CETTE
VIEILLE POLEMIQUE SUR LE MYTHE DE LA « GUERRE REVOLUTIONNAIRE »
« Les guerres anti-dynastiques de la
révolution bourgeoise française,
par Robert Camoin (285 pages, à compte
d’auteur, 2012)
« Eh quoi ! parce que des mandataires
infidèles, les hommes d’Etat (les girondins) ont appelé sur notre malheureuse
patrie le fléau de la guerre étrangère, faut-il que le riche nous en déclare
une plus terrible encore au-dedans ? ». Jacques Roux
« Oui, Messieurs, c’est la guerre entre les
riches et les pauvres : les riches l’ont voulu ainsi ; ils sont en
effet les agresseurs ». Blanqui
Auteur
prolixe, Robert Camoin n’arrête jamais d’écrire, auteur « maudit »
par les éditions généralement bourgeoises, il n’a eu de cesse de publier à ses
frais depuis près de 50 années revues révolutionnaires (Cahiers du Communisme
de Conseil, Jalons, Présence Marxiste), une vingtaine d’ouvrages et des
centaines d’articles pour le mouvement ouvrier et pour la révolution maximale.
Il est doué d’une plume musclée, chatoyante et aime parsemer ses écrits de mots
rares comme cerise sur le gâteau, ce qui oblige à le lire avec un dictionnaire
à portée de main. Son écriture manuscrite est digne des moines copistes de
l’Ancien régime, elle s’envole en courbe gracieuse, comme si elle voulait
enlacer le verbe oral trop prosaïque et plagie la calligraphie antique
artistique chinoise ou arabe ; un graphologue y décèlerait sans nul doute
une volonté de puissance et de séduction un peu étrange car le tracé
scripturaire frôle l’illisibilité parfois.
Je
me dois tout d’abord de le remercier de m’avoir fait parvenir son ouvrage par
la sainte poste républicaine, et pour avoir mis sept ans à répondre à ma thèse
de l’obsolescence de la théorie de la « guerre révolutionnaire »,
laquelle parution avait fortement indisposé le fier maître en orthodoxie qu’il
prétend être ! J’ai publié en effet : « La guerre
révolutionnaire de Robespierre à Lénine » en 2005, en particulier pour déniaiser
la position vindicative d’étudiants maximalistes à la G.Sabatier, position anti-parti farouchement belliciste de
stratèges en chambre germanopratins faisant la leçon au « dictateur Lénine » pour sa gestion aléatoire du
traité de Brest-Litovsk, mais – et c’est pourquoi je n’ai nullement à répondre
à R.C. – je décortiquais aussi la position inverse de l’autre tendance du
courant maximaliste, qui nullement critique des atermoiements de Brest-Litovsk,
juge le parti comme bon s’il se comporte comme un QG militaire et excellent
s’il massacre à Kronstadt, et dont R.C. ne fournit qu’un aspect caricatural et
oscillatoire ; tout militant communiste serait un soldat !
Ces
deux tendances, la première anti-léniniste qui se voulait plus militariste que
Lénine quitte à prêcher l’irresponsabilité populiste et anarchiste et la
seconde qui, exaltant la terreur d’Etat, foule au pied les massacrés de
Kronstadt, ne sont que des tendances opportunistes, d’imaginations enfiévrées, rigides
et momifiées par l’histoire.
J’ai
donc lu avec attention et patience le nouvel ouvrage de R.C. qui a voulu jouer
au professeur d’histoire en prétendant répondre à un niveau de l’orthodoxie la
plus pure concernant le maniement des armes
plus qu’au progrès émollient du marxisme sous la geste
militariste léninienne, sans jamais s’abaisser du reste à me citer. En
introduction, R.C. s’exagère grandement l’importance du sujet et la notoriété
de la polémique :
« D’année en année,
enfle et se fait plus agressive toute une littérature qui décrie la guerre
révolutionnaire comme la mort de la révolution. C’est la sentence ex abrupto
prononcée par les prêcheurs social-démocrates de la paix sociale et par tous
les esprits brouillons de l’ultra-gauche « déjacobinisatrice » et
« débolchévisatrice », l’un n’allant pas sans l’autre. D’aucuns, tel
le « Courant Communiste International » et sa demi-douzaine de
satellites – regroupés en un ludion libre comme « Les Editions du
Pavé » - prophétisent, avec une pédanterie marquée au coin du kautskysme,
que la révolution ne peut plus naître de la matrice d’une guerre impérialiste
transformée en guerre civile par le défaitisme des soldats et des ouvriers qui
disloque l’armée de la bourgeoisie, parce que de guerre impérialiste il n’y
aura plus. Tout simplement !
Nous les retrouvons répartis
en trois groupes :
-
On rejette la révolution sous toutes ses formes.
-
On refuse la violence armée, afin d’éviter à la révolution la souillure
indélébile des effusions de sang.
-
On supprime la violence physique par un assembléisme déversant sa
spiritualité démocratique pour éviter les « horreurs » de la guerre
civile avec ses prises d’otages, ses représailles. Plus de rue Haxo ! Plus
d’Ekatérinburg ! Plus de Tchéka ! »[1].
Une
pincée du général Lénine vient ponctuer bruyamment cet appel aux armes en
matière d’introduction. On passera sans s’inquiéter outre mesure de l’agression
verbale dont je suis l’objet indirectement (toujours pas nominé) : « …seul
un fripon fieffé, ou un incurable imbécile, peut affirmer qu’il ne s’agit là
que d’une exaltation du militarisme guévariste ».
C’est
passer un peu vite sur le rab de casserole du guévarisme qui fût originellement
bien une mixture de cuisine girondine et léniniste. R.C. exagère avec emphase
une inexistante marée de littérature sur la guerre révolutionnaire. Ramenons-le
sur terre. Ma publication en 2005 à 50 exemplaires m’a coûté la peau des
fesses, environ 1400 euros ; mon imprimeuse m’a roulé en beauté et je n’ai
pas écoulé la moitié de ces livres. R.C. publie à 70 exemplaires à compte
d’auteur un ouvrage qui ne va pas faire se précipiter les foules dans les
librairies de Marseille ou de son village auvergnat, s’il en existe une à côté
de la vieille forge. En réalité, tout le monde s’en fout. Même le microcosme
maximaliste où chacun trône dans un fier isolement sur son petit blog ou son
site de textes en accordéon. La charge verbeuse contre les
« social-démocrates » et les « kautskystes » sent trop la
naphtaline néo-stalinienne pour qu’elle possède quelque effet rédempteur sur
ses victimes désignées. Et la déformation des réelles analyses des uns et des
autres empaquetés dans le papier kraft de R.C. prête à sourire plus qu’à gloser
inutilement. Arrêtons-nous un instant sur la phrase condensée et consternante
livrée comme dans un souffle au bord de la catatonie : « …la
révolution ne peut plus naître de la matrice d’une guerre impérialiste
transformée en guerre civile par le défaitisme des soldats et des ouvriers qui
disloque l’armée de la bourgeoisie, parce que de guerre impérialiste il n’y
aura plus ».
