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samedi 16 mai 2020

LES MASSES ET L'AVANT-GARDE (Living Marxism USA 1938)


Présentation
Cet article du numéro 4 de Living Marxism, paru en 1938, est saisissant, il a une étrange résonance actuelle; son titre est évidemment une parodie du fameux texte de Rosa Luxemburg: Masses et chefs, avec toujours aussi peu de respect pour les chefs. La crise mondiale du coronavirus a des ressemblances frappantes avec la veille de la Seconde Guerre mondiale. Les militants de Living Marxism autour de Paul Mattick étaient-ils de doux rêveurs, des désespérés qui voulaient rêver comme leurs collègues de Bilan de l'autre côté de l'Atlantique, en Belgique, espérant toujours la « révolution mondiale » ? Alors que les bruits de bottes résonnaient tristement en Europe ? Ils n'étaient pourtant ni fous ni utopistes et bien dans la réalité de l'époque qui faisait suite au krach de 1929 et où l'on vit se dérouler durant les années 1930 probablement les luttes ouvrières les plus importantes de l'histoire du capitalisme par leur nombre, leur simultanéité non pas dans des pays « arriérés » mais dans les principales nations européennes et jusqu'en Chine. Dans le milieu maximaliste historique nous avons toujours combattu les illusions et le cinéma des fronts populaires que nous caractérisions comme « cours à la défaite » à la suite des fausses solutions de la gauche bourgeoise. Or il faut réviser cette vision lointaine de soixante-huitards qui croyaient tout savoir et ont pensé que la montée à la guerre avait été un tranquille boulevard par la bourgeoisie. Je l'ai souvent rappelé, si la bourgeoisie allemande derrière Hitler, attend un an de 1939 à 1940, c'est qu'elle, et aussi les autres bourgeoisies, a peur d'une nouvelle Commune de Paris. Il s'en est fallu de peu d'ailleurs que Hitler rate son coup dans les Ardennes, comme le révèlent des archives d'histoire réactualisées.
On a reproché à Living Marxism d'avoir ouvert la porte au « modernisme » avec la notion d'ancien mouvement ouvrier, qui n'était pas forcément une idée confuse, si le prolétariat est pérenne il sa connu de nombreuses recompositions, en même temps que la modernisation des usines et la généralisation d'emplois de bureaux (qui lui ont fait croire longtemps qu'il n'était plus une classe « ouvrière »). En relisant ce texte, il n'a aucun manque de confiance dans les capacités du prolétariat, même avec un « nouveau » mouvement ouvrier, mais il y manque, bien sûr, une actualisation de la forme que prendront les pouvoirs « législatif et exécutif » du prolétariat – que l'on nommait « pouvoir des conseils ouvriers » - alors que son « ancienne » base naturelle était les usines (disparues) et qu'existent une myriade infinie de petites entreprises, qui font supposer que les formes du « pouvoir prolétarien » de l'avenir seront dépendantes plutôt de lieux, de concentrations industrielles ou salariales, de quartiers paupérisés, etc. La discipline dont a fait preuve pratiquement partout la population mondiale face à la pandémie vient prouver que la responsabilité est dans celle-ci pas dans nos Etats « impotents » comme sont impotents nos variétés de partis et syndicats1. Pour la mise en place des pouvoirs « législatif et exécutif », nous pouvons faire confiance au prolétariat, qui saura non pas ré-inventer le capitalisme mais se réinventer. 
Des milieux gauchistes, trotskiens probablement, ont aussi reproché jadis au courant représenté par Mattick et Living Marxism, d'avoir fait équivaloir nazisme et stalinisme (fascisme "blanc et rouge"), ils ont eu tort, Staline a autant massacré qu'Hitler mais il a fait plus de mal que lui en ridiculisant pour un siècle la notion et perspective de communisme. Il a encore de nombreux souteneurs criminels qui le couvrent de lauriers pour avoir "gagné la guerre contre Hitler". Et haussé l'ordre bourgeois démocratique (et impotent) au rang d'un mausolée miteux.
