PAGES PROLETARIENNES

samedi 19 janvier 2019

LE MOUVEMENT DES GILETS JAUNES... UTOPIQUE ET REACTIONNAIRE?



PROUDHON – LA SUISSE – LE POUJADISME

« Je suis un homme de méditation non de révolution » Proudhon

« Leur résolution était aussi ferme que celle des ouvriers. Non seulement ils ne craignaient pas la guerre civile, mais certains d'entre eux cherchaient directement à la provoquer ». (sur le Comité d'Olten et la grève massive en 1918 en Suisse)

Dans le seul texte de Marx, écrit directement en français – Misère de la philosophie – texte véritablement fondateur du marxisme, où Marx est très dur et met en pièces le « petit-bourgeois » Proudhon, il est peu question de philosophie mais beaucoup d'économie. Il est frappant de constater cent cinquante ans plus tard que le marxisme, comme arme politique, naît de la délimitation avec la petite bourgeoisie. Le « petit bourgeois » Proudhon est sérieusement malmené et ne s'en relèvera pas historiquement. Voici un pape de l'anarchisme qui est « balloté constamment entre le Capital et le Travail » :
« Même tiraillement opposé dans ses intérêts matériels et par conséquent ses vues religieuses, scientifiques et artistiques, sa morale, enfin son être tout entier. Il est la contradiction faite homme ».
Pourtant la petite bourgeoisie a survécu au démontage du penseur anarchiste anti-révolutionnaire.

Marx a plus de respect par contre pour les « utopistes »1. Ne pourrait-on pas trouver une plus grande proximité du mouvement des gilets jaunes avec les utopistes. Tel ce Cabet, ancien député, qui considérait que l’inégalité est la cause de tous les maux qui frappent le corps social : « Plus de pauvres, ni de riches, ni de domestiques ; plus d’exploiteurs ni d’exploités » ; son programme : représentation du peuple souverain, élections renouvelables, révocabilité des fonctionnaires, concentration de l’industrie, droit au divorce, etc. Cela pour le bien de ce qu’il nommait « la masse du Juste-milieu qui désire sincèrement le bien général », celle qui s’interroge avant tout sur le pain à acheter et le loyer à honorer. Si vous vous laissez abuser par le matraquage du pouvoir et de ses nombreux serviteurs, vous pouvez croire que les gilets jaunes sont violents, parce qu'il y a des violences de rue. Ces violences de rue sont essentiellemet provoquées par la police et la présence de la police. Il faut laisser de côté le circonstanciel des manifestations pour bien voir que cette jacquerie moderne ne vise ni à renverser le capitalisme ni imposer des améliorations par la violence. Le mouvement, pour partie avec Priscilla Ludosky, malgré qu'il charrie, surtout via le Web, des tonnes de haine, laisse à croire qu'avec un système référendaire et la bonne volonté du Conseil économique et social, une réforme pacifique devrait finir par triompher. C'est une douce rêverie de potaches sans réflexion politique, non pas non plus apolitique mais dans l'impensable. Sous son aspect utopique et réactionnaire cette jacquerie restera un événement de référence et, bien que ce soit paradoxal pour l'observateur superficiel, riche en leçons politiques pour le prolétariat.

Cabet était un gilet jaune à sa façon, il récusait la violence et promettait l’instauration d’un régime communiste « par la puissance de l’Opinion publique » : si un parti minoritaire se targuait de l’imposer aux masses cela conduirait à la dictature. En 1845, avec son périodique « La Fraternité » il assurait que cet avenir est l’espoir politique de « tout ce qui travaille et souffre », l’horizon des manœuvriers, des terrassiers, des agriculteurs, des couturières et des petits commerçants qui peinent tandis que les banquiers et les agioteurs réalisent « des gains énormes ». Ce communisme était « la voix du peuple revendiquant pour tous des droits et des devoirs égaux », pour « un juste salaire », la négation d’un « ordre social mauvais » pour retrouver la liberté, l’égalité et la fraternité. Ce communisme à l'eau de rose, naïve et impossible refonte du capitalisme nous fait penser à la « mentalité gilets jaunes ». Il y manque une case, comme on dit. Mais la noton de peuple est bien la même chez nos gilets jaunes d'aujourd'hui, on pense travailler pour le bien indistinct de toutes les classes sociales, excepté évidemment les banquiers et les riches. Il y avait en effet une grande fraternité parmi les utopistes, comme j'ai pu constater cette même farternité sur les ronds-points et dans les manifestations. Tout nouveau participant était accueilli à bras ouverts, on ne lui demandait aucun cursus politique ; c'est d'ailleurs le même comportement des prolétaires lorsqu'ils sont en grève : « je me fiche des idées politiques que tu peux avoir, l'essentiel est que tu luttes conjointement avec nous ». C'est ce que ne peuvent pas comprendre les bobos gauchistes, ces perpétuels apprentis khmers rouges qui se sont tenus à l'écart d'un mouvement qui les rebutait pour son refus des professionnels (dont eux) de l'encadrement et des défilés simiesques. Jusqu'à aujourd'hui ils ont persisté à proclamer qu'il fallait en expulser les « fachos ». Or des « fachos », aussi bien dans ma carrière professionnelle, que sur le tas en ce moment j'en ai cotoyé et ce sont des êtres humains comme les autres, et bien plus humains souvent que ce qu'en disent les élites bourgeoises – qui sont elles les vrais totalitaires – et leurs petits gauchistes. Il n'y a plus de fascisme depuis 1945 mais l'ombre du fascisme sert encore de justification au pouvoir bourgeois. S'il y a eu des dérapages racistes cela est resté infinitésimal par rapport à la conduite de l'ensemble. Un vaste mouvement social comme celui-ci est un fleuve qui peut charrier des impuretés mais cela n'altère ni sa force ni sa poussée vers l'avant.
Mais voilà qu'il bute désormais non sur la simple et brutale répression mais sur cette impasse politique « utopique » du RIC, cette fable qui est bien plutôt venue des milieux de l'extrême droite, que je qualifie pas de fasciste ni non plus le RN. Dans son contenu et comme projet ce référendum populaire est tout sauf révolutionnaire, tout sauf crédible. Faute de se plier à une perspective de classe vraiment anticapitaliste, ce mouvement en oscillation permanente a cru pouvoir combler son vide politique par ce gadget. Insaisissable le mouvement est devenu une sorte de syndicalisme sans tête politique parce que ce même RIC finit par être ridicule pour une lutte centrée fondamentalement contre le paupérisme d'une large partie de la population, et, paradoxalement d'une classe ouvrière qu'on pensait ne plus pouvoir classer parmi les pauvres grâce "au fruit de son travail".
Nos gauchistes frileux attendaient une prise du pouvoir par les fachos, les soit disant « fachos » ont bien plutôt réussi à cadenasser les mouvement derrière un objectif politique, nul et non avenu, qu'il est même injurieux de qualifier d'utopique.

