PAGES PROLETARIENNES

mardi 29 juin 2021

LES BASES DU MAXIMALISME HISTORIQUE

 

le martyr Van der Lubbe

L’OUVRIER COMMUNISTE

Organe mensuel des groupes ouvriers communistes


Édition spéciale en langue italienne


Deuxième année / numéro 12 / octobre 1930


traduction : Jean-Pierre Laffitte


Pour situer et connaître ce courant révolutionnaire de la fin des années 1930 se reporter à la notice de Wikipédia rédigée par un des meilleurs historiens de ce mouvement, Michel Olivier. Voici quelques textes de ce que je qualifie de mouvement maximaliste, pas gauchiste, et qui a eu raison contre la dégénérescence bolchevique et trotskiste. Tout ce qui est écrit ici est encore plus valable aujourd'hui et encore en avance théoriquement, sur la question de la destruction de l'Etat, sur la plupart des minorités existantes qui se réclament de ce mouvement.

Groupes ouvriers communistes — Wikipédia (wikipedia.org)


Contre tous, pour un seul but,

La dictature des conseils


Perspectives de la situation italienne




Aucun pays ne montre comme l’Italie que les soi-disant facteurs objectifs, c'est-à-dire la grave crise économique, l’affaissement inouï du niveau de vie de la classe ouvrière, la réaction politique, ne suffisent pas pour déclencher mécaniquement la tempête insurrectionnelle. Que ces faits objectifs existent, qu’il y ait cette crise, personne ne le nie. La Concentration(*), reconnaissant la gravité de la crise, en attribue la cause au fascisme (de même que le bolchevik déchu Ciliga qui a écrit à l’époque où il faisait encore partie de la clique moscovite, un livre intitulé : Effets économiques du fascisme), mais elle reconnaît tout de même la crise. Cependant, au terme de leur analyse, tous sont bien obligés de constater que la crise trouve ses origines dans la faiblesse du capitalisme italien sur le marché international. Du reste, cette faiblesse ne date pas d’aujourd'hui, et si elle s’aggrave de plus en plus, cela dépend du fait que la lutte pour les débouchés commerciaux devient de plus en plus acharnée. Pour demeurer encore en lice, le capitalisme italien, confronté à l’agressivité de la classe ouvrière, est passé de la méthode démocratique, de la dictature de corruption, à la dictature de terreur. Les salaires sont maintenus à un niveau très bas et il existe la tendance à les abaisser encore davantage. Comme on le voit, s’il existe une crise permanente en Italie, si elle prend un aspect particulier, cela est dû à la lutte de plus en plus âpre entre les brigands impérialistes pour les marchés internationaux, lesquels d’autre part se rétrécissent de plus en plus. Cette lutte impitoyable ne provoque pas seulement en Italie, mais aussi ailleurs, cette maturation des facteurs objectifs. La crise chronique du capitalisme s’aggrave et se généralise : il n’y a donc pas d’issue pour que le capitalisme en général puisse bénéficier d’une nouvelle phase de développement, il n’y a pas d’issue pour le capitalisme italien. Il est clair comme la lumière du jour que la Concentration antifasciste ment quand elle agite un programme de Constituante républicaine, qui ramènerait aux formes démocratiques, à la dictature corruptrice. Il va de soi que le prolétariat n’aurait aucun intérêt à revenir à la démocratie promise par les membres de la Concentration. Nous pensons à ce sujet qu’entre la dictature de corruption et la dictature de terreur, entre la démocratie bourgeoise et le fascisme, la seule différence, c’est que la dictature de terreur possède une arme de moins, celle de la corruption économico-morale de certaines couches de la classe ouvrière. Il n’existe aucun intérêt pour les ouvriers à revenir à cette démocratie de corruption étant donné que les intérêts du prolétariat ne sont pas seulement ceux de l’estomac, mais aussi ceux du cerveau, afin que la révolution du prolétariat ne soit pas dans l’Occident de l’Europe une simple révolte d’affamés, mais le tournant menant au développement d’une grande conscience collective de la classe ouvrière. Mais si les intérêts véritables de la révolution exigent également de la part de la classe ouvrière la révolte contre le préjudice corrupteur de la démocratie bourgeoise, il y a encore un fait réel, à savoir que les faits objectifs nient, excluent la possibilité d’un retour démocratique, ou d’un perfection-nement de la révolution bourgeoise en Italie. Il est ainsi démontré que les membres de la Concentration mentent ; que, même si la Concentration, au moyen d’une manœuvre bourgeoise, venait au pouvoir, elle ne pourrait adopter que les mêmes méthodes que le fascisme contre la classe ouvrière. Bas salaires et mitraille.



Obstacles au développement de la lutte révolutionnaire


Les facteurs objectifs sont donc mûrs, et la perspective est donc claire : la bourgeoisie ne sortira pas de la crise, en Italie et ailleurs, et elle est par conséquent destinée à mourir. Puisque les forces économiques poussent la classe ouvrière à la révolte, à la révolution, la mort du capitalisme est inévitable. La Concentration ne peut faire peur à personne, et le terrain sera débarrassé très rapidement de cette clique de tyranneaux évincés. Les bolcheviks prendront donc le pouvoir et conduiront le prolétariat à la libération. Pour cela, un grand parti est nécessaire, s’écrient les bolcheviks, et avec eux les gens de Prometeo (pourvu, bien entendu, que ce soit eux qui en soient à la tête). Naturellement, disent ces politicards, si ce n’était pas nous, si nous ne dirigions pas, si ce n’était pas nous qui formions le nouvel État prolétarien, les ouvriers seraient victimes de la Concentration. Si nous sommes présents, tout sera sauf, la révolution, le communisme et tout le reste. Si nous sommes absents, ce sera un désastre. Un parti, bien entendu, comme nous le concevons, est indispensable, car lui et lui seul représente les faits objectifs, c'est-à-dire les facteurs du cerveau, de la pensée de la révolution. Ce qu’a dit Lénine, Bordiga le dit aussi : la classe, son unité, sont des concepts que la réalité, le devenir historique, rendent relatifs ; ce qui est absolu, ce qui exprime l’unité de la classe, c’est le parti, notre parti. Le parti, cette essence mystique, ce concentré extrait (l’on ne sait pas par quel miracle) de la réalité fluide de la classe, échappe aux lois de l’évolution, aux lois de la dialectique, il transcende la réalité, il est une super-réalité. Le grand parti à la discipline de fer, le parti réservoir de l’idéologie, qui introduit cette idéologie de l’extérieur dans le camp prolétarien, rendra possible la révolution, et l’écrasement du fascisme et de la Concentration.

Mais cette manière de raisonner qui confie le monopole de la conscience prolétarienne à une bande d’individus, et qui nous présente un modèle de conscience prolétarienne déjà toute prête, n’explique rien. Il y avait des partis de ce type en Allemagne et en Italie en 1923 et 1924, mais il n’y a pas eu de révolution. Les éléments objectifs et subjectifs, tels que les présentent les bolcheviks, étaient là et, malgré cela, il n’y a pas eu de révolution. Par conséquent, la théorie des bolcheviks n’est pas suffisante, elle est erronée. Leur idéologie qui sature la classe ouvrière depuis l’extérieur, leur stratégie, leur tactique, ne servent à rien. Quel est donc cet élément qui empêche la révolution de se déclencher et qui se présente, même quand l’insurrection sera une donnée de fait, comme un grave danger ?



Origines des obstacles


Un demi-siècle de tradition pèse sur le prolétariat italien, une tradition de lutte économique, de simple lutte pour le pain. L’illusion démocratique est encore un grave danger. La démocratie bourgeoise, avec son formidable développement bureaucratique, avec l’absorption des formes syndicales de lutte dans son appareil légal, représente encore pour le prolétariat des grands pays capitalistes une illusion qui acquiert dans son cerveau la valeur d’une réalité concrète. Pourtant, la démocratie ne représente en aucune manière un réel avantage pour la classe ouvrière. Les réformistes n’ont pas cessé de vanter cette forme d’État qui tend à se confondre avec la société, cet État qui représente une forme de compromis utile à toutes les classes, et les bolcheviks, selon les périodes, cela va de soi, soutiennent les avantages de la démocratie pour le développement de leur propagande. Mais cette démocratie tant vantée, cette forme qu’il faut selon certains distinguer nettement du fascisme, représente précisément le marais dans lequel l’esprit en développement de la classe ouvrière se noie. Les aristocraties ouvrières s’y noient définitivement, les ouvriers des métropoles les regardent se noyer, chose douloureuse, avec envie. La rationalisation, c'est-à-dire plus exactement la nouvelle méthode d’exploitation de la force de travail, fait le reste. Les ouvriers ne pensent pas, les ouvriers ne lisent pas la littérature révolutionnaire, leur cerveau est la proie de la terrible corruption démocratique.

