"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

vendredi 25 avril 2025

QUI PEUT CROIRE A LA RELIGION ?



Par le divin Marquis de Sade

La Vérité dérangeante du troublant Marquis...

Priez mes chers frères en communisme pour que les médias de la terre entière cessent de nous emmerder avec le passif de ce pape guérillero-populiste (ex-souteneur de la mafia Peron). Levez les yeux au ciel du divin Marquis. C'est cet écrivain de génie, jacobin et libertaire, qui a écrit les pages les plus insolentes, les plus vraies contre le charlatanisme religieux. A mes yeux personne n'est allé aussi loin dans la moquerie mais surtout, eh oui, sur un plan rationnel et scientifique alors que Darwin n'était pas encore né !

Écrite par Donatien Alphonse François de Sade, ‘La Vérité’ est une puissante déclaration poétique sur la révolte contre les dogmes religieux. Au cœur de cette œuvre, Sade se livre à une critique acerbe et résolument moderne de la religion, la qualifiant d’imposture et exaltant les plaisirs de la nature. Cette poésie s’inscrit dans un contexte historique où la pensée philosophique du siècle des Lumières remet en question les croyances établies, fait aussi de Sade un des penseurs « éclairant » de l'émancipation de l'infamie religieuse. Il est, paradoxalement, quoique handicapé par sa réputation d'auteur licencieux, un véritable révolutionnaire en son temps, anticipant Darwin, et plus encore aujourd'hui avec cette incroyable régression religieuse qui envahit le monde entier, avec l'islam conquérant et cette bigoterie catholique écrasante.En vérité Sade est au-dessus de toutes les aliénations. Il utilise le libertinage comme un moyen de critiquer la société et de défendre une liberté individuelle sans limites. On lira ici l'admirable poème « la vérité »,

et, par après 

la critique la plus impitoyable ayant jamais existé de la religion depuis l 'ouvrage « Justine ou les malheurs de la vertu » dont Apollinaire a sorti de l'oubli en 1909 les meilleures pages, surtout celles où la religion est ridiculisée. Je me flatte de posséder le livre original du génial Apollinaire : « L'oeuvre du marquis », bibliothèque des curieux.


Quelle est cette chimère impuissante et stérile,
Cette divinité que prêche à l’imbécile
Un ramas odieux de prêtres imposteurs ?
Veulent-ils me placer parmi leurs sectateurs ?
Ah ! jamais, je le jure, et je tiendrai parole,
Jamais cette bizarre et dégoûtante idole,
Cet enfant de délire et de dérision
Ne fera sur mon cœur la moindre impression.
Content et glorieux de mon épicurisme,
Je prétends expirer au sein de l’athéisme

Et que l’infâme
Dieu dont on veut m’alarmer
Ne soit conçu par moi que pour le blasphémer
Oui, vaine illusion, mon âme te déteste.
Et pour t’en mieux convaincre ici je le proteste.
Je voudrais qu’un moment tu pusses exister
Pour jouir du plaisir de te mieux insulter.
Quel est-il en effet ce fantôme exécrable.
Ce jean-foutre de
Dieu, cet être épouvantable
Que rien n’offre aux regards ni ne montre à l’esprit,
Que l’insensé redoute et dont le sage rit.
Que rien ne peint aux sens, que nul ne peut comprendre,
Dont le culte sauvage en tous temps fit répandre
Plus de sang que la guerre ou
Thémis en courroux’
Ne purent en mille ans en verser parmi nous »?
J’ai beau l’analyser, ce gredin déifique,
J’ai beau l’étudier, mon œil philosophique
Ne voit dans ce motif de vos religions
Qu’un assemblage impur de contradictions
Qui cède à l’examen sitôt qu’on l’envisage.
Qu’on insulte à plaisir, qu’on brave, qu’on outrage,
Produit par la frayeur, enfanté par l’espoir »,
Que jamais notre esprit ne saurait concevoir.
Devenant tour à tour, aux mains de qui l’érigé.
Un objet de terreur, de joie ou de vertige
Que l’adroit imposteur qui l’annonce aux humains
Fait régner comme il veut sur nos tristes destins,
Qu’il peint tantôt méchant et tantôt débonnaire.
Tantôt nous massacrant, ou nous servant de père,
En lui prêtant toujours, d’après ses passions,
Ses mœurs, son caractère et ses opinions :
Ou la main qui pardonne ou celle qui nous perce.
Le voilà, ce sot
Dieu dont le prêtre nous berce.
Mais de quel droit celui que le mensonge astreint
Prétend-il me soumettre à l’erreur qui l’atteint ?
Ai-je besoin du Dieu que ma sagesse abjure
Pour me rendre raison des lois de la nature ?
En elle tout se meut, et son sein créateur
Agit à tout instant sans l’aide d’un moteur ».