Nos aïeux de Living Marxism expriment assez bien qu'on est encore en période d'hésitations. 11 millions d'américains sont au chômage en 1938, ce n'est pas rien, il n'y en avait pas tant à la veille de la révolution en Russie. Mais un grand nombre de chômeurs ne signifie pas veille de révolution.. . Quoique, s'il a fallu à Hitler attendre un an avant d'envahir la France, il faudra quatre ans à la bourgeoisie américaine pour se mêler à son tour de la guerre mondiale ! Le temps d'embrigader les chômeurs, me direz-vous ? Et de diaboliser dans la classe ouvrière UN SEUL fauteur de guerre. Liquidons un cliché : « Hitler aurait résorbé le chômage » et « la guerre aurait permis de développer l'économie et sa gestion ». Lisons ce qu'en dit le grand économiste Daniel Cohen (qui confirme la longue hésitation US à entrer en guerre) :
« Mesuré à l'aune du seul taux de chômage, le succès nazi a, de fait, été époustouflant. D'un pic de 5 millions de chômeurs en 1932, l'Allemagne nazie n'en compte plus que 400 000 en 1938. Par comparaison, aux Etats-Unis où le taux de chômage a pourtant baissé de moitié entre ces deux dates, il reste à un niveau extrêmement élevé en 1938, de plus de 14%. Ce n'est qu'avec la Seconde Guerre mondiale que le chômage américain retrouvera les niveaux antérieurs à la crise. (en revanche) Ce n'est qu'à partir de 1936 que les nazis se sont préparés à la guerre. A partir d'octobre 1936, Goering prend la responsabilité de la planification économique. Avec un résultat, selon Overy, qui se traduit par une «planification confuse, des pénuries d'emploi, une organisation industrielle médiocre». Au lendemain de la guerre, les alliés seront abasourdis par la mauvaise organisation des usines allemandes. Si l'on prend comme mesure de la réussite économique la progression de la productivité du travail, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Elle double aux Etats-Unis entre 1913 et 1938, progresse de 180% en France, mais n'augmente que de 37% en Allemagne »2.
Une histoire du chômage aux Etats-Unis nous apprend ceci :
« En général, la durée moyenne du chômage était de 3 à 4-5 mois. Une grande majorité des chômeurs appartenait à la classe ouvrière et le taux de chômage était beaucoup plus élevé chez les ouvriers que dans les classes moyennes. Mais ce taux de chômage – et en termes psychologiques la menace de chômage – n'était pas du tout identique dans les différents corps de métiers : ainsi, les ouvriers de la chaussure étaient beaucoup plus souvent au chômage que ceux du textile. Plus surprenant, peut-être, est le fait que la répartition du chômage était assez égalitaire dans les différents groupes sociaux de la classe ouvrière. Les immigrés connaissaient davantage le chômage que ceux qui étaient nés dans le pays, mais la différence n'était pas très importante. De la même façon, le taux de chômage des jeunes n'était guère plus élevé que celui des adultes. Et, en général, les hommes et les femmes ont été touchés par ce phénomène de la même façon pendant toute cette période »3.
Aujourd'hui les différences sont non seulement plus marquées, plus inégalitaires mais montrent que les fameuses couches moyennes sont particulièrement impactées, leurs enfants et leurs grand-mères. On compte près de 36 millions de chômeurs déclarés aux Etats-Unis (vous avez bien lu qu'il n'y en avait que onze en 1938). Je vous passe le nombre de millions en train de monter dans tous les pays, sans oublier l'immense masse des travailleurs journaliers jamais comptabilisés. Les Etats bourgeois des années 1930 n'étaient pas des Etats « impotents » comme nos actuels exploiteurs dans tous les pays qui ont fait preuve d'une irresponsabilité et impéritie impardonnables. Cet élément politique clairement perçu par l'ensemble de la population est probablement le fait le plus subversif apparu sur la planète depuis la seconde boucherie mondiale. Tous les Etats ont révélé leur incompétence, clown chinois comme clown américain et le lilliputien Etat français qui s'est laissé dépouiller tranquillement depuis des lustres de toute son industrie de base.
Les questions posées par cette catastrophe endémique, qui est surtout une grande catastrophe du cynisme capitaliste ne permet plus de jouer à la contestation. Les petits rigolos gilets jaunes peuvent cesser leur carnaval qui s'est fondu au niveau localiste du syndicalisme et ne représente plus au carrefour que des piquets de vieux machins déconfinés des EPHAD. Merci au syndicat SUD de s'être désolidarisé à Purpan de cette noria de vieux anars ou vieux péquenots.
