Les deux jeunes gens tués vendredi dans un
quartier sensible de Grenoble ont trouvé la mort dans une "bagarre d'une grande banalité",
"ayant tourné à un déchaînement de violences difficilement
explicable", a indiqué samedi le procureur de Grenoble,
Jean-Yves Coquillat, au cours d'une conférence de presse. Ce procureur de Grenoble a écarté la thèse du règlement de
comptes : "on n'est pas du tout dans le contexte qu'on voit parfois de
règlement de comptes, de gangs, les deux victimes n'étaient pas connues des
services de police", a-t-il expliqué. "L'un d'entre eux était
étudiant en master, sa mère est pédiatre. Nous n'avons pas à faire à des
délinquants. On n'est pas du tout dans le cadre de l'appropriation du
territoire ou du trafic de stupéfiants", a-t-il souligné. Les deux
jeunes gens, de 21 et 22 ans, auraient voulu protéger leurs petits frères, à
l'origine d'une altercation survenue à la sortie d'un lycée d'Echirolles, dans
la banlieue grenobloise. "Un mauvais regard" pourrait en être à
l'origine.
Le procureur a qualifié " de "bagarre d’une
grande banalité (sic )" le lâche assassinat à coups de barre de fer, de
battes de baseball et de couteaux des deux jeunes grenoblois, l’un noir et l’autre
d’origine arabe mais bien français dans la mort tous deux (pour moquer le
stupide Zemmour qui voit ce couple arabo-africain comme un danger et une
généralité explicative). Ces victimes sont de jeunes hommes qui ne demandaient
qu’à vivre, aimer et travailler dans ce pays. La banalisation du fonctionnaire
de justice de classe et la dédramatisation des médias ont quelque chose d’hallucinant.
Donc il n’y a rien qu’un mauvais regard…
et au journaliste qui faisait quand même remarquer (mais de quoi il se mêle !)
que « de son temps « (20 ans en arrière précisa-t-il), les mauvais
regards ne se traduisaient pas par des lynchages à armes blanches,
l’observateur des tensions imaginaires (ou d’un nom approchant) répondit en
résumé : et bien aujourd’hui c’est comme ça (!) ; ou quasiment ! L’explication
apaisée et « démineuse » se révélait finalement plus terrifiante que
les plus funestes commentaires : puisque désormais en effet c’est « pour
rien », pour un « mauvais regard » que le simple passant serait
conduit à laisser toute espérance en une vie banale au coin d’une rue aussi
banale ! Hallucinant cette dédramatisation organisée qui va jusqu’à
organiser une « marche blanche » avant toute arrestation ou toute
enquête (comme s’il ne fallait pas déranger les poulagas pendant leur week), ou
comme si la gauche mollasse voulait prévenir une émeute « légitime »
du quartier hébergeant les bandes de tueurs lâches, quoique adolescents
défavorisés !
Ces ados défavorisés,
échoués scolaires des banlieues, ont de la chance de vivre sous le règne de l’arbitraire
bourgeois et policier contre les victimes, en temps de guerre ou de révolution,
ados ou pas, les auteurs d’actes de barbarie sont passés illico par les armes.
On peut argumenter en long et en travers sur « la faute à la société »…
et il y a une faute à la
société car le capitalisme encourage tous les jours le meurtre sous toutes ses
formes. Dès la maternelle, puis à l’école publique, les enfants sont encouragés
à se tuer les uns les autres, c’est à celui qui aura les fringues les plus au
top, qui humiliera celui ou celle qui n’a point les moyens de s’en offrir, qui
le poussera à les lui voler, en frappant fort s’il le faut. L’acquisition des
diplômes est ensuite une distinction qui vous élève en éliminant les autres. Le
sans-diplôme est une merde pour toute sa vie. Le chômeur français aura la haine
pour l’immigré qui a trouvé du travail. Dans tous les pays la hiérarchie en
entreprise pousse de plus en plus de prolétaires à se suicider parce qu’elle
les a décrétés « incompétents » ou à charge. L’assassinat n’est donc
pas du simple domaine du faits divers dramatique, il suinte de cette société
pourrissante qui se soucie plus du manque de réserve en pétrole que du manque d’humanité.
On peut penser au surplus qu’il
y a une croissance de la violence interindividuelle comme jamais, de nos jours.
Signes évidents de décadence générale du capitalisme : l’adolescence est
devenue un « problème à risque » - relayant et dépassant la peur de l’islamisation
générale - avec ces constats de faillite éducationnelle, familiale et sociétale :
décrochage scolaire, retards à l’apprentissage, troubles émotifs,
ultra-violence chez les garçons, détresse psychologique chez les filles, troubles du comportement,
déficits d’attention, déficience intellectuelle légère, comportements
anti-sociaux, appartenance cachée à un gang, drogue et alcool, cruautés
physiques… quand ce n’est qu’une infime minorité qui commet les délits les plus
graves.
Tous ces constats ne
pourront jamais calmer la douleur des proches et parents des victimes, ni la
promesse de la belle société communiste sans violence et pétrie de bonheur pour
quand on sera tous morts…
Et pourtant, si l’on
comprend fondamentalement que le capitalisme décadent – pas en soi par
paupérisation, mais par confusion et incitation au meurtre subliminal dans la
compétition – est responsable des cruautés d’enfants et d’adolescents, et pas
simplement les carences dans l’éducation et la nullité de l’Eduque naze
républicaine, comment ne pas se poser la question des héritages funestes en vue
d’une autre société. Comment ne pas comparer avec les efforts au cours de la
révolution russe, par la nouvelle réorganisation bolchevique, où l’on voit que
l’opposition entre répression aveugle et efforts de réinsertion restent patents.
