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dimanche 14 janvier 2024

L'immigré fataliste et sa religion policière


"La révolution ne viendra pas de l'immigration". Marc Chirik


 Lorsque que j'ai publié en 2012 mon 20ème ou 26ème livre - Immigration et religion - en pleine périodes d'attentas islamiques, j'avais préféré ce titre, plus neutre, que celui qui préside à ces bonnes feuilles. Je ne dispose pas de protections policières. Dans l'ensemble, par son contenu, ce livre est resté ignoré et s'est peu vendu. Je ne suis pas du genre à pleurnicher ni à me vanter mais, le relisant je suis estomaqué de sa profondeur et de son actualité.  La gauche bourgeoise fait beaucoup de bruit contre un projet de loi qui ne changera rien au bordel migratoire, odieux surtout en ce qu'il ne régularise pas les honnêtes travailleurs ne les distinguant des aventuriers et parasites sociaux, et c'est du vent; les notions de gauche et de droite ne veulent plus rien dire de clair. 

Pour le peu qu'il me reste à vivre, j'aurai tenté de mon mieux à discréditer les mystifications qui veulent régir tous les troupeaux de moutons.Tant pis je n'aurai pas bossé pour la gloire mais pour l'histoire de la lutte des classes. Voici un extrait du chapitre 3.

Chapitre 3

PROLETARIAT ET DIVISIONS ETHNICO-RELIGIEUSES

« On arrivera peut-être à détruire méthodiquement l’arabe de l’Algérie par des moyens analogues à ceux employés par les américains pour exterminer les peaux-rouges ; mais, ce qui me semble absolument certain, c’est que l’européen ne réussira
jamais à se l’assimiler ».

Marc Chirik en 1947

Gustave Le Bon

« Le succès du processus d’intégration est justement de cesser 

de parler d’intégration ».

Tariq Ramadan

« Le multiculturalisme conduit au ghetto »

Elie Barnavi


L’immigration et le vrai prolétariat

Excepté dans les grandes aires géographiques comme la Chine ou l’Inde, dans les pays dits développés à l’époque moderne, la classe ouvrière ne provient plus pour l’essentiel de la paysannerie, comme dans les pays à économie faible d’Afrique ou du Moyen Orient. Elle provient de la scolarisation de la jeunesse en général. C’est aussi une caractéristique récente de l’immigration de laisser place de plus en plus à une main d’œuvre qui n’est plus illettrée, dont une partie est constituée d’étudiants motivés qui veulent acquérir une formation avant de partir ailleurs. Ce ne sont pas ces immigrés, petits bourgeois vaillants et opiniâtres – qui ont les moyens de payer très cher leurs études (dans le cadre huppé de l’Université britannique au reste) - qui posent problème mais les enfants de la génération immigrée précédente, installée en France depuis au moins deux générations, qui estiment que tout leur est dû car ils sont « français » mais, largués du système scolaire, voient avec répugnance la « condition ouvrière ». Ils considèrent leurs pères comme des has been, vulgum pecus vaincus des trente glorieuses post coloniales. Jadis, la représentation du père comme celui qui gagnait son pain à la sueur de son front et rentrait front haut à la maison en période de grève ou pour avoir tenu tête aux porions, procurait fierté et sentiment d’appartenance à une classe, et volonté de reprendre le flambeau.

L’immigration s’est toujours développée de manière heurtée, suivant les besoins en main d’œuvre des cycles de développement ou de crise du capitalisme. Les premières générations ne posaient aucun problème dans l’industrie ni dans la vie civile. Le développement inégal de l’industrialisation de la planète, favorisé par les pillages des colonisations, qui avait laissé des zones entières sans équipements modernes et totalement dépendantes de quelques pays de plus en plus puissants, mécanisés et armés, intégrait cette zone de laissés pour compte comme réservoir de main d’œuvre, qui pouvait encore être qualifié d’armée industrielle de réserve. Le pillage des colonies fût concomitant à la rafle des esclaves et aux colonisations successives. On a vu que les limites de l’Empire romain avaient été atteintes par la manière de se servir de l’esclave antique. Bien longtemps après, l’esclave des premiers pas de l’industrie avait donné naissance au prolétaire moderne.

L’esclavage avait été lié directement au « décollage » qui a lancé la révolution industrielle en Grande-Bretagne de 1780 à 1800, à travers l’industrie cotonnière. Celle-ci supplantait alors la vieille et florissante industrie lainière anglaise. Elle s’est développée à l’origine comme un sous-produit du commerce d’outre-mer, à l’arrière des grands ports coloniaux, Bristol, Glasgow, et surtout Liverpool, dont Karl Marx a pu ainsi résumer le rôle : « ... Ce fut la traite des nègres qui jeta les fondements de la grandeur de Liverpool ; pour cette ville orthodoxe, le trafic de chair humaine constitua toute la méthode d’accumulation primitive. Et, jusqu’à nos jours, les notabilités de Liverpool ont chanté les vertus spécifiques du commerce d’esclaves, « lequel développe l’esprit d’entreprise jusqu’à la passion, forme des marins sans pareils et rapporte énormément d’argent » (...). Dans le même temps que l’industrie cotonnière introduisait en Angleterre l’esclavage des enfants, aux États-Unis elle transformait le traitement plus ou moins patriarcal des Noirs en un système d’exploitation mercantile. En somme, il fallait pour piédestal à l’esclavage dissimulé des salariés en Europe l’esclavage sans phrase dans le Nouveau Monde ».

D’emblée, le système a mis en concurrence entre elles les catégories naturelles dans la population travailleuse : les hommes noirs et blancs, les femmes, les enfants. Le jeune Engels, décrivant, en 1844-45, la situation de la classe laborieuse en Angleterre, ne pouvait pas observer un prolétariat idyllique face à cette concurrence effrénée dans la classe ouvrière naissante, peinant à se constituer en tant que classe indépendante ayant des intérêts communs face à la bourgeoisie. Il notait sans fard que « les travailleurs se font concurrence tout comme les bourgeois se font concurrence » et que c’est là « l’arme la plus acérée de la bourgeoisie dans sa lutte contre le prolétariat », que « la domination de la bourgeoisie n’est fondée que sur la concurrence des ouvriers entre eux, c’est-à-dire sur la division à l’infini du prolétariat, sur la possibilité d’opposer entre elles les diverses catégories d’ouvriers ». Il avait sous les yeux, outre les exemples de violence des affrontements fratricides que le « droit au travail" entraînait, celui de la pression exercée sur les salaires ouvriers par la misère et le désespoir auxquels les immigrants irlandais étaient réduits.