Cette période de démocratie, nous l’avons vécue de manière particulière en Italie. La démocratie bourgeoise n’a pas pu allonger ses tentacules sur de larges couches de la classe ouvrière parce que la puissance économique du capitalisme italien a toujours été limitée sur le terrain de la concurrence internationale, parce qu’il a été impossible de créer une aristocratie ouvrière très nombreuse, et aussi parce que les rêves de Crispi d’un grand empire colonial ont fait naufrage à Abba-Garina. Néanmoins, le réformisme s’est développé de manière assez forte à Milan spécialement, où l’ouvrier qualifié a acquis une position relativement privilégiée, et il a émergé sous une forme démagogique à la tête du mouvement économique. C'est ainsi que la corruption bureaucratique a envahi aussi la conscience des ouvriers d’avant-garde. La mentalité de compromis s’est également développée au sein de la classe ouvrière italienne. Dans ce pays, il apparaît de façon claire et nette que, si le mouvement économique représente dans sa phase de lutte un élément révolutionnaire, dans sa phase de compromis, de négociations avec les patrons, il représente un élément contre-révolutionnaire. Ce compromis, qui, dans la forme syndicale d’organisation, prend un caractère permanent, sème dans les couches ouvrières l’illusion d’une amélioration continue de leur sort au sein de la société capitaliste. Cette fixation cérébrale, psychique, particulière du préjugé réformiste acquiert une valeur de résistance, de conservation, face aux poussées furieuses du facteur économique qui ont conduit le prolétariat aux luttes de 1919 et des années suivantes ; et c’est elle qui a permis l’abandon des usines transitoirement expropriées, et, dans les deux années suivantes de guerre civile, la victoire du fascisme, c'est-à-dire de la réaction bourgeoise. Des expériences douloureuses se sont donc accumulées dans l’esprit des ouvriers italiens. Certes, la psychologie intime du prolétariat doit sentir que le poids de la tradition démocratique est très ébranlé. Mais il ne faut pas non plus exagérer dans l’optimisme. Cette mentalité réformiste de la majorité des ouvriers italiens se reproduit peut-être sous l’aspect d’une nostalgie de la période de 1919 et de celle de l’avant-guerre, qui, bien qu’elles aient été mauvaises, se présentent toujours à leur esprit comme quelque chose de meilleur que la période actuelle. La force de la Concentration réside précisément dans cet élément traditionnel, dans cette fixation psychologique du réformisme, qui empêche ou retarde le développement de la conscience des ouvriers. La lutte contre la Concentration antifasciste, qui représente un danger qui, ainsi qu’on le voit, est très grave, est nécessaire. Mais pour que cela puisse avoir lieu, la polémique verbale n’est pas seulement nécessaire. La préparation et la mise en œuvre de la polémique de fait est également nécessaire.



Le danger bolchevik


Que font les bolcheviks et leurs concurrents de Prometeo ? Ils polémiquent contre la Concentration, mais dans quel sens ? Dans le sens de détruire, de collaborer à la destruction des résidus de la mentalité réformiste de la clase ouvrière en Italie ? Pas du tout : tous pensent, y compris la nouvelle opposition trotskiste, à la reprise de formes d’organisation syndicales et de formes de lutte économique qui sont dépassées depuis longtemps. Et ils ne cessent de s’acharner sur le destin d’une Confédération Générale du Travail qui désormais n’existe plus et à laquelle ils voudraient redonner vie, et c’est de manière experte qu’ils agitent un programme minimum dans lequel ils réclament l’augmentation des salaires et la liberté d’organisation. Que font donc finalement tous ces bureaucrates dans l’activité de leurs fonctions, ou bien en dehors de leur service ? Avec leurs mots d’ordre, ils en viennent naturellement à faire le jeu de la Concentration. En effet, les membres de la Concentration en profitent pour dire aux ouvriers : mais nous, que voulons-nous ? La liberté d’organisation, l’augmentation des salaires. Et alors, pourquoi les bolcheviks nous insultent-ils si leur programme est le même que le nôtre ? Si nous sommes des traîtres, ils le sont aussi. Et eux aussi, les bolcheviks, sont des traîtres de la classe ouvrière. Les uns et les autres se valent. Les uns et les autres mentent à la classe ouvrière. Les bolcheviks disent : nous ne pouvons pas toujours dire toute la vérité à la classe ouvrière, c’est pourquoi nous avons besoin d’un programme minimum parce que les prolétaires ne peuvent pas toujours comprendre notre programme maximum. Il s’agit bien évidemment d’un prétexte étant donné que cette prétendue stratégie ne sert à rien dans la mesure où la situation est telle que, dans ce moment historique, il est plus que jamais nécessaire de dire toute la vérité aux ouvriers. Si ceux-ci veulent se libérer de l’oppression bourgeoise, s’ils veulent gagner la lutte contre le capitalisme aguerri, ils ont besoin d’un esprit de combativité, d’héroïsme, qui surpasse la mentalité traditionnelle de réforme. Mais dans ce cas, les bolcheviks de toutes les tendances ne font pas seulement le jeu de la Concentration, mais ils font aussi leur propre jeu. Si la masse ouvrière se réveille définitivement pour faire, en tant que classe, sa propre révolution, si elle comprend qu’elle doit prendre en mains la gestion de la production et la direction de la société, il n’y aura plus place pour une dictature bolchevique, pour la dictature d’un parti. Or, si les bolcheviks de toutes nuances aspirent à cette suprématie politique, à cette dictature de caste, comment peuvent-ils collaborer à la formation de la conscience prolétarienne ? Ils ont toujours considéré et ils considèrent encore la classe ouvrière comme une masse de manœuvre qui, bien maniée, doit les conduire au pouvoir. Et donc, quand ils agitent le mot d’ordre de dictature du prolétariat, ils mentent encore. Ils disent, comme Lénine l’a dit, qu’il faut abattre l’État bourgeois, le détruire complètement, mais, comme Lénine lui-même l’a fait, ils sont prêts à instaurer à la place de l’État détruit, un autre État qui, bien qu’il prenne le nom d’État prolétarien, n’est pas du tout l’État qui meurt, n'est pas du tout la dictature de classe qui agit contre les éléments bourgeois, contre les résidus capitalistes de la société. La Russie est un exemple vivant de cette affirmation de notre part. Là, c’est un État de nature bourgeoise, sous le masque d’une prétendue dictature prolétarienne, qui se consolide de plus en plus en imposant à la classe ouvrière une discipline, des méthodes de travail, complètement capitalistes, en empêchant cette classe d’avoir un développement idéologique spontané, autonome. Les bolcheviks n’ont aucun intérêt à ce que les formes de coalition obligatoires soient abolies, à ce que les corporations soient détruites : en réalité, dans les programmes de l’Internationale Communiste, ils en ont aussi souhaité la conquête. Mais même s’ils étaient contraints de liquider les corporations, leur Confédérations Générale du Travail n’aurait pas une fonction différente de ces dernières. La coalition obligatoire, l’intégration des syndicats dans l’appareil d’État, serait une donnée de fait en régime bolchevik. Comme en Russie, évidemment.

Et donc, à côté d’un danger provenant de la Concentration, il y a un danger bolchevik, contre lequel il faut lutter avec acharnement. Ce danger a d’autant plus d’importance que la tradition de la Révolution russe, de l’État prolétarien russe, a une grande influence sur l’esprit des ouvriers italiens. Ignorants de la réalité russe, beaucoup d’entre eux confondent cette réalité avec leurs aspirations révolutionnaires, avec l’idée qu’ils se font de la dictature ouvrière. Ils pensent effectivement que les bolcheviks pourront les mener jusqu’au pouvoir : il convient de tenir compte du fait que ces mêmes ouvriers obéissent aussi à l’habitude qu’ils ont acquise dans la politique parlementaire et syndicale et qui consiste à confier leurs affaires à des hommes privilégiés, à des fonctionnaires et à des chefs. Cette habitude, qui a empêché le développement autonome des énergies de classe, aide beaucoup la manœuvre des bolcheviks. Et il reste encore dans l’esprit de la masse ouvrière la suggestion suivante : il faut un chef pour abattre le fascisme !

C’est ainsi que ces soi-disant communistes, les uns exagérant le mythe de Lénine, les autres le mythe de Trotski ou de Bordiga, parviennent à maintenir la masse ouvrière dans cette attente du Messie qui, du reste, semble ne pas vouloir se frayer un chemin. Ce mythe du chef est très répandu dans les milieux ouvriers extrémistes. Les simples militants, et même les théoriciens, en souhaitent la venue. Et de cette manière-là, en réalité, l’esprit des ouvriers s’endort, il se berce dans le rêve que quelqu’un agira : et quand, au moment du désespoir, l’action violente deviendra une nécessité, une méthode collective, quand les masses auront secoué le joug, le chef bondira sur la scène avec la troupe de ses disciples pour dire : me voici, je suis à votre disposition, prêt à vous guider ! Et dans ce cas, le danger existe que le prolétariat se laisse encore convaincre, même pour une expérience ne serait-ce que transitoire, par les résidus de préjugés qui troublent encore son esprit. C'est la raison pour laquelle le bolchevisme est également un danger. Mais il faut dire à ce stade que ce danger bolchevik ne peut pas prendre simplement des formes moscovites officielles ou semi-officielles, il peut avoir aussi un aspect différent, il peut être aussi anarchiste, il peut trouver sa manifestation concrète dans n’importe quel groupe politique. Et c’est pourquoi la révolution prolétarienne en Italie, comme dans les autres pays, ne peut être qu’une révolution permanente, elle ne peut être qu’un crescendo continu de l’héroïsme et des consciences prolétariennes, et non pas simplement un mouvement qui se conclut avec l’avènement d’un parti, mais un mouvement plus complexe dans lequel les forces cérébrales de la classe ouvrière éclosent, se développent dans le sens d’une puissante activité. Si l’on fait une simple comparaison historique, l’on verra que l’idée que nous avons de la révolution prolétarienne, de cet immense fleuve d’énergies qui, en croissant de manière limpide et vive, s’élargira de plus en plus, n’est pas du tout exagérée, et qu’elle n’est pas du tout romantique. Si l’on regarde un peu en arrière, l’on verra ce dont ont été capables les révolutions bourgeoises : la grande révolution de 89. C’étaient alors des minorités restreintes qui affirmaient leur domination dans l’arène de l’histoire. Et pourtant les masses on été capables d’héroïsmes inouïs pour un idéal qui n’était pas le leur et qu’elles croyaient être le leur. Si l’on examine la Commune de Paris, l’on verra que, au cours de cette aurore de la révolution prolétarienne, la masse s’éveille à un héroïsme incroyable. Si l’on considère maintenant l’entrée dans cette arène de l’histoire des immenses masses industrielles, si l’on pense que le cerveau de millions et de millions de prolétaires bouleverse le jeu des préjugés séculaires, des préjugés nouveaux et anciens, l’on verra comment cette grande révolution est possible, comment ses perspectives ne sont jamais trop exagérées.

