Arbeiterradikalismus
Compte rendu de lecture : Erhard Lucas - Arbeiterradikalismus,
publié par Verlag Roter Stern, 1976
(traduction : Jean-Pierre Laffitte)
On ne peut être que séduit par la conclusion de cette note de lecture : « La classe ouvrière est objectivement fracturée et c‘est le résultat du développement capitaliste : au lieu d’identifier « le segment le plus révolutionnaire » de la classe ouvrière (qu’il soit composé des ouvriers les plus pauvres ou bien de ceux qui ont le plus d’expérience politique), un mouvement révolutionnaire a besoin de surmonter ces différences et de créer l’unité, qui n’existe pas encore, de la classe ».
Or l'intérêt de l'ouvrage de Lucas, qu'on ne pourra pas lire en français, est d'analyser la composition historique de la classe ouvrière et d'insister sur d'évidentes différences entre régions et la classe d'hier et d'aujourd'hui, ce que sont incapables de faire nos minorités maximalistes qui se contentent œcuméniquement de glorifier « la classe » comme entité universelle homogène..
Pendant la révolution allemande de 1918, qui a échoué, des parties du prolétariat en sont restées au niveau de la lutte économique quand d'autres se battaient au plan politique révolutionnaire ; et cette dernière partie du prolétariat était la moins organisée par les syndicats traditionnels et les partis socialistes. La partie la plus conservatrice de la classe était l'héritière de la classe « artisanale » d'avant 1914, sachant que l'artisan a toujours été plus proche de l'anarchisme que du marxisme, et un anarchisme autrement plus conservateur que la réputation exagérée qu'on lui a faite de rebelle contre tous les pouvoirs ; en réalité il n'y a pas plus casanier et hétérogène que l'anarchisme. Ces hiatus n'expliquent pas fondamentalement les causes de l'échec des révolutions du début du XX ème, mais on ne peut exclure qu'ils y aient contribué ; ce n'est pas honteux de poser la question comme de dire que la Commune de Paris en 1871 fût prématurée. Ni surtout d'évaluer comment la bourgeoisie a joué de ces divisions.
L'analyse de la composition sociale de la classe ouvrière présente un intérêt certain pour comprendre motivations et lignes de force. Plus qu'au XIX ème siècle, la classe ouvrière après 1914 semble plus dynamisée par sa composition d'immigrés, plus capable d'indépendance et de réflexion émancipatrice que celle classique encadrée par les syndicats : et surtout « plus massive ». Mais cette capacité est aussi une faiblesse si ne se réalise pas une unification des diverses composantes du prolétariat, ce que montre au fond cette note de lecture. Mais que signifie la formule « le segment le plus révolutionnaire de la classe ouvrière » ? Les ouvriers illettrés qui se passent des syndicats ? Des ouvriers syndiqués plus spontanés ? La conscience est-elle une question culturelle ? Apparemment non, en 1917 en Russie l'immense masse en révolution ne sait ni lire ni écrire, ce qui n'est pas une qualité quand finalement c'est la petite bourgeoisie cultivée qui accapare le pouvoir : Lénine a une formation d'avocat et Staline de séminariste... Une classe ouvrière illettrée...politiquement n'est-elle pas finalement très manipulable par les divers populismes de droite comme de gauche ?
Comment ne pas établir des comparaisons avec le capharnäum social de nos jours ? N'y a-t-il pas la classe ouvrière classique des sixties, d'une fin du XX ème siècle où elle n'a accompli aucune révolution mais qui avait gardé sa potentialité (plus réputation) classique comme force internationale apte à renverser un jour le capitalisme, et celle étriquée et dispersée du XXI ème siècle ? Où en est cette classe ouvrière devenue « de masse » depuis un siècle ?
Où est cette classe ouvrière en Russie, en Ukraine, en Iran, en Palestine, en Israël, en France, etc . ?
Dissoute dans la mondialisation et le « sud global » ? Incapable de s'opposer aux guerres et aux massacres, absente des enjeux planétaires où, seules et arrogantes, toutes les factions politiques bourgeoises sont en compétition...dans le mensonge et la forfanterie.
La mondialisation est devenu un défi à l'internationalisation. Cet aspect reste ignoré ou considéré comme sans importance. En réalité, les bourgeoisies des différents pays, tout en restant nationalistes pour l'encadrement de leurs peuples, sont tout à fait « internationalistes » pour leurs intérêts. De concert elle agissent en vue d'une modification et même d'une déstructuration du prolétariat mondial.