Bien avant les Etats négriers des immigrés modernes d’Afrique, l’Etat irlandais avait inventé le « commerce d’exportation » : « Le génie irlandais inventa une méthode toute nouvelle pour enlever un peuple malheureux à des milliers de lieues du théâtre de sa misère. Tous les ans les émigrants transplantés en Amérique envoient quelque argent au pays ; ce sont les frais de voyage des parents et des amis. Chaque groupe qui part entraîne le départ d’une autre troupe l’année suivante. Au lieu de coûter à l’Irlande, l’émigration forme ainsi une des branches les plus lucratives de son commerce d’exportation »1.

Mais l’émigration n’avait pas toujours été encouragée, comme nous le révèle encore Marx, et le « pôle emploi » d’époque sévissait : « La bourgeoisie tout entière surveillait les ouvriers. Si on offrait à un ouvrier le pire des salaires de famine, et s’il le refusait, le comité de bienfaisance le rayait de la liste des personnes secourues. C’était l’âge d’or pour messieurs les fabricants, en ce sens que les ouvriers étaient obligés, soit de crever de faim, soit de travailler au prix le plus profitable aux bourgeois, tandis que les comités de bienfaisance faisaient pour eux office de chiens de garde. Simultanément, les fabricants empêchaient, autant que faire se pouvait, l’émigration, en accord secret avec le gouvernement, en partie pour avoir toujours sous la main le capital que représentaient pour eux la chair et le sang des ouvriers, en partie pour s’assurer le paiement des loyers qu’ils avaient extorqué aux ouvriers »2.

Contrairement à un Gérard Noiriel, des auteurs anglo-saxons plus sérieux ne se sont pas limités à imaginer que la compétition migrante pouvait avoir été idyllique3. Eric Hobsbawm observait que « le milieu du XIXème siècle marque le début des plus grandes migrations de l'histoire de l'humanité », avec pour commencer le flux énorme d'immigrants européens aux Etats-Unis et, dans une mesure moindre, en Amérique du Sud, Australie et Afrique du Sud. Le résultat le plus spectaculaire est celui des USA, la proverbiale « nation d’immigrants » où la classe ouvrière est formée de vagues successives d'immigration en concurrence et en conflit. De nombreux autres cas de compétition fratricide se produisent avec les travailleurs immigrés irlandais dans l'Angleterre victorienne. L’utilisation massive de travailleurs agricoles polonais par les propriétaires fonciers prussiens de la fin du XIXème siècle entraine aussi des bagarres.

Près d’un siècle plus tard, le recours au travail immigré s'est imposé comme un des traits structurels du capitalisme de la deuxième moitié du XXème siècle sans jamais faire disparaître les relents de xénophobie, quoiqu’après deux ou trois générations les noms à consonance étrangère finissent par se dissoudre dans l’état civil national. Dès le début des années 1970 il y avait près de 11 millions d’immigrés en Europe Occidentale, venus d'Europe du Sud ou des anciennes colonies durant le boom des années 1950 et 1960. Pendant ces années 1970 et 1980, marquées par la crise, la bourgeoisie américaine a continué à attirer une vaste immigration nouvelle d'Amérique Latine et d'Extrême-Orient, aidée par des cartels de marchands de sommeil comme en Europe. Les patrons recruteurs se faisaient un malin plaisir à mêler et opposer les différentes nationalités entre elles, subordonnant celui de telle ethnie aux ordres d’une autre qui ne parlait pas la même langue, etc. La diversité de l’immigration du boom des trente glorieuses contribue à la flexibilité de l'offre de travail, et à l’atomisation sans défense des prolétaires recrutés sans base culturelle commune ni langue commune, et maintenus dans leurs spécificités régionales ou tribales.

Bien avant cette immigration flexible, l'existence homogène d'une classe ouvrière nationale composée d'autochtones et d’immigrés, avait toujours été, et est toujours, amoindrie au quotidien par d’autres divisions que des démarcations raciales ou « étrangères », la division technique du travail et les multiples hiérarchies d’entreprises, les clans régionaux, le privé et le public, les écoles diverses de promotion d’ingénieurs. Le fractionnement du prolétariat a été enfin théorisé avec succès par les héritiers du réformisme contre-révolutionnaire avec leurs savants découpages en couches moyennes, ouvriers de ceci, employé de cela ou secteur des services…

Marx anticipa la façon dont les divisions raciales et ou religieuses entre travailleurs indigènes et immigrés pourraient contribuer à affaiblir plus encore toute homogénéité de classe exploitée. Dans une lettre aux nommés Meyer et Vogt du 9 avril 1870, il pointe – ce qui est très prémonitoire pour notre époque – d’abord les préjugés religieux, puis il compare le comportement de « l’ouvrier anglais ordinaire » face à l’irlandais, à celui du blanc pauvre du sud des Etats Unis face aux « niggers » :

« Enfin, l'essentiel. Tous les centres industriels et commerciaux d'Angleterre ont maintenant une classe ouvrière scindée en deux camps ennemis : prolétaires anglais et prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais ordinaire déteste l'ouvrier irlandais comme un concurrent qui abaisse son niveau de vie. Il se sent à son égard membre d'une nation dominante, et devient, de ce fait, un instrument de ses aristocrates et capitalistes contre l'Irlande, et consolide ainsi son pouvoir sur lui-même. Des préjugés religieux, sociaux et nationaux le dressent contre l'ouvrier irlandais. Il se conduit envers lui à peu près comme les blancs pauvres envers les niggers dans les anciens Etats esclavagistes de l'Union américaine. L'Irlandais lui rend largement la monnaie de sa pièce. Il voit en lui le complice et l'instrument aveugle de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est entretenu artificiellement et attisé par la presse, les sermons, les revues humoristiques, bref, par tous les moyens dont disposent les classes au pouvoir. Cet antagonisme constitue le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, en dépit de sa bonne organisation. C'est aussi le secret de la puissance persistante de la classe capitaliste, qui s'en rend parfaitement compte ».

