LA REVOLUTION SARKOZIENNE
A COMMENCé
(de l’antifascisme de bordel à l’Aiglon II)
« Sans rancune contre aucune individualité, comme contre aucun parti, j’ai laissé arriver aux affaires les hommes d’opinions les plus diverses, mais sans obtenir les heureux résultats que j’attendais de ce rapprochement ».
Louis Napoléon Bonaparte (message du 31 octobre 1849 à l’assemblée législative)
En Angleterre il est de tradition d’offrir le titre de comte aux premiers ministres après leur départ du pouvoir. Près de la moitié des anoblissements décidés entre 1945 et 1986 ont correspondu à des services politiques rendus à l’Etat britannique, des corps de l’élite industrielle aux corps de l’armée et des syndicalistes. Le système de récompenses de la bourgeoisie la plus vieille et encore la plus intelligente du monde ne s’est jamais contenté de congratuler en médailles les élites de la noblesse, de la bourgeoisie d’affaires et sa cour d’universitaires diplômés. Tout homme de quelque extraction qu’il soit, qui se met au service non de son honorable majesté figurante mais des intérêts de la Perfide Albion capitaliste a droit aux honneurs. Cela, les Napoléon I, puis Badinguet et De Gaulle l’ont parfaitement compris. La « révolution thatchérienne » aussi. Le pouvoir d’Etat capitaliste gardera toujours l’aspect dynastique hérité du féodalisme jusqu’à ce qu’on le renverse, si nous sommes capables, avec le prolétariat universel, de ne pas reproduire le même népotisme des Ceaucescu, Brejnev et Cie.
D’abord, il y a ces jours-ci une étonnante naïveté (ou jalousie mal placée des médias aux ordres) à se focaliser sur des querelles entre bourgeois libidineux autour des frasques des Polanski et Fred Mitterrand. Dont nous n’avons rien à foutre, tous les députés vont aux putes, et le viagra est étrangement gratuit pour cette espèce européenne de vieux barbons Cohn-Bendit le lâche et De Villiers le neuneu. La saillie de Mlle Le Pen, assez portée sur la chose de source sûre, a d’ailleurs servi étrangement à provoquer un retournement général (« anti-fasciste » de bordel) en faveur d’un ministre culturel, par ailleurs talentueux et « bonne prise » pour Sarkoléon.
Ensuite, la promotion annoncée d’un gentil petit Dauphin au milieu des requins de l’EPAD (Nanterre la folie financière, principale mafia financière française) a soulevé l’ire de tous les donneurs de leçon de la gauche caviar aux hebdos satiriques bien pensant : quoi ce merdeux sans diplôme serait porté à la tête de cette louable mafia à la place d’un vieux plus expérimenté ! Scandale et boules de gomme. Mais qu’est-ce qu’on s’en tape là aussi.
Journalistes, caricaturistes, politiciens, gauchistes vous prenez donc le prolétariat pour une masse de crétins lobotomisés en focalisant votre lorgnette sur un aspect tout à fait secondaire d’une quelconque promotion au sein de l’oligarchie. Vous croyez que le « vieux » Devedjian était un Monsieur propre ? Du fait de sa longue expérience en barbouzeries ?
Eh bien bernique, cela nous fait plutôt plaisir nous les sans grandes qu’un petit mec, même fils à papa, même marié à une fille de milliardaire, sans diplôme de merde, sans parcours politique électoral notable, sans rond de jambe, soit nominé grand caïd. Les diplômes nous on s’en branle, les parcours initiatiques aussi. Dans toutes les révolutions du passé, bourgeoises ou prolétariennes, se placent à la tête de l’insurrection des « jeunes » sans diplômes, sans médailles, sans passé, sans adoubement par une clique ou un parti. Un bon dictateur « révolutionnaire », s’il veut l’oreille des masses soumises, doit apparaître au-dessus des partis et ferrailler contre eux. Sarkoléon a dû peiner, c’est évident contre les vieux caciques, comme il avait peiné lui-même à supplanter le vieux tordu Pasqua à Neuilly. Tel père tel fils, sauf que, hélas, le blondinet aura besoin sans cesse du père, sauf à le tuer un jour.