Et les coups de la violence prolétarienne ne seront pas mal dirigés s’ils le sont contre ceux qui voudraient arrêter le cours tumultueux de ce crescendo sublime de vie, de révolte.



Conclusion


Mais que ferez-vous, vous les communistes radicaux ? Ne ferez-vous pas comme les autres ? Que savons-nous de notre lendemain ? Ce que nous savons, c’est que ce lendemain, c’est la révolution. Du reste, nous ne demandons rien à la classe ouvrière : ni sièges dans les parlements, ni postes dans le syndicat. Nous disons au prolétariat : ta dictature, fais-la par toi-même, toi seul constituera les conseils, protège-toi de toute hégémonie de parti dans tes conseils, ceux que tu as constitués en 1919 et 1920 un peu partout, sur le lieu de travail, cherche et trouve la force pour briser la domination bourgeoise dans tes conseils ; trouve et cherche la solution pour transformer la production de consommation en production de besoin, la production capitaliste en production communiste. Avec les forces de tes bras et ton cerveau, tu détruiras l’organisation bourgeoise de la production et de la société, tu créeras la nouvelle organisation, les nouvelles formes économiques et sociales, les nouvelles forces idéologiques. Avec les forces de tes bras et le développement de tes forces intellectuelles, du sauteras du monde de l’esclavage dans celui de la liberté.

Et nous ? Nous ne demandons qu’à lutter et à vaincre avec toi.

Pour les conseils d’usine ! Pour la révolution prolétarienne !



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Violence et conscience de classe

dans la lutte révolutionnaire



Tous ou presque tous les soi-disant chefs du mouvement prolétarien ont nié la possibilité du développement autonome de la conscience ouvrière en la limitant à la simple conscience économique, au stimulant de l’estomac, à la conscience travailliste, ou bien ils ont pensé que cette conscience devait se développer selon des directives déjà tracées, fournies par eux. Les sociaux-démocrates, les bolcheviks, un peu tous ces politicards, qui ne se sont jamais décidés à faire définitivement défection à la classe non ouvrière dont ils sont originaires, ou bien qui ont abandonné le prolétariat au sein duquel ils sont nés, ont séparé avec un soin jaloux l’idéologie d’avec le mouvement prolétarien, en donnant à croire que cette idéologie était un produit exclusif de leurs cerveaux. Même les anarchistes, quand ils proclament l’immortalité de l’idée anarchiste, ils détachent leur idéologie du mouvement prolétarien. Des idéalistes anarchistes, comme ceux de “Studi Sociali”, font prévaloir leur idéologie sur la masse, ils en font une mystique particulière de cerveaux privilégiés, révélateurs de la parole anarchiste. Et, en cela, ils ne différent pas du tout de la pensée de Lénine qui considérait l’idéologie communiste comme le produit obligé de l’élaboration intellectuelle des grands penseurs provenant de la classe bourgeoise. De cette façon-là, le problème de la conscience prolétarienne est résolu de manière dogmatique, a priori. Si l’idéologie est quelque chose qui précède le mouvement ouvrier, si elle est une anticipation intellectuelle, il ne reste plus pour le mouvement ouvrier lui-même qu’à se laisser imprégner par cette idéologie pour le développement de sa conscience révolutionnaire. Mais il y a encore plus : puisque le prolétariat ne peut pas aujourd'hui, en régime capitaliste, s’instruire – cela est surtout une pensée de Rosa Luxemburg, qui, bien que n’ayant pas la qualité d’un chef, a celle d’une héroïne –, il ne lui reste plus qu’à faire confiance aux communistes qui, une fois la révolution faite, pourront lui créer cette conscience.

C'est un fait incontestable que cette façon particulière d’envisager le problème de la conscience prolétarienne dans la révolution constitue un cercle vicieux. En effet, si cette conscience n'est qu’une conséquence, dans tous les cas, avant et après la révolution, elle ne sera jamais révolutionnaire ; et le prolétariat, et par suite le nouvel agrégat social, subira toujours une idéologie de l’élite, une domination de l’élite intellectuelle. Cette théorie a donc un aspect nettement bourgeois dans la mesure où elle conduit au scepticisme et au découragement, dans la mesure où elle affirme comme impossible le développement réel des énergies cérébrales, spirituelles, de la masse. La masse n’a pas et n’aura pas d’initiatives intellectuelles propres, puisque, même lorsque la révolution sera faite, il ne lui restera plus qu’à assimiler des théories déjà élaborées et développées.

Et c’est encore un fait incontestable que cette théorie est en pleine contradiction avec la dialectique matérialiste, c'est-à-dire avec la manière de considérer l’histoire comme un processus de conflits entre des forces qui agissent sur la base fondamentale de la force économique. En effet, cette façon de voir et d’observer l’évolution de l’histoire ne nous permet en aucune manière de considérer l’idéologie, c'est-à-dire le reflet conscient de la réalité, comme quelque chose que cette réalité dépasserait et qui se tiendrait en dehors d’elle. L’ésotérisme, c'est-à-dire la forme difficile et mystérieuse que l’idéologie prend de tous temps, apparaît plutôt comme un stratagème particulier destiné à la rendre inaccessible aux esprits simples, aux cerveaux pas trop développés. Il est caractéristique de remarquer que l’immense difficulté que les théoriciens de toutes les écoles politiques, prétendument révolutionnaires, attribuent à la digestion idéologique, que cet air d’épouvantail qu’ils adoptent quand ils parlent de quelque chose de difficile, est ce qu’ils ont en commun avec des philosophes bourgeois comme Hegel, Kant et Schopenhauer, lesquels, comme les prêtres égyptiens, gardaient les secrets hermétiques de l’idéologie bourgeoise. Beaucoup disent : tous les ouvriers ne peuvent pas devenir des théoriciens ; par conséquent, les quelques-uns qui le peuvent continuent à faire la loi, qu’ils soient communistes ou anarchistes n’a pas d’importance.

Évidemment, l’idéaliste qui admet que l’esprit n'est pas pour ainsi dire une énergie matérielle, une fonction de la matière, comme le dirait Engels, a de bonnes raison pour affirmer une chose semblable. Mais dans ce cas, si l’esprit, si l’activité intellectuelle, n'est pas un élément en développement, la chose est soudain expédiée puisque, sur ces bases-là, la révolution reste un pur arbitraire des élites conscientes, un bouleversement de pensée dans l’aristocratie intellectuelle. Mais bien d’autres considérations seraient à faire sur le côté comique de la doctrine de ces ménestrels hégéliens inconscients qui, au XX° siècle, poussent de profonds soupirs anachroniques sous le balcon d’une vieille dame romantique. Et leur révolution en résulterait en si piteux état que l’on finirait par dire qu’elle ne vaut plus la peine de la faire.

Ce qui est étrange, c’est que cette mentalité bourgeoise se manifeste chez les représentants de la dialectique marxiste, chez ceux qui s’excommunient et se re-excommunient, tantôt depuis Moscou, tantôt depuis Constantinople : il vaudrait mieux dire : ce qui est comique.

En général, l’homme de parti est ainsi, il prend des airs importants caricaturaux qui feront rire de bon cœur notre postérité prolétarienne.

Karl Marx n’a jamais réellement pensé que la conscience prolétarienne devait être une copie conforme de sa pensée, et, d’autre part, il n’a pas considéré non plus qu’il avait offert au prolétariat une nouvelle conception du monde, c'est-à-dire une nouvelle philosophie, quand il a pensé que, par la critique des philosophies bourgeoises, le prolétariat devait ficher en l’air toutes les philosophies, et qu’il devait les remplacer par l’expérience, c'est-à-dire les sciences expérimentales. Marx nous a plutôt parlé d’un saut du monde de l’esclavage dans celui de la liberté. Quel est ce monde de l’esclavage si ce n’est le capitalisme dans lequel les forces économiques dominent le processus de production, l’organisation sociale, et également sa superstructure idéologique ? Où donc les cerveaux sont-ils liés au jeu dominant des forces bourgeoises ? Et si cela est un fait, il en résulte que, si des formes d’idéologie prolétarienne se mettent à apparaître, à se frayer un chemin, cela est dû précisément à la lutte de classe qui commence à se développer. Et ces formes idéologiques ne sont pas du tout au-dessus des formes de lutte, mais, bien qu’elles soient dominées par elles, elles ne font que refléter de manière synthétique, si l’on veut, l’état d’esprit des masses et très souvent, dommage qu’aussi parfois en se contredisant Lénine l’ait dit, elles demeurent bien en arrière, et cela est du reste naturel, des formes de lutte et de l’état d’esprit des masses. Comme on le voit, les dépositaires des urnes idéologiques ne font rien d’autre que de suivre pas à pas la réalité et que d’être même très souvent les falsificateurs de celle-ci.