Pas brillante la situation de l’immigration en 1870 en Angleterre ! Deux camps ennemis se font face : prolétaires anglais contre prolétaires irlandais ! Il faut préciser que Marx ne s’attend plus autant qu’en 1848 à une « union grandissante de la classe ouvrière » puisqu’il milite pour le droit à l’autodétermination nationale du peuple irlandais.

Marx ébauche une démonstration matérialiste de la continuité de la xénophobie (non pas du racisme) dans le capitalisme moderne, où le « rejet de l’autre » - en tant que concurrent sur le marché du travail - est « le secret de la puissance persistante de la classe capitaliste ».

Première cause : la concurrence économique entre les prolétaires, toujours en premier lieu : «l’ouvrier anglais ordinaire déteste l'ouvrier irlandais comme un concurrent qui abaisse son niveau de vie ». Un schéma particulier de l'accumulation du capital implique une distribution spécifique du travail, représentée sur le marché du travail par des taux de salaires différents. Dans les périodes de restructuration du capital, alors que le travail se trouve déqualifié, les capitalistes remplacent les travailleurs qualifiés en place par une main d’œuvre meilleur marché et moins qualifiée. Si les deux groupes de travailleurs ont des origines nationales/religieuses différentes, et par voie de conséquence sans doute des langues et des modes de vie différents, s’impose alors un potentiel de rejet irrationnel dans les deux entités de prolétaires. C’est une situation qui s’est souvent répétée dans l'histoire de la classe ouvrière américaine sous forme de divisions raciales médiatisées, alors qu’au fond elles étaient des tentatives bornées des travailleurs qualifiés pour défendre leurs positions dans les ornières nationales.

Deuxième cause : l'attrait de l'idéologie du rejet de l’autre (pas un racisme en soi) pour les travailleurs autochtones, pas spécialement blancs de peau, qui est conditionné par la croyance en l’appartenance à la nation indifférenciée : « le travailleur anglais ordinaire... se sent un membre de la nation dominante ». Partant, le simple fait de la concurrence économique entre différents groupes de travailleurs n'est pas suffisant pour expliquer le développement de la xénophobie. Pourquoi la xénophobie op2re-elle une telle séduction sur nombre de travailleurs autochtones ? De nos jours, les idéologues gauchistes hurlent contre l’assimilation de la délinquance à l’immigration mais en même temps confortent ainsi la xénophobie, en premier lieu, en niant une part de la même insécurité sociale et civile vécue et subie par les prolétaires maghrébins, français de souche eux aussi. C’est un fait que les derniers arrivés (les italiens avant guerre, les maghrébins de nos jours) étant les plus pauvres et les plus ostracisés dans le marché du travail, comportent souvent quelques chenapans et criminels qui vont servir à faire du tort à l’immense majorité qui ne souhaite qu’aimer, travailler et vivre normalement. Ces rebelles voyous sont de fait la rançon, logique dans le système – face au gangstérisme de l’élite bourgeoise et de ses banquiers fraudeurs - d’une exploitation cynique de cette vaste majorité de la main d’œuvre soumise au besoin de la survie.

Jerry Grevin, journaliste américain militant du CCI, voulant trouver une faiblesse de conception de l’immigration chez l’alter ego de Marx, Engels, s’aligne sur les agités gauchistes qui dénoncent comme réactionnaire toute notion d’intégration4. La société d’avenir ne peut être en régression par rapport au progrès

Jerry Grevin et sa femme

représenté par la nation sur le tribalisme. Grevin reproduit d’abord la citation d’Engels qui
, déplorait-il, pour critiquer les immigrés socialistes allemands de ne pas apprendre l’anglais, écrivait : « Ils devront retirer tous les vestiges de leur costume d’étranger. Ils doivent devenir complètement des Américains. Ils ne peuvent attendre que les Américains viennent vers eux ; ce sont eux, la minorité et les immigrés, qui doivent aller vers les Américains qui constituent la vaste majorité de la population et sont nés là. Pour faire cela, ils doivent commencer par apprendre l’anglais ». Engels reste pourtant « marxiste » sur la question de l’intégration puisqu’on peut mettre en parallèle sa réflexion avec les diverses remarques de Marx dans le Capital qui considère comme progressiste la dissolution des communautés dans des ensembles plus vastes.

(ci-contre, Jerry Bornstein, dit J.Grevin de la section de New York du CCI, venu me rendre visite à Fontenay  aux Roses en 1989, mais sans Willy Brandt. Il me confia un jour qu'il était fier de porter le même nom que Trotski. Ce charmant camarade, journaliste, bibliothécaire et écrivain, auteur d'un livre sur la chute du mur de Berlin, avec Willy Brandt, est hélas décédé il y a quelques années à peine âgé de 62 ans).

J.Grevin nuance qu’il est vrai que le mouvement révolutionnaire mené par les immigrants devait s’ouvrir aux ouvriers


américains parlant anglais, mais : « …l’insistance sur l’américanisation du mouvement qui était implicite dans les remarques d’Engels s’avéra désastreuse pour le mouvement ouvrier car elle eut pour conséquence de laisser les ouvriers les plus formés et expérimentés dans des rôles secondaires et d'en remettre la direction entre les mains de militants peu formés, dont la qualité première était d’être nés dans le pays et de parler anglais ». Grevin fait là une confusion entre d’une part, la nécessité naturelle pour les nouveaux immigrants d’apprendre la langue du pays où ils aterrissent, d’envoyer leurs enfants à l’école – que tout socialiste comme Engels encourageait – et l’ouvriérisme chauvin qui servit de tremplin, bien plus tard et indépendamment des écrits d’Engels, depuis Moscou à la promotion de ses hommes de main. La position marxiste traditionnelle n’a jamais été ni d’encourager l’ignorance ni le maintien de traditions caduques ou tristement arriérées, ni du grégarisme tribal. De même pour les langues diverses, l’évolution vers une langue commune est facteur d’unité et de mutuelle compréhension. La révolution française a heureusement fait disparaître la plupart des patois ; la révolution maximaliste mondiale militera elle aussi en faveur d’une seule langue pour l’humanité. Basta ! il y aura toujours des universités pour archiver cultures et langues diverses, pour les maintenir vivantes ou mortes.

