L’ENTRAIDE
EST-ELLE POSSIBLE EN REGIME CAPITALISTE ?
A propos des "Systèmes d'Echange Local".
A propos des "Systèmes d'Echange Local".
Mésaventures de la société civile en
déshérence :
|
« Le SEL est un système d’échange qui s’inscrit
dans la perspective d’une alternative au système économique actuel. Par sa
réflexion et ses pratiques, il participe à la transition vers une société plus
juste, respectueuse des êtres humains et de l’environnement.
Adhérer à un SEL c’est :
Article 1 - Affirmer : "le lien est plus important que le bien".
Article 2 - Échanger dans le respect, l’intérêt mutuel
et collectif, en développant des pratiques d’échanges. La valeur de ces
échanges est basée sur le temps, exprimée en unités locales, de manière
équitable, sans référence au système mercantile.
Article 3 - Révéler, reconnaître, valoriser et
transmettre les savoirs, les savoir- faire et l’expérience par l’échange, la
coopération, la solidarité, la réciprocité et le savoir-être.
Article 4 - Développer et expérimenter une vision
transformatrice de la société, des pratiques démocratiques au sein des Sel par
l’implication et la prise de responsabilités individuelle et collective.
Article 5 - S’inscrire dans une dynamique de prise de
conscience de son impact sur l’environnement. Eviter le gaspillage et la
surconsommation.
Article 6 - Fonctionner en toute indépendance
vis-à-vis des partis politiques, des mouvements religieux ou sectaires et
interdire tout prosélytisme en leur faveur. Exclure tout propos et comportement
discriminatoire.
Chaque SEL est une source de développement des valeurs
individuelles libérant des forces nouvelles qui prépareront une société plus
juste, plus fraternelle où chacun retrouvera sa place ».
« La rencontre
de l’autre vaut tout l’or du monde ». Beau comme un camion.
Un historique
superficiel raconte sur wikipédia :
« En 1930 le maire de Wörgl en Autriche décidait d'émettre des bons de travail
convertibles en schillings, afin de lutter contre l'endettement et le chômage.
L'expérience fut interdite en 1933 par les autorités régionales et la banque
centrale autrichienne. De même en 1954 à Lignières-en-Berry,
en France, furent instaurés des bons d'échange pour
tenter de revitaliser l'activité locale. Le premier SEL (LETS en anglais, pour Local Exchange Trading System) a été
fondé au Canada, dans les années 1980. Michael Linton,
écossais, qui vivait sur l'île de Vancouver, voulait ainsi aider les habitants
de cette région touchée par le chômage. Il a donc proposé de créer un système
basé sur le troc, dans une grande communauté, à l'aide d'une monnaie locale, le green dollar[réf. souhaitée].
L'expérience fut plutôt positive, malgré les réticences de certains éléments
clés de la région. Elle a duré cinq ans, avant de s'arrêter, suite à des
problèmes internes de bureaucratie trop lourde et manquant de transparence, ce
qui a amené une perte de confiance des adhérents. Une vingtaine de systèmes semblables
avaient cependant été lancés un peu partout en Amérique du Nord entre-temps.
Le tout premier système d'échanges en France est
né au Mans en 1990 sous l'impulsion d'un entrepreneur privé, Franck Fouqueray,
et de son entreprise, Trader France. Son système était baptisé Troc Temps et
gérait les échanges de services entre les cinq cents adhérents grâce au
minitel. Le premier SEL moderne français a été créé en 1994, en Ariège. En
1995, Toulouse était l'une des premières
grandes villes de France à voir naître un SEL. Dix ans après, il y a près de
300 SEL dans 96 départements, de tailles plus ou moins modestes (de deux à
quelques centaines de membres) suivant les régions, qui permettent à plus de
20 000 personnes de procéder à des échanges. On en trouve aussi en
Australie, au Japon ou en Amérique latine et bien sûr dans d'autres pays
d'Europe: Belgique, Suisse,….
Le premier système d’échange
local français a vu le jour en 1994, en Ariège. Il s’agit d’associations dont
les adhérents, souvent voisins, échangent des biens et services selon une unité
propre à chaque groupe : sourires, cailloux, prunes, pavés, pistaches…
L’objectif est de permettre à tous les membres d’avoir accès, de façon
égalitaire, aux biens et aux services, et de retisser des liens de solidarité.