Le père aurait tort de se gêner, il sait que non seulement la valeur n’attend pas le nombre des années mais que le système politique bourgeois a besoin de « jeunes ». Nous assistons du même coup sans que vous vous en rendiez compte à une superbe opération anti-Besancenot. Jusque là le postier de nulle part ailleurs était notre seul « jeune » sur les plateaux de télévision. Sarkoléon lui a trouvé un concurrent plus jeune encore !
La « révolution sarkozienne » a commencé. Seul le corrompu Julien Dray a compris la manœuvre en se ralliant à la promo népotiste, histoire de se racheter de son premier refus ministériel. Les méthodes expéditives et peu cavalières de Sarkoléon ne sont pas choquantes, comme au temps du bonapartisme et du gaullisme triomphant ; certes elles indisposent toute l’intelligentsia des refoulés et des mal-aimés, mais pas le peuple en général qui aime bien voir malmené notables et puissants. Les frasques de Rachida Dati, sa morgue et son « cabinet conseils » ne choquent absolument pas les couches de prolétaires immigrés qui y voient une revanche sur les colonisateurs, une reconnaissance et un respect des « quotas » dans la mafia bourgeoise!
LE MODELE DE LA GENTRYFICATION
Les pleureuses du népostisme sarkozien se fichent du monde et de l’histoire de la bourgeoisie. L’histoire de la bourgeoisie montre qu’elle n’est pas une classe figée comme la noblesse, même si elle en conserve les attributs les plus arriérés et les escroqueries. De première ou d’ancienne origine, les familles de la haute bourgeoisie ne sont pas constituées en ploutocratie : par leur mode de vie et leurs stratégies matrimoniales, les formes d’éducation et leurs activités extra-professionnelles, elles participent depuis le 17e siècle au processus de gentryfication (dont j’ai déjà parlé lors de mon voyage à Londres en début d’années). Les représentants de la bourgeoisie ne se trouvent plus depuis belle lurette dans les milieux de la City, mais dans les élites politiques, culturelles, judiciaires, syndicales et gauchistes, sorties du trottoir sociologique. En France, de nombreux liens unissent ces milieux entre eux, Finkielkraut peut boire un thé froid aussi bien avec Mélenchon qu’avec Bernard Thibault. De nombreux membres des couches inférieures peuvent parvenir, par la voie méritocratique, aux strates supérieures du pouvoir, formant à leur tour une couche de provenance privilégiée pour leurs propres descendants. C’est essentiellement dans ces milieux que se recrutent les « hommes nouveaux » (souvenez-vous du fils d’ouvrier Lecanuet !), favorisés par la mobilité sociale ascendante dont les vecteurs privilégiés sont le talent, pas les diplômes, la réussite (réussites industrielles et militaires), ou le sens du pouvoir (politiciens et syndicalistes). Chez ces « upwardly mobile » le critère éducatif a toujours prédominé sur les critères universitaires que seule admire la petite bourgeoisie flouée. Cette couche « d’heureux élus » reste toujours minoritaire mais sa capacité d’intégration au système le renforce et conforte sa légitimité. Cette corrélation entre implication dans l’économie, rôle social et politique, Marx en avait déjà analysé la complexité au milieu du XIXe siècle.