Une autre remarque d’Engels jette ensuite le trouble dans l’esprit de J.Grevin: « Il me semble que le grand obstacle aux Etats-Unis réside dans la position exceptionnelle des ouvriers du pays… (La classe ouvrière du pays) a développé et s’est aussi, dans une grande mesure, organisée elle-même en syndicats. Mais elle garde toujours une attitude aristocratique et quand c’est possible, laisse les emplois ordinaires et mal payés aux immigrants dont seulement une petite partie adhère aux syndicats aristocratiques ».

Grevin en déduit : « Même si elle décrivait de façon tout à fait juste la façon dont les ouvriers du pays et les immigrés étaient effectivement divisés entre eux, elle (la remarque d’Engels) sous-entendait de façon erronée que c’étaient les ouvriers américains et pas la bourgeoisie qui étaient responsables du gouffre entre les différentes parties de la classe ouvrière ». C’est bien Grevin qui est dans les nuages pourtant, car, déjà les syndicats (et pas simplement une bourgeoisie abstraite) divisaient les ouvriers en catégories qualifiées et non qualifiées, et nationaux ou étrangers, sur la base du corporatisme et et de la traditionnelle mentalité autarcique chauvine. Aujourd’hui, un des nouveaux et meilleurs moyens de diviser les ouvriers est d’afficher les certitudes arrogantes de l’antiracisme officiel, certifié d’Etat, à l’instigation de la diversité syndicaliste et anarchiste5, comme on l’analysera ultérieurement dans ce livre. L’internationalisme multiracial de Grevin est idéaliste.

J.Grevin persiste à donner tort à Engels : « De toute façon, l’histoire même de la lutte de classe aux Etats-Unis a réfuté la vision d’Engels selon laquelle l’américanisation des immigrés constituait une pré-condition à la constitution d’un mouvement socialiste fort aux Etats-Unis. La solidarité et l’unité de classe au delà des aspects ethniques et linguistiques furent une caractéristique centrale du mouvement ouvrier au tournant du 20e siècle. Les partis socialistes américains avaient une presse de langue étrangère et publiaient des dizaines de journaux, quotidiens et hebdomadaires, en plusieurs langues. (…) La majorité des membres du Communist Party et du Communist Labor Party, fondés en 1919, étaient des immigrés. De même le développement des Industrial Workers of the World (IWW) dans la période qui a précédé la Première Guerre mondiale provenait essentiellement de l’adhésion des immigrés, et même les IWW à l’Ouest qui comptaient beaucoup d’Américains "de naissance", comportaient des milliers de Slaves, de Chicanos et de Scandinaves dans leurs rangs ».

Mais c’est J.Grevin qui a encore tout faux. D’une part l’américanisation eût lieu, mais sous la forme dite multiculturelle, si exaltée de nos jours par les gauchistes antiracistes et qui maintient férocement les clivages raciaux et les sentiments d’infériorité sociale. De mouvement socialiste fort et unifié il n’y eût point aux Etats Unis, où à la veille de la guerre tous les drapeaux syndicaux et socialistes furent repliés pour obtempérer à l’union nationale. Le nombre de journaux et l’aspect multiracial ne sont pas une garantie de force politique si les principes politiques internationalistes sont bafoués à la première occasion.

La concurrence n'est pas un phénomène passager ou secondaire. Elle est la base même des rapports de production capitalistes, qui opposent la masse des travailleurs individuels, «libres» vendeurs de leur force de travail, au capital propriétaire des moyens de production, de plus en plus concentrés et elle divise aussi les travailleurs entre eux. Elle est la base du salariat comme mode d'exploitation de la force de travail, et ne pourra disparaître qu'avec lui.

Les transformations structurelles de l’immigration

Revenons à l’histoire de l’immigration, du point de vue marxiste, à une époque où cette religion à la mode satanique, l’intégrisme musulman, n’était pas l’étalon de mesure ou le nuage de fumée pour favoriser la confusion. Lénine, qui reste un génie politique indépendamment de sa chute politique dans le pouvoir, avait examiné avec pertinence la base économique de l’immigration. Elle est constituée par le développement inégal du capitalisme, ce qui est fondamental. En citant les statistiques de l’immigration aux USA et en Allemagne, Lénine considérait que la progression de l’immigration des travailleurs ne cessait de s’accentuer, mais que sa structure avait changé à partir de 1880-1890. Alors que dans la période précédente l’émigration européenne provenait essentiellement des « vieux pays civilisés » (Angleterre et Allemagne), où le capitalisme se développait le plus vite, désormais, les pays « arriérés » (en commençant par l’Europe orientale) fournissaient à l’Amérique et aux autres pays capitalistes « avancés » des travailleurs de moins en moins qualifiés. Dans ces conditions, d’une part « les pays les plus arriérés du vieux monde, ceux qui ont conservé le plus de vestiges du servage dans tout leur système de vie, passent pour ainsi dire par l’école forcée de la civilisation » (c’est à dire du capitalisme) mais aussi ce processus accentue l’« arriération » des pays déjà les plus retardataires, transformés en fournisseurs massifs de main d’oeuvre. Lénine était plus dans la ligne du souci d’intégration d’Engels que de Grevin et ses billevesées multiculturalistes typiquement américanophiles. La question de l’intégration de populations étrangères n’est pas, à l’origine et au fond, une question philosophique ou raciale, c’est de constitution de la classe ouvrière qu’il s’agit dans le procès d’industrialisation nationale. La nation pour industrialiser ne pouvait conserver les critères ethniques ou religieux ni les barrières de langues, ni l’illettrisme.

Le capitalisme au XXIe siècle ne peut plus jouer ce rôle d’intégration et récuse toute dignité d’ouvrier (personne d’ailleurs ne veut plus être ouvrier). La nation étouffe, et la menace réside plus dans la tentation de retourner en arrière que d’avancer. La bourgeoisie n’intègre plus depuis longtemps des classes sociales reconnues comme telles. Elle parque des masses de travailleurs soumis à des rites religieux arriérés et à des clans syndicaux. Lénine avait du génie de voir, déjà, en partie, la vérité : d’ex-colonies transformées de plus en plus en réservoirs de main d’œuvre pour maintenir sous perfusion le capitalisme dans les anciennes nations. Lénine rêvait tout haut néanmoins en pensant que si les travailleurs russes étaient les plus attardés, ils étaient un ferment d’internationalisme : « Les ouvriers de Russie, comparés au restant de la population, sont l’élément qui cherche le plus à échapper à ce retard et à cette sauvagerie (...) et qui s’unit le plus étroitement aux ouvriers de tous les pays pour former une seule force mondiale de libération». Dans le concret, tranché par l’histoire, pas d’union grandissante de la classe ouvrière, mais une expansion de divisions nationales. Dans la crise économique, comme dans la guerre, une bonne partie des ouvriers a tendance à plonger dans la xénophobie et l’autodéfense nationale obtuse. La triste « union » fût sacrée en 1914 mais au profit des bourgeoisies en lice.

