La
gauche, en politique, a signifié pendant des décennies le ou les
partis de la classe ouvrière et des opprimés en général. On ne
reviendra pas ici sur ses origines au XIXème siècle et ses
traditions enfuies démocrates et prolétariennes. Au début du XX
ème siècle, rapidement on note la plongée dans l'Union nationale
patriotique de tous les partis socialistes en 1914, puis, malgré
cette trahison de l'internationalisme, une réputation populaire même
après la scission en communiste et socialiste, qui perdurera de
manière générale jusqu'en...1983 dans le cas français, avec le
« tournant de la rigueur », révélation pour beaucoup
que la gauche au pouvoir était équivalente à;la droite bourgeoise.
Entre temps cependant, depuis la guerre, nombre d'ouvriers votant PCF
ont considéré les PS comme des partis de la bourgeoisie, sans
oublier nos minorités maximalistes inconnues du public, gauche
italienne, germano-hollandaise, anti-syndicalistes,
anti-parlementaristes et même les anarchistes. Passons, ce qu'il en
reste c'est une idéologie mêlant ignorance, naïveté et
complicité, mais surtout une promptitude à la trahison, même si on
finit par ne plus trahir ceux qui se sont rendus compte qu'ils ne
faisaient plus partie du même camp sans choisir le camp ennemi d'en
face.
Avant
d'analyser le complicité de la gauche et de l'extrême gauche
bourgeoise (elle aussi même en situation de simple larbin) partons
de ce que je considère comme un fait divers ahurissant au premier
abord mais minable. Une certaine Raquel Garrido, avocate et femme du
bras droit Mélenchon a fait scandale le 13 novembre chez BFM
concernant le massacre au Bataclan, prêtant aux parents des victimes
une étrange faculté de résilience, du genre convivial curé
gauchiste « vous n'aurez pas ma haine » : « Les
familles ont fait des efforts incommensurables pour participer au
procès, pour trouver en eux la force de témoigner, de rendre
hommage à leur mort, de trouver le chemin vers la réconciliation, y
compris avec les terroristes eux-mêmes et les personnes qui sont
poursuivies ».
Si on s'en tient au simple
énoncé, il suffit de pardonner aux terroristes, qui sont aussi des
victimes... n'est-ce pas ? Voire on aurait affaire à une simple
déclaration typique de l'hypocrisie parlementaire. De plus
l'indignation des politiques opposés au petit clan Mélenchon ainsi
que les journalistes n'y voient que du culot ou du fascisme. Sans
compter qu'elle en remet une couche sur sa page en y ajoutant le
fanion national :
« Zemmour
et ses amis, probablement courroucés par un procès des attentats du
13 novembre 2015 qui a donné lieu à des témoignages bouleversants
et à une recherche permanente de justice, d’humanité de paix,
perpétuent l’objectif des terroristes islamistes : la division des
.
En
fait le vrai terroriste n'est-ce pas bien plutôt la marionnette
Zemmour ? Niveau : c'est toi qui l'a dit, c'est toi qui
l'est ! En réalité, sous l'apparente naïveté, c'est la
complicité électorale que vise la mère Garrido. Sachant que dans
la plupart des lycées et réseaux, nombre d'ados imbéciles ont
plutôt bien reçu la nouvelle de la décapitation du prof, que les
musulmans dans leur masse se sont tus comme d'habitude, et que la
gauche de banlieue compte en permanence sur les électeurs musulmans
qui sont emmenés en cars s'inscrire sur les listes électorales. A
travers cette main tendue aux terroristes (qui méritent la
mansuétude... électorale) c'est l'électeur musulman de la gauche
islamiste qui est concerné.
Cette
déclaration est pourtant conforme à tant d'autres plus cyniques
encore du même milieu intellocrate de la gabegie parisienne. Ainsi
le trotsko-stalinien Edwy Plenel dès le 17 janvier, tweetant un
texte publié par Mediapart et intitulé « L'enfance miséreuse
des frères Kouachi » ( ahurissant papier trouvant moult
circonstances atténuantes aux criminels du droit islamique) avec ce
commentaire : « À lire impérativement pour se
ressaisir ».
Ainsi
la veule Virginie Despentes (sans cesse sur la pente) éructant la
même année 2015, sans être poursuivie par la justice démocratique
bourgeoise :
« J'ai
été aussi les gars qui entrent avec leurs armes. Ceux qui venaient
de s'acheter une kalachnikov au marché noir et avaient décidé, à
leur façon, la seule qui leur soit accessible, de mourir debout
plutôt que de vivre à genoux. J'ai aimé aussi ceux-là qui ont
fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur
identité avant de viser au visage. […] Je les ai aimés
jusque dans leur maladresse – quand je les ai vus armes à la main
semer la terreur en hurlant “on a vengé le prophète” et ne
pas trouver le ton juste pour le dire. Du mauvais film d'action, du
mauvais gangsta rap. Jusque dans leur acte héroïque, quelque chose
ne réussissait pas. Il y a eu deux jours comme ça de choc tellement
intense que j'ai plané dans un amour de tous – dans un rayon
puissant. »
En novembre 2017, l'ancien prêt à penser du Monde et de Libération
Plenel avait aussi choisi le camp des assassins islamistes :
« La
une de Charlie Hebdo fait partie d'une
campagne plus générale que l'actuelle direction de Charlie
Hebdo, Monsieur Valls (Manuel, l'ancien Premier ministre,
ndlr) et d'autres, parmi lesquels ceux qui suivent Monsieur Valls,
une gauche égarée, une gauche qui ne sait plus où elle est, alliée
à une droite voire une extrême droite identitaire, trouvent
n'importe quel prétexte, n'importe quelle calomnie, pour en revenir
à leur obsession : la guerre aux musulmans, la diabolisation de tout
ce qui concerne l'islam et les musulmans ».
Pourtant ce sont bien les assassins islamistes qui se chargent de la
sale besogne de tuer des civils innocents (certes trop blancs) et de
...diaboliser l'islam !
Après
l'égorgement de Samuel Paty en 2020, une autre groupie de Mélenchon,
Clémentine hautain, décrit une situation... pré-fasciste :(oui
si l'on considère l'égorgeur comme un islamo-fasciste), mais il
aurait fallu « fermer sa gueule » et se taire comme pour
un deuil ordinaire, pas de haine, restons calmes et rationnels, voire
relationnels :
« Malheureusement,
ne respectant même pas ce temps de deuil, certains – Manuel Valls
en tête – ont préféré les anathèmes et les insultes à la
dignité et à la fraternité. C’est pourtant avec la raison et la
réflexion que nous devons mener le débat sur la stratégie la mieux
à même de combattre le terrorisme se revendiquant de l’islam, et
l’offensive de courants obscurantistes.
Nous
avons besoin de confronter, honnêtement et sereinement, nos analyses
et propositions. Face aux monstres, c’est dans la qualité et la
rationalité de nos échanges que se situe notre force ».
Le
véritable obscurantisme est bien celui qui soutient une religion
obscurantiste qui ne dérange pourtant pas les féministes accros
puisqu'il y aurait liberté de choix. Cette obscurantisme de la
gauche dite insoumise est une tradition de soumission à l'idéologie
trotskienne décomposée et nationaliste qui avait bivouaqué pendant
la guerre d'Algérie. L'idéologie anti-fasciste fût tout au long de
cette sale guerre un moyen d'éviter de penser la réalité de ce qui
se déroulait et révélait surtout la fin de l'impérialisme
français arrogant. Cette idéologie est l'aliment de base, quoique
de plus en plus limité, de la gauche dite « insoumise ».
Des menaces de mort ponctuelles contre Mélenchon et Cie, par
quelques rigolos nommés « vilains fachos » - se
réclamant de Zemmour (encore un moyen de le couler après bien des
tentatives diverses) – ne servent même pas à revaloriser nos
pâles islamo-gauchistes, ni à faire équivaloir aux réelles
menaces musulmaniaques contre la pauvre petite Mila et tant d'autres,
destinés ouvertement sur les réseaux à subir le même sort que
Samuel Paty.