La crise du covid-19 a enfin mis en évidence que la société opaque de la consommation, des voyages, de la libre entreprise, des perpétuelles distractions numériques et pipolesques, dépendait de deux choses très triviales : la production et la consommation. Que le travail et la faim dans le monde sont liés. Que c'est une classe principalement qui permet au monde de fonctionner et de ne pas crever. Il paraît qu'elle était devenue depuis longtemps invisible ! Et qu'elle a de l'imagination lorsqu'il s'agit de produire ce qui est essentiel et pas superflu.
Enfin tout l'objet secondaire de l'article - « l'avant-garde » - occupe finalement peu de place, comme aujourd'hui, mais c'est d'un côté normal, et répétitif historiquement, mais il ne faudrait pas seulement le déplorer. L'épisode de fléau mondial que nous sommes en train de vivre, va-t-il cher Paul Mattick, nous permettre de jouer la revanche de 1938? Qui sait?
(traduction : Pierre Hempel)

Les changements économiques et politiques se sont poursuivis avec une rapidité déconcertante depuis la fin de la guerre mondiale. Les vieilles conceptions dans le mouvement ouvrier sont devenues défectueuses et inadéquates avec des organisations de la classe ouvrière qui n'offrent qu'un spectacle d’indécision et de confusion. Compte tenu de l’évolution de la situation économique et politique, il semble que la réévaluation en profondeur de la tâche de la classe ouvrière devienne nécessaire pour trouver les formes de lutte et d’organisation les plus nécessaires et efficaces.
La relation au "parti", "organisation de l’avant-garde" des masses joue un rôle important dans la discussion contemporaine. Que l’importance et le caractère indispensable de l’avant-garde ou du parti soit surestimée dans les milieux ouvriers n’est pas surprenant, puisque toute l’histoire et la tradition du mouvement tend dans cette direction. Le mouvement ouvrier d’aujourd’hui est le fruit des développements économiques et politiques qui ont trouvé leur première expression dans le mouvement chartiste en Angleterre (1838-1848), le développement ultérieur des syndicats à partir des années cinquante, et dans le mouvement lassalléen en Allemagne dans les années 1860. Correspondant au degré de développement capitaliste des syndicats et des partis politiques développés dans les autres pays d’Europe et d’Amérique.
Le renversement du féodalisme et les besoins de l’industrie capitaliste en eux-mêmes nécessitaient la vocation du prolétariat et l’octroi de certains privilèges démocratiques par les capitalistes. Ce dernier avait réorganisé la société en fonction de leurs besoins. La structure politique du féodalisme a été remplacée par le parlementarisme capitaliste. L’État capitaliste, l’instrument pour administrer les affaires communes de la classe capitaliste, a été établi et adapté aux besoins de la nouvelle classe.
Il fallait maintenant compter avec le prolétariat dérangeant dont l’aide contre les forces féodales avait été nécessaire. Une fois mis en oeuvre, il ne pourrait pas être complètement éliminé en tant que facteur politique. Mais il pourrait être rattaché. Et cela a été fait - en partie consciemment avec ruse et en partie par la dynamique même de l’économie capitaliste - lorsque la classe ouvrière s’est ajustée et soumise au nouvel ordre. On a organisé des syndicats dont les objectifs limités (meilleurs salaires et conditions) pouvaient être réalisés dans une économie capitaliste en expansion. On a joué le jeu de la politique capitaliste dans l’État capitaliste (dont les pratiques et les formes étaient déterminées principalement par les besoins capitalistes) et dans ces limites, ont été obtenu des succès apparents.
Mais c’est ainsi que le prolétariat adopta les formes capitalistes d’organisation et les idéologies capitalistes. Les partis ouvriers, comme ceux des capitalistes, devinrent des sociétés limitées, les besoins élémentaires de la classe furent subordonnés à l’opportunisme politique. Les objectifs révolutionnaires ont été déplacés dans le cadre de marchandages et les manipulations des positions politiques. Le parti est devenu très important, ses objectifs immédiats ont prédominé sur ceux de la classe. Quand des situations révolutionnaires ont mis en mouvement la classe, dont la tendance est de lutter pour la réalisation de l’objectif révolutionnaire, les partis ouvriers "représentaient" la classe ouvrière et étaient eux-mêmes "représentés" par les parlementaires dont la position même au parlement constitue la résignation à leur statut de négociants au sein de l'ordre capitaliste.