L’historienne italienne
Dorena Caroli a analysé cette période où les fondateurs de la République des
Soviets envisageaient de donner aux « jeunes
abandonnés » et délinquants un travail pour en faire des « hommes
nouveaux ». L’Etat « ouvrier » mit en place un système de
prévention et de réinsertion en s’appuyant sur un corpus de textes
administratifs imposant des commissions chargées des affaires de mineurs, des
orphelinats, des communautés de travail et divers types de travaux pour
adolescents. Dorena Caroli fait renaître la réalité sociale et institutionnelle
des deux premières décennies de la révolution communiste en Russie, au cours
desquelles la situation des enfants et des adolescents abandonnés a continué de
s’aggraver malgré les tentatives d’une commission centrale pour améliorer leur
vie. Guerre civile, famine, planification économique donnent le cadre de cette
histoire sociale qui s’étend de l’époque de Lénine où primaient l’éducation et
la formation de « l’homme nouveau », jusqu’à la période stalinienne
où la punition des enfants abandonnés (hooligans) a pris le dessus et où,
simultanément le droit pénal a glissé vers le droit administratif policier.
Dorena Caroli commence par
nous apprendre que, selon la légende, Rome et d’autres villes célèbres de l’Antiquité
ont été fondées par des enfants abandonnés selon le rite divin (cf. J.Boswell,
Au bon cœur des inconnus, Les enfants abandonnés de l’Antiquité à la
Renaissance, Gallimard 1988). Ce n’est qu’à la fin du 19e siècle que
les Etats ont commencé à se soucier de ces enfants comme catégorie à risque,
susceptible de menacer l’ordre social de la bourgeoisie et des monarchies. La quantité
d’enfants sans famille augmenta d’une façon catastrophique en Russie à la suite
de 14-18, puis la guerre civile jusqu’en 1920 et par la famine dans le bassin
de la Volga. A la fin de l’année 1920 on comptait plus de deux millions d’enfants
abandonnés… Ce n’était pourtant pas la faute du pouvoir bolchevique, mais cette
masse d’enfants exhibée servit à symboliser l’horreur du bolchevisme pour toute
la bourgeoisie mondiale.
Calqué sur le statut élaboré
avant la révolution par le juge pour enfants de la capitale tsariste en 1913,
le statut bolchevique adopté en 1918 déboucha aussi sur la création, unique en
Europe, d’un « droit de l’enfance », qui regroupait toutes les
branches du droit qui concernaient d’une façon ou d’une autre la condition des
enfants et leur relation avec le milieu environnant : lois concernant la
protection du développement physique, intellectuel, l’éducation à un
comportement social, lois concernant la protection des droits de propriété
ainsi que du travail juvénile. L’effort portait vers une individualisation du
traitement des mineurs, de prévention et de réinsertion, dans un respect de
chacun évitant la politique des cheveux ras ou, comme on pourrait dire, l’obligation
pour tous du col Mao ;
L’amalgame des concepts de
jeune abandonné et jeune délinquant présentait cependant des limites dans la
mesure où sa raison d’être dépendant du succès de la mise en place des réformes
éducationnelles. Au fur et à mesure que la révolution croupissait dans l’isolement
et avec la croissance de l’esprit militariste stalinien, la garantie d’une prise
en charge équitable de tous les enfants et ados dans l’esprit du communisme à
venir, s’est effritée. Les jeunes se mirent à retomber dans la délinquance et
la marginalisation sociale. Dans le premier cas, ils tombaient dans les filets
de la justice, avec de moins en moins d’espoir de se réinsérer ; et dans
le second cas ils devenaient encore plus rétifs à l’organisation de plus en
plus militaire du travail. Ils furent progressivement inclus parmi les « éléments
étrangers », « désorganisateurs » et « ennemis du peuple ».
Il me faudra revenir une autre
fois le parcours d’un éducateur qui m’avait fasciné il y a plus de trente
années : Anton Séménovitch Makarenko (1888-1939). Instituteur à 17 ans, il
grimpera dans la carrière scolaire – directeur d’école puis professeur d’histoire
– mais pour se consacrer après la révolution de 1917 à l’organisation d’une
colonie de réinsertion de mineurs grands délinquants –la « colonie Gorki »
- près de Potlava – qui se constituera malgré des heurts et des rixes. Les « poèmes
pédagogiques » de Makarenko seront connus et admirés dans le monde entier.
Les adolescents de la colonie sont mis devant des responsabilités civiles
réservées d’habitude aux adultes : ils travaillent pour vivre (activité
agricole), gardent les routes et font la police dans leur secteur. Il y aura
jusqu’à 97 jeunes à la fois. Makarenko aura pu continuer son expérience depuis
1920 jusqu’à sa mort en 1939. Il récusait que la situation éducationnelle soit
limitée à la seule relation éducateur-éduqué. Il considérait qu’au départ l’éducation
familiale devait donner les notions de dévouement et de justice, et qu’elle
devait apprendre à l’enfant à avoir conscience de ses responsabilités. L’éducation
au respect des autres commence très tôt : ce qui n’a pas été fait avant
trois ans est difficile à rattraper. Le travail anoblit l’homme, encore faut-il
qu’il ne soit ni contraint ni aliénant. Le jeu permet à l’enfant de pendre
confiance en ses forces. Makarenko pense qu’il faut « être vrai » avec
les jeunes enfants délinquants. L’école est une société en réduction, l’enfant
y est membre d’une communauté où il peut apprendre à se conduire d’une manière
efficace… Mais voilà tout cela n’est pas applicable dans notre société d’injustice
et de loi du plus fort où les profs considèrent leurs élèves comme des « inférieurs »
et les élèves leurs profs comme des flics…
C’était un petit coup de
chapeau aux pionniers d’une société en transition, qui n’efface pas le chagrin
face aux meurtres impunis de Grenoble.
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