Les relations entre les SEL et les pouvoirs publics n’ont pas toujours été
harmonieuses. Certains SEL, soupçonnés de remettre en cause la législation du
travail en dissimulant notamment du travail au noir, ont été poursuivis en
justice. Aujourd’hui, les pouvoirs publics sont conscients que les comptes de
ces organisations sont transparents et, surtout, qu’ils assument une fonction
de prévention de l’exclusion pour des personnes sans emploi. On recensait une
cinquantaine de SEL dans les années 90, ils sont désormais plus de 300 répartis
dans toute la France ».
Smaïn Laacher a réalisé une étude assez pertinente
-Les systèmes
d’échange local (SEL) : entre utopie politique et réalisme économique ».
Extraits :
« Les systèmes d’échange local
sont l’un des derniers espaces de fabrication de « liens sociaux ». Trop
souvent les questions à leur propos ont été de nature économiciste : rôle
économique de la monnaie, valeur monétaire des biens et services échangés, etc.
Quant à la presse, sa préoccupation fut surtout de savoir si les SEL n’étaient
pas plutôt des espaces de « travail au noir » ou, version plus digne mais
plus archaïque, des lieux ou se pratiquait le « troc ». Ce qui
s’expérimente avec ces micro-économies est bien plus la recherche complexe et
aléatoire d’un sens du juste dans les transactions fondées sur une
« monnaie équitable ». Les systèmes d’échange local français ont une
double filiation : l’une liée aux utopies socialistes, l’autre raccordée à
des expériences de « monnaies alternatives » qui ont eu lieu
principalement aux USA dans les années soixante.
Les SEL français : une double filiation
« Commençons par la première. Les
LETS et les SEL ont une préhistoire qui trouve son origine dans une longue
tradition d’utopie révolutionnaire (Marx, Fourier, Proudhon, Owen, Gesell pour
ne citer que les principaux théoriciens), pour qui le changement social passait
par un travail de domestication du pouvoir insolent de l’argent, par une
volonté d’inverser
les liens de subordination entre l’économie et le politique. Dans les deux cas
l’utopie est la même : c’est au politique de gouverner les besoins
fondamentaux des populations et non aux « puissances financières »
d’imposer leurs « lois », celles de l’argent et du marché. Ce sont les
secondes qui doivent être contrôlées par les premières et non l’inverse ».
« Les SEL ont vu le jour dans des
pays capitalistes développés dont une partie de leur population s’est
appauvrie. Mais, à la différence des temps qui ont précédé la période de l’État-social
ces populations sont, dans leur grande majorité, pourvues de droits et de
protections. Comme leur dénomination l’indique, les SEL ne déploient leur
utopie que « localement » et inscrivent leurs actions dans une politique de
territorialisation des problèmes sociaux. C’est en cela qu’ils sont
des vecteurs de politisation du local. Mais sans aucun doute la filiation
proprement politique des SEL français remonte aux nombreux mouvements
contestataires hippies qui ont eu lieu sur les campus californiens, dans les
années soixante. La critique politique portait alors sur la « société de
consommation » et le refus de la guerre au Viêt-Nam. Mais la velléité des
« communautés alternatives » de l’époque de décrocher du système marchand
et de l’idéologie du travail salarié ne signifiait pas une rupture avec
l’activité économique et le « travail communautaire ». C’est en leur sein
que sont apparues des « monnaies parallèles » dont l’utilité était, avant
tout, d’ordre pratique : être une mémoire des échanges ou une trace
comptable des transactions. Ces monnaies n’étaient pas investies d’une charge
subversive contre le désenchantement de l’argent froid et des rapports
marchands. En un mot, elles n’étaient pas l’expression théorisée d’une critique
politique du capitalisme. Les groupes les plus politisés, en particulier les
libertaires, se sont d’ailleurs, pour un grand nombre d’entre eux,
« reconvertis » dans l’agriculture biologique ou l’activité artisanale
(travail du cuir, etc.) ».