Dès le XIX ème siècle la bourgeoisie a favorisé une hiérarchisation des corporations allant jusqu'à créer une « aristocratie ouvrière ». Elle joua aussi avec l'immigration. Elle se servit du lumpenprolétariat. Toutes choses qu'elles a maintenues et « diversifiées » aujourd'hui. Au début des années 1980 des thinks tank de bourgeois « socialistes » avaient conclu à une disparition de la classe ouvrière, nous faisant beaucoup rire. N'est-ce pas nous qui devons rire jaune actuellement ?
On ne parlait plus depuis lors que de « couches moyennes » opposées à une minorité d'ultra-riches. Mais soudain on nous dévoile qu'il ne faut pas tout mélanger car...le nombre d'ouvriers est en diminution. La preuve parles chiffres montrant qu'il y a désormais plus de ronds de cuir diplômés que de bleus de chauffe. La preuve par EDF où la mafia CGT a perdu la première place vu la prégnance des cadres ; pourtant pour d'autres raisons plus triviales1. Le délitement du syndicalisme dit radical s’expliquerait par de multiples raisons, notamment le changement de profil sociologique des salariés d’EDF. .. Les cadres, espèce diplômée et arriviste, n'ont aucune propension à se considérer prolétaires même avec une baisse (relative) de leur "niveau de vie" confortable et contestataires du "travail aliéné",pas comparable avec celui des boueux noirs et des turcs sur les chantiers en ciment.
Le plus édifiant dans cette propagande est cette vertu révolutionnaire prêtée à la classe dominante : elle est antiraciste et totalement internationaliste concernant l'immigration ; preuve de plus qu'elle a intégré l'idéologie gauchiste néo-stalinienne. Or la bourgeoisie moderne n'a jamais été et ne sera jamais révolutionnaire2. Pour faire court je rappelle que le comité des forges (grand patronat de l'époque) en 39-45 fût pétainiste et collabora totalement avec les nazis, sans être inquiété à la « libération »3. Leur soudaine et généreuse politique en faveur de l'immigration incontrôlable n'est en rien un soutien à la classe ouvrière mis une action en faveur de sa destruction., de sa division d'abord, de la relégation de la classe autochtone au rang de couche arriérée en Irlande comme en France et dans la plupart des pays dits développés, en tout cas pas aliénés par l'islam. Quand elle n'est pas réduite à l'alliance réactionnaire entre « la boutique et les couches populaires », où ses jeunes (« apolitiques ») votent majoritairement RN.
Le soutien « multiculturaliste » à la progression incontestable de l'islamisation d'une partie de la classe ouvrière va de pair avec la confusion avec ce lumpenprolétariat composé surtout par les enfants des immigrés antifrançais, présenté par la gauche bourgeoise des clans de la NUPES comme un succédané révolutionnaire plus antiraciste apolitique et nihiliste que anticapitaliste4. Un état de fait plus grave, plus clivant et plus dissolvant que l'ancien clivage ouvrier-artisan et ouvrier-masse. A surveiller et à suivre.
Arbeiterradikalismus
Ce livre est aussi connu sous le titre : Zwei Formen des Radikalismus in der deutschen Arbeiterbewegung (Deux formes de radicalisme dans le mouvement ouvrier allemand). Long d’à peu près 110 000 mots, ce livre comprend plusieurs pages de photos qui ne sont pas essentielles pour le texte. Il y a environ 30 pages de notes de bas de page ainsi qu’une biographie. Il n’y a pas d’index.