Il reste par conséquent un fait acquis, à savoir que l’expérience, qui est le fondement des formes théoriques, est la base de tout le développement conscient, et que le prolétariat peut donc atteindre sa conscience de classe au moyen de l’expérience. Et ce n'est pas un fait acquis que la simple aisance économique soit une source de développement conscient. Le fait qu’aujourd'hui au contraire nous devions constater une corruption psychologique chez les aristocraties ouvrières nous donne à penser que seule la dure expérience pourra les ramener sur le chemin de l’unité de classe, mais seulement en partie. En conséquence, personne ne peut penser que cette conscience ouvrière connaîtra un développement continu et graduel sur la base d’une démocratie bourgeoise éternelle ; qu’elle sera le processus d’une évolution pacifique, ou bien le produit d’un simple travail de propagande. Elle est le produit d’un ensemble d’éléments : il est indiscutable qu’il serait faux d’affirmer que le cerveau des ouvriers n’ait pas fait des pas en avant au cours de la dernière période historique, et qu’également la longue phase de luttes économiques n’ait pas donné des résultats ; une grande partie des ouvriers ont appris à commencer à raisonner avec leur cerveau, même si c’est d’une façon insuffisante. Naturellement, ce développement de la mentalité ouvrière a fini par dégénérer étant donné que, dans la période de prospérité du capitalisme, elle s’est mise à considérer ce dernier comme quelque chose de stable avec lequel il valait la peine de vivre, y compris en étant un peu d’accord avec lui. Mais voici qu’une nouvelle époque lui succède, voici que la prospérité du capitalisme décline, et nous voilà au seuil de crises de plus en plus gigantesques, nous voilà en cause, en pleine période économique. Et voilà donc que cette conscience ouvrière est obligée de faire encore un pas en avant puisque la pensée ouvrière se trouve confrontée à des problèmes plus grands. En Italie, par exemple, ce nouveau pas en avant de la conscience prolétarienne conduit la classe ouvrière à l’occupation des usines. Deux éléments étaient en lutte, lors de cette période de l’histoire du mouvement ouvrier italien, dans l’esprit collectif du prolétariat : la tradition social-démocrate et le nouveau facteur conscient révolutionnaire : l’expropriation du capital. Malheureusement, c’est le premier facteur qui a eu le dessus. De lutte en lutte, dans la guerre civile, le prolétariat, comme masse, a accru de plus en plus sa force consciente : seulement un élément, l’élément de l’espoir d’une évolution pacifique vers le socialisme, a pris encore le dessus. Mais si ce facteur pèse lourd dans la balance, un autre fait est resté clair : pour que le prolétariat dépasse ses hésitations, pour qu’il passe à un niveau supérieur de conscience, la violence était un élément nécessaire. La lutte de classe en Italie et en Europe occidentale est entrée dans une nouvelle phase : ce facteur qui semblait devoir diminuer de plus en plus aux yeux des fanfarons de la politique parlementaire apparaît encore une fois dans l’histoire comme un élément décisif. La bourgeoisie, dans la phase mortelle de sa crise définitive, attaque ici ouvertement et elle instaure le régime de la terreur, comme en Italie : là, elle commence à lancer son offensive réactionnaire, comme en Autriche et en Allemagne. Partout, elle affûte ses armes, partout au moyen de l’arbitrage obligatoire ou des assurances sociales, comme en France, elle se prépare à déclencher l’offensive contre les salariés, contre le niveau de vie de la classe ouvrière.

Les perspectives de la lutte se font de plus en plus nettes. Partout, le prolétariat se trouve confronté au spectacle de brutalités policières ou fascistes. En Italie, cette méthode apparaît être l’unique pour lutter contre le régime. La violence : la violence de quelques-uns aujourd'hui, la violence de beaucoup demain, celle des masses. Des hommes sortent, bondissent soudainement, du sein de la classe ouvrière et frappent. Ce sont des isolés, mais non pas comme Bresci, Passannante(*) et d’autres précurseurs de l’épopée révolutionnaire.

Si ces grandes figures épiques du mouvement prolétarien ont un temps été plus belles dans leur isolement, aujourd'hui derrière les Lucetti, derrière les Donati, les Della Maggiora et les autres, c’est un murmure d’approbation qui s’élève, une voix sourde de la conscience qui se développe, une marée d’esprits en révolte qui les suit pas très loin d’eux. Ces hommes qui, pour créer le nouvel esprit prolétarien, pour collaborer à la formation du nouveau niveau de conscience prolétarienne, ont donné leur vie – trente années de prison, c’est aussi la mort –, ne doivent pas être simplement justifiés, mais ils doivent être exaltés et suivis. Être violents, cogner, inciter à de nouvelles luttes, de nouveaux conflits, est un devoir pour les révolutionnaires. La vieille blague des lâches qui craignaient de provoquer la réaction en frappant n’a plus aujourd'hui de partisans, si ce n’est parmi les sycophantes politiques, parmi les profiteurs de la Concentration, et les mercenaires bolcheviks qui, pour les intérêts de la caste des néo-bourgeois russes, ont donné le signal de l’arrêt de la guerre civile en 1924, parmi les pleurnichards dévots de la victime Matteotti qui ont empesté l’air de leur lâcheté, et les sales diffamateurs de Lucetti(**) qui ont offert au prolétariat d’Italie le déshonneur de la farce Bombacci(***). Et aussi parmi les profiteurs de l’émigration en France et les rédacteurs de ce “torchon”(****) malpropre parisien qu’est L’Humanité, qui trouvent aujourd'hui dans l’acte individuel une méthode nuisible à la révolution. Ce ramassis de pleutres, cette lâcheté concentrée, pour se servir de l’expression de ce vaillant vieillard de Paolo Schicchi, qui craint la lutte ouverte et l’attaque de front, cette immonde bande de mercenaires ne peut aujourd'hui que diffamer l’héroïsme de ceux qu’ils n’imiteront jamais, mais renieront toujours.

Et c’est dans ce processus complexe, dans lequel de nouvelles désillusions se préparent certainement pour le prolétariat, que la classe ouvrière trouvera le moyen de frapper de manière consciente et de vaincre de manière consciente.

Conscience et violence sont deux facteurs qui se complètent, l’un et l’autre ne peuvent pas se développer de manière séparée. Et, dans les nouvelles luttes, dans la nouvelle phase de lutte civile qui s’ouvre de nouveau en Italie, que nous souhaitons en Allemagne, en Autriche, et dans les autres pays capitalistes, nous espérons que la conscience ouvrière atteindra le niveau suffisant pour vaincre.

Et cela même sans vos élucubrations théoriques, ou encore les vieilles momies de l’orthodoxie marxiste.

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PETITES NOTES




Les mercenaire de Stato Operaio, polémiquant avec les bordiguistes, trouvent moyen d’inclure un de nos camarades dans la Fraction de gauche. Et, dans le même temps, de faire suivre son nom de celui archi-connu de Girone.

Nous ne répondons pas aux bolcheviks parce que nous saurons bien de quelle monnaie les payer quand l’occasion se présentera à nous, mais nous ferons remarquer aux ouvriers révolutionnaires que ce camarade fait partie de notre groupe. Que Girone n’a jamais eu chez nous un accueil comme celui qui lui a été fait chez les bolcheviks. Qu’avant tout, nous l’avons considéré comme un agent de la police italienne, et qu’enfin nous n’avons jamais voulu avoir des contacts avec un individu de ce genre. Que, pour cette raison en particulier, nous avons envoyé promener certains éléments parmi nous  qui le défendaient.

Les fonctionnaires connus à la solde de Staline ont traité notre camarade d’aigrefin et d’escroc. Nous demandons aux ouvriers : qui est l’aigrefin et l’escroc, celui qui, pour la liberté de ses idées, travaille sans les vendre à personne, ou bien le mercenaire qui change d’idées quand son patron le lui commande ?


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Les membres de la Concentration veulent la république parlementaire qui est la même chose de la monarchie constitutionnelle dans laquelle l’ouvrier est exploité comme sous la monarchie fasciste.

Les bolcheviks veulent la Constituante et ils parlent aujourd'hui de vouloir la dictature du prolétariat. La dictature du prolétariat est pour eux la dictature du parti sur le prolétariat. Comme en Russie, avec des directeurs rouges et des brigades de choc à l’usine, avec la Sibérie pour les ouvriers conscients.

Les partisans de Prometeo veulent la dictature prolétarienne comme les bolcheviks, avec cette différence qu’ils veulent que le monopole de cette dictature leur appartienne.