« Ainsi,
Les premiers groupes ayant été les plus attentifs à ces expériences étrangères,
au milieu des années quatre-vingt dans le Lot-et-Garonne et en Ariège, étaient
ceux qui étaient les plus proches de l’idéologie et de la culture « hippie
» et écologiste, ainsi que ceux qui avaient été activement partie prenante des
mouvements contestataires dans les années soixante-dix. Ce sont, précisément,
ces ressources technico-politiques et symboliques qui ont été mises au service
du premier SEL ariégeois. Des militants écologistes et des groupes comme
Alliance paysanne et ouvrière, dont la mémoire et l’identité s’étaient
constituées au fil des luttes sociales (refus de l’extension du camp militaire
au Larzac, mouvement antimilitariste, objection de conscience, antinucléaire,
investissement dans l’humanitaire, « développement durable », équité et
égalité économique dans les rapports Nord-Sud, etc.), ont pu convertir une
expérience accumulée en investissant et en s’investissant en nombre dans ces
nouveaux pôles de contestation
légitime que sont les SEL. Ceux-ci ont indéniablement permis de
construire une sorte d’aggiornamento, rendu nécessaire par l’état des rapports de
force politiques et intellectuels dans la société française, en permettant aux
premiers et nombreux militants écolo-libertaires de s’approprier des pratiques
alternatives plus universelles, moins idéologiques, sans rien renier de leur
passé et des valeurs qui avaient été les leurs au temps des « grandes
luttes ».
Critique de la monnaie « capitaliste » ?
« Leur
originalité réside en ceci que leur critique porte non pas, pour schématiser,
sur les politiques de l’emploi, mais sur la vocation de l’argent et les
conditions politiques de sa circulation. Qu’est-ce que l’argent dans une
société inégalitaire, à quoi doit-il servir et qui doit décider de ses
modalités de création et de sa distribution ? Voilà, pour les SEL, les interrogations
premières. C’est à partir d’une critique radicale de l’usage capitaliste de
l’argent, comme fin en soi, thésaurisable et instrument d’exploitation, que
s’esquissent toute une série de redéfinitions touchant à des pratiques comme
l’intérêt, le crédit, la circulation monétaire, les rapports de confiance
économique, les principes d’équivalence entre les services et les biens, etc.
Plus largement, les SEL offriraient la possibilité à chacun, indépendamment de
son statut, de sa condition et de ses opinions, d’expérimenter de nouvelles
formes de relations sociales au sein d’une économie non monétaire reposant,
pour l’essentiel, sur la circulation et l’échange de biens symboliques. Une
sorte d’économie
enchantée débarrassée des pouvoirs iniques de l’argent et des
rapports marchands. Il nous semble que ce discours peut être qualifié
d’idéologie équivoque. La coexistence d’intérêts et d’attentes parfois très
différents au sein d’une même structure (entre par exemple un militant
politique, une personne cherchant à rompre la solitude affective et un adepte
du new-age)
ne peut se maintenir et n’être maintenue qu’au prix d’un accord largement
implicite sur l’indétermination de la vocation des SEL ou, ce qui revient au
même, sur une multiplicité de définitions jugées aussi légitimes les unes que
les autres. L’inclination collective à préserver cette ambivalence structurale
s’organise autour d’un certain nombre de valeurs et de principes (la tolérance,
le respect, la confiance, l’égalité des échanges, l’entraide, la controverse
pacifique, etc.) qui, aussitôt qu’ils sont évoqués, sonnent comme autant de
rappel à l’ordre à une philosophie commune ».
DES « BONS » QUI N’ONT RIEN A VOIR AVEC CEUX QUE MARX IMAGINAIT POUR LA PERIODE DE TRANSITION AU COMMUNISME (intertitre de JLR):
« Les SEL ont de nombreux
points communs. Ils sont juridiquement organisés en association de droit ou de
fait et sont adhérents à la Charte des SEL qui codifie la philosophie générale
et signe leur appartenance à un même « esprit » ou, ce qui revient au
même, à une même « éthique des échanges ». La publicité des transactions
s’opère à l’aide d’un catalogue des ressources où sont consignés les offres et
les demandes de chaque adhérent. Dans leur grande majorité, les SEL
matérialisent leurs transactions et leur comptabilité par un système de bons,
appelés « bons d’échange », et organisent périodiquement des bourses
locales d’échanges. Mais à y regarder de plus près, les différences qui
apparaissent ne peuvent pas être réduites seulement à des modes d’organisation
spécifiques. Elles sont liées, pour les plus fondamentales d’entres elles, à la
tentative d’introduire la plus grande équité possible dans les échanges ».