À ce double embarras gagné-je quelque chose ?

Ce Dieu, de l’univers démontre-t-il la cause?
S’il crée, il est créé, et me voilà toujours
Incertain, comme avant, d’adopter son recours.
Fuis, fuis loin de mon cœur, infernale imposture;
Cède, en disparaissant, aux lois de la nature :
Elle seule a tout fait, tu n’es que le néant
Dont sa main nous sortit un jour en nous créant.
Evanouis-toi donc, exécrable chimère !
Fuis loin de ces climats, abandonne la terre
Où tu ne verras plus que des cœurs endurcis
Au jargon mensonger de tes piteux amis !
Quant à moi, j’en conviens, l’horreur que je te porte
Est à la fois si juste, et si grande, et si forte,
Qu’avec plaisir,

Dieu vit-il, avec tranquillité ?
Que dis-je ? avec transport, même avec volupté.
Je serais ton bourreau, si ta frêle existence
Pouvait offrir un point à ma sombre vengeance.
Et mon bras avec charme irait jusqu’à ton cœur
De mon aversion te prouver la rigueur^.
Mais ce serait en vain que l’on voudrait t’atteindre,
Et ton essence échappe à qui veut la contraindre.
Ne pouvant t’écraser, du moins, chez les mortels.
Je voudrais renverser tes dangereux autels

Et démontrer à ceux qu’un Dieu captive encore
Que ce lâche avorton que leur faiblesse adore
N’est pas fait pour poser un terme aux passions.
Ô mouvement sacrés, fières impressions.
Soyez à tout jamais l’objet de nos hommages.
Les seuls qu’on puisse offrir au culte des vrais sages,
Les seuls en tous les temps qui délectent leur cœur,
Les seuls que la nature offre à notre bonheur !
Cédons à leur empire, et que leur violence,
Subjuguant nos esprits sans nulle résistance,
Nous fasse impunément des lois de nos plaisirs :
Ce que leur voix prescrit suffit à nos désirs’.
Quel que soit le désordre où leur organe entraîne,
Nous devons leur céder sans remords et sans peine.
Et, sans scruter nos lois ni consulter nos mœurs,
Nous livrer ardemment à toutes les erreurs
Que toujours par leurs mains nous dicta la nature.
Ne respectons jamais que son divin murmure ;
Ce que nos vaines lois frappent en tous pays
Est ce qui pour ses plans eut toujours plus de prix.
Ce qui parait à l’homme une affreuse injustice
N’est sur nous que l’effet de sa main corruptrice,
Et quand, d’après nos mœurs, nous craignons de faillir,
Nous ne réussissons qu’à la mieux accueillir ».
Ces douces actions que vous nommez des crimes,
Ces excès que les sots croient illégitimes.
Ne sont que les écarts qui plaisent à ses yeux,
Les vices, les penchants qui la délectent mieux;
Ce qu’elle grave en nous n’est jamais que sublime ;
En conseillant l’horreur, elle offre la victime :
Frappons-la sans frémir, et ne craignons jamais
D’avoir, en lui cédant, commis quelques forfaits.
Examinons la foudre en ses mains sanguinaires :
Elle éclate au hasard, et les fils, et les pères.
Les temples, les bordels, les dévots, les bandits,
Tout plaît à la nature : il lui faut des délits.
Nous la servons de même en commettant le crime :
Plus notre main l’étend et plus elle l’estime ».
Usons des droits puissants qu’elle exerce sur nous
En nous livrant sans cesse aux plus monstrueux goûts* :
Aucun n’est défendu par ses lois homicides,
Et l’inceste, et le viol, le vol, les parricides,
Les plaisirs de Sodome et les jeux de Sapho,


Tout ce qui nuit à l’homme ou le plonge au tombeau,
N’est, soyons-en certains, qu’un moyen de lui plaire.
En renversant les dieux, dérobons leur tonnerre
Et détruisons avec ce foudre étincelant
Tout ce qui nous déplaît dans un monde effrayant.
N’épargnons rien surtout : que ses scélératesses
Servent d’exemple en tout à nos noires prouesses.
Il n’est rien de sacré : tout dans cet univers
Doit plier sous le joug de nos fougueux travers « .
Plus nous multiplierons, varierons l’infamie,
Mieux nous la sentirons dans notre âme affermie,
Doublant, encourageant nos cyniques essais,
Pas à pas chaque jour nous conduire aux forfaits.

Après les plus beaux ans si sa voix nous rappelle,
En nous moquant des dieux retournons auprès d’elle :
Pour nous récompenser son creuset nous attend;
Ce que prit son pouvoir, son besoin nous le rend.
Là tout se reproduit, là tout se régénère ;
Des grands et des petits la putain est la mère,
Et nous sommes toujours aussi chers à ses yeux,
Monstres et scélérats que bons et vertueux.