Tâchons
de traduire ce langage alambiqué en trois temps et sans virgules, ou plutôt de
le restaurer dans sa simplicité proverbiale. 1- Jusqu’à la Seconde Guerre
mondiale, la plupart des révolutionnaires dits anarchistes ou marxistes,
professaient que la guerre restait la mère de la révolution. 2- les soldats
fuient le front et rencontrent les ouvrières et ouvriers en grève, ce qui
aboutit à la désagrégation de l’armée bourgeoise. 3- il est supputé que les
fieffés fripons prétendent qu’il n’y aura plus de guerre impérialiste ;
qui sait ?
Cela
fait mauvais effet en général de déformer les propos de l’adversaire d’emblée,
sauf peut-être pour les ignorants. R.C. radote dans la confusion la plus
totale, hors de la réalité historique. Il végète encore sur la minable colline
de Valmy. Ne rêve-t-il pas chemin faisant à ces merveilleux galons de général
épinglé qu’il n’a jamais été ?
Mauvais
coucheur ou piètre accoucheur le camarade Camoin ? La mère de la
révolution, la Première guerre mondiale, a été une bien singulière marâtre
puisqu’elle a fini par enfanter deux ignobles bâtards : Staline et Hitler.
Ne sont apparus ni un clone de Lénine ni un prolétariat insurrectionnel au
cours de la seconde boucherie mondiale. On s’interroge encore sur l’absence du
bébé révolutionnaire à la maternité de la rue des martyrs.
Quant
au processus de « défaitisme » tassé en une phrase, R.C. serait bien
en peine de l’expliquer. Ou plutôt si, comme le montre son nouvel ouvrage, il
méprise le réel processus de prise de conscience du prolétariat face à la
guerre autant qu’il surestime l’impact du parti social-démocrate futur prototype bolchevique parfait.
Tout
son raisonnement doctoral et citationniste centré non sur ladite révolution
bolchevique mais sur la révolution jacobine bourgeoise ignore les
préoccupations des bras nus, les fait passer pour des crétins impatients
d’aller se faire tuer pour la patrie, et ne voit pas du tout au contraire
combien la guerre « externe » entraîne des émeutes de la faim,
louables, mais aussi d’hystériques et cruels massacres inutiles. Les bras nus
n’intéressent R.C. qu’une fois en rang d’oignons, cheveux bien coupés (il
ignore que c’est Napoléon qui a lancé la vogue de la boule à ras pour les
trouffions), et surtout pas déserteurs. Il passe le plus clair de son relevé
des citations militaristes et des bouffonneries diplomatiques des
« grands » généraux, des « grands » princes, qui accumulent
les médailles comme ma collection de pièces de l’ère jacobine et de l’Empire
bling bling, à louer ces dominants d’un autre âge, alors que je pisse sur leur
tombe de chefs de guerre.
Toute
la confusion de la position actuelle de R.C. se trouve donc dans cette entrée
en matière biscornue qui mélange tout, et voile à demi une vision très
hiérarchisée de la révolution : à défaut du parti il exaltera tel ou tel
généralisme, beau comme Artaban sur son cheval ; à défaut de mouvement
ouvrier dynamique et offensif, il imagine les futurs prolétaires en révolution pioupious
cheveux bien dégagés sur les oreilles, prêts à se jeter poitrine nue au-devant
des mitrailleuses des derniers réduits de la bourgeoisie mondiale, féroce et
pourrie jusqu’à la moelle.
R.C.
se pique de tout connaître, comme bien des militants blanchis sous le harnais,
et les professeurs. Ils ont des lacunes immenses, et jamais comblées. Et qui
n’en a pas ? Or je soupçonne R.C. de ne pas avoir étudié sérieusement
l’histoire de la révolution française, ni lu les principaux historiens sérieux en ce domaine. Sa référence appuyée à
l’historien néo-stalinien Eugène Tarlé ne laisse d’inquiéter. J’irai même
jusqu’à estimer qu’il ne connaissait pas les écrits contre la guerre
« externe » des Robespierre, Marat et Babeuf avant d’avoir lu mon
livre ; au bout de 40 ans de militantisme, n’ignorait-il pas que Staline
était la matrice de l’Opposition militaire et ses exactions en Géorgie. Il va
crier que c’est pas vrai et que je suis un vrai fripon. Pour preuve j’en ai
qu’il ne fait quasiment jamais référence aux écrits géniaux de ces trois
hommes, et s’efforce par esquive, circonlocutions – il est d’ailleurs le roi de
la circonlocution - et divers évitements
de nous les reformater en partisans farouches de la poussiéreuse « guerre
révolutionnaire ».
Le
premier chapitre intitulé « Du guerillérisme comme ouvriérisme
militaire », circonvolution abconse et non démontrée, se sépare comme du
diable de la théorie maoïste (il oublie de préciser aussi stalinienne) de la
guérilla, des ânes du Blak Bloc, des anarcho-marxistes du GCI (c’est eux les
« ouvriéristes » du militarisme), de l’aventurier Makhno, très bien.
Mais pour vanter le navet de Trotsky, « Terrorisme ou communisme »[2].
Il
y a diverses sortes de guerre, mais de Valmy à la guerre d’Indépendance
américaine, à la Commune de Paris et à l’offensive militaire bolchevique contre
Varsovie en 1920, il n’y a qu’une « juste cause », psalmodie R.C.
avec son père putatif Wladimir Oulianov. Mais, n’en disconvenez point citoyens
lecteurs voici le ci-devant Robert Camoin qui va nous mener sabre au clair et
vareuse bien boutonnée à la recherche des armées perdues.
Voici
la naissance de l’artillerie française, sœur jumelle de l’éveil national
français. Tout à son jacobinisme sentimental, notre chevalier Camoin ignore
superbement les deux terribles défaites de Crécy et Azincourt. Avant de se
précipiter à nous parler des chassepots, de s’exciter sur le chef de bande Du
Guesclin et la Pucelle d’Orléans (à la manière de Jean Fréville ?)[3]
il eût fallu rappeler le mode de production, de conquête et les avancées des
autres nations.
Il
s’ensuit des recopiages de faits et de biographies puisés dans des ouvrages rarissimes
dont la bibliothèque de Marseille détient les secrets ; mais notre général
des lettres maximalistes n’a pas besoin de citer ses sources, oseriez-vous
demander au maître d’où il pompe ce savoir encyclopédique et biographique
jusqu’à la nausée ?
Le
maître du pont d’Arcole n’a nul besoin de raisonner face à des petits fripons
comme vous. La longue litanie des biographies des « grands
généraux », des « grands princes », suffit. Prenez des
notes satanés bougres! Soulignez ! Attendez qu’il ait fini avant de
poser vos questions stupides !