« Le SEL de Paris, qui est né en
mars 1996, compte aujourd’hui environ quatre cents adhérents. Il est, à notre
connaissance en France, le SEL le plus important en nombre d’adhérents. Étant
donné l’ampleur du travail à effectuer quasi quotidiennement, les responsables
ont jugé « nécessaire » l’embauche d’une personne en contrat emploi
solidarité. Le piaf
est le nom de la monnaie locale. Un piaf est égal à un franc. Mais, presque
toujours, les biens et les services auxquels on accède avec cette monnaie
valent « moins cher que sur le marché ». Les échanges se font de gré à
gré. C’est indéniablement ce qui caractérise la politique monétaire du SEL de
Paris : les prix sont libres, c’est-à-dire qu’il est officiellement
recommandé de « négocier » et de « marchander » la valeur des biens
et des services. L’association n’intervient pas dans les échanges. Il se peut
que des adhérents, à titre individuel, préfèrent lors de leurs transactions
pratiquer, essentiellement dans le domaine des services, l’échange fondé sur la
« valeur-travail » (1 heure = 1 heure). Cette pratique est tout à fait
tolérée mais elle reste minoritaire ».
« Le SEL de Caen a, quant à lui,
été créé en 1997. Il compte aujourd’hui cent trente-cinq adhérents. La monnaie
locale s’appelle le
grain de sel. Dans ce SEL, « il est fortement conseillé, nous dit un de ses
responsables, de pratiquer le 1 heure égale 1 heure. C’est
conseillé mais ce n’est pas imposé, les gens peuvent négocier […] Si un bon
d’échange arrive avec une heure pour plus de deux cents grains, on ne va pas le
refuser. Du moment qu’il y a eu accord des deux personnes et que ç’a été signé,
il n’y a pas de problème ». Pas de règle imposée mais un mode de régulation
dominant : celui de la « monnaie-travail ». Le principe est le
suivant : une heure égale une heure quel que soit le service échangé.
Ainsi, l’heure passée à faire les carreaux vaut le « même prix » qu’une
heure d’expertise fiscale. Seules les transactions de biens matériels échappent
à cette obligation
morale. La valeur des produits (périssables ou non) est laissée à
l’appréciation des contractants. Elle fait l’objet d’une « négociation »
de gré à gré. Ici, comme d’ailleurs dans les deux autres SEL étudiés, la
communauté des adhérents peut fixer directement la définition légitime du mode
de régulation des échanges : le gré à gré fixant librement le prix de la
transaction ou la « monnaie-travail » qui impose soit un prix de l’heure,
soit une « fourchette » à ne pas dépasser, par exemple entre 50 et 70
grains de l’heure.
« Le SEL de
Saint-Quentin-en-Yvelines est né en 1996 et compte à ce jour cent cinquante
adhérents. Sa monnaie locale est le pavé. Il a à l’évidence un statut
quelque peu particulier au sein de la « mouvance des SEL » et du même coup
se différencie des SEL de Paris et de Caen. Non pas tant dans le mode de
fixation des prix des transactions. Le statut particulier du SEL de SQY tient
principalement dans le choix de la monnaie fondante comme seule politique
monétaire susceptible à la fois « d’accélérer les échanges » et de
pratiquer une « politique de relance ». Cette politique monétaire, la
première tentée dans un SEL en France, a été initiée par Armand Tardella
président du SEL de SQY en janvier 1997. Il vaut la peine de s’arrêter un
instant sur cette expérience, souvent citée comme un exemple d’innovation.
Après un an environ de fonctionnement, un constat sans appel s’imposait à
tous : les personnes dont le compte était « négatif » n’osait pas
entrer dans le cycle des échanges. On offrait mais on sollicitait peu, voire
pas du tout. Le seul processus qui était privilégié par beaucoup était celui de l’accumulation primitive
de pavés. Face à cette « peur d’échanger quand on est en
découvert », le président a proposé deux mesures « radicales » pour lutter
contre cette « inhibition ». Tout d’abord, le versement à chacun et à tout
nouvel adhérent de mille pavés (équivalent de mille francs) ; ensuite un
« prélèvement » mensuel de 3 % sur les soldes positifs à titre de
« cotisation solidaire » pour alimenter le « compte commun » en
remplacement de la cotisation annuelle. Au bout d’une année, la « peur
d’échanger » avait largement diminué et le volume d’échange a été multiplié par
3,5. Pour le SEL de SQY, ces mesures approuvées par une très grande majorité
d’adhérents ne remettent pas en cause l’équité dans les échanges puisque ce qui
est « taxé », ce ne sont pas les montants des transactions, ou la liberté
de fixer soi-même la valeur des choses, mais les avoirs monétaires, les
crédits. Ces mesures incitent les personnes à ne pas thésauriser et, c’est
peut-être plus inattendu, à échelonner les paiements (en pavés) de transactions
financièrement importantes (« achat » d’un ordinateur, d’une télé, etc.).