QUI PEUT CROIRE A LA RELIGION ?


Eh bien ! S'il est démontré que l'homme ne doit son existence qu'aux plans irrésistibles de la nature ; s'il est prouvé qu'aussi ancien sur ce globe que le globe lui-même, il n'est, comme le chêne, comme le lion, comme les minéraux qui se trouvent dans les entrailles de ce globe, qu'une production nécessitée par l'existence du globe et qui ne doit la sienne à qui que ce soit ; s'il est démontré que ce dieu, que les sots regardent comme auteur et fabriquateur unique de tout ce que nous voyons, n 'est que le nec plus ultra de la raison humaine, que le fantôme créé à l'instant où cette raison ne voit plus rien, afin d'aider à ses opérations ; s'il est prouvé que l'existence de ce dieu est impossible et que la nature , toujours en mouvement, tient d'elle-même ce qu'il plaît aux sots de lui donner gratuitement ; s'il est certain qu'à supposer que cet être inerte existât, ce serait assurément le plus ridicule de tous les êtres, puisqu'il n'aurait servi qu'un seul jour, et que depuis des millions de siècles il serait dans une inaction méprisable ; qu'à supposer qu'il existât comme les religions nous le peignent, ce serait assurément le plus détestable des êtres, puisqu'il permettrait le mal sur la terre, tandis que sa toute puissance pourrait l'empêcher ; si, dis-je, tout cela se trouvait prouvé comme cela l'est incontestablement, croiriez-vous alors, Eugénie, que la pitié qui lierait l'homme à ce créateur imbécile, insuffisant, féroce et méprisable fût une vertu bien nécessaire ?

(…)

Il faut avoir perdu le sens pour y croire. Fruit de la frayeur des uns et de la faiblesse des autres, cet abominable fantôme, Eugénie, est inutile au système de la terre ; il y nuirait infailliblement puisque ses volontés qui devraient être justes, n pourraient jamais s'allier avec les injustices essentielles aux lois de la nature ; qu'il devrait constamment vouloir le bien, et que la nature ne doit le désirer qu'en compensation du mal qui sert à ses lois (merde aux bobos écolos) ; qu'il faudrait qu'il agit toujours, et que la nature dont cette action perpétuelle est une des lois, ne pourrait que se trouver en concurrence et en opposition perpétuelle avec lui.

Mais, dira-t-on à cela, dieu et la nature sont la même chose. Ne serait-ce pas une absurdité ? La chose créée ne peut être égale à l'être créant ; est-il possible que la montre soit l'horloger ? Eh bien, continuera-t-on, la nature n'est rien, c'est dieu qui est tout. Autre bêtise ! Il y a nécessairement deux choses dans l'univers : l'agent créateur et l'individu créé. Or, quel est cet agent créateur ? Voilà la seule difficulté qu'il faut résoudre ; c'est la seule question à laquelle il faille répondre. Si la matière agit, se meut par des combinaisons qui nous sont inconnues ; si le mouvement est inhérent à la matière, si elle seule enfin peut, en raison de son énergie, créer, produire, conserver, maintenir,, balancer dans des plaines immenses de l'espace tous les globes dont la vue nous surprend et dont la marche uniforme, invariable, nous remplit de respect et d'admiration, quel sera le besoin alors de chercher un agent étranger à tout cela, puisque cette faculté active se trouve essentiellement dans la nature elle-même, qui n'est autre chose que la matière en action ?

Votre chimère éclaircira-t-elle quelque chose/ J e défie qu'on puisse me le prouver. A supposer que je me trompe sur les facultés internes de la matière, je n'ai devant moi qu'une difficulté. Que faites-vous en m'offrant votre dieu ? Vous m'en donnez une de plus. Et comment voulez-vous que j'admette, pour cause de ce que je ne comprends pas, quelque chose que je comprends encore moins ? Sera-ce au moyen des dogmes de la religion chrétienne que j'examinerai...que je représenterai votre effroyable dieu ? Voyons un peu comme me le peint

Que vois-je dans le culte de ce dieu infâme, si ce n'est un être inconséquent et barbare, créant aujourd'hui un monde de la construction duquel il se repent demain ? Qu'y vois-je ? Qu'un être faible qui ne peut jamais faire prendre à l'homme le plis qu'il voudrait ! Cette créature, quoique émanée de lui, le domine ; elle peut l'offenser et mériter par là des supplices éternels ! Quel être faible que ce dieu-là ! Il a pu créer tout ce que nous voyons et il lui est impossible de former un homme à sa guise.