A
l’étalage de biographies pesamment recopiées s’adossent des apartés pour régler
ses comptes avec untel groupe ou tel autre. Babeuf est évoqué au début sans
préciser ni qu’il était opposé à la guerre externe ni qu’il a protesté contre
les massacres en Vendée. Carnot semble égratigné (quelques petites crapuleries
le fourbe) mais il possède la « science des armes ». Et qu’est-ce
qu’on se fout des morceaux à rallonge du genre : « Charles Secondat,
baron de la Brède et de Montesquieu, l’Oratorien et conseiller au parlement de
Bordeaux devenu président à mortier » (ouf !) ; et des
digressions identitaires et médaillées qu’on décompte à foison et que çà lasse
le lecteur. Sans doute le futur biographe de Camoin reprendra la même
antienne : Sir Robert Camoin, grand conseilliste devant l’éternel, passé
baron du CCI et de RI, successeur de l’Onorevole Bordiga à la tête de Présence
Marxiste et principal continuateur de marxisme au XXIème siècle.
Pourtant
le marxisme camoinien est un marxisme dangevilien, néo-engelsien (excuse-moi
lecteur ignorant de ces néologismes !) l ’histoire ne progresse plus dans
l’imaginaire camoinesque par la lutte des classes mais par le perfectionnement
de l’artillerie, sous les efficaces conseils de cette pourriture de La Fayette
qui envoya combattre « … sous les ordres du maréchal Jean-Baptiste
Donation de Vimeur, comte de Rochambeau, qu’accompagnait son fils
Donatien-Maris-Joseph, colonel commandant le régiment de Picardie »
(ouf ! et pas du 62 ?). Comme on le perçoit aisément la polémique sur
la validité de la « guerre révolutionnaire » progresse au pas
militaire de notre professeur d’artillerie en état de marche dans les calanques
accidentées et au chant d’un blabla de remplissage.
Louons
sa capacité de démonstration de la capacité de l’armée « libératrice »
à développer « la liberté », ce qui vous permettra de mieux
« comprendre la guerre révolutionnaire bourgeoise qui viendra ».
L’armée en effet se « laisse gagner aux Lumières » et se mêle de
« discuter des affaires publiques ». Le général Camoin est pourtant
infoutu de clarifier les notions classiques de la guerre. N’est pas Clausewitz
qui veut. Camoin s’ingénie bientôt à nous tresser des fleurs pour la
« fraction pro-guerre », les tristounets Brissotins, taisant que
cette fraction est la plus liée au commerce et aux agioteurs. L’évoque-t-il par
devers la fraction pour la « guerre d’expansion » ? Notre
général en culottes courtes (c’est l’été dans les calanques) est irrité que Robespierre aille à
contre-courant du « patriotisme des sans-culottes » et termine son
paragraphe (intitulé misérablement « Robespierre pacifiste momentanément »)
en citant Dangeville, qui va hélas (trois fois hélas) complètement à
contre-courant de toutes les salades militaristes du général d’opérette
maximaliste, et fustige les va-t-en guerre Girondins comme complices des
aristocrates (page 53). Voilà qu’on nous narre guère plus loin que Robespierre
se rallie à la guerre, soulagé Robert ? Mais pourquoi évitez-vous
systématiquement cher maître sans galons
à citer ces longues déclamations et mises en garde contre la guerre externe que
persiste à faire le subtil Robespierre ?
Pourquoi
restez-vous muet après la longue et magnifique déclaration de Robespierre
contre les « missionnaires armés » ? (pages 58-59). Si vous le
permettez, vous traficotez bassement la question de la guerre défensive
derrière les impondérables du moment, avec un argumentation retournée qui
ressemble comme une goutte d’eau à celle des social-démocrates va-t-en guerre
en 1914 ou à l’évanescent et cornélien « oui,
mais… » trotskien : « La Montagne était née précisément pour
empêcher une guerre extérieure extrêmement périlleuse et qui, selon Robespierre
(NB le « selon »), portait le césarisme dans ses flancs. Mais une
fois cette guerre extérieure déclenchée, la Montagne ne se dérobera pas à sa
tâche patriotique de participation à la levée en masse et de conduire la nation
en armes. Le gouvernement robespierriste s’organisera comme un instrument de
guerre révolutionnaire » (p.60).
Le
général Camoin persiste à tout mélanger, une fois ses pages en ordre de
marche : « Dès lors patriotisme et civisme devinrent synonyme de
révolution et de guerre ». En résumé, les braves petits soldats, cheveux
dégagés sur les oreilles, sont supposés acquis à « une guerre totale, la
guerre intérieure et la guerre extérieure » (p.61) pour pouvoir bouffer.
On ne prête qu’aux riches, or c’est du pipeau, les meilleurs historiens,
Mathiez, Lefebvre, Kropotkine, Dommanget, Guérin, Dupuy, etc. ne brossent pas
un tableau idyllique de l’ardeur patriotique mais révèlent les misères du
peuple, les luttes contre la vie chère et les privilèges, luttes qui ne sont
pas pacifiques mais prioritaires « à l’intérieur » de la nation (et
tournent le dos à tout impérialisme « révolutionnaire »).
Mais
les luttes sociales ne sont rien comparées à « l’amélioration du rendement
des armes de guerre » selon le général Camoin qui invoque les billevesées
de son compère, feu le « général Engels » dont la démonstration sur
la colonne militaire pour discipliner les chevelus parisiens ne nous convainc
absolument pas d’un rôle révolutionnaire de l’armée qui, peu après deviendra
avec Carnot et Napoléon une armée « impérialiste », selon le terme de
R.C.lui-même, qui bordera étrangement alors son raisonnement au moment de
Thermidor.
Puis
on saute d’un sujet à un autre, d’un personnage à un autre comme si cette
compilation de biographies servait à la fois d’explication à 1789 et à
justifier la guerre révolutionnaire foireuse. Babeuf vient tout à coup
contredire toute la démonstration de R.C. qu’on en est gêné pour lui. R.C. est
interloqué que Babeuf se prononce contre la guerre avec la Hollande,
pardi ! « …à condition que ce ne soit pas une libération par voie
militaire ». Comment ne pas rougir ? R.C. saute dans un aparté sans
lien, le paragraphe nous parle des qualités du duc de Brunswick et nous apprend
qu’il est le futur époux d’Anne d’Angleterre, élément consistant en effet pour
épouser la théorie de la guerre révolutionnaire. Cet idiot de Babeuf n’est
après tout qu’un « partisan d’une autre façon de libérer la
Hollande » ! Ben voyons ! Mais non il est partisan de la
libération de la Hollande par le peuple hollandais lui-même pas par les
« missionnaires armés » fussent-ils auvergnats, marseillais ou parisiens ! La démonstration du
paragraphe de la page 66 finit en eau de boudin. Quiz de tout raisonnement ou
appréciation, on dérape dans le contingent presque le fait divers puisqu’il
faut ridiculiser cet idiot de Babeuf : « Babeuf s’enrôla dans la
Légion batave ; mais un mois plus tard, de graves soucis d’argent
l’obligèrent à rejoindre sa femme. Il trouva un emploi auprès de Jean-Baptiste
Eustace, combattant de la guerre d’indépendance américaine. En même temps il
prêtait sa plume à Fournier dit l’ « Américain » pour une attaque en
règle de Marat ». On se perd dans l’infinitésimal avec notre général
historien pour midinettes ou bobonnes!