Il
nous faut brièvement rappeler le contexte de la sale guerre où une
partie de la gauche de la gauche s'est démarquée de la « gestion
socialiste » d'époque dans l'espoir de maintenir la
colonisation, attitude ambiguë et de soutien à un camp nationaliste
de la part d'une extrême vgauche en développement au nom d'idéaux
plus chrétiens que marxistes ; position qui permettra, contre
l'éclairage de classe de mai 68, de reconstituer un simili parti
socialiste qui s'imposera durant 20 ans comme meilleur rempart...
contre le fascisme ! Mais aura fini par se décrédibiliser
complètement aux yeux de la classe ouvrière.
NE
PAS LUTTER POUR REMPLACER L'EVANGILE PAR LE CORAN
Ce
soutien à l'islamophilie par les héritiers de la gauche caviar est
une tradition qui n'a rien à voir avec le soutien internationaliste
des communistes et anarchistes aux ouvriers des colonies des années
1920 aux années 1930. Deux guerres mondiales sont passées par là,
et on omet de nous signaler que les dites libérations nationales,
non seulement n'ont rien libéré du tout mais n'ont été que ses
pions entre impérialisme rivaux, ou les activistes nationalistes
dits tiers-mondistes n'ont pas été les acteurs principaux mais des
figurants et des larbins pour maintenir les mêmes inégalités de
classes.
Quelques épisodes d'une ambition nationale tardive et viciée à la
base.
On ne peut oublier qu'au départ, même opportuniste, cette ambition
s'appuie sur une vieille conception « progressiste » du
mouvement ouvrier, mais du 19 ème siècle... L’Etoile Nord
Africaine (ENA) est fondée en 1924 parmi les travailleurs immigrés
algériens sous l’impulsion du PCF suite à une décision du 6ème
comité exécutif de l’Internationale communiste ; elle est la
première organisation à revendiquer l’indépendance pour
l’Algérie. Messali Hadj rejoint l’organisation en 1926, dont il
devient un des principaux dirigeants en développant la revendication
centrale de l’indépendance totale. Cette revendication s’oppose
à celle défendue par la gauche française, sociaux-démocrates et
staliniens, d’une autonomie avec un parlement indigène, ce qui
entraîne la rupture avec le PC « F ». Atteignant
rapidement un grand nombre d’adhérents, l’ENA influence donc des
dizaines de milliers de travailleurs algériens. Si elle est dissoute
par l’Etat français en 1929, ses structures lui permettent de
résister à la répression pour réapparaître en 1933. L’ENA
reste aux côtés de la gauche parlementaire et participe activement
au front anti-fasciste du 12 février 1934.
Le Parti du Peuple Algérien (PPA) est quant à lui fondé le 11 mars
1937 par Messali Hadj en France. Ce nouveau parti maintient la
direction, les structures et les objectifs de l’ENA. Le PPA est
interdit à son tour en 1939 et vingt-huit de ses responsables
arrêtés le 4 octobre. Il reste cependant constitué dans la
clandestinité et refait surface en 1945 à Sétif, lors des
manifestations du 8 mai qui expriment à la fois une défense de la
démocratie et l’aspiration à l’indépendance, et dont la
répression française fait plusieurs dizaines de milliers de morts.
En 1946, Messali Hadj est libéré et créé le Mouvement pour le
triomphe des libertés démocratiques (MTLD) dont la fonction est
d’assurer une existence légale au PPA. Trois courants commencent à
s’afficher au Congrès du MTLD de 1953: le courant centraliste,
composé de la majorité des membres du comité central qui axe sur
la bataille électorale, le courant préfigurateur du FLN, favorable
à l’insurrection immédiate, et le courant messaliste qui,
regroupant la plupart des cadres historiques du mouvement, constitue
une organisation paramilitaire (l’Organisation Spéciale) et
n’exclut plus la lutte armée.
Le Mouvement National Algérien (MNA) est ainsi créé fin novembre
1954, devenant le parti d’avant-garde de la révolution...
nationale. Face à lui vont se dresser les autorités coloniales, le
Front de Libération Nationale (FLN) ainsi que ses alliés en Algérie
et en France, la Ligue arabe et le bloc communiste. De 1954 à 1956,
les militants et dirigeants du MNA participent activement à la
création de l’Armée de Libération Nationale (ALN), créent le
premier syndicat algérien indépendant (L’Union Syndicale des
Travailleurs Algériens), participent à l’internationalisation de
la question algérienne (Conférence de Bandoeng, ONU, etc.) et se
battent pour une Assemblée Constituante Souveraine élue au suffrage
universel par tous les Algériens (Européens, Juifs et Musulmans) en
recherchant toujours l’alliance supposée de la classe ouvrière
française, c'est à dire des intermédiaires félons CGT et PCF.
La
classe ouvrière reste la référence pour le mouvement de libération
nationale. En effet, lors de la grève générale d’août 1953,
Messali Hadj, en résidence surveillée à Niort, lance un appel au
combat uni des travailleurs algériens et des travailleurs français
contre la politique antisociale du gouvernement de l’époque
(Laniel), diffusé parmi des milliers de travailleurs algériens en
France, suivi d’une déclaration de la délégation permanente du
MTLD qui, saluant la classe ouvrière française, exprime sa
satisfaction de la part active prise par les travailleurs algériens
dans les actions menées par les travailleurs français. Le MTLD
demande par ailleurs à tous les Algériens émigrés en France de
continuer à s’associer à toutes les actions engagées pour les
revendications professionnelles pour l’unité la plus complète
avec les ouvriers français.
Malgré
son destin tragique le mouvement de Messali Hadj est honnête et
anticipe le pouvoir stalinien et cruel du FLN ; après
l'assassinat de syndicalistes de son mouvement il déclare:
« Mais il est une forme de paternalisme aussi
pernicieuse que nous rejetons : c’est celle qui consiste à
approuver tout ce que font les nationalistes, quels qu’ils soient,
même si leurs actes visent à des fins et usent de méthodes
anti-démocratiques. Nous ne pouvons pas ne pas crier notre
indignation contre des crimes qui atteignent des hommes aussi
valeureux que Filali Abdellah et ses camarades syndicalistes. Il y va
de cette conception même de la dignité et de la fraternité
humaines. Au surplus, de tels actes portent un tort immense à la
cause algérienne et risquent d’élever un mur d’incompréhension
entre les travailleurs français et algériens. Seuls les
ultra-colonialistes pourront se réjouir de tels actes auxquels sont
supprimés des hommes que la répression n’avait pas abattus. Quant
à ceux, militants et organisations, qui ont toujours eu à cœur de
lutter contre le colonialisme et de manifester leur sympathie au
peuple algérien, il leur importe de crier leur indignation. Le
silence deviendrait complicité ».
La classe ouvrière en France et dans le département algérien est
coincée politiquement et syndicalement dans ces années de braise
entre l'enclume de l'Etat colonial et le marteau national algérien.
Face au complot des généraux à Alger, le gauchisme de l'époque
réactive l'idéologie antifasciste d'une part pour brouiller leur
soutien au nationalisme algérien et sert de force d'appoint à la
bourgeoisie pour pousser les travailleurs à risquer leur vie pour la
démocratie bourgeoise, les appelant à se mobiliser sur leur lieu de
travail : « La constitution d'un parti fasciste de masse
est dans l'air ». Toujours cet imaginaire crétin qui radote
les drames historiques !
Les
chapelles gauchistes ne sont pas unanimes dans l'analyse des
événements de la Toussaint 1954. La Fédération anarchiste a
raison de se contenter d’une position de principe contre la
répression, refusant de soutenir une organisation nationaliste,
renvoyant dos à dos le FLN et l’État français et sommant les
« prolétaires nord-africains » de ne pas lutter « pour
remplacer l’Évangile par le Coran » ,
ce qui se passe réellement déjà en sous-main.
