PAGES PROLETARIENNES

jeudi 21 février 2019

NOTE SUR LE MOUVEMENT DES GILETS JAUNES ET SON DEVENIR



par Claude Bitot

 Avec cet auteur, qui a milité naguère aux côtés de Bordiga on est toujours surpris par son agilité intellectuelle, sa capacité à discerner esbrouffes et perversités du mensonge bourgeois. Contrairement à tant de nos marxologues dissous dans la bobologie et leurs amis anarchoïdes, il a perçu très tôt l'originalité du mouvement des gilets jaunes, son aspect "mouvement social" et non pas mouvement de "fachos" comme toute cette pauvre "gauche communiste" l'a bavé à la suite de la gouvernance, et dont la plupart, en fin de compte, restent tétanisés par la fabrique antisémite exagérée à dessein pour criminaliser un mouvement de toute manière essoufflé et par conséquent incapable de se défendre. Le premier reproche que je fais à mon estimé camarade Claude reste qu'on ne peut pas miser sur ce mouvement qui est en effet une non-classe, typique des classes intermédiaires sans culture politique et incapables de prendre une orientation politique claire. Je maintiens que l'avenir appartient au prolétariat (que Claude limite à la seule classe ouvrière en effet rabougrie et paralysée depuis des décennies par ses illusions syndicales), mais pas dans l'immédiat puisque tout est planifié par l'Etat pour que le mouvement soit ridiculisé dans l'impasse de la "réaction fasciste" (que j'analyserai dans mon prochain article). Le deuxième reproche que je fais à ce camarade d'une longue lutte commune est qu'il a abandonné le marxisme. Le marxisme est un tout, pas un bloc comme diraient les Clemenceau et son fade imitateur Macron, mais une méthode dont on ne peut séparer l'essentiel de l'indispensable. Bitot laisse tomber le rôle dynamique de la classe ouvrière (évanescente) pour agiter celui du parti rédempteur et directeur d'une nouvelle conscience révolutionnaire sortie du peuple révolté en général. Et voilà comment il retombe dans l'idéalisme dans lequel il végétait adolescent avant d'avoir rencontré Bordiga. C'est une sorte de léninisme caricatural, ce que n'a jamais été Lénine après "Que Faire?", ce parti tant galvaudé qui était sensé apporter la conscience de l'extérieur des masses, parti intellectuel - c a d qui pense "à la place de" comme le sont tous les partis bourgeois. Or, le danger avec cette conception, qui veut dépasser ou combler le vide politique de l'hypocrite démocratie bourgeoise, conception idéaliste qui veut redonner le premier rôle à la décision politique en intégrant les masses au parti unique, est que c'est une conception fasciste, ou pour ne pas être trop méchant avec mon ancien camarade, staliniste.
JLR

Depuis quelques mois un mouvement social appelé les « gilets jaunes » a fait irruption. En raison de sa nouveauté, de son entêtement à se poursuivre, de l’identité de ses acteurs et des commentaires qu’il suscite, celui-ci mérite de s’y s’arrêter.

 Pour cela il faut préalablement voir le contexte dans lequel il a lieu : celui d’un capitalisme entré depuis un certain temps dans sa phase terminale et du même coup en décadence, non seulement économique avec sa croissance en train de s’éteindre, mais aussi sociale avec sa société de classes en train de se décomposer, celle-ci ressemblant de plus en plus à un magma de groupes sociaux qualifiés faussement de « classes », les unes « moyennes » les autres  « populaires ».