(…)

Qu'imagine alors, selon vous, l'horrible dieu que vous prêchez ? Il n'a qu'n fils, un fils unique, qu'il ne possède de je ne sais quel commerce ; car comme l'homme fout (verbe foutre), il a voulu que son dieu foutît également ; il détache du ciel cette respectable portion de lui-même. On s'imagine peut-être que c'est sur des rayons célestes, au milieu du cortège des anges, à la vue de l'univers entier, que cette sublime créature va paraître...pas un mot ; c'est dans le sein d'une putain juive, c'est au milieu d'une étable à cochons que s'annonce le dieu qui vient sauver la terre ! Voilà une digne extraction qu'on lui prête ? Mais son honorable mission nous dédommagera-t-elle

(…)

C'est pour nous sauver tous, assure l'imbécile, qu'il a pris chair, quoique dieu, dans le sein d'une enfant des hommes ; et les miracles éclatants qu'on va lui voir opérer en convaincront bientôt l'univers ! Dans un souper d'ivrognes, en effet, le fourbe change, à ce qu'on dit, l'eau en vin ; dans un un désert ils nourrit quelques scélérats avec des provisions cachées que ses sectateurs préparèrent ; un de ses camarades fait le mort, notre imposteur le ressuscite ; il se transporte en montagne...

(…) Il n'écrit rien, vu son ignorance ; parle fort peu, vu sa bêtise ; fait encore moins, vu sa faiblesse, et lassant à la fin les magistrats impatientés par ses discours séditieux, quoique fort rares, le charlatan se fait mettre en croix, après avoir assuré les gredins qui le suivent que chaque fois qu'ils l'invoqueront il descendra vers eux pour s'en faire manger. On le supplicie, il se laisse faire. Monsieur son papa, ce dieu sublime dont il ose dire qu'il descend, ne lui donne pas le moindre secours, et voilà le coquin traité comme le dernier des scélérats, dont il était si digne d'être le chef... »


Je ne peux citer ici tous les pages flamboyantes et démystificatrices de la religion, aussi précipitez-vous, pour les plus curieux et intelligents, dans la première librairie ou amazone pour commander cette Justine irrévérencieuse dans une belle langue française.

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lundi 21 avril 2025

QUI AVAIT PEUR DE JACQUES CAMATTE ?



(texte intégral et mauvaise traduction de l'espagnol, à lire ici : “Qui a peur de Jacques Camatte” - des nouvelles du front (dndf.org) je découpe de grands extraits car la logorrhée et les explications économico-politiques et modernistes de l'auteur sont lourdingues et peu accessibles au commun des lecteurs, dont moi. L'historique est intéressant au niveau informationnel, et on n'épiloguera pas sur la rupture de Camatte avec le marxisme et ses fréquentations avec les minables du modernisme;(marais de l'extrême droite à la cousin ou les rigolos d'Italie) ce père du wokisme.


    Débuts de Jacques Camatte dans la Gauche Communiste Italienne et premiers travaux. Rupture avec le PCInt. Le point de départ de Camatte est le Parti Communiste International (PCInt), héritier du Parti Communiste Italien original, et expulsé de l’Internationale Communiste vers 1928. La biographie de Jacques Camatte est, quant à elle, très lacunaire : il aura réussi à devenir bien plus « anti-spectaculaire » que Guy Debord, par exemple. Camatte est né non loin de Marseille en 1935, exerçant en tant que professeur des Sciences de la Vie et de la Terre dans le sud de la France (Toulon, Brignoles, puis Rodez) jusqu’en 1967. Son parcours militant débute en 1953 avec son adhésion à la Fraction Française de la Gauche Communiste Internationale (FFGCI) au sein du groupe de Marseille en 1953. Quelques années après, il fait la connaissance de A. Bordiga (décédé en 1970) à Naples qu’il consultera à maintes reprises lors de l’élaboration de ses premiers textes.En 1957, le groupe français de la Gauche Communiste Internationale se lance dans la publication de la revue Programme Communiste, sous la direction de Suzanne Voute —germaniste et traductrice en collaboration avec Maximilien Rubel d’une grande partie de l’œuvre de Marx pour Gallimard et La Pléiade — quittant Paris pour s’installer dans le sud et prendre la direction du groupe. Voute a, selon toute apparence, une grande influence sur la personne de Jacques Camatte (il ne serait pas farfelu de penser qu’il a appris l’Allemand avec elle).