Dans
leur journal Le Libertaire, les militants de la
Fédération communiste libertaire (Georges Fontenis) avait soutenu
pourtant dès le début l’insurrection du FLN. En novembre 1954,
leur journal avait été saisi pour atteinte à la sûreté de
l’Etat, leurs militants condamnés à de lourdes amendes, à des
peines de prison, l’un d’entre aux, Pierre Morain, à un an de
prison ferme, qu’il fera. Daniel Guérin, proche des Communistes
libertaires, avait dénoncé radicalement la colonisation dans un
article des Temps Modernes (n°87, janvier-février 1953),
sous le titre « Pitié pour le Maghreb ». Quant à la
Fédération anarchiste (Maurice Joyeux), elle restait très méfiante
vis-à-vis de tout nationalisme, algérien ou français. Elle les
renvoyait dos à dos, mais en condamnant la répression française.
On pouvait trouveer de semblables réticences chez
d'anciens trotskistes, ceux de Socialisme ou
Barbarie. Tout en soulignant l’importance
de la lutte des Algériens pour l’indépendance, « une
lutte armée compensatrice de l’absence de perspectives
révolutionnaires en France », ils ne
pouvent s’empêcher d’avoir un haut-le-cœur devant les méthodes
de lutte du FLN : terrorisme, liquidation des oppositionnels,
caporalisation des militants de base. On ne trouvait ni le nom de
Claude Lefort, ni celui de Castoriadis au bas du Manifeste dit des
121, du 6 septembre 1960, sur le droit à l’insoumission. Par
contre, Claude Lefort, faisant déjà partie plus de l'intelligentsia
que du militantisme, signait un Appel à l’opinion pour une paix
négociée en Algérie, publié par Combat (6 octobre 1960), avec
Daniel Mayer.
Le
FLN veut s’implanter en métropole, où le MNA est mieux inséré,
et doit pour cela convaincre les nombreux ouvriers algériens qui y
travaillent. La collaboration des trotskiens sera précieuse pour la
diffusion de la propagande nationaliste. Ils s'occupent du tract et
du premier journal du FLN, Résistances algériennes, dont
ils assurent l’impression et la diffusion. Pour la diffusion, les
militants trotskistes déposent les paquets de tracts ou les journaux
chez des commerçants ou des bars « tenus » par le FLN.
Les contacts se font notamment avec un responsable étudiant qui
s’occupe de la presse, Mohammed Harbi, aujourd’hui historien
reconnu, auteur entre autres d’un ouvrage sur le FLN qui fait
référence (je le possède). Très vite les services rendus par
les trotskistes ne se limitent plus aux « publications »
du FLN mais s’y ajoutent la production de faux papiers ou le
transport de documents d’une frontière à l’autre.
Le
grand maître d'oeuvre de l'engagement nationaliste anti-colonial du
trotskisme est le fameux
Pablo (le grec Michel Raptis) qui sera par
la suite une cible polémique constante et acharnée de toutes les
autres factions trotskistes. Tout est bon et justifié pour la
« révolution coloniale . Pour lui, le centre
de la
révolution mondiale est désormais la « révolution
coloniale » et il va consacrer toute son énergie à cette
question. En conformité avec les positions qu’il défend dans sa
propre organisation, Pablo mènera personnellement plusieurs actions
de complicité en marge du soutien « traditionnel »
commun à tous les réseaux de « porteurs de valises ».
Il organise ainsi la création d’une usine d’armes au Maroc et la
fabrication de fausse monnaie pour le FLN, comme s'il avait été un
résistant au nazisme.
LES
PREMIERS COLLABOS DES NATIONALISTES ISLAMISTES
Pablo peut ainsi contourner les réticences de Frank, Maïtan et
dans une moindre mesure Mandel, qui craignent qu’une activité
d’aide au FLN trop soutenue mette en danger ou discrédite le
courant trotskiste, et fasse négliger d’autres priorités... de
classe (sic). Michel Raptis entretient des rapports
chaleureux avec les dirigeants du FLN, rapports qui sont d’ailleurs
réciproques. Il en retire une représentation trop « progressiste »
du FLN, et espère notamment contribuer à la politisation du
mouvement, dans un sens marxiste-léniniste bien entendu, et
éventuellement recruter quelques militants pour la
IVe Internationale dans le cadre du processus soi-disant
révolutionnaire en cours. Il n’est d’ailleurs pas le seul à
partager ces illusions qui sont ceux de beaucoup de militants du
réseau trotskiste. Ce n'est pourtant pas de révolution dont il
s'agit mais plutôt d'un type de guerre locale et terroriste, ou
civils français comme algériens seront victimes de bagarres sans
pitié de clans nationalistes comme des militaires français.
De
mystérieux attentats ont provoqué la mort de divers trafiquants qui
vendaient des armes aux nationalistes algériens. La responsabilité
des services spéciaux français ne fait guère de doute, ce qui
amène à réfléchir ceux qui pourraient être tentés par un
semblable commerce. Des arraisonnements de navires battant pavillon
britannique ou yougoslave, qui transportaient des armes, ont eu lieu
du fait de l’armée française, et l’approvisionnement ne se fait
plus qu’avec difficulté, comme en témoigne Mohammed Harbi. Le FLN
achète donc au Maroc une grande propriété près de Kenitra, avec
des rangées d’orangers qui servent de couverture aux activités
secrètes de l’usine : de l’extérieur tout pourrait laisser
croire à une fabrique de confiture d’oranges. Pablo et un de ses
camarades grecs se chargent d’acheminer des machines (tours,
fraiseuses, raboteuses) par l’intermédiaire de filières depuis
les pays de l’Est (le pays du socialisme...déconcertant). Des
ingénieurs proches de la IVe Internationale sont mis à
contribution. L'emplacement comprend une centaine d’ouvriers
en comptant les gardes qui surveillent l’enceinte fermée de
l’usine. Les ouvriers dorment dans des baraques en planches à
quelques kilomètres de l’usine, et sont transportés sur leur lieu
de travail la nuit dans des camions bâchés. Ils sont enfermés, à
l’écart du monde extérieur, et ont droit à une sortie en camion
tous les deux ou trois mois, pour aller sur une plage. Les
non-Algériens disposent de plus de liberté, et Louis Fontaine
rencontre ainsi régulièrement Pablo à Rabat. L’usine permet la
mise au point de mortiers, de mitraillettes et de grenades. La
qualité de ces armes n’est pas des plus performantes mais le FLN
se flatte de fabriquer ses propres armes pour l’ALN. Pablo se
rendra sur les lieux pour prononcer un discours à l’occasion de la
5 000 ème mitraillette construite. La faiblesse de cet armement
n'est pas la principale cause de la perte de la guerre face à la
France, car c'est sous pression américaine que De Gaulle a dû plier
bagage en fin de compte.
La collaboration honteuse de la bâtarde IVe Internationale, et
notamment de la section française, pour l’usine au Maroc du FLN,
touche à un point sensible de la solidarité avec les Algériens.
Les armes qui sont fabriquées dans cette usine sont vouées à être
utilisées contre des soldats français, et les trotskistes ne
s’embarrassent pas en ce domaine d’hésitations qui ont pu faire
refuser à certains porteurs de valises de transporter des armes
(mais dont la gauche bobo refuse de parler aujourd'hui, glorifiant
plutôt le torve soutien aux présumés « libérateurs «
nationalistes). Le soutien n’est donc pas laconiquement
« humanitaire » ou politique mais prosaïquement
militaire ; il y a là un appui équivalent à celui des
collabos français en 39-45, avec toutes les conséquences qui en
découlent. La responsabilité politique n’est plus la même, et
l’engagement est d’autant plus délicat dans une entreprise où
l’action dite internationaliste est confondue avec celle,
nationaliste et islamiste, du FLN. Si l’on regarde uniquement les
faits, les trotskiens ne sont que des collabos de l'organisation
terroriste du futur pouvoir bourgeois à Alger ! Tant
que les nécessités de la lutte et de la solidarité avec le FLN
seront mises en avant par le combat quotidien et occulteront la
réalité de l’organisation nationaliste, il n’y aura pas de
controverse par rapport au travail collabo effectué. C’est après
l’indépendance que les interrogations se feront pressantes et que
les illusions commenceront à se dissiper sauf chez les anciens
activistes larbins du FLN.