Arbeiterradikalismus est une étude comparative des formes dominantes du radicalisme ouvrier dans deux villes allemandes, Hamborn et Remscheid5 , durant la Révolution allemande. Ces deux villes se sont fait connaître parce qu’elles ont été des centres du radicalisme au cours de la révolution, mais, dans chacune de ces villes, ce radicalisme s’est exprimé dans une forme très différente. En gros, la forme dominante à Hamborn était caractérisée par une action militante directe, visant à des gains sociaux-économiques immédiats, et structurée en dehors des (et contre les) organisations traditionnelles du mouvement ouvrier telles que le SPD et les syndicats. À Remscheid, le radicalisme prenait forme comme un mouvement visant des changements politiques à l’échelle de la nation, tels que le transfert du pouvoir au système des conseils. À Remscheid, les radicaux provenaient du mouvement ouvrier d’avant-guerre, et leurs organisations, telles que l’USPD, avaient leurs racines dans ce mouvement. Lucas tente d’expliquer ces différences par une étude historique-sociologique de la classe ouvrière dans ces deux villes. Il prend en considération leurs conditions de travail, leurs niveaux de vie et leurs conditions de logement. Il prend en outre en considération des questions qui sont souvent négligées parce qu’elles seraient “non-politiques” comme les traditions différentes des associations culturelles dans les deux villes. Ceci est combiné avec une analyse de la composition de la classe ouvrière dans les deux villes ; quelle était sa composition en ce qui concerne les différents groupes d’âge, la proportion des ouvriers immigrés et le rôle économique des femmes. Le véritable objectif du livre est d’établir des connexions entre la structure sociale et les conditions de vie et de cette manière de fournir du matériel en vue de conclusions politiques. Lucas discute des différences entre les deux villes dans la première partie de son livre (intitulée : “Analyse des conditions”). Dans un chapitre relativement court (“Transition”), Lucas passe à une discussion sur la résistance de la classe ouvrière avant et durant la Première Guerre mondiale. La deuxième partie principale traite de l’activité de la classe ouvrière dans les deux villes et dans leurs environs au cours de la Révolution allemande. La partie finale du livre résume ses conclusions, examine les observations contemporaines portant sur la Révolution allemande et se termine par la considération des débats dans le gauchisme allemand au cours des années soixante-dix.
Débat sur la révolution
Il est utile d’examiner pourquoi Lucas a écrit ce livre avant de discuter de son contenu et de ses conclusions. Arbeiterradikalismus est simultanément un ouvrage érudit et profondément politique. Lucas était un historien de gauche radical et un activiste du SDS. Il a écrit ce livre comme pour intervenir dans les discussions sur la stratégie révolutionnaire. Et de manière spécifique, ce livre est une réponse à la thèse développée par Karl Heinz Roth. Roth a formulé une analyse de la Révolution allemande et de son échec en déclarant que la colonne vertébrale du mouvement ouvrier “classique” de la période antérieure à la Première Guerre mondiale était constituée d’ouvriers qualifiés qui étaient les héritiers de la culture et des conditions de vie des artisans précapitalistes. Ces ouvriers, argumentait Roth, s’identifiaient à leur travail et ils cherchaient à défendre leur autonomie relative dans le procès de production contre la “rationalisation” capitaliste et la déqualification. Les révolutionnaires allemands qui constitueraient ultérieurement le KPD étaient l’aile la plus radicale de ce mouvement. Ce mouvement, soutenait Roth, essayait de changer le régime politique en Allemagne en amenant ses dirigeants au pouvoir et, de cette façon-là, de renverser les résultats négatifs de l’empiètement capitaliste sur leurs conditions de vie.
Par opposition à ces ouvriers-là, Roth affirmait que le capitalisme moderne avait produit un nouveau type d’ouvrier qu’il désignait sous le terme d’“ouvrier de masse”. C’étaient des gens qui avaient été arrachés à des modes de vie pré- ou non-capitalistes, et qui travaillaient comme ouvriers non qualifiés dans des compagnies et des usines de grande dimension. Contrairement à ceux qui composaient le mouvement ouvrier classique, les ouvriers de masse ne s’enorgueillissaient pas de leur travail. Ils ne se sentaient pas non plus chez eux dans des organisations qui faisaient appel à leur identité d’“ouvriers” et dans leurs structures hiérarchiques qui étaient le reflet de l’organisation des usines. Au lieu d’améliorer leur position dans le procès de production, ces ouvriers de masse tentaient de lui échapper complètement et, si c’était impossible, de l’éviter autant que possible.