    Suzanne Voute avait préalablement animé la Fraction Française de la Gauche Communiste Internationale jusqu’en 1949-1950, date à laquelle son compagnon, l’ex-membre du POUM, Albert Masó (« Véga »), entraîna avec lui vers Socialisme ou Barbarie (« S. ou. B ») l’immense majorité des membres de la FFGCI. Tout au long de l’année 1950, et jusqu’à l’été de cette même année, S. Voute s’était entretenue avec Cornélius Castoriadis de « S. ou. B » en vue d’une éventuelle fusion des deux groupes. (En 1951, Voute fonda le groupe français de la Gauche Communiste Internationale.)À partir de 1961, Camatte semble jouer un rôle de plus en plus important au PCInt, et il entame un véritable échange intellectuel très enrichissant avec Amadeo Bordiga. Origine et fonction de la forme parti (1961), par exemple, est un texte interne au PCI —écrit conjointement avec Roger Dangeville— dont la publication a dû être imposée par Bordiga lui-même, vus les remous suscités par ce texte au sein du parti.En 1963 Camatte fonde le « groupe de Toulon », mais l’année suivante il le quitte pour se rendre à Paris, où il entreprend de s’opposer à ce qu’il qualifie d’ « activisme trotskiste » : cartes du parti, réunions formelles présidées par un «responsable du parti », activités d’agitation autour de la vente du journal Le Prolétaire et pour un syndicat de classe « rouge », etc.

En 1964 la polémique s’intensifie, car à ce moment-là certains membres du PCInt considèrent que celui-ci devait intervenir plus activement dans les luttes qui se succédaient en Italie depuis 1962, et que la raison de l’incapacité du parti à s’insérer dans ces luttes résidait dans son mode d’existence, dans sa forme d’organisation. Ils proposent d’abandonner le centralisme organique —fondé sur la priorité de la défense du programme communiste, et l’absorption spontanée des fractions par-dessus les mécanismes démocratiques— au profit du centralisme démocratique léniniste.

Cependant, à la même date, lors de la réunion de Florence, Bordiga réagit énergiquement contre cette tendance, et cite, à cette occasion, entre autres, Origine et fonction de la forme parti, ce qui manifeste son accord avec ce texte, et encourage ceux qui entendent poursuivre la tâche entreprise avec lui sur cette lancée.

C’est également à cette date (1964) que Camatte s’attelle à une étude sur le VI° chapitre inédit du Capital et l’œuvre économique de Karl Marx, plus connu comme Capital et Gemeiwesen, —travail très apprécié de Bordiga—, dans laquelle est développée l’idée du passage de « la domination formelle à la domination réelle du capital ». Ce travail achevé en 1966 (l’année même que Camatte abandonne le PCInt), est publié seulement en 1968, dans le N° 2 d’Invariance.

Au cours de la réunion de Naples en juillet 1965, Bordiga persiste à rejeter le « centralisme démocratique », ainsi que toute mesure d’exclusion à l’encontre de Camatte, mais ne fait plus aucune référence à Origine et fonction… parmi le matériel destiné à commenter les thèses générales ; ainsi donc, Bordiga commence à reculer, en lâchant du lest à la tendance néo-léniniste et trotskisante qui s’imposera toujours davantage.

La trajectoire de Camatte au PCInt prend fin en 1966 après avoir signé le texte « Bilan » (rédigé par Roger Dangeville), la rupture devient inévitable. Suzanne Voute est, dès lors l’une des plus acharnées à demander l’exclusion de Camatte et de Dangeville, allant jusqu’à faire pression sur Bordiga. Celui-ci rejeta par principe toute « chasse aux sorcières ». La rupture ne fut pas « amicale » : Camatte, dépositaire en France des publications du PCInt dut se barricader chez lui pour pouvoir les conserver. Cependant, il décide de détruire tous les exemplaires, y compris les siens propres, dans lesquels ne paraissent pas des articles de Bordiga, selon lui afin de montrer «qu’il n’était pas un universitaire[1]».

Camatte résume ainsi sa relation avec Bordiga dans « Du parti-communauté à la communauté humaine », (1974): « Ce petit historique était nécessaire pour faire comprendre l’accord qu’il put y avoir avec A. Bordiga, sur la question du parti, ainsi que ses limites. Origine et fonction est en quelque sorte un texte charnière parce que beaucoup de polémiques s’articulèrent autour de lui (tous les éléments qui sortirent du pci, après 1962, l’attaquèrent toujours violemment) et parce qu’il est le point de départ d’un dépassement qui s’est déroulé avec le travail exposé dans la revue Invariance; parce qu’à cause aussi de l’opposition qu’il suscita, il provoqua le renforcement de la composante léniniste, avec exaltation du lien à la IIIème internationale de la part de A. Bordiga, mais surtout du PCInt qui, après 1966, s’immerge totalement dans le courant léniniste et perd toute originalité. »

Bref résume de Origine et fonction afin de caractériser le « bordiguisme »