Que veulent les ouvriers communistes ? Lutter avec les ouvriers sans rien leur demander, pour la VRAIE DICTATURE PROLÉTARIENNE !

Et c‘est pourquoi ils collaboreront avec la classe ouvrière afin de se débarrasser des membres de la Concentration, des bolcheviks et des partisans de Prometeo.



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Dictature du prolétariat, révolution permanente et guerre révolutionaire



Que devra faire le prolétariat pour briser ses chaînes, pour conquérir définitivement sa liberté, pour transformer la société capitaliste, fondée sur le profit d’une minorité, c'est-à-dire de la bourgeoisie et de son appareil d’État, en société communiste, une société dans laquelle la production pourra se développer librement pour satisfaire les besoins de toute la grande communauté laborieuse ? Il est certain qu’il devra détruire, balayer, l’appareil d’État parasitaire qui représente une immense pieuvre bureaucratique, policière et militaire, laquelle tient serrées dans ses tentacules toute la société et toutes ses activités. Ce fait est nécessaire dans la mesure où l’on sait que l’État actuel est une arme formidable entre les mains du capitalisme puissamment concentré, une arme de domination, de corruption, de répression et parfois de terreur. Quand la classe ouvrière aura détruit cet appareil colossal, certes après une lutte acharnée, violente, des problèmes se montreront d’une gravité extrême. Comment le prolétariat pourra-t-il mener, continuer, sa lutte contre les reliquats bourgeois, contre l’infection individualiste qui demeurera vive pendant un certain temps dans certaines couches sociales petites-bourgeoises, que ce soit en ville ou à la campagne ? Et enfin, qu’est-ce que la classe ouvrière pourra faire si elle se retrouve isolée en un seul pays pour mener la révolution ? Ces problèmes ont une importance formidable dans la mesure où, si l’on ne les résout pas, il sera impossible que le prolétariat l’emporte de manière définitive ; et ils font par conséquent l’objet de polémiques passionnées dans le camp ouvrier. Étant donné la façon dont l’État bourgeois ainsi que ses tendances parasitaires se développent aujourd'hui, la théorie de la démocratie universelle, qui voit dans l’État une manifestation de plus en plus vaste de la conscience collective, une expression de plus en plus authentique de la pensée de la majorité, apparaît comme inconcevable. Le suffrage universel qui représente entre les mains des magnats capitalistes une terre molle dans laquelle ils peuvent inscrire leur volonté au moyen de la corruption morale et matérielle, de l’arme de la publicité qui se charge de former l’opinion publique, n’est certainement pas une démonstration si brillante que cela de la justesse de cette théorie. Le passage graduel de l’État au non-État, c'est-à-dire son absorption progressive dans l’organisation sociale, est démenti de façon retentissante par les faits. C'est plutôt le contraire qui se vérifie : l’absorption de toutes les activités économico-sociales par cet appareil, l’écrasement par conséquent de toutes les énergies collectives, de toutes les nouvelles initiatives, par cet énorme appareil de parasites qui, ne produisant rien, collaborent avec le capital dans la limitation du développement productif. Toutes les formes légales d’association finissent par être absorbées par cet appareil : les syndicats, les coopératives et le reste, sont annexés à l’État du fait de la formation d’un État bureaucratique au-dessus d’eux. La bureaucratie se présente donc comme l’aspect typique de l’État bourgeois actuel, elle en est, dirions-nous, quasiment l’essence même. L’on ne peut donc pas parler aujourd'hui de libres associations en développement comme Kropotkine en parlait à son époque, l’on ne peut pas parler de collectivités qui, sur un terrain pacifique, développent leurs activités, ce qui influencera progressivement le contexte social. L’activité légale finit toujours par se transformer en activité en faveur de l’État bourgeois et du capitalisme. Toutes les théories de révolution pacifique font faillite et le fascisme, qui est la réaction classique de l’époque contemporaine, prouve nettement que, quand l’influence de l’État faiblit, quand ses bases semblent être minées, le capitalisme veille, avec formations extra-légales, à le renforcer et même à en augmenter les prérogatives. Le développement gigantesque de l’État est général, et l’on ne trouve aucune exception, ne serait-ce que dans un seul pays. La démocratie traditionnelle d’Amérique et d’Angleterre, pour laquelle Marx semblait avoir des sympathies, s’est transformée, ainsi que le prouve l’analyse de Lénine dans L’État et la révolution, en un État bureaucratique qui a totalement absorbé le trade-unionisme dans son appareil.

Classiquement, il est prouvé que l’État, l’État monarchique, l’État républicain, l’État démocratique, l’État social-démocrate, l’État bolchevik, ont inexorablement tendance à se développer. Une incursion sur le terrain de l’histoire démontrerait la vérité de cette assertion. Les affirmations de Bakounine à cet égard sont d’une grande perspicacité. Il semble que, quand il parle du remplacement de l’État moderne par un autre État, un État révolutionaire ou un État ouvrier, il laisse prévoir, avec un regard profond et prophétique, la formation d’un nouvel État. Il nous semble d’autre part qu’un examen attentif de la théorie marxiste doive nous amener à considérer la dictature prolétarienne non pas comme un État, mais comme une forme d’organisation qui n’est plus l’État. Il est vrai que cette expression est encore employée par Marx lui-même, mais il est également vrai qu’il considère cet État comme la classe, comme le prolétariat dans son unité. Et évidemment, il ne s’agit plus dans son concept de l’État classique, bureaucratique, etc., mais d’un organisme spécial de la classe qui participe dans son ensemble aux activités sociales et économiques. Cette formulation marxiste fait clairement ressortir le mensonge de ces théoriciens scolastiques qui, partant de la prémisse : l’État est le produit d’un conflit de classe, parlent en conséquence d’un État bourgeois et d’un État prolétarien, en rapprochant dans leur interprétation les deux formes, et en les considérant comme presque identiques. Trotski est parvenu précisément à cette interprétation pédantesque et erronée du marxisme ou, plus exactement, de la méthode de Marx. Beaucoup d’ouvriers anarchistes ont de l’antipathie pour ce qu’ils appellent le côté autoritaire de la doctrine marxiste précisément parce que la scolastique social-démocrate lui a donné une interprétation pédantesque et fausse. Lénine lui-même incarne de façon authentique cette scolastique puisqu’elle l’amène à voir la dictature prolétarienne comme un appareil bureaucratique qui, comme l’ancien appareil bourgeois, aura des fonctions répressives.

Les scolastiques social-démocrate et bolchevique ne se rendent cependant pas compte de la différence substantielle qui existe entre la dictature prolétarienne et l’État en général. La dictature prolétarienne n’est pas une organisation de répression, elle est une forme de libération, elle ne lutte pas pour réprimer les énergies, les initiatives matérielles et spirituelles collectives des travailleurs, elle est, composée de travailleurs, un moyen pour développer ces énergies et pour conduire ces initiatives à l’émancipation totale de tous les préjugés individualistes. La classe y amène un élément précieux, à savoir le principe éthique du travail, une différence profonde de qualité. La classe prolétarienne en tant qu’unité, et non pas comme un individu ou une minorité, n’a pas, bien entendu, d’intérêt dans l’exploitation.

En tant qu’unité, que majorité de principe et que totalité par la suite, elle œuvre à la transformation du procès de production et par voie de conséquence de l’agrégat social, elle crée la société des simples producteurs de richesses sociales, de richesses matérielles et intellectuelles. Cette différence profonde entre les deux classes implique une différence aussi profonde entre l’État bourgeois et la dictature prolétarienne. Lénine met en relief, d’une manière incomplète, une certaine différence entre ces deux formes, mais dans la théorie, car dans la pratique, son appareil d’État ne se différencie pas de l’appareil d’État bourgeois. L’État en dépérissement devient l’État en augmentation de la Russie bolchevique. Il est vrai que, en dernière analyse, la Révolution russe peut se définir comme une révolution bourgeoise effectuée par le prolétariat et que, par conséquent, la forme de l’État ne pouvait prendre en Russie qu’un caractère bourgeois, mais il est également juste de déclarer que le terme d’État, que Marx a encore adopté, même si c’était pour l’État réduit à sa plus simple expression, ou pour la classe organisée en tant que classe, ne peut plus être accepté aujourd'hui après le développement formidable du prolétariat, après l’expérience de la lutte de classe.