Un
trotskiste nommé Driss aura analysé la supercherie en interne, mais
en vain, décrivant « l’apolitisation des cadres dans leur
majorité » et « l’apolitisation des masses dans leur
totalité ». Cet état de fait engageant directement la
responsabilité du FLN « appareil bureaucratico-administratif,
militaire et policier, se préoccupant du seul encadrement militaire
des masses », dont la « phraséologie pseudo-marxiste,
pseudo-révolutionnaire » s’explique par la « lutte
dans un contexte mondial où la phraséologie “socialiste”
s’était largement épanouie ». Or non seulement la direction
FLN « n’a pas un seul instant mis en pratique son programme
“révolutionnaire” », mais « elle a empêché
directement et indirectement toute politisation des cadres »,
et ce « jusque dans les prisons ». Ben Bella est qualifié
de « Bonaparte en formation » qu’un « concours de
circonstances » qu’il sut « habilement exploiter »
a porté au pouvoir grâce à un « prestige » « auquel
la presse française est loin d’être étrangère » ;
comme l'explique par ailleurs Mohammed Harbi. Driss déplore dans ces
conditions l’attitude « attentiste » des masses. Il
critique également l’ALN, à la « culture politique nulle »
suite aux difficultés du combat mené et de la volonté de la
direction du FLN. Cette armée se comporte selon lui, après la
déclaration d’indépendance, « comme en territoire
conquis », avec un cortège de vols, viols, mariages forcés,
réquisitions diverses, ce qui produit une « coupure entre
l’ALN et le peuple » et une « incapacité de jouer le
rôle révolutionnaire d’encadrement des masses ». Pour lui
cette armée et son commandant en chef, le colonel Boumediène, ne
pourraient s’imposer « que d’une façon putschiste »,
ce qu’il juge néanmoins « peu probable et nullement
souhaitable ». Les seules perspectives qu’il envisage se
situent dans l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens)
malgré la « faiblesse de sa direction et dans
l’opposition » laquelle, malgré ses erreurs, reste le
« secteur le plus à gauche, vers lequel doivent converger tous
[les] efforts d’aide à la Révolution algérienne ». Mais
lui semble « absolument exclue, à court terme, l’issue
socialiste de la Révolution ». Ce rapport aura manifestement
peu d’effets sur la position de la IVe Internationale. Une
résolution de janvier 1963 sur « la phase actuelle de la
révolution algérienne » affirme que « ce processus
pourrait se terminer par l’institution d’un État ouvrier
algérien, fondé sur une alliance entre le prolétariat des villes
et des campagnes et des paysans pauvres, et dirigé par une tendance
marxiste-révolutionnaire ». En résumé le même système
stalinien qui prévalait en Russie, c'est pourquoi je les nomme
trotskiens.
Les
porteurs de valises et la fraction de l’extrême gauche qui a
soutenu le FLN ont mis de côté ces caractéristiques peu
démocratiques, surtout anti-ouvrières du FLN pour privilégier la
lutte de libération effective conduite par l’ancienne secte
nationaliste. La voie du soutien critique a été choisie dans
une période déstabilisante pour les schémas classiques comme
la guerre d’Algérie la critique s’efface devant un soutien qui
correspond aux nécessités écervelées du moment. Les illusions des
trotskistes et particulièrement du fameux Pablo portaient évidemment
sur une surévaluation des possibilités d’une véritable
révolution sociale en Algérie, et sur la possibilité pour cette
révolution de se propager en Europe comme ils ont déliré pareil
par la suite pour Cuba, l'Iran, etc. Sur le plan pratique cette
attitude permettait aussi d'illusionner les peuples coloniaux en vue
d'une présumée libération sociale.
Il
n'y a pas de véritable courant marxiste en Europe pour défendre les
positions luxembourgistes (contre la fable éculée des libérations
nationales) ; Marc Chirik se repose tranquillement au Vénézuela
en attendant la troisième Guerre mondiale. Par contre, dans leur
numéro de janvier-mars 1956, les rédacteurs de Socialisme ou
Barbarie se demandaient si le FLN, « en l’absence de
toute conscience prolétarienne, ne se constituera pas en embryon de
bureaucratie militaire et politique à laquelle seront susceptibles
de se rallier les éléments épars de la couche musulmane
commerçante et intellectuelle ». Un constat qui entraînerait
de nos jours la colère de la secte mélenchonienne !
Maurice Thorez lui, dans un discours pauvrement stalinien prononcé
à Alger le 11 février 1939, parlait de « la nation en
formation », quand un autre chefaillon du PC Léon Feix
renvoyait dos à dos les « nationalistes » qui
considèrent qu’il existe une nation algérienne fondée sur la
race, la religion, et formée avant la conquête française, et les
« colonialistes » qui nient l’existence d’une nation
algérienne. Pour Thorez, « il y a une nation algérienne qui
se constitue dans le mélange de 20 races ». Le PC, aux basques
de De Gaulle, parla évidemment de « complot fasciste » à
propos de la tentative d’insurrection dans le Constantinois, le 8
mai 1945 ; la revue Quatrième Internationale dénonça « la
répression d’une sauvagerie indescriptible » qui fît en
effet de 6 à 8.000 victimes parmi les Arabes, d’après la presse
anglaise (sic), était-il précisé, à Sétif et à Guelma. En 1949,
la presse trotskienne reprendra le chiffre de « 40.000 arabes
massacrés pour venger la mort de 100 européens ». A la
Libération, prenant leurs distances avec un PCF qui affirme que
« l’intérêt des populations d’Afrique du Nord est dans
leur union avec le peuple de France » (L’Humanité
du 27 juin 1945), les trotskiens affirment leur soutien au mot
d’ordre d’indépendance de l’Algérie. Plus tard, ils
dénonceront le statut de 1947 et ses deux collèges, « un
statut mijoté et recuit sous la haute compétence du ministre
socialiste Depreux » (La Vérité n°182, 8 août 1947), de
même que les fraudes électorales organisées par l’administration
coloniale (La Vérité n°278, juillet 1951, sous le titre « Le
truquage électoral en Algérie »).
Loin de la repentance oublieuse de Macron, la guerre civile
algérienne n'est pourtant pas la seule faute à la France, en
évitant de dire l'Etat français de l'époque. Le pire ne se passe
pas en France. Les règlements de compte entre militants du MNA et du
FLN feront plusieurs milliers de morts, dont environ 4.000 en France.
Le massacre dit de Mélouza, où 300 villageois pro-MNA sont
assassinés par le FLN, le 28 mai 1957, et l’assassinat en France
des principaux responsables messalistes, Fillali et Bekhat notamment,
en octobre-novembre 1957, illustrent cette lutte sans merci. Un
certain nombre de personnes s’émeuvent. Robert Barrat condamne ces
méthodes dans La Commune et Alexandre Hébert dans L’Ouest
syndicaliste. Il parle « de méthodes qui dégradent ceux qui
les emploient ». Les rédacteurs de Socialisme ou Barbarie,
s’ils émettent des réserves sur le MNA, ne valident absolument
pas le FLN, « dont il est impossible d’assumer les méthodes
de guerre : le terrorisme aveugle en Algérie, la liquidation
implacable des éléments oppositionnels, le contrôle absolu exercé
par les chefs sur la base militante ».