Dans Origine et fonction… Camatte décrit les traits les plus caractéristiques de la Gauche Communiste Italienne afin la présenter dans son originalité et la séparer du léninisme et du trotskisme. La Gauche Communiste Italienne est un groupe des survivants du naufrage de la GC, qui s’était distinguée —conjointement avec les communistes de gauche germano-hollandaise, avec lesquels elle partageaient seulement l’antiparlementarisme de principe— car stigmatisées par Lénine dans son fameux pamphlet de 1920 Le gauchisme, maladie infantile du communisme. Toutefois, à la différence des germano-hollandais, les communistes de gauche italiens demeureront dans la IC jusqu’en 1928. D’après Origine et fonction, les traits principaux de la Gauche Communiste Italienne sont les suivants :

La « théorie du prolétariat », surgissant une fois pour toutes en 1848 qui était censée anticiper tout ce que celui-ci devait faire afin de se constituer en classe et devenir le sujet de l’histoire avant de s’abolir lui-même et d’accéder au communisme. Selon la Gauche Communiste Italienne, la crise, basée sur la théorie de la valeur —qui représente le trait d’union avec la théorie du prolétariat— détruirait l’intégration du prolétariat dans la société bourgeoise, et permettrait la rencontre de celui-ci avec sa conscience, incarnée dans le parti[2].

En tant que dépositaire du programme communiste, le parti n’est pas seulement le représentant du prolétariat, mais aussi la « préfiguration de la société communiste » c’est-à dire de la Gemeinwesen, la future communauté humaine. Le parti ne pouvait pas être défini par des règles bureaucratiques, mais par son être, et cet être résidait en son programme. Le parti était dit « formel », ou « historique », ce dernier vainqueur de la révolution communiste, ne s’identifie pas nécessairement avec un quelconque parti « réellement existant » pour l’heure.

Le parti se définissait comme un organe de la classe, qui naissait —ou se reformait— spontanément lorsque la lutte de classe prenait de l’ampleur. Cette conception tente de dépasser l’opposition léniniste-trotskiste entre spontanéité et conscience. Ni l’organisation n’était considérée comme le mal, ni la spontanéité comme le bien, car cette dernière finit toujours par être absorbée par la stabilisation des rapports sociaux.

En dernier lieu, le marxisme se définissait comme théorie des contre-révolutions, puisque selon le texte de Bordiga daté de 1951 intitulé Leçons des contre-révolutions, « tout le monde sait s’orienter à l’heure de la victoire, mais peu sont ceux qui savent le faire lorsque la déroute arrive, se complique et persiste. » Il était impossible de prétendre à l’action sans avoir préalablement défini la phase historique : révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, de reprise ou de repli ; c’est pourquoi dans une période contre-révolutionnaire —par exemple avant mai 68— les internationalistes devaient éviter le piège de l’activisme et de l’immédiatisme et se concentrer sur le développement du programme et la critique de l’économie politique. […] C’est pourquoi, l’erreur de Trotsky, selon la Gauche Communiste Italienne, était d’avoir refusé de faire un bilan permettant de préparer le second assaut révolutionnaire, au lieu d’expliquer les raisons de la défaite par la trahison des chefs, les crimes de Staline, la passivité des masses, la mauvaise application des consignes, etc. […] Dans « La révolution communiste : thèses de travail », texte de Camatte en 1969, celui-ci résume ainsi la question : « La force de ce mouvement était d’avoir compris qu’il fallait battre en retraite. »

  1. Invariance: la rupture théorique Camatte fonde la revue Invariance en 1967, prenant progressivement ses distances d’abord par rapport au bordiguisme, puis au marxisme classique, pour en arriver à une rupture totale qui est allée en se vérifiant série après série. Il y a eu cinq séries : I (1967-1969), II (1971-1975), III (1975-1983), IV (1986-1996), et la dernière V (1997-2002). Il est possible de diviser ses apports en deux aspects principaux (ce qui a permis de se réclamer de l’un ou de l’autre de ces aspects, en ignorant ou en rejetant le reste).a) Sauvetage de la « part maudite » du communisme

« La rupture de la continuité organisationnelle impose une étude théorique plus exhaustif, une rectitude encore plus grande et un enracinement dans le passé plus profond, une intégration de tous les courants, qui, même partiellement, défendent la théorie du prolétariat. » (« La révolution communiste : thèses de travail », 1969)