Voici le talentueux
orateur Vergniaud, autrement plus brillant à la tribune que le fluet
Robespierre, qui permet au général Camoin d’effacer la mauvaise impression d’un
Babeuf limité à son intendance personnelle. Voici la fleur de la Gironde
belliciste qui fait la joie des belles spectatrices de l’Assemblée et gagne à
ses arguties même les méchants adversaires robespierristes de la guerre extérieure
(Camoin se garde d’évoquer les discours
captieux de Brissot dont se moque Marat). On se contrefiche du beau discoureur.
Vergniaud a bouffé à tous les rateliers. Il
avait écrit à Louis XVI pour lui proposer de le protéger s'il acceptait de
rappeler les ministres girondins et leur laisser les pleins pouvoirs, mais
bernique. Contrairement à Babeuf, il est de son temps, résolument promoteur de
la République bourgeoise, de la propriété et de la guerre de conquête. C’est la
conception d’une partie des fractions de la bourgeoisie mais elle n’est pas à
notre sens applicable au futur « ennemi de l’intérieur » le
prolétariat. Vergniaud n’était pas vraiment un politicien, plus un sentimental
moitié girondin (« brissotin ») moitié montagnard. Son attaque contre le duc de Brunswick et son appel à "la patrie en
danger" sont restés épatant pour la postérité mais dès lors que l'ennemi
numéro un, le roi, a été déchu, et que
tout restait à faire, Vergniaud ne brilla plus. Il prononçait toujours de
sublimes apostrophes mais celles-ci étaient souvent sans but. La passion va enfin
s’emparer de Paris et mener au fameux 10 août 1792. L’opportunisme de la
Gironde triomphaliste est pourtant à moitié démasqué, mais
Camoin aussi en tant que girondin lié aux masses…plébéiennes et ploucs. En
brave anarchiste émeutier il salue les massacres de septembre soi-disant
« par les masses, décidées à tout prix à ne pas revenir en arrière »,
triste épisode dont Marx et Engels ont été d’accord pour considérer que ces
massacres ont été l’œuvre des petits boutiquiers déchainés mais pas des
« bras nus ».
Voici Valmy qui ravit plus
Camoin que Goethe, et qui avec « nos ancêtres les gaulois » a été
intégralement intégré à l’histoire nationaliste française. Comme je le
rappelais dans mon propre livre, Henri
Guillemin disait que sur le terrain, la bataille de Valmy ne fut pas très
héroïque et que la victoire de l’armée révolutionnaire fut plus
circonstancielle que due aux cris des sans-culottes chevelus. Le Manuel
d’histoire Malet et Isaac a toujours relativisé l’événement : « L’action
se borna à une canonnade ». Claude Delmas rappelait que la conception
française du soldat-citoyen l’emporta cependant partout en Europe:
« Ainsi
l’homme du peuple, jusqu’alors méprisé comme appartenant à un groupe inférieur
de la société, se vit offrir l’occasion de prendre les armes pour la justice,
incarnée d’abord par les assemblées révolutionnaires, puis par un seul homme,
Napoléon. Les militaires prussiens remarquèrent alors que la discipline telle
qu’ils la concevaient n’était à elle seule un moyen suffisant de conquête ou
même de défense : il en résulta que quelque chose de la conception
française de l’homme du peuple donna au nationalisme une vigueur nouvelle. Le
soldat-citoyen et La
Marseillaise ne sont pas seulement des motifs de légende. Ils
ont constitué l’un des éléments essentiels de l’histoire depuis le premier
quart du XIXe siècle. La discipline militaire plus efficace, la nouvelle
conception de la nation en armes pour la défense du Droit, contribuèrent à
répandre plus largement que jamais l’ardeur au combat. »
Mais la discipline militaire est à la conscience de
classe ce que la musique militaire est à la musique classique, comme disait le
camarade Einstein[4].
Après l’exaltation de Valmy, apprise par le général
Camoin à l’école communale de la République une et indivisible démarquée par de
solides frontières naturelles, notre historien pour midinettes et bobonnes temporise grâce à l’Abbé Grégoire
qui : « mit en lumière les dangers de faire des généraux de la
République des « missionnaires de la Constitution »… proposition du
millionnaire prussien Anarcharsis Cloots, « point de conquête et point de
rois ». Le général Camoin eût été plus avisé de rappeler ici que le
dénonciateur des « missionnaires armés » avait été Maximilien
Robespierre. Va-t-il ranger son arc et ses flèches girondines ? Une pincée
de Bordiga hors époque concernant la décolonisation moderne pour donner un coup
de pouce à une notion typiquement bourgeoise moderne, la solidarité
nationale !?
Notre général girondin nous balade longuement en
Savoie, mais le chapitre court à la catastrophe pour notre stratège girondin
avec la description d’Engels de l’invasion de Nice par les soudards français
qui pillent violent et incendient. Et ce pauvre Engels de déplorer en cœur avec
le général Camoin que « le bonapartisme s’appuie sur la racaille ».
Non pas sur la racaille en soi mais sur l’armée ! Comme Staline plus tard
au moment de la contre révolution en Russie, en Géorgie pour commencer, mais
tout cela autant le général Camoin l’ignorait dans sa suffisance de maître du
pont d’Arcole, autant il préfère éviter d’en parler ; on est à un cours
sur la révolution française du XVIIIe siècle, n’est-ce pas ? Nice aurait
dû rester italienne, voilà la seule déduction de notre stratège auvergnat.
On saute à 1795 puis on revient magiquement à 1793, où
tel Lyssenko ou un salafiste de base, Camoin nous apprend que la « guerre
devait être organisée scientifiquement » ; après le socialisme
scientifique, le stalinisme scientifique, l’islamisme scientifique, voici venue
l’ère du camoinisme scientifique. Le paragraphe n’est que la reproduction du
discours de Saint Just en faveur de la réorganisation de l’armée… « scientifique » ?
Retour à Valmy concernant la trahison de Dumouriez, ce
qui permet au général Camoin, déguisé en historien, de nous refiler la
comparaison avec Kornilov, ainsi crucifiée préhistoriquement « sa
kornilovade », comme on dit de Vercongétorix qu’il avait des moustaches
comme un hélicoptère.