La rattachement général des organisations ouvrières au capitalisme a vu l’adoption de la même spécialisation, dans les activités syndicales et de parti, qui caractérise la hiérarchie des industries. Les directeurs, les surintendants et les contremaîtres voyaient leurs contre-parties dans la présidence, les organisateurs et les secrétaires des organisations syndicales. Conseils d’administration, comités exécutifs, etc. La masse des travailleurs organisés comme la masse des esclaves salariés dans l’industrie a laissé le travail de direction et de contrôle à des supérieurs. Cette émasculation de l’initiative ouvrière se poursuivit rapidement alors que le capitalisme étendait son emprise. Jusqu’à ce que la guerre mondiale mette fin à une expansion capitaliste plus pacifique et "ordonnée".
Les soulèvements en Russie, en Hongrie et en Allemagne avaient montré une résurgence de l’action et de l’initiative de masse. Les nécessités sociales avaient contraint à l’action par les masses. Mais les traditions du vieux mouvement ouvrier en Europe occidentale et le retard économique de l’Europe de l’Est ont compromis l’accomplissement de la mission historique du prolétariat. L’Europe occidentale a vu les masses défaites et la montée du fascisme à la Mussolini et Hitler, tandis que l’économie arriérée de la Russie a développé ce "communisme" dans lequel la différenciation entre classe et avant-garde, la spécialisation des fonctions et l'enrégimentation du travail ont atteint son point le plus élevé.
Le principe de la direction, l’idée de l’avant-garde qui doit assumer la responsabilité du prolétariat révolutionnaire est basé sur la conception d’avant-guerre du mouvement ouvrier. Les tâches de la révolution et de la réorganisation communiste de la société ne peuvent être réalisées sans l’action la plus large et la plus complète des masses elles-mêmes. C’est leur tâche et leur solution.
Le déclin de l’Économie capitaliste, la paralysie progressive, l’instabilité, l’âne chômeur, les coupes salariales et la paupérisation intensive des travailleurs - tous ces contraindre l’action, en dépit du fascisme à la Hitler ou au fascisme déguisé de l’A.F. de L4. Les anciennes organisations sont soit détruites, soit volontairement réduites à l’impuissance. L’action réelle est maintenant possible seulement en dehors des anciennes organisations. En Italie, Allemagne, en Russie, le fascisme Blanc et Rouge a déjà détruit toutes les vieilles organisations et confronté directement les travailleurs face au problème de trouver les nouvelles formes d'organisation de la lutte. En Angleterre, en France et en Amérique, les vieilles organisations maintiennent encore un degré d'illusions parmi les travailleurs, mais leur longue soumission aux forces de la réaction sape leur crédibilité.
Les principes de la lutte indépendante, de la solidarité et du communisme seront imposés dans la lutte de classe actuelle. Avec la puissante tendance vers la consolidation et l’action de masse, la théorie du regroupement et du réalignement des organisations militantes semble dépassée. Certes, le regroupement est essentiel, mais il ne peut s’agir d’une simple fusion des organismes existants. Dans les conditions nouvelles une révision des formes de combat est nécessaire. "La Clarté d’abord - puis l’unité". Même les petits groupes qui reconnaissent et exhortent les principes du mouvement de masse indépendant sont aujourd’hui beaucoup plus importants que les grands groupes qui déprécient le pouvoir des masses.
Il y a des groupes qui perçoivent les défauts et les faiblesses des partis. Ils critiquent souvent la combinaison du front populaire et des syndicats. Mais leurs critiques sont limitées. Ils n’ont pas une compréhension globale de la nouvelle société. Les tâches du prolétariat sont complétées par par après par la saisie de la production et l’abolition de la propriété privée. La question de la réorganisation sociale doit être posée et résolue avant. Le socialisme d’Etat doit-il être rejeté? Quelle sera la base d’une société sans esclavage salarial ? Qu'est-ce qui détermine les relations économiques entre les usines ? Qu’est-ce qui détermine les relations entre les producteurs et le produit total?
Ces questions et leurs réponses sont essentielles pour comprendre les formes de lutte et d’organisation d’aujourd’hui. Ici, le conflit entre le principe de direction et le principe d’organisation de masse indépendante devient apparent. Car, une compréhension approfondie de ces questions, conduit à la réalisation que l’activité la plus large, globale, directe du prolétariat en tant que classe, nécessaire afin de réaliser le communisme. D’une importance primordiale est l’abolition du système des salaires. La volonté et les bonnes volontés des hommes ne sont pas suffisantes pour conserver ce système après la révolution (comme en Russie) sans finalement céder à la dynamique qu’il implique. Il ne faut pas seulement se saisir des moyens de production et abolir la propriété privée. Il faut abolir la condition de base de l’exploitation moderne de l'esclavage salarié, et cette loi apporte les mesures successives de réorganisation qui ne seraient jamais invoquées sans le premier pas. Les groupes qui n’ont pas mis à leur ordre du jour ces questions, leurs critiques sont vaines, il leur manque les éléments les plus importants pour la formation d'une politique révolutionnaire saine. L’abolition du système des salaires doit être soigneusement étudiée dans son rapport avec la politique et l’économie. L’article suivant - La production et la distribution communiste (traduit sur ce blog) - traite de certains aspects économiques du problème. Nous aborderons ici certaines des implications politiques.
Il y a d’abord la question de la prise du pouvoir par les travailleurs. Il faut insister sur le principe des masses (non du parti ni de l’avant-garde) qui guide les travailleurs. Le communisme ne peut être introduit ou réalisé par un parti. Seul le prolétariat peut le faire. Le communisme signifie que les ouvriers ont pris leur destin en main; qu’ils ont aboli les salaires; qu’ils ont, avec la suppression de l’appareil bureaucratique, combiné les pouvoirs législatif et exécutif. L’unité des travailleurs ne réside pas dans la fusion sacro-sainte des partis ou des syndicats, mais dans la similitude de leurs besoins dans l’action de masse. Tous les problèmes des ouvriers doivent donc être considérés en relation avec le développement de l’auto-action des masses.
Il est faux de dire que l’esprit non combatif des partis politiques serait dû à la malice ou au réformisme de leurs dirigeants. Les partis politiques sont impuissants. Ils ne feront rien, parce qu’ils ne peuvent rien faire. En raison de sa faiblesse économique, le capitalisme s’est organisé pour la répression et la terreur et est actuellement politiquement très fort, car il est forcé d’exercer tous ses efforts pour se maintenir. L’accumulation du capital, énorme à travers le monde, a rétréci le rendement du profit, - fait qui se manifeste par les contradictions entre les nations; et, dans les politiques internes, par la "dévaluation", l’expropriation partielle de la classe moyenne et l’abaissement du niveau de subsistance des travailleurs ; et, en général, par la centralisation du pouvoir des unités du grand capital dans les mains de l'Etat.
Contre ce pouvoir centralisé, de petits groupes ne peuvent rien faire. Les masses seules peuvent le combattre, car elles seules peuvent détruire le pouvoir de l’État et devenir une force politique. C’est pourquoi la lutte fondée sur les organisations artisanales devient obsolète, et les grands mouvements de masse, sans restriction par la limitation de telles organisations, doivent nécessairement les remplacer. Telle est la nouvelle situation à laquelle sont confrontés les travailleurs. Mais d’elle jaillit une faiblesse réelle. Depuis que l’ancienne méthode de lutte par le biais des élections et l’activité syndicale limitée est devenue tout à fait futile, une nouvelle méthode, il est vrai, s'est instinctivement développée, mais cette méthode n’a pas encore été appliquée de façon consciente, et n'est donc pas efficacement appliquée. Là où leurs partis et leurs syndicats sont impuissants, les masses commencent déjà à s’exprimer par les grèves sauvages. En Amérique, en Angleterre, en France, en Belgique, Hollande, Espagne, Pologne – des grèves sauvages se sont développées et, à travers elles, les masses apportent la profonde preuve que les vieilles organisations ne sont plus utiles pour la lutte.
Les grèves sauvages ne sont pas, cependant, désorganisées, comme leur nom l’indique. Elles sont désignées comme telles par les bureaucrates syndicaux, parce ce sont des grèves formées en dehors de leurs organisations officielles. Les grévistes eux-mêmes organisent la grève, car c’est une vieille vérité : c'est seulement en tant que masse organisée que les travailleurs peuvent lutter et dominer. Ils forment des piquets de grève, pourvoient à l'éjection des briseurs de grève, organisent des secours de grève, nouent des relations avec d’autres usines… En un mot, ils assument eux-mêmes la direction de leur propre grève, et ils l’organisent sur la base de l'usine.