La dictature du prolétariat ou la démocratie prolétarienne ne peut pas être un État, ne doit pas être un État. En effet, elle ne peut pas avoir le caractère bureaucratique, policier ou militaire, de l’État bourgeois. Le terme de dictature, qui fait tellement peur aux ouvriers anarchistes, n’acquiert sa signification et sa valeur que dans la mesure où elle implique l’usage de la violence contre les couches parasitaires, contre les tentatives de retour au capitalisme, ainsi que la terreur aussi contre les forces bourgeoises. Elle ne peut pas prendre un caractère bureaucratique dans la mesure où ce seront les conseils et seulement les conseils, lesquels ne doivent pas de détacher de leur base vivante : l’usine, le lieu de travail, qui devront exercer leur fonction de direction de la production et de la société. Les conseils, que les ouvriers devront, pourront, contrôler sans arrêt, les conseils dont les éléments devront être renouvelés continuellement, dont les délégués aux échelons fédéraux des conseils ne devront jamais être les mêmes, ce qui fera qu’ils n’abandonneront pas leur base vivante : l’usine, et qu’ils ne se détacheront pas de leurs racines, c'est-à-dire de leur source de force et d’activité, ne pourront plus être des formes bureaucratiques. Toute activité qui comportera le franchissement de ces limites devra prendre en cas de nécessité un caractère provisoire. Cette dictature prolétarienne ne sera pas policière, elle n’aura pas besoin de créer une Tchéka et un Guépéou, les conseils et seulement les conseils, avec la masse ouvrière, en contact permanent, vivant, avec cette masse des usines, appliqueront des mesures non pas d’ordre, mais des mesures révolutionnaires contre l’ennemi de classe et contre les traîtres. La police n’a rien à faire avec la dictature du prolétariat : ce dernier n’en a pas besoin, il fera sa révolution, sa révolution permanente, sans la collaboration de cet organe inutile et dangereux. En effet, cette révolution permanente est précisément une lutte continue contre la bourgeoisie qui est toujours en vie même après la première défaite, contre l’État qui est toujours vivant après son écrasement, en tant qu’une tradition. La révolution permanente falsifiée par Trotski est l’ascension continue du prolétariat vers des hauteurs sublimes, elle est l’absorption continue de la société dans l’éthique du travail. Elle est une ascension sans étapes réelles, une marche en avant au cours de laquelle la nouvelle société se crée. Et elle est surtout une lutte, une lutte violente et une lutte des esprits : mais alors, aurons-nous besoin des armes, d’une armée permanente ? Des armes, oui, et de toutes les armes ; mais d’une armée permanente, non ; des armes pour tous les prolétaires, partout dans les usines, ou dans les dépôts voisins. C’est le prolétariat en armes. En effet, si la classe ouvrière a fait sa révolution en Italie, elle ne pourra pas limiter ce développement à l’intérieur des frontières de la patrie bourgeoise. Par le fait même que la révolution est présente, les frontières n’existent plus, la patrie est morte, et puisque les prolétaires n’ont pas de patrie, la révolution prolétarienne n’a pas de patrie. Non seulement une patrie prolétarienne n’existe pas, mais la révolution en cours est une guerre civile en permanence à l’intérieur et à l’extérieur, ou, plus exactement, elle est la lutte contre la bourgeoisie internationale.

Pour une véritable révolution prolétarienne, il n’y a pas d’issue dans le compromis. Les capitalistes des autres patries bourgeoises, sous le talon desquelles nos frères s’impatienteront partout, voudront nous écraser, non pas en tant qu’Italie, bien entendu, mais en tant que révolution. Comme Thiers et Bismarck l’ont fait avec la Commune de Paris de 1871. Ferons-nous des compromis ? Nous, les prolétaires en armes, l’armée qui comprend tous les ouvriers, dont une partie créera les moyens de la lutte et une autre les emploiera, accepterons-nous que les bourgeois reviennent, sous une forme quelconque, sur le terrain que nous leur avons arraché, renoncerons-nous à la liberté que nous avons commencé à créer ? Non, mille fois non ! Et, avant que l’ennemi capitaliste ne lance l’offensive, nous, en faisant appel aux prolétaires de tous les pays, sans attendre que l’adversaire reprenne haleine, nous mettrons en œuvre la guerre civile sur le front international, la guerre révolutionnaire contre la bourgeoisie internationale. En Italie, en 1920, beaucoup hésitaient à déclencher la révolution parce qu’ils pensaient qu’elle n’aurait pas pu se défendre. C’est de ceux qui ont ensuite constitué le Parti communiste qu’est venue, par la plume de Sanna, lequel s’impose aujourd'hui un silence prudent et respectueux envers le régime, une tentative pour prouver, dans la polémique avec les serratiens, la possibilité d’une défense de l’Italie en cas de révolution. Mais personne n’a pensé que la révolution prolétarienne devait être offensive pour se défendre, personne n’a pensé que la révolution des conseils, de par sa nature même, est une révolution permanente, qu’elle est une guerre civile contre le capitalisme à l’intérieur et à l’extérieur, qu’elle est une guerre révolutionnaire. Tous craignaient d’effrayer le prolétariat en envisageant de trop grands sacrifices, de le placer devant la réalité irrévocable : la lutte sans quartiers, la lutte ou la mort. Ce manque de confiance dans la possibilité d’héroïsme de la classe prolétarienne est caractéristique des marxistes orthodoxes au moment de la lutte. Le Congrès de Milan de septembre 1920 en a donné une preuve évidente. Et pourtant, le marxisme, ou mieux la pensée de Marx, sont clairs et nets : la phrase de Danton est son mot d’ordre dans l’action révolutionnaire : de l’audace, rien d’autre que de l’audace. Mais les marxistes orthodoxes n’ont jamais trop cru en la possibilité d’un sursaut prolétarien, ils ont toujours espéré et espèrent encore de manière social-démocrate, de manière bolchevique, mettre en œuvre leur politique de compromis en profitant des mouvements, des révolutions, qu’ils pensent toujours arrêter au bon moment, valoriser ad usum delphini, naturellement.

Nous, nous ne craignons pas, et nous ne craindrons pas, de dire cette vérité et nous croyons aussi que les masses prolétariennes, en luttant contre les bourgeois et les alliés de la bourgeoisie, sauront remplir dans l’histoire leur mission historique, consciemment et héroïquement.

Et, lors de la prochaine révolution, ils ne prendront pas le chemin de la “Nep”, mais celui de l’offensive révolutionnaire, de la guerre civile contre la bourgeoisie internationale. Et aux saboteurs de l’action révolutionnaire, aux alliés de toutes les couleurs du capitalisme, le prolétariat réservera du plomb comme pour la bourgeoisie elle-même.



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La fonction contre-révolutionnaire

des syndicats avant et après la révolution


Les syndicats, c'est-à-dire ces organisations qui se proclament les défenseurs des intérêts de la classe ouvrière, sont considérés aujourd'hui par nous comme des organes contre-révolutionnaires. Pourquoi ? Ce n’est pas difficile à démontrer. Les syndicalistes révolution-naires proclament à haute voix, et avec eux les anarcho-syndicalistes, que seuls les syndicats sont révolutionnaires. Les bolcheviks disent : oui, les syndicats sont révolutionnaires parce nous sommes à leur tête. Les syndicalistes nous balancent la fameuse lettre de Marx à Kugelmann et disent : regardez, Marx était un syndicaliste à cent pour cent. Les bolcheviks nous balancent la théorie de la conquête de Lénine et disent : avec le Parti communiste, nous ferons des syndicats communistes. Nous pourrions, en pratiquant la scolastique marxiste, citer un passage qui conclut l’étude de Marx sur “Taux de profit et salaire” dans laquelle le dialecticien allemand se rend compte que les syndicats sur lesquels il avait placé tant d’espoirs ne remplissaient pas leurs tâches. Mais, en hommage à Marx et à sa dialectique matérialiste, nous ne ferons pas l’histoire du mouvement révolutionnaire à coups de citations, comme un professeur d’académie allemande, ou comme un élève de l’école bolchevique. Nous regarderons l’histoire en face et nous constaterons que ce mouvement syndical a cherché à s’opposer, en tant que simple résistance, à la tendance qu’ont les capitalistes à abaisser les salaires jusqu’au minimum possible, et qu’il a développé au sein de la classe ouvrière la conviction que, dans le cadre de la société bourgeoise, le prolétariat pouvait obtenir des améliorations réelles. Des augmentations de salaire ont bien été obtenues par eux et c’est de cette manière là que, au-dessus de la classe ouvrière, s’est formée ce que l’on a appelé l’aristocratie ouvrière, ce qu’Engels était déjà obligé d’admettre en 1892.

Au sommet de ces organisations, il s’est formé une caste de fonctionnaires qui a eu pour seule tâche de s’asseoir autour d’une table pour discuter avec les patrons et pour calmer les tendances séditieuses de la classe ouvrière. Ils ont été ces classiques pompiers, bien connus en Italie, qui, en faisant usage de démagogie effrontée, se sont opposés avec mille astuces à la victoire prolétarienne. Les prolétaires n’ont qu’à regarder dans tel ou tel pays, dans tel ou tel mouvement syndical, pour se rendre compte qu’il n’y a aucune différence entre les paisibles trade-unionistes anglais, australiens et américains, et les syndicats français excités de l’avant-guerre – ceux d’aujourd'hui sont plus calmes, même s’ils se font encore appeler révolution-naires –, entre les raides bonzes allemands et nos beaux parleurs de confédéraux italiens. Même les syndicalistes-anarchistes à la Borghi n’échappent pas à cet examen, ils ont été seulement des concurrents des confédéraux. Dans toutes ces organisations, c’est la bonzocratie qui prévaut. Et c’est cette bonzocratie, cette corruption qu’elle a semée au sein de la classe ouvrière, ainsi que ces illusions d’une évolution idyllique vers la démocratie universelle, qui ont permis que, lorsque la guerre a éclaté, presque tous ces organismes se soient ralliés à la bourgeoisie en reniant la lutte de classe au nom de l’unité nationale. L’on dira que cela ne s’est pas passé comme cela en Italie : mais l’on ne niera pas non plus que ces organes n’ont rien fait pour saboter la guerre. Et l’on remarquera en outre que ceux-ci ont tout fait, en accord avec tous les partis, pour que l’occupation des usines se transforme en une défaite prolétarienne. Et ce n'est pas sans raison que la bonzocratie a agi de la sorte car, d’une certaine manière, elle défendait ses intérêts. Les occupations des usines, certain mouvements annonciateurs à Turin et l’épisode de la Miani et Silvestri à Naples, laissaient entrevoir les premières lueurs d’une nouvelle mentalité prolétarienne, les germes de nouveaux organismes qui annonçaient en soi le déclin de la bonzocratie. La classe ouvrière menaçait de retrouver par elle-même son unité et son autonomie, le chemin pour se débarrasser de l’État, des fonctionnaires syndicaux et de parti. Ce n’était plus, en Vénétie et dans les Pouilles, la masse que les syndicalistes et les confédéraux poussaient comme le castrateur pousse le taureau dans l’arène en leur faisant miroiter une augmentation de salaire de plus en plus importante, et ce n’était pas non plus la masse de manœuvre à laquelle on annonçait tous les jours la révolution pour le lendemain. Et c’est pourquoi les bonzes syndicaux, apercevant la menace à l’horizon, ont abandonné le mouvement ouvrier dans les bras de la réaction.