Le paragraphe page 110 s’intitule « L’agitation
économique des bras-nus » mais que nenni n’en cause point du tout,
laquelle agitation est remplacée par l’enrôlement de milliers de volontaires
pour filer dare dare en Vendée « y combattre l’émeute
royaliste » ; en réalité c’est plus compliqué mais comme notre
général épinglé se base sur un vague historien stalinien et que la Vendée et
Kronstadt c’est bandit pendu et pendu bandit, on n’épiloguera pas sur des
détails de la terreur « révolutionnaire ».
On constatera au pas de charge que notre général peu
étoilé ne finit pas ses paragraphes ni n’analyse les discours ampoulés des
petits bourgeois jacobins. Cela doit lui suffire. A nous pas.
Il faut une bonne dose de perversité pour annoncer en
paragraphe suivant : « La lutte de classe des bras-nus et la guerre
éliminent le parti de la guerre » !? De démonstration du ci-devant Camoin point. Il
zigzague entre les fractions politiques petites bourgeoises, re-cite à tour de
bras son héros du blabla, le ci-devant,
bientôt ci-gisant Vergniaud, pour finir par nous annoncer sa décapitation ainsi
que celle de Mme Manon Roland « bonne musicienne et claveciniste »,
info majeure à cette étape de la polémique si l’on songe que cela lui fit une
belle jambe polyphonique séparée de sa tête.
Après un coup de chapeau à « l’arsenalisation de
Paris », pour mieux montrer qu’il maîtrise son sujet, entendu que son
histoire de la « science militaire » atteste un perfectionnement
militaire ininterrompu (voire darwinien), notre général empire en rendant
hommage par un remplissage généreux des
bricolages militaires du fameux Gilbert Romme (voir wikipédia, ne pas confondre
avec Rommel) et surtout aux « généraux de très haute valeur ». Il est
aux anges pour décrire le pouvoir des apparatchiks très-grands-russiens de la
République, quoique presque aussi totalitaires que leurs lointains imitateurs
russophones. Oubliées les prévenances de Maximilien et de l’Abbé
Grégoire : « Des Représentants en mission furent envoyés aux armées –
nous dirions aujourd’hui, après l’expérience de la guerre révolutionnaire
panrusse « Commissaires du peuple ». Le plus souvent, ils étaient au
nombre de quatre. On leur conférait des pouvoirs pratiquement illimités, des
pouvoirs de proconsuls… ». Et cela ne le fait pas rire ?
Pas d’explication concernant le fédéralisme girondin,
et, comme on le voit ensuite, le général Camoin n’a pas la subtilité de Rosa
Luxemburg qu’il a bien fait de citer en annexe, le renforcement de l’Etat ne
commence pas avec la révolution de 1789, il est parachevé.
L’assassinat de Marat sert à nous balancer une
nouvelle entourloupe. Marat, comme Robespierre et Babeuf gênent
considérablement notre général épinglé avec leur dénonciation de fond de la
guerre offensive ; il se sent mieux à l’aise de son point de vue
anarcho-blanquiste fossile avec les brissotins comme Vergniaud. En novembre 1792, Marat, presque seul s'abstint dans
le vote sur l'annexion de la Savoie à la France ; et en ce qui concerne
les territoires occupés par la France, il prêcha à l'hiver 1792-1793, la
modération à l'égard des forces aristocratiques et du Clergé que les Brissotins
voulaient exclure de la vie politique. Tout cela n'était pas contradictoire avec sa plaidoirie pour la guerre à outrance contre les
puissances coalisées, dans la mesure où elle était devenue « défensive ».
Juste
avant sa mort le 12 juillet 1793 à l'occasion d'un renouvellement il demanda
l'éviction de Barère du comité de salut public
qui, montagnard non jacobin, fut toujours partisan de la guerre
d'attaque. A la manière des staliniens, le général Camoin efface Marat et nous
colle la citation d’un anarchiste hébertiste du nom de François Vincent :
« On veut détruire la liberté par la guerre. C’est par la guerre qu’il faut
la sauver ». Ne voilà-t-il pas une facile péroraison pour éviter la
guillotine, effet de manche qui permet à Camoin d’esquiver encore une fois la
question du comment et pour quoi de la généralisation de cette révolution. Il fait le pitre en se servant de Marat mort
contre Marat vivant toujours hostile à la « guerre de conquête »:
« L’assassinat de Marat donna un nouvel élan à la revendication terroriste
des sans-culottes contre les royalistes ». C’est quoi « la
revendication terroriste », la vengeance de quelques abrutis
déchaînés ? Le goût de Camoin pour les films gores ? Ou son faible penchant
anarcho-hébertiste désuet pour la « guerre à outrance » ?
Camoin
revient porter plus loin des chrysanthèmes fielleux sur la tombe de Marat avec
ses habituels « selon lui » : « Au moment de la crise de
Varennes, Marat était contre la perspective de la guerre étrangère qui, selon
lui, cachait un nationalisme annexiste et aggraverait la situation économique.
(…) A la nécessité de la guerre extérieure, il opposait la nécessité de la
guerre intérieure. D’opposant à la guerre extérieure il en deviendra un
partisan ». Le général Camoin a tout appris de son propre chef où il
occupe le sommet du commandement et des opérations d’enfumage des ennemis de
toute sorte qui l’environnent. Il veut ridiculiser Marat alors que Marat
concède la guerre comme nécessité uniquement dans sa dimension « défensive »
contre-indiquée pour notre brissotin bougnat.
De
l’Armée du Rhin, au siège de Toulon, à Bonaparte « qui paye de sa
personne », à Buonarroti « qui mérite bien de la patrie », on
saute en Pologne où, peau de balle ce sera kif kif bourricot pour l’Irlande. Et
Camoin de faire choir le couperet de son terrible jugement sévère (ce manque
d’internationalisme militariste de Bonaparte…) suivi d’une ballade irlandaise (p194),
sous oublier que la mère patrie de la guerre révolutionnaire ne fit rien pour
les patriotes aux ordres de Kosciuszko ! Robespierre repasse sous le
billot de guillotin Camoin, il est jugé inconséquent à l’aune de notre stratège
marxiste émérite deux siècles plus tard et en gravitation universelle hors de
la chronologie historique : « Dans la stratégie marxiste, la
subordination nationale du mouvement polonais au parti jacobin de Paris eût
seul permis de mener les deux mouvements à la victoire ».
Du
délire mon cher Watson, imaginez un peu si Du Guesclin et la Pucelle s’étaient
alliés comme ils auraient boutés hors de France les Anglais perfides ! Le
général Camoin est tout sauf marxiste en s’imaginant un internationalisme
« national » (et surtout militariste) dans les premiers pas de la
jeune bourgeoisie.