L’HERITAGE DE LA REVOLUTION THATCHERIENNE
En mai 1989, lors du dixième anniversaire de l’accession au pouvoir de Margaret Thatcher, des journalistes s’étaient plu à souligner ses critiques à « l’Establishment ». Thatcher avait porté de sévères critiques à l’ancienne ruling class, accusée d’avoir, par paternalisme et laxisme, affaibli les forces et le prestige du pays. Pourtant Thatcher ne remettait pas en cause la permanence de l’ancienne élite dominante – qui continue en Angleterre comme en France à contrôler les principaux centres vitaux de décision et d’influence - elle représentait une variante « extrémiste » d’un pouvoir se revendiquant de la légitimité démocratique face aux luttes déstabilisantes des ouvriers anglais. Thatcher incarna le « nouvel establishment » bonapartiste qui, par le biais de la philosophie méritocratique et une pédagogie de la réussite « ouverte à tous », valorisait en retour toujours le même gouvernement des élites au sens « aristocratique » : les « meilleurs au pouvoir ». Le « nouvel establishment » mobilisa les ressources de l’Etat corporatif : relais sociaux et associatifs, liens plus étroits avec les appareils syndicaux, etc. Ce type de pouvoir marginalise par contre systématiquement la contre-élite de gauche et ses suiveurs gauchistes. Il évite les rigidités de l’ancien establishment en s’ouvrant systématiquement aux nouveaux « aspirants élitaires ». En valorisant la méritocratie de la compétence dans la procédure d’accès aux fonctions dirigeantes, la nouvelle élite dominante draine de nouvelles recrues tout en échappant à toute contestation de sa légitimité. La circulation rapide et le rajeunissement des élites ridiculisent le pantouflage des hauts fonctionnaires. Le cumul des fonctions au sein du monde des affaires et des politiciens (cf. Dati) et du « directoire culturel » (télévisions, maisons d’édition, grands groupes de presse, etc.) atteste de l’émergence d’une structure élitaire solide et souple. Il s’en est suivi en effet une « révolution financière » au sein de la City qui a ouvert le circuit des capitaux et assuré le succès des privatisations (Sarkoléon tu peux rêver !). Il s’en est suivi aussi un remodelage en profondeur du paysage politique national britannique.
Margaret Thatcher, « femme » venue de la petite bourgeoisie, appuyée par les classes moyennes, les nouveaux cadres et une bonne part de la classe ouvrière, a prouvé la capacité de réenracinement et résistance de la haute bourgeoisie. La Dame de Fer a su allier tradition et modernité, populisme et élitisme, même si, destin tragique, elle a été fort mal récompensée de ses efforts, atteinte finalement de la terrible maladie d’Alzheimer, comme son ami Reagan. Si elle a été virée comme une malpropre, les mécanismes de l’Etat corporatif modernisé auxquels elle a procédé, subsistent : renforcement du rôle de l’Etat et du Premier ministre (en France renforcement de la charge présidentielle), utilisation systématique de la loi et des forces de répression, et surtout recours systématique au relais du pouvoir médiatique. La ruling class britannique confirme qu’il existe bien dans le système élitaire un centre de décision de nature politico-capitaliste, et une périphérie plus composite très servile. Le système parachève sa domination intellectuelle dans le domaine de la culture mais aussi en jouant habilement de la fausse contestation des syndicats et des organismes secondaires de type gauchiste.