Comme avec ce capitalisme, c’est le chômage, la précarité, l’exclusion  pour deux à trois millions de jeunes condamnés à la débrouille pour survivre, les très petites retraites pour certains, les salaires qui ne permettent plus de joindre les deux bouts en fin de mois, en particulier pour les femmes seules avec enfants à charge, une fraction du vaste magma social qui s’est constitué s’est mise à se rebeller en occupant des ronds-points routiers et en manifestant chaque semaine plus ou moins pacifiquement dans diverses villes. L’originalité de ce mouvement c’est qu’il n’est pas celui de la classe ouvrière. Au sein de celui-ci il peut y avoir des ouvriers, mais qui ne doivent plus être considérés comme étant des membres de la classe ouvrière, celle-ci dans l’actuel capitalisme finissant n’étant plus qu’un groupe social parmi d’autres. Dès lors quelle est la nature d’un tel mouvement ? Il s’agit là d’un mouvement aclassiste surgissant dans le cadre d’un capitalisme en phase terminale, qui lui s’affronte non plus au patronat dans les entreprises (au moyen de la grève), mais directement à l’Etat capitaliste. Telle est l’analyse postmarxiste qu’il est possible de faire de l’actuel mouvement des « gilets jaunes ». Postmarxiste car elle prend en compte qu’avec un tel capitalisme le conflit qui a surgi en dehors des partis et des syndicats n’est plus mené par une classe. C’est ça sa nouveauté. Reste à voir le devenir de ce mouvement.

Avec les « gilets jaunes » c’est le retour de la question sociale que le capitalisme après 1945 avait à sa manière résolue (avec la mise en place de l’Etat-providence – sécu, retraites –, le plein emploi, la société de consommation), entré dans sa phase terminale réussi jusqu’ici à contenir (au moyen du crédit à la consommation), mais que désormais il n’est plus à même d’endiguer. Ce qui explique le choc soudain qu’il a produit. Certes, il est à prévoir qu’il va s’essouffler, ou bien se faire récupérer si ce n’est pas déjà fait. Mais ce type de mouvement va ressurgir le capitalisme ne pouvant plus désormais se payer le luxe d’éviter que la question sociale ne lui saute en plein visage, ce qui fait qu’au fur et à mesure de son avancée dans sa fin de cycle historique, celle-ci va rebondir avec plus de force et d’intensité. D’autres mouvements du même acabit prendront donc la suite de celui des « gilets jaune ». Mais il est à prévoir aussi que le capitalisme parviendra à les  « gérer ». Il en a vu d’autres, il trouvera les moyens de satisfaire partiellement aux revendications, donc d’éviter que cette question sociale devienne tout à fait explosive cela au point de le mettre directement en danger. Un autre facteur fera que ce nouveau mouvement  social ne sera pas en mesure de le menacer sérieusement : comme le montre bien celui des « gilets jaunes », son peu de lucidité concernant le capitalisme qu’il ne remet nullement en cause. Avec sa revendication d’un « référendum d’initiative citoyenne » il montre qu’il continue de se bercer  d’illusions à propos de la « démocratie » qu’il voudrait rendre plus « directe » afin qu’elle tienne ses promesses électorales. Ce qui fait que lorsqu’il se veut politique c’est, drapeau national déployé et chantant la Marseillaise, l’imaginaire bourgeois de la Révolution française qu’il a en tête. C’est là son maximum d’idée révolutionnaire dont il est capable. Mais il ne faut pas voir là la marque d’un mouvement nationaliste, « réactionnaire », ou se gausser de ses côtés idéologiques frustes, brutes de décoffrage dont il fait preuve. Il faut comprendre ce que sont les « gilets jaunes ». Ils sont les enfants de la télé-réalité, d’Internet avec facebook, des jeux vidéo sur leurs smartphones avec qui on fait des selfies, c’est-à-dire de ces machines à décerveler que le capitalisme dans sa grande modernité a mis au point ; ils sont les produits sociaux de ce capitalisme devenu un fait social total, qui s’est introduit partout dans la vie des hommes, dans leur travail bien sûr, mais aussi dans leurs loisirs, leur environnement, leur vie quotidienne, et se faisant ainsi totalitaire, a éradiqué tout idée de contestation de celui-ci, réussi à se faire passer pour l’horizon indépassable de l’humanité, fait croire que le communisme a échoué alors qu’il n’a existé nulle part et que donc face à lui il n’y a pas d’alternative – et il n’y a pas que les « gilets jaunes » qui pensent çà, les intellectuels également, eux qui autrefois se voulaient bien souvent critiques du capitalisme devenus ses adeptes, pour ne pas dire ses valets de plume.   