Historiquement, la concurrence entre les travailleurs eux-mêmes n’est pas un phénomène passager ou secondaire, elle est la base même des rapports de production capitalistes, qui opposent la masse des travailleurs individuels, « libres » vendeurs de leur force de travail, au capital propriétaire des moyens de production, de plus en plus concentrés. Mais avec l’immigration moderne ce n’est plus un simple problème de compétition économique qui est posé, au quotidien et à l’année, mais religieux et culturel6. Tout est plus compliqué.

Dans l’introduction à ce livre, j’ai parlé d’un premier aspect de la « religion de l’immigration », la théorie de l’immigré comme révolutionnaire naturel, authentique, presque génétique. Lénine s’est moqué en 1915, bien avant nous du culte de l’immigrationnisme, cet opportunisme d’intellectuel qui n’imagine la classe ouvrière que comme classe immigrée ou l’immigré comme le suc de ladite classe prolétarienne, pour ne pas dire son thermomètre internationaliste : « Confronté au développement des luttes que mènent les travailleurs immigrés, à leurs formes originales, à leurs difficultés, l'opportunisme «de gauche» veut voir dans l'immigration le «vrai» prolétariat, la réalisation d'une idée mythique du prolétariat, il exalte les divisions, et les renforce, pour le plus grand profit du capital. De son côté l'opportunisme «de droite» nie la réalité de ces divisions, des contradictions développées par l'impérialisme dans la classe ouvrière elle-même, soit pour laisser les immigrés à leur sort, soit pour considérer qu'ils posent un simple problème d'inégalité économique, juridique et sociale, n'appelant qu'une amélioration du sort des plus «défavorisés». Quant à nous, communistes, nous regardons d'autant mieux ces contradictions en face, pour en reconnaître les causes objectives et les limites, que toute notre action vise davantage à les surmonter. Nous savons que la classe ouvrière tout entière peut ainsi espérer une formidable libération d'énergie révolutionnaire, un grand pas en avant vers son émancipation. Dans notre lutte pour le véritable internationalisme et contre le «jingo-socialisme», notre presse dénonce constamment les chefs opportunistes du S.P. d'Amérique, qui sont partisans de limiter l'immigration des ouvriers chinois et japonais (surtout depuis le congrès de Stuttgart de 1907, et à l'encontre de ses décisions). Nous pensons qu'on ne peut pas, à la fois, être internationaliste et se prononcer en faveur de telles restrictions. Nous affirmons que si les socialistes américains, et surtout les socialistes anglais, qui appartiennent à des nations dirigeantes et oppressives, ne sont pas contre toute espèce d'entrave à l'immigration et contre toute possession de colonies (les îles Hawaii), s'ils ne sont pas pour l'indépendance totale des colonies, ce ne sont en réalité que des «jingo»-socialistes ».7.

Or, les restrictions théoriques vont venir. Les restrictions à l’immigration sans fin aussi !

En 1913, Lénine décrit ce phénomène qui vient s’ajouter aux anciennes classes ouvrières nationales, une immigration qui ne vient plus de l’intérieur dans les pays anciens, un capitalisme qui génère des réservoirs de main d’œuvre à distance. Il constate que le capitalisme : « a créé une sorte particulière de transmigration des peuples. Les pays dont l’industrie se développe rapidement utilisent davantage de machines et évincent les pays arriérés du marché mondial, relèvent chez eux les salaires au-dessus de la moyenne et attirent les ouvriers salariés des pays arriérés. Des centaines de milliers d’ouvriers sont ainsi transplantés à des centaines et des milliers de verstes. Le capitalisme avancé les fait entrer de force dans son tourbillon, les arrache à leurs contrées retardataires, les fait participer à un mouvement historique mondial et les met face à face avec la classe internationale puissante et unie des industriels.8 »

Mais Lénine raisonne comme on pouvait encore raisonner au début du XXe siècle, sans pouvoir encore tenir compte des conditions que va poser la Première Guerre mondiale – une exigence massive de la main d’œuvre immigrée – tout comme du freinage inverse de la crise de 1929. Il raisonne encore comme ses pères spirituels Marx et Engels, en pensant que le capitalisme va naturellement intégrer « progressivement » et positivement ces travailleurs « arrachés à leurs contrées retardataires » ; sans savoir encore que le capitalisme décadent n’a plus ni ce projet ni ce pouvoir de « faire évoluer » cette main d’œuvre dans le sens où Engels utilisait le terme d’américanisation/intégration des nouveaux arrivants.

Peut-on négliger ce vieux constat du Manifeste de 1848 selon lequel la classe ouvrière se développe d’abord nationalement sans être pour autant une classe nationale. La capacité des ouvriers autochtones à absorber les autres prolétaires d’origine étrangère (par la lutte commune) semblait s’être confirmée pendant la seconde moitié du dix-neuvième siècle, malgré des violences ponctuelles, rares, contre les « envahisseurs », quoique déplorables. Le problème de l’absorption - on ne parlait pas alors d’intégration - de ces nouveaux bras nus devait déjà connaître ses limites, ou a fortiori créer d’autres divisions, sans que syndicats et partis socialistes ne puissent en limiter les excès au nom de l’œcuménique « union grandissante du prolétariat internationaliste ». Des couacs déjà au 19e siècle…

XENOPHOBIE EN MILIEU OUVRIER ?9

L’histoire revisitée par certains sociologues, plus psychologues de pacotille qu’historiens, aboutit à de grotesques révisions et interprétations décalées.