Ensuite, ce sont les communistes qui sont apparus en criant à tue-tête à la trahison, en proclamant que ces organisations avaient manqué à leur mission étant donné que leurs chefs étaient des réformistes et des syndicalistes. « Mettez donc des communistes à leur place et vous verrez », disaient-ils et répétaient-ils aux ouvriers. Et effectivement l’on a vu que, quand les communistes étaient mis à la place des autres, ils faisaient la même chose, ils dilapidaient les caisses de grève, ils discutaient tranquillement autour d’une table avec les patrons et ils jouaient aux pompiers. Telle était l’application pratique de la théorie de Lénine de la conquête des syndicats, la politique révolutionnaire des ennemis déclarés des bonzes. Bordiga et les autres fouettaient les mandarins, le barnum réformiste, ils grinçaient des dents contre la bureaucratie et, en conclusion, ils créaient des bonzes bolcheviks, des pompiers bolcheviks. Comme conquête, c’est pas mal… Et il ne faut pas penser que la formation de nouveaux organismes syndicaux, soi-disant révolutionnaires, puisse guérir le mal à l’avenir. En effet, les dirigeants de ces nouveaux organismes deviennent eux aussi des mandarins, ils discutent aussi autour d’une table avec les patrons, jouent aussi aux pompiers, ni plus ni moins que les autres.

Mais pourquoi font-ils tous la même chose ? Camarade ouvrier, ce n'est pas difficile de t’en rendre compte : si ces gens-là t’amènent, dans le syndicat, à discuter avec le patron, c’est parce qu’ils ne croient pas à la lutte des classes, à la guerre civile et à la révolution. Si ces gens-là te proposent de faire la paix avec les patrons, c’est qu’ils ne désirent pas que tu battes ce patron. Et toi, camarade ouvrier, tu es trop faible, tu fais le jeu de cette politique erronée parce que tu te laisses pousser dans le syndicat pour que tu acceptes le compromis. Si tu t’étais rendu compte que ton patron est ton ennemi, ainsi que tous les patrons en général le sont, que ceux-ci, à cause de leur profit, empêchent le développement social de la production, que, à cause de leur jouissance, ils veulent la misère de toute la clase ouvrière, tu n‘adhèrerais pas aux syndicats de quelque couleur qu’ils soient, et tu dirais aux autres exploités comme toi qu’il faut les détruire. Mais alors, diras-tu, ils ne défendent pas mes intérêts ? Quels intérêts ? Le fait qu’une augmentation de salaire te soit même accordée se produit parce que tu grinces des dents, parce que la force de ta classe pèse, parce que l’on a peur de ta révolte. Les syndicats cherchent plutôt à te détourner de ton objectif de classe, de la révolution ouvrière.

Mais diras-tu encore : et les grèves ne sont-elles donc pas une bonne chose. Si, camarade ouvrier, les grèves sont une très bonne chose quand on commence à se battre, et très mauvaise quand on capitule. Regarde un peu, si nous, par exemple, au cours d’une grève, nous voulions rouer de coups un patron, assommer les sbires qui le défendent et qui nous provoquent, que font les représentants des syndicats ? Ils nous invitent au calme ! Quand ensuite nous aurions eu le petit sou d’augmentation, ils déclarent que nous avons remporté une magnifique victoire. Réfléchis bien, camarade prolétaire : quand nous nous mettons en grève, désirons-nous seulement l’augmentation ? N’y a-t-il pas a quelque chose de plus dans notre geste : un sentiment de révolte, un désir de liberté, d’amélioration réelle ? Eh bien, que font les représentants des syndicats : ils étouffent nos sentiments de révolte et dirigent notre attention vers la simple augmentation de salaire. Et pourtant, tu sais que cette augmentation de salaire est éphémère, que ta condition matérielle et morale demeure la même. Et tu sais bien qu’il n’y a pas seulement les grèves économiques, mais qu’il y a aussi les grèves de solidarité, les grandes grèves politiques. Eh bien, que font les représentants des syndicats : de beaux discours, invitant au calme, disant que demain nous lutterons pour le plus grand idéal, pour la nouvelle société. Ne t’es-t-il jamais venu à l’esprit de leur demander : et aujourd'hui ? Tu sais bien que ils ne feront rien, ni aujourd'hui, ni demain, et que dans l’orbite du syndicat toi non plus tu ne pourras rien faire

Mais que dois-je faire ? Eh bien, rapproche-toi de tes camarades de travail et communique leur tes idées, dis-leur que la classe ouvrière se suffit à elle-même, que les grèves sont justes, sont belles, si elles se transforment en révolte. Sabote la machine quand le patron t’écrase ou te met à la porte. Tire sur la flicaille quand elle vient défendre les intérêts du patron. Avec ton geste, tu entames la guerre civile.

Mais lorsque la révolution sera faite, il faudra bien des syndicats : eh bien, s’il y a une raison pour détruire les syndicats, elle réside précisément dans le fait de défendre la révolution. La classe ouvrière n’a pas besoin de bureaucratie, de bonzocratie : pourquoi devrait-elle constituer, défendre, des organismes qui, comme en Russie aujourd'hui, sont la tunique de Nessus du prolétariat ?

Il y a des gens qui pensent conquérir les corporations fascistes en Italie, il y en a qui veulent les détruire afin de récréer de nouvelles organisations syndicales. Pour quoi faire ? Que ferons-nous de ces organismes quand nous aurons abattu le capitalisme en Italie ? La production, c’est nous qui la gérons ; nous pensons à nos intérêts ; que devons-nous donc faire de cette chose inutile ? Certains pensent-ils que les syndicats doivent contrôler l’activité des soviets, des conseils ? Mais les conseils seront quelque chose qui est composé par la masse, par les ouvriers dans l’usine, et donc qu’est-ce que ce contrôle ? Un contrôle par des mandarins ? Par des bonzes ? Pour qu’ils nous fassent cadeau de brigades de choc et d’une nouvelle discipline de travail ? De directeurs rouges et d’un système de travail à la Ford ?

La théorie du contrôle syndical se transforme dans la réalité en tyrannie des bonzes. Et nous, nous tordrons le cou aux bonzes, avec ou sans leur approbation.


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Dans la dernière période de leur activité révolutionaire, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ont constaté

la fonction contre-révolutionnaire des syndicats.

Les bolcheviks se gardent bien de le dire.



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Pourquoi nous sommes pour le boycott

des parlements ?


Qu’est-ce que le parlement ? Une institution qui a toujours servi à la bourgeoisie pour sa domination : originellement, en France, il a été, sous la forme de la Constituante ou de l’Assemblée législative, un organe de lutte, et même un organe révolutionnaire dans le sens bourgeois de ce terme. Il sert à renverser dans un premier temps la domination de l’aristocratie et de la monarchie de droit divin, à proclamer les droits des citoyens, leur égalité devant la loi. Il ne s’agit là naturellement que d’une fiction : le côté révolutionnaire des premières formes parlementaires, de la Convention même, réside uniquement dans le renversement de l’Ancien Régime(*). Il ne consiste pas du tout dans l’introduction d’une égalité réelle des citoyens, puisque celle-ci est annulée par l’inégalité économique. Il sanctionne et tend à perpétuer cette inégalité, il veut éterniser un état de fait dans lequel la prétendue liberté des citoyens se réduit à la liberté de la classe bourgeoise d’exploiter et de dominer. Une fois liquidée la lutte contre l’Ancien Régime, contre les formes féodales, le constitutionnalisme parlementaire devient une forme de simple domination du capitalisme en voie de développement, une forme réactionnaire. Déjà en 1848 et 1849, la Constituante en France sert d’arme aux bourgeois pour réprimer le mouvement prolétarien naissant et pour préparer l’avènement de Napoléon III. En 1871, l’Assemblée rurale est la réaction, le parlement de Thiers est l’arme la plus efficace pour étrangler le mouvement communard. Cléricaux, démocrates et socialistes, ont collaboré moralement et matériellement au massacre effroyable avec lequel s’est terminée la révolution de 1871. À sa naissance en Allemagne, à Berlin et à Francfort, l’assemblée a manifesté déjà ses tendances réactionnaires.