À la différence du mouvement ouvrier organisé dans les partis et les syndicats, les ouvriers de masse constituaient ce que Roth appelait le « mouvement des autres ouvriers » qui était, lui, souvent organisé de façon non formelle, et qui s’exprimait dans de grèves “spontanées”, des émeutes et des actes quotidiens de rébellion tels que le sabotage, le refus de travailler, des tentatives pour gagner sa vie autrement, par des moyens “criminels”, et cetera. Dans cette lecture, la Révolution allemande a échoué parce que le mouvement ouvrier classique représentait une couche de la classe ouvrière qui disparaissait lentement, qui était motivée par une nostalgie pour les conditions pré-capitalistes et qui se limitait à vouloir changer le régime politique. C’était insuffisant pour attirer les nouveaux “ouvriers de masse” qui désiraient révolutionner le procès de production lui-même. Au fur et à mesure que le capitalisme se développait, l’“autre” mouvement, celui des ouvriers de masse, était seulement devenu plus important, alors que les organisations ouvrières classiques s’atrophiaient. Voilà pour les thèses de Roth.
Le livre lui-même :
Dans la gauche radicale allemande des années soixante-dix, ces idées étaient devenues tout à fait influentes. Mais Lucas n’était pas d’accord avec cette vision des choses. Selon lui, elle était devenue un dogme trop généralisateur. Arbeiterradikalismus visait à tester de manière critique ce point de vue au moyen d’une recherche historique empirique. Hamborn était une ville qui paraissait être l’illustration de l’“ouvrier de masse”. Elle était une ville minière qui a grossi rapidement, et elle était dominée par les compagnies des mines. Beaucoup de mineurs étaient de jeunes migrants provenant des différentes parties de l’Allemagne ou de l’étranger, par exemple de la Pologne. Pauvres et surexploités, ces travailleurs étaient considérés comme « inorganisables » en raison des barrières de langue et parce que beaucoup d’entre eux passaient d’un emploi à un autre s’ils en avaient l’occasion. En 1910, plus d’un tiers des ouvriers étaient des migrants et la population avait triplé en moins de dix ans. Le crime violent s’était répandu. Lucas suggère que cela était le résultat en partie des conditions de stress élevé et de la pauvreté des ouvriers, et en partie l’expression d’une révolte sociale. Lorsque la Révolution allemande a éclaté, ces ouvriers ont manifesté une capacité impressionnante d’action militante sous la forme de grèves, de piquets de grève volants et de confrontation avec les forces de répression. Ces actions étaient organisées indépendamment des faibles organisations ouvrières traditionnelles dans la région telles que les syndicats et le SPD. À Hamborn, ces organisations étaient de plus plutôt d’aile droite, souvent alliées avec des forces bourgeoises “progressistes” et les patrons.
À Remscheid, Lucas le montre, les conditions de vie des travailleurs étaient complètement différentes. Il y avait existé une forte tradition artisanale. Contrairement à Hamborn, l’industrialisation a été lente et à une petite échelle à Remscheid. Les traditions artisanales y sont demeurées influentes pendant longtemps. Les ouvriers étaient fiers de leur savoir-faire et de leurs traditions. Et de nouveau, contrairement à Hamborn, le SPD et les syndicats étaient forts et influents à Remscheid ; ils avaient réussi à obtenir des améliorations dans les conditions quotidiennes de vie et ils avaient en contrepartie gagné en légitimité aux yeux des travailleurs. Lorsque la guerre éclate, Remscheid devient un centre de la gauche dans le SPD et plus tard un centre de l’USPD. Au cours des années de révolution, ce mouvement, étroitement contrôlé par des dirigeants bénéficiant d’un large soutien, formule des propositions en faveur de changements politiques radicaux à l’échelle nationale. Il est cependant incapable de comprendre les actions radicales “inorganisées” telles que les grèves sauvages. Il met plutôt ses espoirs sur un changement « venant d’en haut ». Lucas discute tout particulièrement de son approche du système des conseils. Les radicaux de Remscheid soutenaient un transfert du pouvoir aux conseils, mais ils essayaient de le réaliser par les voies officielles des réunions et des résolutions des mouvements ouvriers. Là, les opposants au transfert du pouvoir aux conseils, c';est- à-dire le SPD, se sont montrés meilleurs tacticiens qu’eux. Les voies officielles du mouvement ouvrier étant fermées, les radicaux de Remscheid étaient incapables de développer une stratégie alternative. Les constatations de Lucas confirment en partie les thèses de Roth, mais elles divergent sur certains aspects essentiels. Bien que les ouvriers de Hamborn puissent être considérés comme des exemples de “l’ouvrier de masse” de Roth et leur activité comme un exemple de « l’autre mouvement ouvrier”, cela demeurait en un sens une sorte de réformisme militant. Leurs objectifs étaient essentiellement limités à des améliorations économiques dans le cadre du procès de production existant, et ils étaient de nature locale. Plutôt que de demander le transfert du pouvoir aux conseils à l’échelle nationale, les ouvriers d’Hamborn luttaient pour de meilleurs salaires et des horaires de travail plus courts. Lucas explique ceci en se référant aussi bien à leurs conditions de vie extrêmement pauvres et précaires qu’à leur manque de confiance dans les dirigeants du mouvement socialiste national. Les ouvriers de Hamborn avaient besoin d’améliorations immédiates, et ils n’avaient pas confiance dans les projets à long terme des partis tel que l’USPD et les radicaux syndicalistes. Lorsque la répression s’est intensifiée, les ouvriers d’Hamborn ont été isolés du reste du pays et leur mouvement a été finalement écrasé.