Le 17 août 1893, dans les marais salants d’Aigues-Mortes où la récolte du sel rassemblait des centaines de travailleurs français et italiens, s’est déroulé une émeute opposant «trimards » français et ouvriers immigrés italiens. Au moins huit italiens ont été tués et des dizaines d’autres blessés. En dépit des preuves accablantes réunies contre les saisonniers autochtones, les assassins furent tous acquittés. Directeur d’études à l’EHESS (école des hautes études sociales) et membre de la commission gouvernementale antiraciste, Noiriel a étudié de près, en bibliothèque, le déroulement du drame, l’expliquant comme conséquence des mutations politiques et économiques de la fin du XIXe siècle. Selon lui, les discours officiels sur la fierté d’être français ont incité les laissés-pour-compte de la République à s’acharner contre ces étrangers ; le patronat, les militaires, les journalistes, les juges et les politiciens sont parvenus à échapper à leurs propres responsabilités. L’analyse est assez réductrice et conforte les ignorances sur les causes réelles et la théorie gauchiste bobo d’un racisme éternel intrinsèque à la classe des « beaufs ». Noiriel en rajoute une couche, en refaisant l’histoire de la fin du XIXe siècle mais à la lumière de ce qu’il voit en ce début du XXIe siècle. A propos des Italiens tués lors des affrontements sanglants de ce 17 aout 1893, Noiriel parle explicitement de « victimes de l'identité nationale», avec une allusion plus qu'évidente à un vulgaire débat « identitaire » avorté d’un parti gouvernemental. En faisant un parallèle avec la situation actuelle, il conteste bien la thèse du livre du bourgeois souverainiste Max Gallo auteur du brouet « Fiers d'être Français ! »10. Noiriel lui oppose un article du site gauchiste Bellaciao qui s'intitule «Mohammed s'appelait alors Giovanni », comme exemple de tentative de « susciter un réflexe de solidarité avec [les immigrés] d'aujourd'hui » en rappelant les souffrances de ceux d'hier. Un autre ouvrage de Noiriel - « Le creuset français », paru en 1988 - passait pour la première histoire sérieuse de l'immigration en France (il n’en existe aucune de sérieuse !). Il s’autorisait à décrire la construction juridique et administrative de l'immigré, avec l'apparition des termes « immigration » et « immigré », comme coïncidant avec les débuts de la Troisième République. Pure fantaisie de sociologue chauvin, ces termes existent avec leurs équivalents depuis l’Antiquité11

Noiriel succombe lui aussi au fond à l’idéologie de l’ouvrier « beauf »: « En effet, cette affaire (d’Aigues-Mortes) figure aujourd’hui dans toutes les histoires de l’immigration comme l’exemple le plus sanglant de la xénophobie ouvrière ». Noiriel place la xénophobie sur le même plan que le concept large et confus de racisme, qui permet aux bourgeois moralistes exploiteurs et à leur intelligentsia de diaboliser en général les classes inférieures. En réalité, loin d’être des rixes racistes, les quelques 80 rixes qui ont lieu en France de 1870 à 1890 (y inclus les « Vêpres marseillaises » du 17 juin 1881) ne concernent pas une lutte pour « l’identité nationale » mais, très prosaïquement pour « défendre son boulot ». Ces rixes se confondent souvent même avec la lutte contre les « jaunes » ce que n’examine pas monsieur le sociologue autorisé à publier ce genre de pensum étroit. Le « massacre des Italiens » du 17 août 1893 est fort mieux résumé, au plus près de la vérité dans l’annexe 1 du rapport du procureur général de Nîmes Léon Nadal. Personne n’est blanc. Les ouvriers piémontais plus costauds que les « trimards français » cassent les cadences ; ce sont eux les premiers provocateurs quand l’un d’eux jette son pantalon sale dans la cuve à eau potable des ouvriers autochtones, déclenchant la bagarre meurtrière. En vérité, la chasse à l’italien dans les rues d’Aigues-Mortes est encouragée par les petits patrons et ces fameux « trimards » qui ne sont pas des ouvriers évolués. Peut-on même les qualifier de prolétaires ? Ils sont pour la plupart vagabonds, SDF apaches, saisonniers sans foi ni loi. Ils sont bagarreurs et violents. La classe ouvrière est encore en train de se «constituer » dans les années 1880 mais compte une majorité d’anciens ruraux, illettrés, instables et impulsifs. Elle n’est pas encore cette classe de masse qu’elle va devenir progressivement jusqu’au début du XXe siècle, délaissant les vieux fantasmes jacobins et sanguinaires. Les éléments massacreurs d’Aigues-Mortes sont plus proches du lumpen que de la classe ouvrière industrielle qui n’aura plus le culte de l’émeute, et ne se rangera plus derrière ces petits boutiquiers terroristes, ancêtres de nos fanatiques islamistes, pour qui l’appel au meurtre de l’étranger était le pic de la révolte. Noiriel ne nous dit quasiment rien des réactions de la IIe Internationale qui pourtant, face à ce drame, en appelait à la nécessité de la fraternité fondamentale entre ouvriers. Le seul élément moderne que nous retiendrons du drame d’Aigues-Mortes est qu’il a lieu en phase de crise économique, d’une grave crise du « bassin d’emploi » des salins du Midi. Et cela nous apparaît comme une explication bien plus moderne, et utile à la compréhension de nos problèmes… modernes, apparemment insolubles pour certains comme le sel d’Aigues-Mortes. S’il n’y a plus assez à bouffer pour tous, tous les arguments ne sont-ils pas bons, quoique impulsivement…

Pour dépoussiérer la question de l’immigration d’un idyllisme qui efface tant de pans d’une histoire douloureuse, j’ai négligé volontairement les grands moments de fraternité des peuples, voire de fusion au moment des révolutions ou des plus belles grèves. Suffisamment de livres ont été consacrés à des éloges dithyrambiques mérités, quoique parfois assez redondant, pour que je m’étende sur cet aspect. La xénophobie resta prégnante au cours des frayeurs nationales de la révolution jacobine, et ne disparut jamais complètement au cours de la révolution russe et alentours.

EMIGRATION, IMMIGRATION ET REVOLUTION

Ces trois termes sont équivalents, selon le point de vue auquel on l’on se place, en interne ou en externe. L’immigration n’est pas le propre de la classe ouvrière. L’utopie consolatrice gauchiste immigrationniste survit dans l’imagerie du doux rêve bolchevique disparu. L’immigrationnisme gauchiste, anarchiste et ultra-gauche (version maximaliste) se veut fidèle aux grandes heures plus ou moins exagérées de la fraternité des peuples des années héroïques de la vague mondiale révolutionnaire des années 1920. A la suite de la boucherie de la Première Guerre mondiale, les prolétariats, ces millions étrangers les uns aux autres dans la guerre impérialiste, avaient fait montre d’une belle leçon d’humanité avec toute une série de fraternisations inquiétantes pour la bourgeoisie sanguinaire. On ne comptait plus les grèves de solidarité indépendamment des nationalités et les généreux messages de soutien des partis ouvriers et communistes.