La domination capitaliste se consolidant définitivement, le parlement devient, dans les nations démocratiques ou soi-disant telles, l’expression la plus authentique de la prépondé-rance capitaliste. À l’époque où le mouvement prolétarien, comme l’avait fait le chartisme en Angleterre, a formulé des revendications démocratiques, telle que celle du suffrage universel, il n’a pas vu que sa participation au parlement par l’intermédiaire de ses représentants ne faisait que préparer un renforcement du régime parlementaire. Certes, le sentiment qui guidait les prolétaires avait à l’époque une valeur révolutionnaire, mais l’enthousiasme ouvrier mal dirigé devait forcément, avec le développement qui a suivi de l’aristocratie ouvrière, faire naufrage sur les écueils de la collaboration. Les problèmes n’étaient pas encore apparus en pleine clarté et il semblait alors que le suffrage universel devait entraîner une grande activité politique des masses et provoquer en elles un développement de la conscience. Il ne faut pas nier que le début de ce mouvement comporte un côté positif dans la mesure où il suscite au sein du prolétariat de nouvelles initiatives et où il oriente son attention sur des problèmes un peu plus vastes. Il permet au prolétariat parisien de passer sur le terrain d’une action consciente : en effet, il ne faut pas oublier que les conceptions dont la Commune s’est inspirée trouvaient une large base dans le respect du suffrage universel et d’une certaine idéologie démocratique et nationale, laquelle n’a été dépassée que trop tard dans la lutte. C’est pour les mêmes raisons qu’il ne faut pas dissimuler le côté négatif que le mouvement pour le suffrage universel et la participation parlementaire ont eu en soi : mais cela représente un très vaste champ d’expérience dans la mesure où aujourd'hui, peu à peu, il conduit les masses à estimer les effets de la politique parlementaire des chefs et des démagogues. Le côté négatif a été précisément la corruption inévitable des couches prolétariennes qui, dans les cuisines électorales, ont perdu de vue les problèmes fondamentaux de la révolution. Éviter ce processus de corruption n’était certes pas un facteur de volonté, car l’on ne pouvait pas orienter les masses vers une direction différente à une époque historique dans laquelle cette expérience s’imposait.

Il reste un fait indiscutable, à savoir que, si des éléments anarchistes ont vu pour la classe ouvrière cette voie différente, cela a du mérite ; il faut cependant remarquer que les tendances antiparlementaires sont devenues une tradition un peu fade dans le camp anarchiste, tandis qu’elles ont trouvé une expression nouvelle et vivante dans les courants ouvriers communistes qui, durant la guerre et après elle, se sont développés dans tous les pays.

L’antiparlementarisme léniniste ne peut assurément pas être compté dans ce mouvement, étant donné qu’il représente un mélange curieux, une contamination de tendances bourgeoises et prolétariennes. Chez lui, le parlement est condamné en principe, mais, c’est étrange, il est valorisé tactiquement et cela sur la base de l’expérience russe. Le léninisme ou le bolchevisme a cru pendant un moment de l’histoire à sa nature prolétarienne et, en tant que tel, il a cru que son expérience devait se reproduire dans les pays occidentaux. Aujourd'hui, il ne croit plus en sa nature prolétarienne, mais il a tout intérêt à le laisser croire aux ouvriers. À l’épreuve des faits, aujourd'hui, il apparaît nettement que la révolution russe a conduit avec le temps à l’élimination de toute activité des conseils ouvriers et à la dictature de parti, qui, bien que n’ayant pas la forme parlementaire, reproduit clairement tous les systèmes de la politique bourgeoise.

L’antiparlementarisme léniniste, équivoque et incompréhensible pour une véritable élite révolutionnaire, se démasque aujourd'hui totalement puisque, au lieu de démolir le préjugé du suffrage électoral, il le renforce en proclamant comme étant des victoires communistes les succès électoraux allemands en particulier. De cette façon-là, le suffrage universel est en passe d’acquérir pour le bolchevisme une valeur nettement révolutionnaire ! C’est tout autre chose que de la propagande antiparlementaire ! Le parlementarisme antiparlementaire des bolcheviks trouve définitivement sa raison, et il ne se différencie en rien de l’électoralisme des socialistes italiens de 1919. Il sert à conduire le prolétariat, dans ce cas-là, lors des dernières élections allemandes, sur un terrain purement ultranationaliste en les détournant des problèmes fondamentaux de la révolution. Le masque bolchevik tombe ouvertement encore une fois comme en 1923, et l’alliance germano-russe se révèle être encore une fois une réalité indéniable. Les quatre millions et demi de voix que la Parti communiste allemand a remportés sont un cadeau que la bourgeoisie allemande a fait à la néo-bourgeoisie russe. Et c‘est là le marécage dans lequel l’antiparlementarisme parlementaire des bolcheviks devait finir par s’échouer.

En Italie, il est apparu à un moment donné, dans le Parti socialiste italien, un courant abstentionniste qui souhaitait, comme les groupes semblables de Hollande, comme le Parti communiste anglais, comme une partie de la Ligue Spartacus en Allemagne, le boycott du parlement. Il a été liquidé par le même Bordiga qui en avait parrainé la formation. Ces abstentionnistes ont soutenu un peu faiblement dans Il Soviet de Naples le boycott du parlement. Mais, en 1924, c’est le même Bordiga qui affirmait que la participation aux élections était un acte de courage et par conséquent nécessaire. Comme si le courage des révolutionnaires n’avait pas d’autres domaines où se manifester ! Beaucoup peuvent dire aujourd'hui : regardez, le fascisme ne veut plus du suffrage universel, mais il veut que l’on vote pour sa liste : eh bien, aujourd'hui, aujourd'hui précisément, c’est de ne pas voter qui est un acte de courage. Le fait de ne pas voter est une condamnation du parlement fasciste et du parlement démocratique. Mais il ne suffit pas de ne pas voter ; il faut organiser le boycott non seulement du parlement, mais aussi des élections, et ce dans tous les pays.

En Italie, le fait est clair : le parlement démocratique a accouché du parlement fasciste. En lui, plus que dans tout autre pays, l’essence du parlement est démasquée. Les héritiers de Matteotti, les pleurnicheurs couards de la Concentration, cherchent à faire revivre dans la figure de la victime qui, vivante, aurait toujours été un ennemi de la classe ouvrière, la tradition du bon parlement, du parlement dans lequel la démagogie du XIX° siècle a trouvé un [ ?] digne. Le parlement a été transformé en bivouac(*) en 1922 sans que [mots illisibles], un parlement qui en 1924 a sauvé le Duce parce qu’il fait davantage que l’immonde sycophante de Predappio(**). Un parlement qui a sauvé la bourgeoisie au cours de la farce de 1919 qui a parodié la révolution prolétarienne, et qui l’a couverte de honte. Et le ramassis de stercoraires puants de la Concentration voudrait encore nous redonner un parlement dans lequel le plus vil des réformistes, Filippo Turati, cette prostituée parlementaire décrépite, trônerait avec la troupe des profiteurs de l’émigration, de ses complices de la Ligue des droits de l’homme, des lèche-bottes et des flics de la bourgeoisie française. L’assemble républicaine dans laquelle les Caporali et les Salvi devraient, avec les Baldini et consorts, trouver la récompense aux côtés d’un va-t-en-guerre qui a échoué, d’un quelconque Schiavetti, la récompense de leurs saletés commises sur le sol français. Ce sera cela le nouveau parlement : et si le temps lui en est donné, auquel participeront en union licite les mercenaires de Staline auxquels nous, les prolétaires, nous briserons l’échine et que nous balayerons comme les grandes salles du Vatican et les pièces du Quirinal. Avec de la mitraille !


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Que veulent les communistes ouvriers ? La dictature des conseils et non pas la dictature de parti, l’organisation antiétatique du prolétariat conscient.

C’est pour cela qu’ils demandent au prolétariat de ne pas envoyer des représentants au parlement, de saboter les élections, d’entamer la guerre civile sur tous les terrains de lutte. De détruire les syndicats qui font partie de l’appareil de l’État, de briser l’État bourgeois, de continuer la guerre civile jusqu’à l’anéantissement du capitalisme dans tous les pays.



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(*)(*) Il s’agit de la Concentration d'Action antifasciste, un organisme qui regroupe, depuis le congrès constitutif de Nérac d'avril 1927, le PSIL, le PSI, le Parti républicain, la CGL, et la Ligue italienne des Droits de l'Homme. (NdT).

(*)(*) Bresci : attentat contre le roi Humbert I°, 1900 ; Passannante : attentat contre le même roi, 1878. (NdT).

(**)(**) Faisait partie des Arditi del popolo et a été responsable d’un attentat contre Mussolini. (NdT).

(***)(***) Bombacci appartenait à la minorité du PCd’I qui était favorable à l’action des Arditi del popolo, contrairement à la ligne du Parti. Exclu du PCd’I en 1926, il se rapproche ensuite nettement des fascistes (NdT).

(****)(****) En français dans le texte. (NdT).

(*)(*) En français dans le texte. (NdT).

(*)(*) Référence à la phrase que Mussolini prononce lors de sa présentation devant le parlement : « Je pouvais faire de cette salle sourde et grise un bivouac de manipules ». (NdT). 

(**)(**) Predappio est le lieu de naissance de Mussolini. (NdT).

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