C’est précisément dans ces mouvements que les grévistes trouvent leur unité de lutte. C’est alors qu’ils prennent leur destin en main et unissent "le pouvoir législatif et exécutif" en éliminant les syndicats et les partis, comme l’illustrent plusieurs grèves en Belgique et en Hollande.
Mais l'action indépendante de classe est encore faible.
Le fait que les grévistes, désireux de poursuivre leur action indépendante pour élargir leur mouvement, appellent les syndicats à les rejoindre, est une indication que, dans les conditions existantes, leur mouvement ne peut pas encore devenir une force politique capable de lutter contre le capital concentré. Mais ce n'est qu'un début.
Parfois, cependant, la lutte indépendante fait un grand bond en avant, comme avec les grèves des mineurs asturiens en 1934, les mineurs belges en 1935, les grèves en France, en Belgique et en Amérique en 1936, et la révolution catalane en 1936. Ces « épidémies » sont la preuve qu’une nouvelle force sociale est en train de surgir parmi les travailleurs, trouve le leadership des travailleurs, soumet les institutions sociales aux masses, est déjà « en marche ». (les guillemets sont du traducteur)
Les grèves ne sont plus alors de simples interruptions de profits ou de simples perturbations économiques. La grève indépendante tire sa signification de l’action des travailleurs en tant que classe organisée. Avec le système des comités d’usine et des conseils ouvriers qui s’étendent sur de larges espaces, le prolétariat crée les organes qui règlent la production, la distribution et toutes les autres fonctions de la vie sociale. Autrement dit, l’appareil administratif civil est privé de tout pouvoir et la dictature prolétarienne s’établit. Ainsi, l’organisation de classe dans la lutte pour le pouvoir est à la fois l’organisation, le contrôle et la gestion des forces productives et de la société tout entière. C’est la base de l’association des producteurs et des consommateurs libres et égaux.
C’est donc le danger que le mouvement de classe indépendant représente pour la société capitaliste. Les grèves sauvages, apparemment de peu d’importance à petite ou grande échelle, sont un communisme embryonnaire. Une petite grève sauvage, dirigée comme telle par les ouvriers et dans l’intérêt des ouvriers, illustre à petite échelle le caractère du futur pouvoir prolétarien.
Un regroupement de militants doit s’appuyer sur la connaissance que les conditions de lutte rendent nécessaire l’union des "pouvoirs législatif et exécutif" entre les mains des ouvriers d’usine.
Ils ne doivent pas faire de compromis sur cette position : Tout le pouvoir aux comités d’action et aux conseils ouvriers ! C’est le front de classe. C’est le chemin vers le communisme. Rendre les travailleurs conscients de l’unité des formes organisationnelles de la lutte, de la dictature de classe, du cadre économique du communisme, avec l'abolition du salariat – est la tâche des militants.
Les militants qui se nomment eux-mêmes « l'avant-garde » présentent aujourd'hui les mêmes faiblesses qui caractérisent les masses à présent. Ils croient encore que les syndicats de l’un ou de l’autre parti doivent diriger la lutte de classe, mais avec des méthodes révolutionnaires. Mais s’il est vrai que des luttes décisives approchent, il ne suffit pas de dire que les dirigeants « ouvriers » sont des traîtres. Il faut surtout aujourd’hui, formuler un plan pour la formation du front de classe et les formes de ses organisations. À cette fin, la mise sous contrôle des partis et des syndicats doit être un objectif inconditionnel du combat. C’est le point crucial de la lutte pour le pouvoir.


NOTES
1Le sommet de l'impotence de la lutte syndicale a été exhibée à souhait par la sérénade pour la défense des retraites, sans
queue ni tête, sans aboutissant ni perspective politique. La CGT, aussi bête qu'un vulgaire bureaucrate gilet jaune, vient de confirmer son rôle de premier syndicat impotent de France.
3https://journals.openedition.org/ccrh/2830

4 American Federation of Labor ou AFL, syndicat nord-américain qui après les heures de gloire de sa fondation est devenu un des principaux flics sociaux pour envoyer la classe ouvrière à la guerre patriotique.

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