Les flux migratoires du début du 20ème siècle, qui convenaient parfaitement au besoin en main d’œuvre d’un capitalisme en crise puis en reconstruction après ses désastres de la guerre, portaient en eux le dynamisme de ce prolétariat universel possible fossoyeur d’une société inique, cruelle et bardée de frontières. Il était clair que le prolétariat pouvait être à la fois un instrument de profit mirifique pour les capitalistes mais en même temps son exécuteur testamentaire. Curieuse classe, à la fois dans le capitalisme et dehors, caractéristique qui sera attribuée peu après la vague révolutionnaire des années 1920 aux seuls juifs, d’être ou communistes ou capitalistes. Très vite la bourgeoisie mondiale, bien avant la montée du nazisme fustigea les juifs d’être responsables de cette dangereuse internationalisation de la lutte des classes, s’appuyant en particulier sur le fait que la plupart des dirigeants du parti bolchevique étaient juifs, ainsi que de nombreux membres de la IIIème Internationale. Cette prégnance d’éléments d’origine juive à cette époque de grandes migrations nécessaires à la survie et au développement continu du capitalisme ne devait rien à une prétendue élite juive, mais au fait que, dans les pays de l’Est, une bonne partie de la population comptait de vieilles familles juives et que, parmi eux, nombre d’étudiants cultivés bafoués pour leur avenir par l’autocratie capitaliste, choisirent de s’identifier à la lutte historique du prolétariat.

Dans l’urgence de reconstruire après les dégâts de la guerre, les flux migratoires des juifs étaient pourtant secondaires au milieu d’une foule d’autres nationalités paupérisées et rendues « mobiles » pour aller se vendre aux industriels de l’Occident.

L’immigration, malgré des politiques toujours restrictives n’était pas un problème comme de nos jours, mais dans son versant émigratoire elle pouvait être restreinte comme nous le rappelle Marx dans Le Capital, quand landlords britanniques et industriels étaient opposés à laisser fuir la main d’œuvre nationale. Les gauchistes en général et les trotskiens en particulier, en bons néo-staliniens, peuvent s’imaginer de manière idyllique d’une gestion compréhensive de l’immigration dans le pays où la révolution avait triomphé. Or, la Russie, puissance industrielle de second ordre n’avait pas de problème d’immigration de main d’œuvre comme à l’époque de Poutine, quand même elle croulait sous les déclarations internationalistes. Sa main d’œuvre elle la puisait encore parmi ses paysans et les peuples périphériques. La Russie stalinienne fut longtemps présentée mensongèrement comme un havre de travail garanti quand le chômage explosait à l’Ouest dans les années 1930, veille de la deuxième boucherie mondiale, et dite première période de la contre révolution.

La dite contre-révolution stalinienne vint à temps pour montrer que toute révolution prolétarienne victorieuse dans un seul pays ne peut que refermer ses frontières et surtout pas promettre d’accueillir à bras ouvert les chômeurs du monde entier. L’autarcie du capitalisme d’Etat inaugure l’exploitation absolue sans salariat au fond des goulags. On touche là un problème de fond sur lequel je reviendrai : la révolution mondiale suppose une réorganisation primordiale de la société qui permette à tous les peuples de vivre décemment là où ils vivent et pas de se précipiter en foule là où il existe du travail à profusion et aléatoire…à caractère non spécialisé.

Paradoxalement les révolutions provoquent en général une émigration forcée. Cette immigration politique est plus politique qu’économique. Elle est émigration pour sauver sa peau et son statut social.

Si l’on remonte à la révolution française, l’immigration « inversée » a mauvaise presse. Les « émigrés » sont fustigés. Ce sont les nobles fuyards, les ennemis du peuple qui emportent la patrie à la semelle de leurs souliers. L’émigration forcée des protestants n’est plus qu’un vieux souvenir. Et pourtant, l’immigration de bras nus existe déjà, paysans déserteurs des armées jacobines puis napoléoniennes. L’immigrant est donc un traître à la patrie. Mais au milieu du siècle d’une autre révolution, la révolution industrielle, le capitalisme est attirant dans les zones où il développe son industrie florissante. De 1845 à 1854, quelques 2.900.000 immigrants sont arrivés aux États-Unis, plus que lors des sept décennies précédentes. La plupart de ces immigrants provenaient d'Irlande et d’Allemagne. Pour les irlandais, l’immigration a été causée par la famine des pommes de terre et pour les Allemands elle aurait été le produit de l'échec des révolutions de 1848. En réalité ce n’était pas tant l’échec de la révolution de 1848 que la misère. Au cours de l'année de pointe de l'immigration, en 1854, l'émigration allemande aux États-Unis a dépassé celle de l'Irlande du double. La surpopulation a joué le rôle le plus important dans la motivation des Allemands à émigrer. Comme la terre était devenue plus rare et coûteuse, de nombreux agriculteurs choisissaient de s’expatrier pour trouver les terres abondantes du Nouveau Monde. Comme en Irlande, l'industrialisation et la concurrence d'Angleterre rendaient de plus en plus difficile pour les artisans et paysans allemands de gagner décemment leur vie. L'unification croissante de l'économie allemande aggravait encore la situation, avec la suppression des péages internes et les obligations pour les artisans des sections les moins industriellement avancées de l'Allemagne, dans leurs efforts pour soutenir la concurrence avec ceux des Etats voisins ; en Wurtemberg, par exemple, un tisserand sur six avait fait faillite entre 1840 et 1847. (...)