Dans ses Mémoires, Maurice Rajsfus, ancien trotskyste,
alors permanent à la Fédération nationale des Auberges de Jeunesse
– que j'ai rencontré - raconte comment il a été amené à
organiser la solidarité avec les rappelés en révolte, en octobre
1955. Contacté par deux anciens élèves d’Yvan Craipeau, qui
était instituteur à Taverny, il rassembla un certain nombre de
jeunes militants de la mouvance libertaire, trotskyste ou chrétienne
et organisa – malgré la tentative d’obstruction de deux
staliniens de choc (sic) – un rassemblement de plusieurs milliers
de personnes, se vante-t-il, Boulevard Saint-Michel, le 13 octobre
1955. L’Humanité du 17 octobre 1955 dénonça cette
manifestation organisée par « des éléments policiers,
trotskystes et libertaires » (sic). Et pourtant, ici ou là,
des militants cégétistes et communistes s’étaient solidarisés
avec les rappelés en révolte. Maurice Rajsfus en tira la conclusion
qu’il n’y avait plus désormais place pour une lutte publique,
« l’heure était venue des réseaux de soutien clandestins »,
cet autre façon, « libertaire », de soutenir les
terroristes du FLN.
COMMENT
LES GAUCHISTES TIERS-MONDISTES SONT DEVENUS LES RELAIS D'UN PCF
discrédité
Le 6
septembre 1960 était publié le Manifeste des 121, une pétition
signée par des écrivains, des artistes, des universitaires,
soutenant le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie,
que les intellectuels du PCF avaient été priés par la direction
stalinienne de ne pas signer. Ce fut « une nouvelle étape du
décrochage de l’audience du PCF en milieu étudiant », écrit
Jean-François Sirinelli, et il ajoute : « L’épisode
revivifie, en effet, une extrême gauche au flanc gauche de ce
parti ». Cette « réserve » du PC dans le combat
pour l’indépendance de l’Algérie contribuera à creuser le
fossé entre lui et une fraction de ses militants et surtout de la
jeunesse même ouvrière, prélude à sa marginalisation en mai 1968.
Laurent Schwartz confirme ce constat dans ses Mémoires. Il
y voit lui aussi une conséquence de longue portée : « Le
combat contre la guerre d’Algérie donna naissance à une
indépendance toute nouvelle de l’intelligentsia française
vis-à-vis des communistes, qui aboutit, en 1968, à un divorce ».
Relativisons le vocabulaire de Schwartz, l'intelligentsia française
est toujours restée à la remorque des deux partis embourgeoisés
depuis belle lurette, PS et PCF, mais leurs futures troupes
écolos-bobos, qu'ils auront enfanté, ne parviendront jamais à
occuper une place équivalente ni dans les sondages ni au pouvoir.
Tous
ces auteurs que nous avons consulté s'ils nous permettent de
découvrir plein d'éléments qui confortent notre connaissance de la
supercherie des libérations nationales, n'ont pas une distance
critique sur la collaboration honteuse des trotskiens, porteurs de
valise de base comme conseillers des futurs dictateurs ; en
1980, dans la Casba à Alger, un ancien du FLN, poseur de bombe m'a
dit : « tu sais Jean-Louis, une bourgeoisie a été
remplacée par une autre ».
L'extrême-gauche
en prétendant défendre les peuples opprimés n'a servi que de
sergent recruteur aux nouvelles bourgeoisies
Dans
mon histoire du maximalisme, je décrivais :
« Les
années 1960 en Europe ont vu se développer le gauchisme
tiers-mondiste. Etudiants trotskistes et maoïstes se passionnent
pour le Che en Bolivie comme ils prendront partie systématiquement
aux côtés du bloc russe pour toutes les prétendues libérations
nationales au cours des années post 68. Le seul groupe proche du
maximalisme qui aurait pu contrer cette vogue gauchiste tiersmondiste
a disparu depuis 1963-64, et si S ou B avait encore été présent,
il n’eût pas été capable de dénoncer clairement l’embrigadement
militariste des « peuples de couleur » car, sur le sujet il avait
conservé le socle stalino-trotskiste ; plusieurs anciens militants
se firent d’ailleurs les porteurs de valise du mouvement national
algérien. Le minuscule parti bordiguiste ne se différenciait pas de
cette vogue tiers-mondiste depuis qu’il avait laissé de côté,
dès les années 1950, la position « luxembourgiste » de Bilan. Le
vide théorique de la position maximaliste contre toute illusion sur
les libérations nationales ne sera pas comblé, comme je l’ai déjà
écrit, avant le début des années 1970, c'est-à-dire avec le
regroupement qui allait jeter les bases du CCI. R.Victor est bien
présent à Toulouse depuis 1966 pour continuer ses études, et
M.Chirik vient le rejoindre pour une tournée des popotes
maximalistes en Italie, mais aucun groupe politique consistant n’est
présent dans l’hexagone pour contrer les billevesées gauchistes
et bordiguistes sur « l’émancipation des peuples de couleur »,
gigantesque farce de la dite décolonisation. Tout ce beau monde est
resté ignorant de la présence de l'islamisme dans les partis de
libération nationale ».
L’islam
exerce depuis longtemps une véritable fascination au sein des
mouvements faussement marxistes, d’extrême gauche ou
anticolonialistes. Pendant la guerre d’Algérie, l’avocat de la
militante Djamila Bouhired, Jacques Vergès, déjà vieux routier des
combats anticolonialistes, se convertit à l’islam lorsqu'il se
rapproche du Front de libération nationale. Un peu plus tard, et à
notre époque, aux confins de l’extrême gauche, le terroriste
vénézuelien Illitch Ramirez Sanchez –Carlos– embrassa lui aussi
l’islam. Comment ne pas se rappeler de Roger Garaudy, longtemps
intellectuel catho du PCF, qui se convertit au début des années
1980 à l’islam, sans renoncer à ses convictions staliniennes.
Plus tard, il deviendra l’un des personnages sulfureux du milieu
«révisionniste» dénonçant un complot sioniste qui aurait inventé
la Shoah.
À partir de la
Révolution iranienne de 1979, de surcroît après 1989 et la Chute
du Mur, une partie de l’extrême gauche internationale engagea un
travail d’analyse de l’islamisme aux fins d’une adaptation
stratégique devenue vitale. Les réflexions stratégiques
foisonnèrent sans toutefois rendre crédible une capacité à
critiquer leurs erreurs et surtout leur soutien politique, yeux
fermés, aux camarillas bureaucratiques parvenues au pouvoir.
A
notre époque, feu le chefaillon trotskien Chris
Harman aura été l’artisan principal d'une stratégie
d’alliance au grand jour avec l’islamisme, les autres sectateurs
trotskiens restant dans le flou. Si le Socialist Workers Party ne
comptait que 700 membres, l’entreprise de promotion d’un front
commun avec l’islamisme ira bien au-delà de ses rangs et de ses
relais à l’étranger. Harman faisait le pari pour le moins osé
d’une plasticité de l’islamisme. Il prédisait ainsi des formes
possibles d’évolution progressiste et soulignait le caractère
anti-impérialiste de ces mouvements, affirmant leur compatibilité
avec les mouvements progressistes. Ces efforts culminent avec
l’édition d’un texte intitulé Islamisme
et Révolution par le SWP et ses correspondants français peu
nombreux de « Socialisme par en bas ».
Harman
a été une vedette du mouvement altermondialiste et participa à
l’organisation du Forum social européen dans la capitale
britannique en 2004. De Porto Alegre à Saint-Denis, la question de
l’islam politique va acquérir une place de plus en plus centrale
et l'est restée pour la plupart des sectes trotskiennes et la clique
à Mélenchon, et la plupart des porte-paroles de cette gauche
islamophile, de la gauche caviar aux bobos écolos. Après une visite
à Paris de Tariq Ramadan : L’Humanité
d’alors rapporte les curieux propos de José Bové à propos de
l’islam: «José Bové, porte-parole de la Confédération
paysanne, invite à avancer en identifiant “dans le monde arabe,
dans le monde musulman, des religieux qui, à partir de leur culture,
à partir de leur religion, seraient capables d'élaborer une
véritable théologie de la libération dans l'islam”.»