Non seulement Camatte se voua à sauver des textes importants de la Gauche Communiste Italienne, mais il tira également de l’oubli les gauches germano-hollandaise, anglaise et étatsunienne: les deux premiers n° de la série I étaient respectivement consacrés à Origine et fonction de la forme-parti et à Capital et Gemeinwesen. (Les n° 3, 4, et 5 furent consacrés intégralement à la publication de textes de Bordiga, à l’exception des « Gloses critiques marginales à l’article “ Le roi de Prusse et la réforme sociale ” »  de K. Marx, incluses à la fin du n°5, et dont nous reparlerons à propos de l’Espagne et du groupe Etcétera.) Les thèses du n° 6 d’Invariance sont consacrées à la publication d’un essai monographique, « La révolution communiste : thèses de travail » (1969), qui devaient être illustrées par des textes provenant de diverses tendances du mouvement ouvrier, c’est ainsi que dans les n° 7 et 8 de la première série furent publiés des textes de Gorter, Pannekoek, Sylvia Pankhurst, Lukács, les communistes de gauche étatsuniens, du KAPD et de la revue Bilan. Enfin, les n° 9 et 10 de la première série renouvelèrent la publication des textes de Amadeo Bordiga. Le n° 5 de la Série II publia le texte de Gorter « L’Internationale Communiste Ouvrière » (1923), et dans le n° 6 de la même série le « Manifeste du Groupe ouvrier du Parti communiste Russe » (1923) de Miasnikov.

Tout cela dans une période de temps très brève, puisque la série II d’Invariance prend fin en 1975, et que le gros de ces publications et de ces traductions furent réalisées avant 1971. Furent aussi traduits plusieurs textes classiques de jeunesse de Marx, tel que « Sur la Question Juive », « Critique de la Philosophie de l’État de Hegel » — de fait, les « Gloses marginales…» avaient été traduites en France dans les années 20, et il n’y eut aucune autre traduction avant celle de J. Camatte.

(…)

Phénoménologie du racket politique

Dans la fameuse texte/lettre de 1969, «De l’organisation », Camatte après avoir caractérisé la bande délinquante comme résultat de la contention de l’instinct élémentaire de révolte dans sa forme immédiate, note que la bande politique, prétend, au surplus, transformer sa communauté illusoire en modèle pour toute la société, et que son acharnement consiste à « faire cadrer la réalité avec son concept d’où toute la sophistique au sujet du décalage entre moments objectifs et moments subjectifs » et que « Tout mouvement immédiat qui ne reconnaît pas cette conscience (et tout racket politique prétend être le lieu conscientiel véritable) est condamné. La condamnation se double de justification : caractère prématuré, impatience de ceux qui se sont révoltés, manque de maturité, provocation de la classe dominante ».

Vision des luttes du moment (68 long)

Selon Jacques Camatte, Mai 68 ne fut pas une surprise ; « non qu’on l’eut prévu en totalité, mais on s’attendait à un phénomène révolutionnaire […]. On avait analysé la révolution en domination formelle du capital, on espérait voir celle en domination réelle qui ne pourrait pas lui ressembler. En conséquence, si on n’avait pas été capable de la décrire on avait pensé i’ inévitabilité de son originalité. » (« Vers la communauté humaine », 1976)

Dans ce texte il ajoute ceci : « le plus important c’est qu’on avait affaire à un mouvement révolutionnaire qui ne posait pas une détermination classiste, qui manifestait donc bien l’exigence indiquée dans Origine et fonction de la forme parti: une révolution à un titre humain. […] » (« Vers la communauté humaine », 1976)

D’autre part, Camatte soutient que Mai 68 ne fut pas la révolution, mais son émergence : « Le mouvement de Mai […] signifiait la fin de la phase de contre-révolution. » (« Mai–Juin 1968 : Théorie et action », 1968)

Il reconnaît, une fois de plus dans « Vers la communauté humaine » (1976) « il y a un certain retour à la théorie marxiste, une purge limitée des tares lénino-trotskystes qui lui furent appliquées, mais il n’y a aucun mouvement prolétarien même de faible amplitude qui vienne prendre en charge ce que A. Bordiga appelait l’œuvre de restauration et d’affirmation de la théorie […] »

Et en dernier lieu, il met en contraste les limites du Mai français, centrées autour de la revendication de la démocratique directe, avec ce que Camatte considère comme le mouvement le plus avancé de l’époque. Ceci est un aspect que l’on n’a pas l’habitude de mettre au premier plan : une des choses qui firent le plus d’impressions sur Camatte, et qui brouillèrent les calculs théoriques de Bordiga et Cie. au sujet du retour de la révolution, qui selon leurs attentes devaient intervenir avec une réunification allemande, ou en tous cas, de l’Est, non des USA. Ce qui surprend vraiment Camatte c’est le mouvement du prolétariat noir étatsunien, et probablement cela est au fondement de ses nombreuses théorisations du moment.