EN France UNE COPIE FAIBLE DE L’ORIGINAL…
Tout étudiant de Sciences-Po sait l’intérêt d’étudier les méthodes de pouvoir paternaliste et novateur socialement de Louis-Napoléon Bonaparte, lequel est toujours une source profitable pour tous les aspirants au pouvoir moderne: « La France veut un gouvernement assez juste pour appeler à lui tous les honnêtes gens (sic) quels que soient leurs antécédents politiques, un pouvoir national qui, par sa stabilité et la conscience de sa force, fût exempt de passions, et pût donner protection à tous les partis, sans rien perdre de son caractère populaire » (cf. Des idées napoléoniennes, chap. II). Comme Napoléon III, comme De Gaulle, Sarkoléon se refuse à « inaugurer les chrysanthèmes » (cf. conférence de presse du Général 9 sept 1965), car la fonction qu’il occupe tire incontestablement vers cette tendance somnifère. De Gaulle n’a jamais conduit un coup d’Etat, contrairement aux pleureuses de la gauche molletiste et aux trotskiens d’époque, mais gouverné par une série de coups, plus ou moins heureux, coups de force ou coups de génie, dont Sarkoléon peut raisonnablement s’inspirer. Napoléon comme De Gaulle n’avaient pas d’idéologie propre mais étaient guidés avant tout par le souci de leur destin. Napoléon n’eût qu’un Aiglon de carnaval, et De Gaulle un vulgaire amiral et une pauvre fille trisomique. Ce souci, naturel, de tout dictateur, de pérenniser son sang ne se réalise jamais. Les fils des grands hommes restent en général des incapables ou des tarés. Pourquoi donc s’en faire avec l’Aiglon de Neuilly. Les montagnes n’accouchent jamais que de souris, et celles-ci ont bien le droit de grignoter au fromage généreux de l’Etat bourgeois. Cela, Sarkoléon le sait mieux que ses pires cire-pompes. Il rêve bien entendu comme De Gaulle à sa propre postérité égoïste : « Ce que j’ai fait sera tôt ou tard une source d’ardeur nouvelle après que j’aurai disparu » (Mémoires de Guerre, dernières pages). A condition d’imaginer un romantisme tragique de sa propre fin…
Ou des traversées du désert… en se faisant souffler la place un jour comme De Gaulle. Celui-ci, avec les ordonnances sociales prises aux élections de 1967, avec le référendum préconisé en 1968 puis appliqué en 1969, qui comportaient des ambitions de réformes du salariat et d’introduction au sénat des représentants syndicaux, espéra séduire la gauche pendant que la droite le lâchait. Manque de pot, Mendès-France et le nouveau parti socialiste de Mitterrand rompirent avec le socialisme bourgeois et récupérèrent les aspirations de mai 68 aux lieu et place du Général. Bonapartisme, gaullisme et sarkozysme ne peuvent jamais réussir à acquérir une crédibilité sociale suffisante pour leur permettre de compter sur la neutralité bienveillante de la classe ouvrière.
LA PERSISTANCE DU COURANT LIBERAL DYNASTIQUE
Sous l’Empire comme sous la république gaullienne a toujours existé un courant « libéral dynastique » dont l’appui était indispensable et qui pouvait soit attirer dans la majorité gouvernementale l’opposition libérale conservatrice, soit la rejoindre pour abattre le gouvernement en disposant pour cela de la bienveillante opposition démocrate-socialiste peuplée de francs-maçons. Le poids de ce libéralisme « libéral dynastique » mit fin au bonapartisme comme au gaullisme. Pompidou sût se plier à ce courant après l’élimination du "vieux cacique", ce en quoi il est le vrai maître de Sarkoléon, ce pourquoi le régime actuel lui a rendu un hommage appuyé récemment. Les régimes bonapartistes et gaullistes ne triomphèrent un temps que grâce à la division de la droite et de la gauche bourgeoises, qu’ils avaient successivement éliminés après les avoir courtisés. Badinguet et le Grand Charles tombèrent face à l’union de leurs adversaires au nom de la défense des libertés et du régime parlementaire face au pouvoir personnel et plébiscitaire, en des époques où la France n’était pas une puissance de second ordre ni bousculée par une grave crise systémique…
Eh bien, cher Jean-Louis, tu as bien travaillé... et je me permets de prendre toutes ces références à Napoléon III pour un clin d'oeil personnel...
RépondreSupprimerLa parenté entre bonapartisme et gaullisme est évidente, mais le parallèle entre "Badinguet" et Sarkozy de Nagy-Bocsa me donne quand même envie de vomir... Finalement, on reconnait bien là le lecteur (trop ?) assidu de Karl Marx, lequel n'a pourtant pas dit que des vérités sur le bonapartisme et le Second Empire, loin s'en faut...
Amicalement,
Hyarion.
P.S.: je guette ma boîte à lettres...