De
surcroît, la banalisation croissante des insultes telles que «
raciste » ou « fasciste » provient du même vocabulaire du temps
de la guerre d'Algérie, encore sous le coup des affres de 39-45. Ce
sont les deux arguments principaux et simplistes de la nouvelle messe
bourgeoise woke, sachant que e portrait-robot du militant
petit-bourgeois woke prend forme dans les grandes lignes : une femme
entre 18 et 35 ans, diplômée (ou bientôt diplômée), issue d’une
famille aisée, qui a voté pour Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon
à l’élection présidentielle de 2017 et qui déclare aujourd’hui
une proximité politique avec LFI ou EELV. Ce n'est qu'un dérivé,
miteux, de l'antifascisme décalé pendant la guerre d'Algérie.
REJOUER
LA GUERRE D'ALGERIE ?
Tous
ces zozos martiens continuent comme leurs pères des libérations
nationales et de Terra Nova de nier, comme le dit si bien LO, la
capacité de la classe ouvrière à mettre fin à toutes les
oppressions, sexistes comme racistes :
«
Ils ne cherchent d’ailleurs pas à s’adresser aux larges masses
des travailleuses et travailleurs, pourtant la seule force sociale
capable de renverser le système capitaliste qui engendre et alimente
ces oppressions ». C'est ce très bon article de Lutte ouvrière
qui répond aux affabulations intersectionnelles pour ne pas dire
interclassistes, quoique j'ai supprimé le mot militant dans leur
texte, qui signifie plus militaire dans cette secte ouvriériste et
en fin de compte populiste.
« C’est
le cas également en France chez les militantes et militants qui se
réclament d’une approche intersectionnelle. Par exemple Françoise
Vergès, proche du Parti communiste réunionnais, défend un
« féminisme
décolonial »
ayant selon elle pour objectif « la
destruction du racisme, du capitalisme et de l’impérialisme ».
Mais elle ne s’adresse jamais à la classe ouvrière et,
lorsqu’elle parle de l’exploitation des femmes noires dans le
secteur du ménage en France, c’est pour l’opposer au confort des
femmes blanches des classes moyennes. Rokhaya Diallo, journaliste et
universitaire, se dit « féministe
intersectionnelle et décoloniale »
et affirme que « l’antiracisme
ne peut être qu’anticapitaliste »,
mais elle ne fait aucun lien entre anticapitalisme et lutte des
classes et ne situe pas son combat du point de vue du mouvement
ouvrier
L’idée
qu’il faudrait une « convergence des luttes » entre
sexe, classe et race apparaît dans une partie de l’extrême
gauche, parfois sous la forme de la dénonciation du lien entre
patriarcat et capitalisme, mais ce que cela signifie concrètement en
termes de perspectives politiques reste au mieux très flou. Ainsi,
dans un article récemment publié sur le site du NPA, l’autrice,
soucieuse de ne pas apparaître opposée à une idée à la mode dans
la petite bourgeoisie, appelle à concilier marxisme et
intersectionnalité, mais sans aller jusqu’à dire comment ».
« Ainsi,
le fait de voir les femmes d’origine immigrée d’abord comme des
« femmes racisées », et non comme des travailleuses,
conduit certaines excitées, qui s'affirment comme lesbiennes, à
défendre le port du voile islamique. Parce que celui-ci serait plus
souvent porté par des femmes qu’elles qualifient de « non
blanches », il serait raciste de considérer le voile comme un
symbole d’infériorisation des femmes. Les féministes qui s’y
opposent sont ainsi rangées du côté d’un féminisme blanc
néocolonial. Cela revient à jeter aux oubliettes les combats des
femmes de famille musulmane pour ne pas porter le voile, en France et
ailleurs dans le monde, de l’Iran à l’Arabie saoudite ».
« Le
refus de raisonner en termes de classes sociales conduit à des
aberrations, comme la thèse d’un privilège masculin ou d’un
patriarcat indépendant des classes sociales, qui amène à dénoncer
les hommes dans leur ensemble, et non les responsables et
bénéficiaires de l’exploitation. Sur le terrain de la lutte
antiraciste, l’équivalent est le privilège blanc, qui met sur le
même plan les préjugés racistes répandus dans la population et le
racisme systémique de la société capitaliste. La conséquence
sectaire ne peut être que de traiter un ouvrier supposé arcbouté
sur des préjugés machistes ou racistes comme un adversaire, et non
d'agir pour qu’il devienne un frère de combat ».
« Ces
exemples de prises de position montrent qu’il ne suffit pas de
dénoncer les oppressions pour se donner les moyens de les combattre,
ni de se proclamer radical ou antisystème pour l’être. Quand
l’approche intersectionnelle consiste à dire que tous les combats
se valent et que le droit de porter le voile à l’école est un
objectif féministe au même titre que les luttes pour l’égalité
salariale ou le droit à l’avortement, elle conduit en réalité à
des prises de positions communautaristes et réactionnaires, qui
contribuent à diviser les femmes des classes populaires – et les
hommes avec elles. Car c’est la division en classes qui est
fondamentale dans la structuration de la société, et parce que
c’est en s’organisant comme classe que le prolétariat peut
renverser le capitalisme. Reprendre et figer les divisions qui
contribuent à aggraver l’exploitation de tous est un piège ».
Bien
dit !
Le
mouvement ouvrier révolutionnaire a su éviter ce piège durant son
histoire, en effet. Louise Michel écrivait déjà : « Le
sexe fort est tout aussi esclave que le sexe faible, et il ne peut
donner ce qu’il n’a pas lui-même ; toutes les inégalités
tomberont du même coup quand hommes et femmes donneront pour la
lutte décisive.
Sur la question de la conquête du droit de vote pour les femmes,
Rosa Luxemburg écrivait ainsi en 1912 : « Le
suffrage féminin, c’est le but. Mais le mouvement de masse qui
pourra l’obtenir n’est pas que l’affaire des femmes, mais une
préoccupation de classe commune des femmes et des hommes du
prolétariat. Le manque actuel de droits pour les femmes en Allemagne
n’est qu’un maillon de la chaîne qui entrave la vie du peuple
[…]. Le suffrage féminin est une horreur et une abomination pour
l’État capitaliste actuel, parce que derrière lui se tiennent des
millions de femmes qui renforceraient l’ennemi de l’intérieur,
c’est-à-dire la social-démocratie révolutionnaire. S’il
n’était question que du vote des femmes bourgeoises, l’État
capitaliste ne pourrait en attendre rien d’autre qu’un soutien
effectif à la réaction. Nombre de ces femmes bourgeoises qui
agissent comme des lionnes dans la lutte contre les « prérogatives
masculines » marcheraient comme des brebis dociles dans le camp
de la réaction conservatrice et cléricale si elles avaient le droit
de vote. En fait, elles seraient certainement bien plus
réactionnaires que la fraction masculine de leur classe […]. La
lutte de masse en cours pour les droits politiques des femmes est
seulement l’une des expressions et une partie de la lutte générale
du prolétariat pour sa libération. En cela réside sa force et son
avenir […]. En luttant pour le suffrage féminin, nous
rapprocherons aussi l’heure où la société actuelle tombera en
ruines sous les coups de marteau du prolétariat révolutionnaire. »
Le
groupe le plus suiviste, girouette des modernismes bourgeois reste
encore et toujours la filière trotskienne NPA, et au cul du
patronat.