Les ouvriers de Remscheid pourraient au premier coup d’œil faire figure d’exemples des ouvriers classiques décrits par Roth. Les conditions de vie de la classe ouvrière y étaient meilleures (relativement parlant bien sûr). Les ouvriers de Remscheid avaient une grande confiance dans leur organisation et dans ses dirigeants qui avaient réussi à leur obtenir des améliorations importantes. La stabilité des conditions de vie des ouvriers de Remscheid se reflétait dans leur engagement à construire des organisations ayant des objectifs à long terme. Après le déclenchement de la révolution, beaucoup d’ouvriers de Remscheid ont soutenu les initiatives prises par leurs dirigeants en vue d’un changement politique radical. Quand ces dirigeants ont cependant échoué dans leurs tentatives d’obtenir des majorités pour leurs propositions dans le congrès nationaux des conseils, les radicaux de Remscheid n’ont plus su quoi faire ensuite. À la différence de Hamborn, il y avait peu d’auto-organisation en dehors des structures des syndicats et des partis. Mais contrairement à ce que Roth soutenait, c’est l’aile radicale du mouvement ouvrier classique, comme l’activité révolutionnaire à Remscheid en a été l’illustration, qui visait réellement à révolutionner le procès de production et à socialiser les moyens de production. Le mouvement de Remscheid était essentiellement politique, tandis que celui de Hamborn était largement économique.
Dans sa conclusion, Lucas élargit son champ de vision pour discuter non seulement de Hamborn et de Remscheid, mais de la Révolution allemande dans son ensemble. Lucas critique particulièrement la tendance des différentes organisations politiques à opposer une partie de la classe ouvrière à une autre. La classe ouvrière est objectivement fracturée et c‘est le résultat du développement capitaliste : au lieu d’identifier « le segment le plus révolutionnaire » de la classe ouvrière (qu’il soit composé des ouvriers les plus pauvres ou bien de ceux qui ont la plus d’expérience politique), un mouvement révolutionnaire a besoin de surmonter ces différences et de créer l’unité, qui n’existe pas encore, de la classe. Lucas conclut que l’échec de la Révolution allemande peut être expliqué par l’occasion manquée d’une fusion de l’action militante auto-émancipatrice, telle qu’elle est illustrée par Hamborn, et du changement radical généralisé, tel qu’il est illustré par le programme des radicaux de Remscheid.
Remarques générales
Erhard Lucas (1937-1993) a obtenu son doctorat en 1972 et son Habilitation en 1976. Il a enseigné l’histoire sociale moderne à l’université Carl von Ossietzky d’Oldenbourg. En dehors d’Arbeiterradikalismus, il est le plus connu pour son ouvrage en trois volumes : Märzrevolution 1920 qui porte sur le mouvement révolutionaire dans la région de la Ruhr. En outre, il a publié un ouvrage plus petit qui contient des essais sur « l’échec du mouvement ouvrier allemand ». Son travail est caractérisé par un engagement à gauche, une recherche empirique approfondie et une attention prêtée à la vie quotidienne des travailleurs, ainsi que sur la façon dont elle affecte leur politique et leur organisation. De cette manière-là, Lucas fournit un explication matérialiste des différences en matière d’idéologie politique et de formes d’organisation au sein de la classe ouvrière qui ne dépend pas des notions de “ manipulation” ou d’“infiltration” par des forces (petites-)bourgeoises. Ses livres sur la Révolution allemande sont considérés comme des classiques. Leur politique claire et le fait qu’ils aient été publiés par une maison d’édition de gauche a naturellement signifié que, dans les débats académiques, ils n’avaient pas reçu l’attention qu’ils méritent. Ce livre est un plaisir de lecture car Lucas a su allier clarté et rigueur. Lors d’une critique dans le History Workshop Journal, John Evans décrivait l’ouvrage comme étant écrit dans un « style intéressant, sans jargon » ; « il s’adresse à un large public et il est documenté avec une érudition qui est minutieuse sans être en aucune de manière envahissante, et qui parvient en même temps à se libérer des perspectives institutionnelles étroites dans lesquelles l'histoire ouvrière allemande a été si longtemps confinée » Pour un public anglophone, ce livre serait particulièrement intéressant en raison aussi bien de son attention prêtée à des aspects souvent négligés de la vie quotidienne que de la manière créative avec laquelle Lucas associe ces expériences au comportement politique.