« Par là, [Mai 68] il est en retrait sur le mouvement prolétarien noir aux USA. Au sein de ce dernier, certains élément ont compris la nécessité de rejeter une fois pour toutes la démocratie. » (« Mai–Juin 1968 : Théorie et action », 1968)

***

Ceci, qui est fondamental, est relié dans le texte « Le KAPD et le mouvement prolétarien » (1971) avec le thème de « la classe universelle » :

« La dissolution de la société est désormais en acte aux E.U. L’unité du prolétariat classe universelle ne peut s’y actualiser qu’à la suite d’une lutte tenace, décidée, sans compromis, contre le capital et dans une certaine mesure à travers une lutte au sein de la classe universelle elle-même. Il n’y a pas à revendiquer la reformation du prolétariat classique, ce qui équivaudrait à vouloir restaurer le passé comme l’on comprit certains révolutionnaires noirs américains (Boggs par exemple).»

(…)

Comme prévisible, l’abandon de la théorie du prolétariat se traduisit par un virage à 180° dans la direction prise par la revue. Dans les « Thèses provisoires », (1973) signale déjà que « l’affirmation de la dimension biologique de la révolution etc., conduisirent les camarades produisant Invariance à essayer de préciser et d’exposer une certaine représentation positive du devenir de l’humanité, de la venue de la révolution […] et l’on constatait l’immensité des sujets qui inévitablement se présentaient à nous. »


Répercussion directe de l’œuvre de Jacques Camatte

En France : Il y a une influence claire et importante de J. Camatte sur « l’ultragauche » (fr. dans le texte) post 1968 en général, à travers la publication des textes des classiques maudits de la gauche communiste, sur La Vieille Taupe, Le Mouvement Communiste, Dauvé —avec certaines spécificités que nous examinerons plus loin— sur des groupes tels que Négation, Le Voyou, Les Amis de 4 Millions de Jeunes Travailleurs (influence plus marginale, ce dernier groupe fut en effet plus influencé par Dauvé et l’IS) ; on ne peut également pas comprendre la crise d’ICO sans l’influence d’Invariance sur Dauvé et d’autres. En général —chose rarement mise en relief— à partir de 68, tout le courant autogestionnaire (ou de « gestion ouvrière ») basée sur les théories de « S.ou B. » [Socialisme ou barbarie] entre en crise, et ce fut précisément alors que les anciens de « S. ou B. », Castoriadis, Lyotard, Lefort débutèrent leur carrière de stars intellectuelles.

En Italie : Invariance influença des groupes et des individus minoritaires mais significatifs, qui critiquaient les limites des conseils en tant qu’idéologie opérante, dans une large mesure car les staliniens et gauchistes (opéraistes inclus ) ne les laissaient pas intervenir dans les assemblées. Parmi ceux-ci, l’Organisation Conseilliste de Turin, ou le groupe « Ludd », formé en 1969 à partir d’éléments d’origine anarchistes en majorité, dissout en 1971.

En Grande Bretagne, à partir de 1975 le groupe Solidarity entre en crise prolongée. C’est de cette année là que date le « texte perdu » “The illusions of Solidarity”[18] publié seulement en 2011, œuvre de David Brown, membre de Solidarity qui traduisit un bon nombre de textes de Camatte en anglais, et fit une critique approfondie de ce groupe qui disparaîtra l’an suivant (1976), bien que son agonie se prolongea un peu encore.

En Espagne? L’influence la plus perceptible s’exerça sur le Movimiento Ibérico de Liberación (MIL), au travers de la librairie La Vieille Taupe (« lettre de la Vieille Taupe au MIL », Paris, 8 février 1971 ) où l’on peut lire ceci : « Généralement notre opinion se trouve exprimée dans les textes [Cahiers ] Spartacus que nous vous avons donné : ceux de Guillaume et Barrot dans le Kautsky, le prologue au texte de R. Luxembourg autour des grèves en Belgique, et tous les Invariance. Ces écrits suivent notre évolution et nous sommes d’accord avec eux, à exception de certains points qui demandent des précisions et des critiques, puisque Invariance comprend deux sortes de textes

1) Textes classiques et historiques du mouvement bordiguiste.
2)Textes rédigés par les personnes qui publient 
Invariance.

Dans ces textes importants et enrichissants, nous avons trouvé des points inacceptables —léninisme, date de la Révolution, etc.— . Nous pensons que le numéro 3 d’Invariance (Théorie du Prolétariat) est particulièrement important. Faites-nous savoir ce que vous en pensez. »

On peut donc supposer que les gens de La Vieille Taupe n’étaient pas en complet accord avec certains textes de Camatte en 1971, alors que Camatte n’avait pas encore abandonné la théorie du prolétariat, ni rien de tel). 

PS: j'ai su qu'il avait apprécié certains de mes livres et bien rigolé à la lecture de mon Précis de communisation, ignoré par les intellectuels crétins du CCIE.