Ils osent écrire :
« Il
faut conserver de l’intersectionnalité l’idée qu’il est
nécessaire de croiser les dominations, qu’on ne peut penser la
classe sans le genre et la race ». Ni orthodoxie ni dissolution
devrait être notre mot d’ordre théorique. Politiquement, dans un
contexte d’attaques sans précédents du gouvernement contre le
prétendu « islamogauchisme » incarné par
l’intersectionnalité, il faut revendiquer à notre compte le terme
d’intersectionnalité, mais en défendant notre propre lecture de
l’intersectionnalité, c’est-à-dire une lecture structurelle et
matérielle, conjuguée à notre stratégie révolutionnaire ».
C'est
la secte anglaise de Harman, dont j'ai parlé plus haut qui a présidé
à la débilité de la branche LCR-NPA, comme s'en moque un auteur :
« Harman
a voulu voir dans l’Islam un potentiel révolutionnaire susceptible
de revivifier en les rajeunissant des organisations d’extrême-gauche
vieillissantes : il avait critiqué la LCR comme étant une
organisation en perte de vitesse composée uniquement de « vieux
Blancs » et ses thèses ont joué un certain rôle dans la
mutation de la LCR en NPA.Pour Harman, l’Islam étant
anti-impérialiste, il possède un potentiel révolutionnaire
intrinsèque et le message de Mahomet peut, selon lui, fournir la
base d’une nouvelle Théologie de la Libération. Il évoque à ce
propos ce qu’il appelle l’Islam des Pauvres, tout en
reconnaissant la nature profondément réactionnaire de l’islamisme.
Sur cette base très oecuménique, le SWP a également soutenu
l’émergence du FIS en Algérie… au nom du juste combat
révolutionnaire contre la dictature du FLN. Bref, il y aurait de
quoi rire, si ce n’était à pleurer. (cf. Michel Delarue,
islamo-gauchisme une maladie sénile du trotskisme, mai 2021).
Le
SWP se revendique toujours de l'imaginaire lutte contre
l’islamophobie, mais son flirt poussé avec des islamistes radicaux
généreusement étiquetés « altermondialistes » comme Tarik
Ramadan, a été de longue date dénoncé à gauche et aussi par
d’autres groupes trotskistes comme LO). Et il semble effectivement
que la manière dont certains des chefs du SWP traitaient les femmes
indociles se rapproche assez de celle de Tarik Ramadan... (Comme tous
les groupuscules trotskistes, le SWP a connu son lot de querelles
internes et divers épisodes de scission, en particulier une
importante hémorragie militante en 2013 suite à une vilaine
histoire de viol d’une militante, comme c'est courant dans les
partis bourgeois) par un cadre du parti, affaire que la direction
avait cherché à étouffer.
Enfin
avant d'en terminer, je vais en référer ici au rapport de
Commission
d'enquête sur la lutte contre les groupuscules du
mercredi 30 janvier 2019, fort intéressante. Gauchistes comme
anarchistes et maximalistes ont toujours tendance à considérer les
députés comme bons à rien ; or il n'en est... rien, comme je
l'ai déjà montré dans mon livre sur le lycée Buffon en 1968. Ils
analysent souvent avec pertinence, même avec un champ historique
large, le jeu politique et l'état et le rôle des minorités
contestataires hors du voyeurisme superficiel des journalistes
« (… ) René
Binet, personnage du trotskisme passé à la Waffen SS et qui sera le
premier théoricien du « grand remplacement », a toujours
essayé d’entraîner des communistes et des trotskistes dans ses
formations. Mais, comme l’observait François Duprat, ceux d’entre
eux qui étaient attirés par le discours social de René Binet
repartaient, effrayés par son racisme démentiel. C’est un
problème pour l’extrême droite française radicale, qui a
toujours cherché à aller s’entendre avec l’extrême gauche ;
cela correspond, comme le dit Pascal Ory, au fantasme de
l’acclimatation du léninisme à droite. L’extrême droite
radicale veut toujours apprendre de l’extrême gauche : ainsi,
le White Power est la réponse au Black Power, et c’est
toujours ainsi que cela fonctionne en France – et cela fonctionne
très mal. Des groupes disent s’être fondés avec de nombreux
militants venant de la gauche mais l’analyse des fichiers des
militants montre que c’est faux, qu’il s’agit, à la base, de
militants d’extrême droite et que ces affirmations sont des
opérations de communication. Les personnages tels que Doriot sont
des cas particuliers.
Ce que l’extrême
droite radicale retient de la guerre d’Algérie, c’est que
lorsque l’on s’entend avec les modérés, on finit en prison
parce qu’ils ne font que des bêtises – par exemple, ils gardent
la liste de toutes les actions menées par l’OAS, assortie du nom
de leurs auteurs afin qu’ils aient une médaille le jour de la
victoire – tout cela à la grande satisfaction des policiers… Á
cela s’ajoute la montée de la pensée ethno-différentialiste, qui
renvoie aux anciens SS : que chacun reste dans sa zone ethnique,
les Arabes chez eux et les Français chez eux. Pour ces raisons, les
radicaux rejettent les références à la guerre d’Algérie. Les
consignes de vocabulaire données par le mouvement Troisième Voie
dans les années 1980 sont de ne parler ni de l’avortement ni de la
guerre d’Algérie ni du négationnisme, toutes références qui
ringardisent et diabolisent l’extrême droite – car c’est chez
les radicaux que s’amorce la fameuse « dédiabolisation ».
La mémoire de la guerre
d’Algérie est donc repliée, assez longtemps, dans les
organisations modérées ou les partis modérés, comme le Front
national. Mais, après les attentats de 2015, un des moments de
radicalisation des membres du groupe OAS, à Marseille, consiste à
assister aux cérémonies de l’Association pour la défense des
intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l’Algérie
française (ADIMAD), une organisation mémorielle modérée de
pieds-noirs, pour leur faire comprendre que la France serait dans une
troisième mi-temps de la guerre d’Algérie. Et quand on demande à
M. Nisin, en garde à vue, pourquoi avoir choisi « OAS »
pour dénommer son groupe, il répond : « Quel meilleur
nom possible quand il s’agit de provoquer la remigration des Arabes
par la terreur ? Si l’on fait un certain nombre de massacres,
ils penseront “la valise ou le cercueilˮ »… On reprend
donc tout le vocabulaire de la guerre d’Algérie, mais il faut
dissocier la manière dont la mémoire de cette guerre a été portée
avant et après le basculement de 2015.
La localisation de
l’extrême droite sur le territoire est un sujet complexe. Je
pourrais vous dire qu’elle recouvre la carte de l’immigration
algérienne depuis le début des années 1970, ou celle de la
désindustrialisation. Je pourrais vous dire aussi que dans le Nord
et le Sud-Est de la France, le coefficient de Gini, mesure du degré
d’inégalité au sein d’une population, est très important –
et notre ami Joël Gombin vous a sans doute expliqué le lien qu’il
établit entre la répartition de la richesse sur le territoire et le
vote extrémiste. Tous ces facteurs sont justes. En Bretagne et dans
le territoire nantais, existe une radicalité endogène classique.
Pour le couloir rhodanien, les choses s’expliquent plus
difficilement. J’ai étudié la territorialisation de ces groupes
sur la base de fichiers de militants et de documents des services de
police des années 1930 à nos jours, et je n’ai pas encore trouvé
l’élément d’explication déterminant. J’observe que la carte
publiée par Le Monde des radicalisés d’autres
segments politiques que ceux que j’étudie n’est pas très
éloignée de la mienne. Il y aurait donc un travail à faire à ce
sujet, que j’aimerais bien faire, mais cela supposerait que j’aie
des camarades avec moi.
La
dimension antisémite à quoi aboutit l'islamo-gauchisme...