TABLE DES MATIERES

Avant-propos

Introduction 13


Chapitre 1 : L’histoire révisée comme accessoire de la théologie policière 35

Des traficants d’esclaves aux traficants d’histoire 35

Des minoens aux achéens (crétois et grecs) 48

L’histoire antique islamisée 51

Le passé commercial de la théologie islamique 66

Décadence des civilisations ? 69

Ou effondrement du système financier ? 73

Le voyage faiseur de mythe 80

Chapitre 2 : Science et religion 89

Le religieusement correct 89

Quand les nazis annexaient l’Antiquité 96

Le savoir grec inexploitable par la religion mahométane 97

Premier ennemi de la religion : les mathématiques 101

Et les faussaires de la propagande islamiste 103

Deuxième ennemi de la religion : la médecine scientifique 108

Les bases de l’arabisme dans la médecine latine (ou le pseudo scientisme musulman) 114

Le bazar de l’islam originel (Dieu n’est pas mort en Orient pour le « commerce de commission ») 117

Le mythe de la tolérance musulmane en Andalousie 123

L’islam machine à ignorance 126

Le déclin moyenâgeux de l’islam 134

L’apologie du cosmopolitisme arabo-musulman 137

L’affaire Gougenheim 143

Fuite des cerveaux aliénés 147

Chapitre 3 : PROLETARIAT ET DIVISIONS ETHNICO-RELIGIEUSES 149

L’immigration et le vrai prolétariat 149

Les transformations structurelles de l’immigration 159

Xénophobie en milieu ouvrier ? 164

Emigration, Immigration et révolution 167

L’islam compatible avec le bolchevisme ? 172

L’immigré un arriviste opportuniste ? 176

Une nouvelle division du travail ethnico-religieuse 184

La bourgeoisie américaine empêche la reformation du prolétariat 188

Chapitre 4 : MONDE DU TRAVAIL ET IMMIGRATION 203

Petit historique de la rétention immigrée 204

L’explosion de l’immigration clandestine 208

La sainte alliance du pétrole et de la foi 211

Comment la gauche bourgeoise a remplacé le prolétaire par l’immigré 212

La tolérance de l’islam « francisé » 213

L’usine stade suprême de l’intégration islamique 215

Chapitre 5 : NATION ET IMMIGRATION 223

Pousser le capitalisme dans ses contradictions ou l’accompagner dans sa décadence ?

La préférence immigrée des bordiguistes 228

Encadrement national multiethnique 235

Le déguisement religieux : fanatisme et fatalisme musulman 239

La question de la femme décrédibilise l’islam 252

Une islamisation galopante du Sud au Nord ? 254

Chapitre 6 : ANTIRACISME ET ISLAMOPHOBIE 261

Les raisons de la victoire (étriquée) d’Ennhada 269

L’institution de l’antiracisme germanopratin 276

Régularisation de tous les sans-papiers ? 285

Un décor moral ou une mode provocatrice ? 288

Chapitre 7 : QUELLE INTEGRATION DANS LE CAPITALISME ? 297

Le capitalisme qui ne peut plus intégrer 297

Fin du nomadisme prolétarien 299

Couches moyennes et fascisme 302


Pour conclure : Washington akbar ! 309

Annexe 316

Le reflet religieux (Marx, extraits du Capital) 316

L’excès constant de population (ibid) 319

Le commerce de commission (ibid) 320

Marx rend hommage aux Grecs anciens (in Contribution à la critique de l’économie politique, 1859) 322

Bruno Bauer et le christianisme primitif (F.Engels) 324

Le protestantisme du point de vue matérialiste (F.Engels) 334

Contribution à l’histoire du christianisme primitif (F.Engels) 337

Note d’Engels sur l’islam 362

La rencontre de la sainte féministe C.Fourest et du batteleur de foire islamique T.Ramadan 363

Les contes des mille et une bigoteries du capitalisme allemand (extrait de mon blog) 374


Bibliographie 379


NOTES

1 Le Capital, tome premier, p. 509 (ES 1976).

2 Le Capital, livre troisième, p.140-141.

3Gérard Noiriel: Le massacre des Italiens (Aigues-Mortes, 17 août 1893) Ed Fayard 2010. Une interprétation moderne antiraciste et a-historique, alors que le drame fut de nature plus primaire que racial, un « droit au travail » et à l’existence dans la région de naissance.

4 Article sur le site du Courant Communiste International: « Islam : un symptôme de la décomposition du capitalisme » (mars 2005).

5 Composée d’éléments formellement « salariés » et non bourgeois sociologiquement…

6 Le mot culturel est vague, mode de vie et mœurs correspondent mieux aux clivages qui dépersonnalisent le quartier ou la ville ouvrière. Une importation d’idéologie arriérée vient contrecarrer et la conscience de classe et l’internationalisme. Pendant la période de contre révolution qui se poursuivait après 1945, les travailleurs russes restèrent marqués par l’antisémitisme sous Staline puis, après la chute du mur, en ex RDA ; par ex, des exactions racistes eurent lieu contre les employés vietnamiens et cubains… Plus qu’au temps de la fin de la dernière période de colonisation, dans la durée, les immigrés – non assimilés, maintenus au bas de l’échelle sociale, stigmatisés par périodes – renouent avec l’aliénation religieuse comme consolation ou provocation. C’est ce qu’on essaiera de comprendre plus loin, mais qui est déjà très simple à comprendre : quand on est malheureux dans un présent désolant et sans perspective de « s’en sortir », quoi de plus consolant que de se réfugier dans un passé mythique, inventé et codifié par des théocrates pervers ?

7 Jingoïsme : terme anglais pour définir le chauvinisme patriotique apparu en 1878 (Crise et guerre en Orient). La vision non nationale de la formation de la classe ouvrière est anti-marxiste, car cette classe se constitue effectivement dans la nation où elle ne peut rester un agrégat d’ethnies ou de races sous peine de ne pouvoir jamais devenir internationaliste. La classe c’est l’eau vive qui déborde de la bouteille et vient abreuver l’océan du socialisme 

8 « Le capitalisme et l’immigration des ouvriers ».

9 Gérard Noiriel : Le massacre des Italiens (Aigues-Mortes, 17 août 1893) Ed Fayard 2010.

10 M.Gallo, piètre historien, se sert de la tragédie d'Aigues-Mortes de façon instrumentale chauvine. Il prétend opposer les Italiens d'antan, qu'il considère comme un modèle d'intégration, aux peuples de banlieue et leurs émeutes, dont il ne faut pas nier la « dimension ethnique », qui risquent de provoquer la « balkanisation de la France ». Ce en quoi il n’avait pas entièrement tort, sauf qu’il est désormais plus question d’islamisation que de balkanisation.

11 Immigrant y rime souvent avec « envahisseur », par exemple lorsque la Crète voit arriver les « immigrants achéens » et les « envahisseurs Doriens », cf. Will Durant, p.6. Puis les « conquérants romains » et les « immigrés minoens d’Egypte », etc.

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