Le capitalisme face à ce nouveau mouvement social trouvera donc le moyen de s’en sortir, jusqu’au moment où après avoir persévéré au maximum dans son être, il finira par s’écrouler.  Dès lors qu’est ce qui passera ? Cette non-classe que sont actuellement les « gilets jaunes » deviendra l’immense majorité, à la différence de ces derniers qui sont dans une situation de pauvreté relative, celle-ci se verra précipitée dans la misère, et alors qu’est ce qui se passera ? La révolution ? Si n’existe pas un parti révolutionnaire pour éclairer et guider ces masses modernes ayant été complètement accaparées, assujetties par ce capitalisme totalitaire, il se produira un immense chaos, il y aura des révoltes, de la violence sans queue ni tête (style casseurs blacks books, mais cette fois avec morts d’hommes), peut-être même un quelconque « fascisme »  pointera son nez, mais à la différence de ses ainés qui sera impuissant son heure historique étant passée, mais point de révolution.     

La nécessité d’un parti en effet, lui aujourd’hui extrêmement mal vue par ceux qui se piquent encore de « révolution » (pour de fausses raisons  qu’ici nous n’exposerons pas), disent qu’on peut très bien s’en passer, rêvant – il n’y a pas d’autre mot – d’une révolution « par en bas » qui sera un grand « mouvement d’autoémancipation ». Du temps du prolétariat c’était déjà une vue assez idéaliste de penser cela, avec les masses modernes que le capitalisme totalitaire aura formatées à sa guise durant des décennies, donc diminuées, rendues décadentes, décervelées, c’est  une connerie de bobos libertaires ! C’est faire preuve d’une inconscience totale du type de capitalisme auquel on a désormais affaire ! Plus que jamais il faudra un parti ! Et un parti qui ne se contentera pas de donner quelques « conseils », mais qui devra prendre directement les choses en main afin que la révolution ait une chance d’avoir lieu et de déboucher sur la solution finale de la question sociale qui serait le communisme. Cette nécessité d’un parti sera rendue tellement impérative qu’elle sera ressentie par les masses elles-mêmes, celles-ci prenant alors conscience de l’état d’inconscience dans lequel le capitalisme les avait mis éprouvant le besoin d’avoir une organisation qui les éclaire et les guide dans leur action. En fait, la « forme parti » sera pour elles la seule manière de s’organiser en tant que force autonome. Du temps du prolétariat c’était différent. Son organisation en parti se posait, mais lui dans la production, dans de grandes usines, pouvait s’organiser dans des syndicats, des coopératives, des bourses du travail, des conseils d’usine. Cela n’était pas suffisant mais c’était déjà là des manifestations de sa constitution en tant que classe plus ou moins autonome vis-à-vis de la bourgeoisie. Mais aujourd’hui ?  En raison du processus de désindustrialisation qui accompagne cette phase terminale du capitalisme (plus rien dans le charbonnage, la sidérurgie, presque plus rien dans la métallurgie, les chantiers navals, un peu dans l’aéronautique, dans l’automobile, quand on n’a pas  délocalisé) ce qui fait qu’on a une classe ouvrière réduite à la portion congrue (12% de la population active aux Etats-Unis et ailleurs ce n’est guère plus brillant), dont il ne restera plus grand-chose lorsque le capitalisme ce sera écroulé, pour le nouveau  « prolétariat » (que nous mettons entre guillemets car n’étant pas dans la production il n’aura plus les caractéristiques d’une classe au sens marxiste du terme, ayant été dans ce vaste fourre-tout qu’est le « tertiaire » - lui actuellement 60% de la population active !), le parti sera la seule possibilité pratique sérieuse pour lui de s’organiser autrement que ne le font actuellement les « gilets jaunes » sur des ronds-points. Evidemment pour l’heure on n’en est pas là, mais ce qu’il faut souhaiter c’est que ce parti n’attende pas l’écroulement du capitalisme pour commencer à se constituer.

                                                      février 2019

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire