux.

La désaffection des classes populaires pour les partis traditionnels ne relève donc ni d’une saute d’humeur ni d’un égarement…

Elles ont 20 ans d’expérience. 20 ans, elles ont cru pouvoir se faire entendre et à chaque fois elles ont été déçues. Or, leurs positions, tant sur l’immigration que sur la mondialisation, ne sont ni volatiles ni à simple vocation provocatrices comme on a pu le  croire après leur ralliement à Sarkozy en 2007. Il y aura toujours à leurs yeux deux  marqueurs décisifs aux prochaines présidentielles : la question sociale et la question identitaire.

Sur l’identitaire, on voit mal la gauche singer les thèses du Front national !

Bien entendu ! Mais il faudra bien affronter le sujet, si délicat soit-il, parce que l’entrée dans une société multiculturelle n’est pas qu’une simple péripétie. Surtout en France, qui prônait  et pratiquait jusqu’aux années 1970 l’égalitarisme républicain et l’assimilation des nouveaux arrivants. Que l’autre ne devienne plus "moi" mais ait à vocation à rester "autre", à développer ses valeurs et une identité plus ou moins communautariste, c’est une mutation anthropologique gigantesque. La gestion des différences culturelles, de l’islam et des prières de rue, ou encore du droit des femmes, ne peut être retoquée au  seul prétexte que des xénophobes l’exploitent. D’autant que c’est toute la société qui gère déjà cette coexistence par ses choix résidentiels ou les parcours scolaires de ses enfants. 

Mais c’est chacun selon ses moyens. Dans votre "Atlas des fractures sociales", vous rappelez qu’un parent enseignant sur cinq réussit à contourner la carte scolaire. Pour les ménages ouvriers ou d’agriculteurs, c’est un ménage sur… 20 qui y parvient. 

Le coeur du contentieux est là. Dès lors que vous disposez des moyens financiers ou relationnels pour ériger des frontières invisibles, la difficulté est maîtrisée. Le bobo réussit ainsi parfaitement à instaurer un protectionnisme culturel non dit en se payant le luxe d’un discours enthousiaste sur la société ouverte. Mais lorsqu’on ne dispose pas de ces outils, et c’est le plus souvent le cas pour les classes populaires, on se retourne alors vers un Etat fort pour le faire à sa place. 



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