Pour ce qui est de la
relation entre AFO et l’OAS, j’ai étudié longtemps une
librairie en ligne aux thématiques intéressantes. On y trouvait des
livres sur l’OAS ; ils étaient plutôt destinés à un
lectorat âgé qui a connu la guerre d’Algérie. Chez les jeunes,
ces idées sont plutôt du passé, parce qu’une bonne partie de la
jeunesse militante radicale se place sur le créneau
ethno-différentialiste – chacun chez soi, Dieu pour tous et
surtout pas de métissage. Ce site nationaliste révolutionnaire
proposait peu de livres sur la geste de l’OAS mais beaucoup
d’ouvrages sur la libération nationale. Des livres de militants
anticolonialistes ou décolonialistes sont cités et vendus, car la
logique de ces éléments radicaux, c’est qu’il faut se
débarrasser du « système », entendez l’axe
américano-sioniste, avec une Europe indépendante des deux blocs, et
surtout des États-Unis et d’Israël. En résumé, le rapport à
l’OAS est toujours très bizarre et dépend des milieux et des
tranches d’âge.
Dans le GUD de deuxième
génération, celui des années 1980, qui scandait « À Paris
comme à Gaza, intifada ! », le discours était certes fasciste
pour certains mais pour d’autres il était ouvertement néo-nazi.
C’était l’expression de la vieille alliance nationaliste
révolutionnaire et même nazie avec le monde arabe contre Israël et
ses alliés. Le discours était donc à la fois nationaliste
révolutionnaire et néonazi. Le Bastion social est issu de cette
matrice fasciste et néofasciste, influencée par la République de
Salo, sociale, très violente et antisémite. Pour le Bastion social,
c’est le côté contre-culturel qui est très important et doit
être pris en compte : ils ont copié les Italiens de CasaPound
avec des groupes de rock, ils ont un côté sympathique et la volonté
d’attirer des jeunes. L’aspect social de leur action est sincère,
mais pour « les nôtres », pas pour « les autres »,
selon le slogan identitaire.
A
cette question du Figaro posée à un de ses journalistes catalogué
à droite : « Benjamin Stora s’est vu confier par
Emmanuel Macron une mission sur «la mémoire de la colonisation et
de la guerre d’Algérie», ce choix vous semble-t-il judicieux?
Jean Sévilla répond assez judicieusement selon moi :
« Ce n’est pas, me
semble-t-il, le meilleur choix, même s’il n’est pas surprenant
si l’on se souvient des différentes prises de position du chef de
l’État à ce sujet: Emmanuel Macron avait en effet qualifié la
colonisation de «crime contre l’humanité» lorsqu’il était
candidat ; puis, comme président, il a ouvert la voie à une
démarche pratiquement expiatoire. Il partage donc la même vision
que Benjamin Stora de la présence française en Algérie: cet
historien est en effet une figure officielle dans les cercles
bien-pensants.
Ce
qui fait de lui un historien, non pas des mémoires, mais de la
mémoire algérienne de la guerre d’Algérie ; et non un historien
impartial ayant une égale connaissance des deux camps ou même des
querelles internes à ces deux camps. C’est en cela que Benjamin
Stora ne me paraît pas l’homme idoine car son approche est trop
ignorante de la mémoire européenne, de celle des Harkis… Il n’a
pas suffisamment une vision d’ensemble: sa vision est partielle,
donc partiale.
Concrètement,
il apparaît par exemple étrangement compréhensif à l’égard du
FLN, justifiant le choix de la «lutte armée» (que je qualifierais
pour ma part de «terroriste»). Ce faisant, il légitime des faits
dont l’on connaît pourtant la gravité: le FLN a posé des bombes
au milieu des civils à Alger, commis des meurtres, des attentats et
des enlèvements… Benjamin Stora est très silencieux sur tous ces
agissements. Entre mars et l’été 1962, le FLN a enlevé de
nombreux Européens afin de semer la terreur et les faire fuit, là
encore, comme sur le massacre des Harkis, Benjamin Stora est d’une
grande discrétion.
Il y a eu des exactions commises dans
les deux camps, mais l’on ne peut pas se contenter d’une lecture
hémiplégique de cette histoire. D’autant qu’implicitement, la
mission confiée à Benjamin Stora paraît laisser entendre que la
France est de toute façon coupable, et qu’il y aurait aujourd’hui
encore des tabous: les actes de torture commis par certains soldats
français sont aujourd’hui assez bien connus, mais les vrais tabous
ne sont pas forcément là où l’on croit ».
Pierre-André
Taguieff, catalogué hors système, revient longuement sur la formule
« islamo-gauchisme » qu'il a lancée au début des années
2000.
« Il
dresse un parallèle entre ce militantisme et l'islamo-nazisme des
années 1930 et 1940, s'interroge sur la transformation, disons, pour
simplifier, qu'il y a, d'un côté, des islamo-révolutionnaires de
droite et, de l'autre, des islamo-révolutionnaires de gauche. Dans
la terminologie que je propose, les premiers sont des islamo-nazis ou
des islamo-fascistes stricto sensu, les seconds des
islamo-gauchistes, catégorie générale comprenant plusieurs
variantes historiques (islamo-communisme, islamo-tiers-mondisme,
islamo-altermondialisme, islamo-décolonialisme).
On
connaît les motivations "anti-impérialistes" des
islamistes qui, dans les années trente et au cours de la Seconde
Guerre mondiale, se sont alliés avec les nazis ou les fascistes
italiens. Il s'agissait pour eux de lutter le plus efficacement
possible contre l'Empire britannique, l'Empire français, le sionisme
et le communisme. Mais l'antisémitisme a joué le rôle d'un combat
fédérateur, en particulier dans l'alliance, nouée dès le
printemps 1933, entre les nazis et les islamo-nationalistes
palestiniens, sous la haute direction du "Grand Mufti" de
Jérusalem, Haj Amin al-Husseini, antijuif forcené. Le 7 octobre
1944, en Bosnie, devant une soixantaine d'imams de la 13e division de
la Waffen-SS, dite "Handschar" ("Poignard"),
al-Husseini déclare : "L'islam et le national-socialisme sont
très proches l'un de l'autre dans leur combat contre la juiverie.
Presque un tiers du Coran traite des Juifs.
Dans
les discours de propagande islamo-gauchistes contemporains, on
retrouve les thématiques anti-impérialiste et antisioniste, mais
l'ennemi principal est l'Occident capitaliste, colonialiste et
"raciste", le racisme étant un attribut des seuls "Blancs"
et le "racisme systémique" le propre des "sociétés
blanches". Tel est le dogme fondamental des idéologues
décoloniaux et identitaires qui se réclament de l'"antiracisme
politique", antiracisme hémiplégique masquant un racisme
anti-Blancs non assumé. Au cours des années 2005-2010, la figure de
la victime va être progressivement occupée par le Musulman ».
En
première conclusion, l'engagement politique des « islamophobes »
et des « islamophiles » comme les petits personnages qui
ont choisi de collaborer pendant la Seconde Guerre mondiale, le font
par arrivisme ; ce fut aussi le cas, et cela l'est toujours
concernant la collaboration syndicale.
En deuxième conclusion :
les groupes politiques contestataires et minoritaires sont sans
illusion sur leur capacité à parvenir au pouvoir. Gauchistes et
Mélenchon, participent surtout de la marginalisation de la classe
ouvrière en particulier avec l'utilisation et la soi-disant
persécution de l'islam. En vérité ils se complaisent dans le
confort de l’opposition sociale ou politique et refusent d’entrer
dans le jeu des coalitions électorales ou parlementaires – c’était
le cas, à certains moments de leur histoire, du socialisme, du
soi-disant communisme ou du gaullisme ; c’est le cas
aujourd’hui, toujours en France, des groupes gauchistes et
« insoumis », en particulier avec le charivari de
l’élection présidentielle. Ces formations peuvent ainsi, comme
par effet pervers, contribuer à renforcer le système, assurer, par
leur seule présence dans la compétition électorale et
parlementaire, une fonction tribunitienne d’intégration des
groupes apparemment exclus ou diabolisés.
NOTES