S’il
repeint les couleurs d’un Robespierre belliciste sous toutes les coutures
désormais, c’est après avoir enterré ses objections et celles des Marat et
Babeuf, avec l’apparition ex-nihilo camoinesque d’un « comité
Robespierre », « qui avait la haute main sur la guerre »
(« scientifique » ?), qui devient le Comité de Salut
public : « … s’employant avec une inflexible rigueur à faire
triompher les méthodes terroristes, méthodes salutaires ». Le général
Camoin se fait plus maratiste que Marat. Un certain Noël Pointe est glorifié
pour sa rigueur envers les ouvriers, non pour exiger qu’ils suivent le
programme de la télé mais « pour la réalisation du programme de
fabrication des canons », sans doute premier pas du « programme
communiste » dans l’acception de notre généralissime en bravades
terroristes en carton pâte. Camoin ne s’intéressent guère aux ouvriers comme
producteurs d’armes disciplinés mais bien plutôt aux va-nu-pieds attifés en
soldats, avec ces derniers notre général d’opérette ne craint aucune
désobéissance. Il égratigne au passage
C.Desmoulins « bien loin d’encourager les exécutions sommaires » que
lui, le général Camoin n’aurait pas hésité à encourager, bave aux lèvres et protégé
comme Sarko par 50 commissaires du peuple à la terreur scientifique, pardon
« au salut public ». Quelle indécrottable pacifiste geignard ce
Desmoulins : il « abhorre trop de sang » avec son « autel
de la miséricorde », et son opposition « aux marches
ensanglantés », hein ? oui… il « frisait la guillotine »
méritée ! Heureusement on coupa sans tarder le kiki à cette apologiste des
institutions de la Perfide Albion, et celui de sa bonne femme. Point barre.
Notre professeur
d’histoire terroriste glisse ensuite dans son nirvana des digressions
imbitables avec de doctes « nous savons » ne faisant que recopier sur
internet, ou à la grande bibliothèque de Marseille, un nouveau cortège de
biographies. Thermidor enfin est relativisé comme « réaction politique de
droite » et non pas début de la contre-révolution, ce qui est inexact,
c’est un coup d’Etat de l’armée ; à la dictature personnelle de
Robespierre, Carnot oppose la voie vers la dictature militaire.
Et en
recopiant son père en bordiguisme Dangeville, Camoin sort une nouvelle ficelle
en affirmant que la Terreur était une mesure de guerre. Non mon
généraliste ! il fallait préciser de « guerre interne ». Et il
ne dit pas sur qui s’appuie le Directoire réactionnaire. La remise en ordre
s’appuie comme toujours en début de contre-révolution sur l’armée, et en
l’espèce avec Carnot futur sponsor de Bonaparte. Où Camoin va-t-il chercher que
la production d’armement a été rendu « partiellement » à des
entreprises privées ? Encore une invention sans source de références. Il
contredit tout son charabia antérieur sur l’armée révolutionnaire
« scientifique » en reconnaissant par après que l’armée se fait
« l’instrument docile des thermidoriens ». Le raisonnement patriotard
stalinien et hors réalité apparait soudain avec la dénonciation des insoumis et
déserteurs « pour se mettre au service de la jeunesse dorée » ;
pure affabulation, la fuite des jeunes paysans visait à revenir donner des bras
indispensables à la marche de la ferme, et des déserteurs face à la barbarie
guerrière il y en eût à toutes les époques, et en général ils obéissent au
sauve qui peut plus qu’à une volonté de servir le camp d’en face.
On
approche de la fin de la saga technico-militaire et national-mystique de notre
général épinglé, espérant de la suite dans les idées ou une argumentation plus
allongée et moins copiste des biographies de dictionnaire concernant les
avatars étranges de cette pauvre guerre révolutionnaire constamment avortée.
C’est alors que Camoin lance sa fanfare, sa « fête de la musique ».
La musique aux armées remonte « à la plus haute Antiquité » nous
apprend le maître en terrorisme scientifique. En effet les Grecs ne
connaissaient pas l’harmonium de Madame Lelonbec. Mais voici les fameux
musiciens d’époque dont personne n’a jamais entendu parler mais que Camoin sort
de la fosse d’orchestre – et quelles musiques ! La marche lugubre, la
musique funèbre, le chant du départ l’hymne pour la fête de la vieillesse… On
en redemande. Une nouvelle notion apparaît dans le défilé militaire chantant,
la « guerre civile révolutionnaire », alors que notre général devenu
imprésario se contentait jusque là de faire l’apologie de la guerre externe et
de tancer les partisans de la guerre interne, les Robespierre, Marat et Babeuf
(idem avec Jacques Roux, et Sylvain Maréchal, grand absent du dictionnaire
camoinesque, qui réclamait l’abolition de l’armée).
Les
flonflons de la musique militaire, comme on l’imagine, si funèbres étaient-ils,
consolaient les familles des héros patriotes morts au combat. Camoin n’a
certainement jamais vu le spectacle d’Ariane Mnouchkine après 1968, où elle sut
admirablement mettre en scène la dramaturgie phrygienne, mais sa dérive
artistique si incongrue d’apparence a pour but de défendre une vision
terroriste apocryphe et bien pensante de la guerre externe puisque pour sa
guerre impérialiste Napoléon « conserva » ces scies ! Passons,
le lecteur n’a pas oublié ce que Einstein disait de la musique militaire. Je le
pense aussi sans honte au risque de me faire traiter de moderniste par maître Camoin
et de vulgaire apologiste du MP4.
Après ce
détour par une musique de merde, comment revenir au sujet qui pose
problème ?
Il
suffit de faire l’apologie de la Terreur « réééévolutionnnnnaire »
exemplaire pour le monde entier. La révolution française est un bloc disait un
ancien socialiste devenu ministre. La vraie contre-révolution c’est
lorsque les thermidoriens sont prêts à faire la paix avec « l’ennemi
du dehors » (finalement Camoin doit être d’accord avec Sabatier, selon qui
Lénine et Trotsky furent « thermidoriens » en signant la paix de
Brest-Litovsk…). Sur qui s’appuie notre ci-devant professeur de radicalité
terroriste pleurnicharde qui se
régale des noyades de Nantes? Sur Marx ? Sur Engels ? Sur
Michelet ? Je vous le donne en mille : sur Eugène Tarlé, fameux
historien passé au service de l’histoire nationalisée du stalinisme ![5] Le tout
enveloppé dans de nouvelles divagations littéraires sans aucune méthode
d’analyse.
Comme on
sait que Camoin n’a pas digéré les aigreurs babouvistes concernant la
« question militaire », il en remet une couche en ciblant l’adjoint
de Babeuf, Buonarrotti qui défendait le soldat-citoyen mais uniquement en cas
d’agression extérieure, sans compter que ce cancre « voulait que des
mesures fussent prises qui missent en garde contre l’amour des armes ».
Crime de lèse majesté pour notre auguste Camoin qui lui suinte l’amour des
armes au bout de son clavier pépère. Sur le mode de l’ironie légère le
paragraphe se moque du pacifisme présumé de Buonarrotti pour ensuite citer benoitement
le décret militaire des conjurés babouvistes, suffisamment terroriste pour
plaire à notre général de salon, et achever de gagner Buonarrotti à la cause
fictive et au-delà des siècles du général Camoin, transposable à toute époque
avec sa pipe et son béret de bougnat. Buonarrotti en exil « a théorisé
l’extension de la guerre révolutionnaire au-delà des frontières
nationales » ! Aucune preuve ni référence de cette affirmation mais
peu importe, Buonarrotti n’est pas un exemple de révolutionnaire éternel, il a
correspondu à son époque, au carbonarisme, à la franc-maçonnerie clandestine,
et donc à des formes de luttes plus proches du complot révolutionnaire de l’époque
bourgeoise des clubs jacobins et girondins qu’aux luttes modernes, au grand
jour, du prolétariat.
« Les
guerres du Directoire deviennent de moins en moins révolutionnaires mais de
plus en plus des guerres de rapine brutales », concède notre général, sans
remettre en cause la stratégie terroriste militariste…Après un court
panégyrique de Bonaparte il est bien obligé de reconnaître avec guillemets
que la réalité de sa guerre révolutionnaire à la Napoléon est un désastre en
Italie : « le gouvernement « révolutionnaire » (des
notables) se livrait bientôt à de graves exactions ».
Notre
général tourne casque carrément en page 234 et nous ressort de sa paillasse
théorique la tête de Robespierre, qui fût si critique contre la « guerre
révolutionnaire ». Elémentaire mon cher Watson vu que Directoire et
Napoléon se conduisent en pillards des peuples envahis ! Revoici la tête
de ce pauvre Robespierre agitée à nouveau sans perruque pour sauver la mise à
notre historien pour midinettes. Est évoqué le discours « flamboyant »
du corps sans tête, en novembre 1793, apostrophant le caractère impérialiste de
la guerre entre la France et l’Angleterre, seulement ? Et trop tard pour
rattraper le vide argumentaire de notre général en retraite théorique.
La
conclusion, qui se veut fort prétentieusement « théorie générale de la
guerre révolutionnaire » accouche d’une souris aveugle. Camoin veut à tout
prix recoller les morceaux de cette théorie défunte en liant guerre civile intérieure
et guerre extérieure. Et de citer Lénine à témoin. Or Lénine dit tout le
contraire, et l’on mesure que Camoin n’y comprend que pouic. Lénine ne mélange
pas tout lui. Il parle de « guerre défensive », ce qui est évident et
correct du point de vue marxiste : « la France
révolutionnaire se défendait », ajoute-t-il et « Napoléon fît
perdre aux guerres de la France leur caractère défensif pour en faire des
guerres de conquêtes ». Lénine sépare bien les deux types de guerre. En ce
sens il est conforme aux objections de Robespierre contre les
« missionnaires armés » ; on n’impose pas une révolution à la
pointe des baïonnettes. Lénine aurait dû s’en souvenir en 1920 avant d’envoyer
au casse-pipe son armée rouge. Dans mon livre j’avais fourni une remarque
subtile de Bordiga qui permet de mieux comprendre la notion de guerre défensive
qui échappe aux neurones de notre stratège en chambre : « « Réticent tout d’abord à l’égard de toute guerre
des peuples, et après la déclaration contre toute guerre de conquête
territoriale, il trouva dans la fureur de la défense, le levain de la force de
la révolution qui permit d’incroyables victoires contre une foule d’ennemis».
Une
deuxième couche de conclusion s’efforce de prêter une conscience militariste au
peuple : « L’exaltation patriotique servit de comburant aux sentiments
et dispositions révolutionnaires du peuple ». Hélas notre général est un
mauvais instructeur, le vrai carburant de la colère du peuple avaient été les
incessantes guerres des dynasties féodales impavides, et la misère dûe à la
crise économique. Girondins et Brissotins ne font que reprendre l’idéologie
royaliste où la guerre extérieure a toujours été « purificatrice »
des problèmes sociaux internes.
L’espoir
d’un vrai changement social et politique avait été exprimé par le
bouillonnement du peuple, et l’exaltation du patriotisme ne comportait pas de
véritable ingrédient révolutionnaire puisque, assez rapidement, la guerre
extérieure devient but en soi pour profiteurs et hommes en armes. Il n’est pas
question de faire une seule concession au pacifisme mais la possession des
armes n’a jamais été facteur primordial de conscience ni de
« science » politique, et cela RC n’a jamais voulu l’admettre. Son
imaginaire de soldats-citoyens s’effondre avec les soudards de Napoléon. Il
mélange les moments où les bras-nus
agissent et décident comme civils citoyens (et sont combattus par la petite
bourgeoisie robespierriste) et ceux où, sous l’uniforme, ils n’ont plus qu’à
obéir. Il cite à nouveau Lénine qui s’en sortait par une pirouette, après la
guerre révolutionnaire (de défense) du début de la révolution, faisant succéder
la guerre impérialiste napoléonienne… laquelle avait du bon puisqu’elle
suscitait à son tour des « guerres nationales », révolutionnaires à
leur tour. Pas vraiment en général. Beaucoup de zigzags pour rien puisque le
capitalisme se développa surtout par son économie plus que par les coups de
canon et que les libérations nationales ne furent pas la généralité, quand au
seuil du XXe siècle la révolution prolétarienne ne pouvait plus être issue ni
devenir une guerre révolutionnaire.
Citer le
confus Boukharine en fin de compte pour justifier une théorie morte, est
inopérant, et frise l’esquive car, théoricien de la guerre à outrance à
Brest-Litovsk, avant de ranger ses cartouches rhétoriques, Boukharine avait
travaillé pour le grand guerrier Staline, et reconnu son erreur d’avoir
théorisé une version bolchevisée de la guerre sainte. Camoin aurait dû avouer,
logiquement, qu’il se range désormais aux côtés de l’anti-parti Sabatier au
moment du traité de Brest-Litovsk !
La tâche
de renversement violent de l’Etat bourgeois dans tous les pays reste de la
responsabilité du prolétariat DANS tous ces pays et ne se résoudra certainement
pas en termes de stratégie militaire ni en espérant la renaissance d’une armée
rouge même internationaliste chargée de libérer des prolétaires trop faibles
politiquement ou trop peu armés pour le faire. A moins qu’un droit d’ingérence,
du genre de celui invoqué par les impérialismes « humanitaires » ne
fasse partie de l’arsenal fictif du général Camoin. Mais c’est une tout autre
discussion face à la décadence capitaliste et à ses impondérables.
JLR
PS :
RC aurait dû lire plus attentivement Dangeville que je citais longuement. la
« guerre défensive » n’est pas une panacée[6].
Roger Dangeville en a très bien résumé la problématique pour l’époque
moderne:
« … la tendance naturelle d’une nation est de se défendre lorsque
l’ennemi envahit son territoire. Mais, cela ne signifie aucunement que sa cause
devienne juste pour autant. Ce serait rompre avec les critères d’appréciation
marxiste d’une guerre qu’il faut appuyer ou combattre. Les partis
sociaux-démocrates ont utilisé l’argument de la défense du territoire pour
justifier leur politique d’union sacrée avec leur bourgeoisie, de sorte que, dans
chaque camp, la guerre se trouva justifiée. Les marxistes – et Lénine en tête –
ont combattu avec force cette falsification fondamentale des positions
marxistes face à la guerre. Enfin, Marx a montré qu’une guerre
« défensive » (ou mieux une guerre qui trouve l’appui du
prolétariat), ne se caractérise nullement par des critères contingents et liés
au succès des armes – attaque ou défense – mais aux caractères historiques,
économiques, politiques et sociaux de la guerre – et pour autant que ces caractères
durent. Ainsi, la guerre nationale progressive de la Prusse se transforma en
guerre impérialiste, et se heurta dès lors à l’opposition – armée si possible –
du prolétariat. Cela n’a rien à voir avec la guerre défensive au sens de la
défense du territoire envahi : « Kugelmann confond une guerre
défensive avec des opérations militaires défensives. Ainsi donc, si un individu
m’attaque dans la rue, j’ai juste le droit de parer ses coups, et non de le
terrasser, parce que je me transformerais alors en agresseur ! Le manque
de dialectique se lit dans chaque mot que prononcent ces gens ! »[7].
Une autre
précision enfin : « C’est la guerre qui
contraindra les gouvernements à des mesures d’exception contraires aux
principes de 1789 ; c’est de la guerre enfin qu’en 1799 sortira, pour
quinze ans, la dictature napoléonienne »[8].; le boucher
Carrier fût lié aux jusqu’auboutistes hébertistes, petits bourgeois
militaristes qui avaient pour fonds de commerce la terreur à outrance. Avant
cet auteur, Jean-Clément Martin avait remarqué que : « La Vendée est d’abord le
résultat des maladresses, des incompétences, des illusions désastreuses des
républicains, qui n’ont pas voulu comprendre la nature de cette guerre, qui ont
donné la priorité à leurs propres querelles (…) les républicains ne voulurent
jamais reconnaître leurs propres erreurs qu’ils firent de la Vendée cette énigme
contre-révolutionnaire, argument idéologique spécieux, mais qui leur
garantissait l’impunité de leurs fautes et permettait la poursuite d’une
politique aveugle » (cf. La
Vendée et la
France, ed du Seuil, 1987, p.132-133). Les soldats
« bleus » engagés dans les colonnes infernales avaient été nombreux à
dénoncer les exactions, mais la terreur est atténuée en Vendée surtout au
moment de l’élimination de la fraction hébertiste. L’idée révolutionnaire ne
nourrit aucun fanatisme exterminateur,
les généraux tueurs Carrier et Turreau obéissent à une logique d’Etat et
de clan dans les luttes pour le pouvoir à Paris. L’historien américain Timothy
Tackett estime qu’il n’y a pas de lien direct entre révolution et terreur.
[1]
R.C. présente les meilleures références du théoricien en chambre courageux par
ces trois exemples destinés à faire « radical », bave aux lèvres. Rue
Haxo en 1871, épisode lamentable de la populace en furie, exécution de 50
otages plus un fédéré qui avait pris leur défense. Ekaterinburg en 1918, lieu
où toute la famille et le csar, comme il l’appelle avec snobisme, sont
massacrés. Il semble vénérer de bout en bout La Tchéka, que chacun connaît plus
ou moins en oubliant qu’elle fût au début un organe de défense légitime face
aux attentats terroristes des fous anarchistes et populistes va-t-en guerre
après la pause de Brest-Litovsk. RC ne
dit rien, il ne finit ni ses phrases, ni ses affirmations dont on ne sait s’il
approuve ou désapprouve. La lucidité sur des violences ou dérapages inévitables
en période de révolution ne se justifie certainement pas par l’approbation
muette des massacres scandaleux des précédentes. Couper le kiki à Louis XVI en
1793 était compréhensible, exécuter la famille impériale entière en 1918 a
manifesté des traits d’arriération du sol russe, même si je ne plains pas
l’autocrate qui avait envoyé à la mort des millions de prolétaires et de
paysans en buvant tranquillement son thé en 1914.
[2]
Que j’ai démonté dans mon livre « Les avatars du terrorisme », 2011,
ainsi que la déification de la Commune de Paris par tutti quanti gauchiste et
ultra-gauchiste.
[3]
A force d’exalter la révolution française R.C. en vient à minorer l’importance
de la révolution de 1917, la révolution de 1789 est ainsi l’une des plus
grandes révolutions de tous les temps et ne peut-être comparée « qu’avec
Octobre 1917 en Russie, qui, du reste, s’en est approché par maints
côtés ». Du reste ? Par maint
côtés ? Hé hé le jacobin qui sommeille surpasserait-il le léniniste
farouche qui s’éveille en Robert ?
[4] Il a dit mieux encore: « Un homme qui peut marcher au son de la
musique militaire n'a reçu son cerveau que par mégarde; sa moëlle épinière lui
aurait amplement suffi ».
[5] Sous la pression de Staline, Tarlé doit réviser sa copie historique du rôle de Napoléon et glorifier la défense nationale russe. Du patriotisme au nationalisme et même au messianisme, le pas est rapidement franchi. Eugène Tarlé refit son histoire de la guerre napoléonienne (comme il avait refait celle de la guerre de Crimée) : pour la décrire comme une lutte purement nationale et patriotique, un modèle et un précédent, il doit abandonner son analyse marxiste, renoncer à l'analyse de classe qui l'avait conduit à affirmer que Napoléon, en despote bourgeois, avait renoncé à une victoire aux fruits incertains en se refusant à affranchir les serfs. En réécrivant sur commande, tous les éléments émotionnels traditionnels du passé russe sont ressuscités, mis en vedette, développés de façon à mobiliser, à galvaniser la résistance, de préférence aux motifs de classe.
[6]
Ernst Kantorowicz rappelle que : « le but des croisades a le plus
souvent, et toujours dans les premiers temps, été formulé en termes de guerre
défensive, une défense des frères chrétiens et des églises de Terre sainte, et
non présenté comme une guerre d’agression contre les infidèles. » (cf.
p141 de « Mourir pour la patrie »)
[7]
Page 652 des Ecrits militaires, extrait d’une lettre de Marx à Engels, du 17
août 1870.
[8]
Réédition poche Marabout/Hachette 1960, Les révolutions 1789-1848, p.62.
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