Arbeiterradikalismus remet en question les explications simplistes encore largement répandues de l'échec de la révolution allemande comme étant le résultat de « l'absence de parti d'une avant-garde léniniste » en montrant les fondements matériels des divisions au sein de la classe ouvrière. En même temps, le livre montre que les révolutionnaires jouissaient d’un large soutien parmi les travailleurs. Certaines des composantes les plus radicales du mouvement étaient les héritières de longues traditions d’organisation et de politique ouvrière, plutôt que les aventurières marginales telles que le SPD les présentait. Le livre est toujours aussi pertinent dans la mesure où le concept d’ouvrier de masse de Roth ainsi que les idées similaires sont devenus influents dans et à travers la pensée marxiste autonomiste. Et bien sûr, en tant qu’histoire d’une partie importante de la révolution allemande, ce livre constitue un complément précieux à la littérature. Un public international contemporain a probablement besoin d’un certain contexte additionnel pour qu’il apprécie pleinement ce livre. Lucas suppose plus ou moins que ses lecteurs seront d’accord avec le fait que la Révolution allemande ne soit pas parvenue à renverser le capitalisme a été une importante étape sur la voie du fascisme.
De plus, bien que le débat avec Roth soit central dans le livre, Lucas ne le traite explicitement que brièvement, en supposant à nouveau que ses lecteurs aient été largement familiers avec lui. Une courte introduction portant sur ce débat et sur le travail de Lucas en général serait utile. Pour conclure. Je recommanderais une traduction de cet « ouvrage fascinant et important » (Richard Evans).
NOTES
1On nous explique que c'est grâce à la découverte du CE pourri, sous-entendu donc les ouvriers en général...j’ai travaillé 35 ans dans la boite où je n’étais pas le seul à dénoncer ces apparatchiks. Les articles de la presse bourgeoise ne dénoncent pas l’essentiel : la complicité de l’Etat gaulliste et post-gaulliste, achat de la paix sociale avec la protection de cette aristocratie syndicale déterminante en cas de lutte massive en France : en 68 la CGT a freiné des quatre fers ; une explosion à EDF aurait autrement paralysé le pays que n’importe quelle grève à Billancourt. Le fait le plus important n’est pas que le nombre de cadres excède celui des ouvriers (tendance générale) mais que cette forteresse électrique ait été dénationalisée et que la bourgeoisie écolo pro-US ait saboté le nucléaire !
2De plus, sa « lutte » contre l'antisémitisme ne fait que l'encourager par son soutien aux fachos juifs et l'exposition des souteneurs intellectuels majoritaires dans les médias. Idem pour la violence faite aux femmes, ce ne sont pas les bourgeoises qui sont violées en général mais la petite ouvrière ou lycéenne qui continueront à être victimes dans leurs quartiers glauques.
3Lire l'ouvrage de l'historienne Annie Lacroix-Riz : La non-épuration en France (1943-1950). Comme nous en avait témoigné Marc Chirik ; « ils n'ont exécuté qu'une poignée de salauds, la plupart des politiques pétainistes de Bousquet aux grands patrons ont gardé leur place dans l'appareil d'Etat, au nom de leur récent engagement dans la résistance ».
4La clique à Mélenchon réussit malheureusement à entraîner une partie de la classe, français et immigrés non pour une véritable lutte contre la guerre mais derrière le suranné nationalisme palestinien.
5 Hamborn est un quartier de la ville de Duisbourg, qui se situe en Rhénanie du Nord-Westphalie comme Remscheid. (NdT).
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