Par ailleurs, et comme pour renforcer davantage l’implication de chacun dans le
bien commun,
les pavés ainsi collectés sont mobilisés pour deux types d’activités
fondamentales : la rémunération liée au fonctionnement quotidien du SEL et
la confection de projets
fédérateurs, par exemple la mise en place d’une épicerie-sel ».
Un relais pour l’équité et la solidarité ?
« Avec les SEL de Paris et de
Caen, nous sommes dans une logique d’équité (le gré à gré n’est censé
léser personne et la monnaie-travail – toujours conseillée mais jamais imposée
sauf à de rares exceptions – réduit la part d’arbitraire dans la négociation),
mais aussi de responsabilité,
en se refusant par exemple d’intervenir directement, comme dans le cas de la
monnaie fondante, dans le cycle des échanges. Les fondateurs et responsables de
ces deux SEL ont sans aucun doute, par leur surinvestissement dans cette
expérience, leur incontestable charisme, leur culture et leurs choix politiques
et idéologiques, ainsi que leur connaissance des « mouvements alternatifs
», imprimé leur identité aux SEL auxquels ils appartiennent. Par ailleurs, et
cette position
politique est essentielle, dans les deux cas, il n’est nullement
question de remettre en cause la dimension locale des échanges. Celle-ci doit
être coûte que coûte préservée et les échanges doivent toujours se dérouler
dans un espace d’interconnaissance maîtrisée par tous. L’ambition n’est donc pas
de construire une « économie alternative », ni de faire des SEL un marché
autosuffisant à côté de l’économie officielle.
« À la lumière de ce que nous
venons de dire, il est possible d’avancer que les SEL constituent une sorte de
structure d’expérimentation équivoque. Ce sont, nous semble-t-il, des formes
organisées d’insoumissions cognitives, ou des espaces de rétivité qui se sont
glissés dans les interstices des structures sociales, déployant leur logique et
leur efficacité propres entre deux autres systèmes auxquels ils sont
organiquement liés, le système de solidarité sociale garanti par l’État et le
système de solidarité locale qui se manifeste dans le principe de subsidiarité
(transferts des pouvoirs vers les niveaux les plus bas et droit d’accès aux
espaces publics où se confectionnent et sont mis en délibération les projets
liés à un territoire et à des populations donnés). Tout se passe comme si les
SEL avaient pour fonction de relayer la solidarité nationale, tout en
s’appuyant sur elle, afin d’accroître et d’élargir l’espace de la solidarité
locale. Si les SEL ne mettent nullement en cause, ni en activités ni en
projets, la structure des inégalités sociales et l’ordre symbolique qui lui est
attaché, c’est parce qu’au fond ils empruntent, dans la construction de leur
stratégie, de leurs instruments économiques et leur architecture des liens
sociaux, de nombreux traits des grandes instances régulatrices des pratiques.
Ils empruntent à la solidarité étatique (au don forcé) quand, par exemple, ils
créent de la monnaie fondante reposant sur une « cotisation solidaire »
dont le principe se fonde sur la dialectique du « prélèvement » et de la
« redistribution » ; cette remarque vaut bien évidemment pour les
groupes qui ont institué un « revenu SEL ». Ils empruntent à la solidarité locale
sa dimension délibérative (ou de délibérations collectives entre plusieurs
partenaires sociaux) et sa gestion territorialisée des problèmes sociaux et
économiques. Comme pour la solidarité locale, les SEL sont autant
« d’espaces de choix publics » dans lesquels sont débattus la vie en
commun, les rapports entre les groupes, leur place dans la société, etc. Enfin,
ils empruntent à l’économie
officielle, au marché, la relative liberté des prix avec la
particularité suivante : dans la majorité des SEL, ceux-ci sont associés à
la qualité des personnes, à leur « appréciation », à leur pouvoir de
« négociation », en un mot à leur capacité de se faire valoir à la hausse ou à
la baisse. Mais, et c’est peut-être là que se situe la profonde originalité de
cette expérience, ces emprunts de structures font l’objet d’un travail
collectif de détournement
pour les transférer
dans les espaces sociaux où serait supposée possible la (dé)-négation de
l’économie monétaire afin de les transformer en vertus sociales et politiques dénuées de
domination symbolique. Cet apprentissage politisé de la solidarité civile
« entre soi » mais non pour soi, ni chacun pour soi, parce qu’il est
ouvert sur le monde reste, comme le dit très justement Alain Supiot,
« propice à l’invention de nouveaux types de liens sociaux, qui ne
laissent personne sans foyer où s’abriter et sans marché où échanger [2] A.
Supiot, « Les mésaventures de la solidarité civile :...»[2].
•
UNE OREILLE ATTENTIVE AUX UTOPIES
SOUS-JACENTES A LA SOCIETE CAPITALISTE DANS LE CAMP MAXIMALISTE
J’ai lu avec intérêt deux articles
du CCI sur cet étrange questionnement social sur leur site. Le premier « L'utopie
ne mène pas à la lutte: la recherche de la vérité offre une perspective »,
où un rédacteur de ce groupe internationaliste baignant dans les vaticinations
petites bourgeoises des « indignés » prend pour référence Sander
journaliste très impliqué dans les réseaux bobos modernistes; ce journaliste
avait été éjecté du CCI dans les années
80 pour son « conseillisme ». Où il apparait que ces diverses luttes « sociétales »
- où des prolétaires luttant pour leur survie se voient pourtant en général
floués par une floppée « d’organisateurs » professionnels petits
bourges qui psalmodient la solution réformiste hippie de la démerde « ici
et maintenant » tout en laissant croire que ce sont les premiers pas du « grand
soir ».
Publié par
Internationalisme le 3 March, 2014 - 23:03
« Ces dernières années, de plus en plus
nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour mettre en avant des revendications
encore plus radicales et rechercher une solution pour une transformation plus
fondamentale de la société. Les mouvements de lutte de ces dernières années
(Occupy, Indignés, etc.) ont mis en évidence que des revendications partielles
en tant que telles, des revendications sur des terrains particuliers de la
société, bien qu’elles peuvent constituer un point de départ pour la lutte,
sans suite et sans extension dans et par la lutte, se brisent tôt ou tard. Un
texte signé Sander du KSU (1), tente de formuler une réponse à cette question.
“Viser les réformes semble, à première vue, plus réaliste, mais il vaut
la peine de lutter pour une société qui est entièrement comme tu l’imagines. En
revendiquant des réformes, on risque d’affaiblir la lutte une fois que les
revendications ont été satisfaites. (…) Des causes sous-jacentes (…) sont
faciles à reprendre à leur compte par des parties modérées qui ensuite récupèrent
la résistance. Quand par contre, on lutte pour une toute autre société (…)
alors il est possible sur cette base de davantage développer, parce que le but
final dès le début est une société totalement différente et ainsi on peut
continuer vers ce qu’on vise véritablement”. (Sander van Lanen;
KSU). Et Sander n’est pas le seul qui constate que poser des
"revendications réalistes" ne favorise pas le combat. D’autres voix
également font un plaidoyer pour radicaliser les revendications (…) “Les dernières années m’ont
appris que beaucoup de gens entre temps savent qu’un changement radical est
inévitable. Les crises sociales, écologiques et économiques ne peuvent pas être
résolues par un ‘business as usual’. Les conceptions existantes ont mené vers les
crises et ne peuvent être employées pour les résoudre. ” (Martijn
Jeroen van der Linden, économe d’entreprise, Hoogeveen) ».
Pourquoi ne pas dire clairement qu’en réalité c’est
le marasme idéologique qui prédomine, que les aigreurs d’estomac de la petite
bourgeoisie et ses solutions de « solidarité locale » sont du pipeau
et nullement un marchepied pour une révolution non pas civile mais
prolétarienne ! Que c’est la rupture avec le système qui est la finalité à
condition que la classe ouvrière mène le bal sans quoi la misère sera sans fin.
Plus intéressant est le second article : « Après
la Seconde Guerre mondiale: débats sur la manière dont les ouvriers exerceront
le pouvoir après la révolution ». L’article montre que les prolétaires n’ont
rien à pouvoir gérer localement dans le système actuel qui étouffe toute
initiative. Et nous y relevons surtout la référence à Bordiga qui ne s’embarrasse
pas avec les aigreurs d’estomac ou les lubies de la petite bourgeoisie.
Publié par
ICConline le 29 January, 2014 - 22:40
« (…) Le texte de Bordiga "Force,
violence et dictature dans la lutte de classe" (1946) semble sous
bien des aspects tomber dans des erreurs symétriques à celles de Pannekoek. La
force de ce travail est de réaffirmer contre l'hypocrisie pacifiste du
consensus "démocratique" qui incluait le parti communiste stalinien –
et avait émergé sur la base du plus grand massacre de l'histoire de l'humanité
– les bases de classe de la révolution qui était à l'ordre du jour de
l'histoire, et la nécessité pour le prolétariat d'avoir recours à la violence
organisée dans le renversement du régime capitaliste et l'établissement de sa
propre dictature politique Bordiga mettait l'accent sur l'inévitabilité d'une
guerre civile, d'un État transitoire pour écraser la résistance de la classe
dominante, et d'un parti communiste pour exprimer et défendre les buts du
communisme contre les confusions et les hésitations inévitables existant dans
la classe.
Bordiga comprenait aussi l'importance historique
des organes du type soviets ou conseils :
"Les conseils sont effectivement à la base des
organes de classe et non pas, comme on l’a cru, des combinaisons de
représentations corporatives ou professionnelles ; donc ils ne présentent
pas les limitations qui affectent les organisations purement économiques.
L’importance de ces conseils réside pour nous avant tout dans le fait qu’ils
sont des organes de lutte et c’est en nous reportant à l’histoire de leur
développement réel, et non à des modèles fixes de structure, que nous cherchons
à les interpréter.
Ce fut donc un stade essentiel de la révolution que celui où les
Conseils se dressèrent contre la Constituante à type démocratique qui venait
d’être élue et où le pouvoir bolchévique dispersa par la force l’assemblée
parlementaire réalisant le mot d’ordre historique génial de “Tout le pouvoir
aux soviets”.En même temps, Bordiga mettait en garde contre le
danger de transformer en fétiche les majorités démocratiques issues de ce type
d'organes :
"Mais tout ceci ne suffit pas à nous faire accepter
l’opinion qu’une telle représentation de classe une fois constituée, et mise à
part la fluctuation en tous sens de sa composition représentative, il soit
permis d’affirmer qu’à n’importe quel moment de la lutte difficile conduite par
la révolution à l’intérieur et à l’étranger, la consultation ou l’élection des
Conseils soit un moyen commode de résoudre à coup sûr toutes les questions et
même d’éviter la dégénérescence contre-révolutionnaire. Cet organisme décrit un
cycle très complexe qui, dans l’hypothèse la plus optimiste, doit se conclure
par sa disparition en même temps que l’État dépérira. Mais pour cette raison
même, il faut admettre que le mécanisme du Soviet tout comme il est susceptible
d’être un puissant instrument révolutionnaire, peut aussi tomber sous des
influences contre-révolutionnaires. En conclusion, nous ne croyons à aucune
immunisation constitutionnelle contre ce danger, qui se trouve uniquement
dépendre du développement intérieur et mondial du rapport des forces sociales."
(Idem)
La tâche peut paraître
incommensurable mais il n’en est pas d’autre qui conduise à la rupture avec le
système que cette violence de classe face au cynisme total dominant et contre
tous les accommodements du quotidien. Les organismes de classe seront
confrontés évidemment, comme aujourd’hui, à toute une ribambelle de
professionnels du « ready made » avec comités pré-constitués,
secrétaires auto-désignés avec statuts prédéfinis et journalistes invités, mais
une vague puissante, si elle est puissante, ne pourra que balayer les
représentants du vieux monde.
[1] C’est le b a ba de toute réunion
publique digne de ce nom afin qu’un tel type de réunion n’implose pas en
vulgaire banquet de mariage. Les anarchistes eux-mêmes qui se moquent de nommer
un président de séance y ont recours à leur façon. Lors de la réunion à Lille
organisée par l’OCL et la Mouette enragée en soutien aux ouvriers de PSA, j’avais aussi demandé un président de séance
afin de mieux ordonner les débats, on m’avait ri au nez en arguant que cela
n’était pas nécessaire et que la discussion pouvait se mener
« naturellement » (on n’est pas léniniste…) et de fait, c’est le
principal chefaillon de l’OCL qui avait cornaqué le débat.
[2] Laacher Smaîn, « Les systèmes d'échange local (SEL)
: entre utopie politique et réalisme économique », Mouvements 1/
2002 (no19), p. 81-87URL : www.cairn.info/revue-mouvements-2002-1-page-81.htm.
DOI : 10.3917/mouv.019.0081
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