C'est en réaction à l'apolitisme des Cabet et Cie, et comme expression du prolétariat naissant que d'autres communistes, s'affichant clairement comme politiques et au nom d'une classe précise, la classe ouvrière, vont ranger au musée des illusions perdues le mouvement utopiste.
Un parti, la Ligue des communistes charge Karl Marx et Friedrich Engels — deux Allemands n’ont pas 30 ans — de rédiger un programme communiste qui est nommé non pas manifeste tout court mais « Manifeste du parti communiste », écrit en 1847 juste avant l'année 1848, année des révolutions en Europe. On sent comme une irritation contre les fabulations utopistes « Il est grand temps que les communistes exposent à la face du monde entier leurs conceptions, leurs buts et leurs tendances » . Ce projet n'a déjà au départ pas cette mentalité d'exclusive qui caratérisera le stalinisme et le trotskisme, ni aucune prétention à l'invariance, les communistes politiques existent en « plusieurs tendances ».

Résumé d'un Manifeste destiné bien plus tard à devenir un des principaux bréviaires de l'humanité et un sérieux concurrent à la Bible du fait de sa concision (et dont je conseille la lecture aux gilets jaunes):

L’histoire des sociétés est celle de la lutte des classes ; la bourgeoisie a créé le prolétariat ; elle a ainsi façonné l’arme qui la détruira un jour de manière « inévitable » ; les ouvriers les plus résolus doivent se constituer en parti et renverser la bourgeoise afin de conquérir le pouvoir politique puis d’instaurer la société sans classes. « Les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique : abolition de la propriété privée. » Ce communisme entend en finir avec « l’exploitation de l’homme par l’homme » non par une simple consultation populaire, un RIC made in 19 ème siècle, mais par une révolution violente. Il ne s'agit pas là d'un petit arrangement référendaire avec la Constitution bourgeoise mais de mesure à rendre fou Luc Ferry et son pote Castaner l’expropriation de la propriété foncière à l’abolition du droit d’héritage, en passant par la centralisation du crédit dans les mains d''un État « transitoire » à l’abolition du travail des enfants. Cette société future permettra « le développement de chacun », condition « du libre développement de tous ». Le réformisme pacifique de Cabet se voyait donc supplanté, en moins de 10 ans, par une théorie pratique, qui ne se nommait pas encore marxisme (Marx a toujours rejeté avec horreur ce terme) et qui ne plaisantait pas avec le seul moyen pour en finir véritablement avec la société d'exploitation et de misère : une révolution violente « l’acte par lequel une fraction de la population impose sa volonté à l’autre au moyen de fusils, de baïonnettes, et des canons. ».

MAIS NOS GILETS JAUNES NE SONT-ILS PAS AU FOND PROUDHONIENS SANS LE SAVOIR ?

« L’égalité des personnes est la première condition du nivellement des fortunes, laquelle ne résultera que de la mutualité, c'est-à-dire de la liberté même ». Proudhon

Le mouvement des gilets jaunes présente cet aspect d'oscillation permanente de l'anarchisme comme de la petite bourgeoisie sans pouvoir se définir comme anarchiste ni comme petit bourgeois du fait que la majorité de ses animateurs comme du soutien populaire vient de toutes les couches du prolétariat. Il voudrait bien dialoguer mais il ne peut pas dialoguer avec un pouvoir qui lui ne cesse pas de bluffer et de tabasser, qui pour soit disant apaiser la situation de misère et remiser encore plus cette classe ouvrière à la périphérie ne trouve pas mieux que de jouer au dialogue avec les bureaucrates municipaux qui, eux aussi, à leur manière et au service de leurs mafias politiques respectives, servent de tampon entre la misère sociale et l'autisme de l'Etat bourgeois; ce qui fait qu'une poignée peut parfois porter une juste protestation quand la majorité des autres ne sont que des suce-boules ridicules du pouvoir. J'imagine assez bien la prestation ambiguë de Proudhon en tant que maire, par exemple, de Rocamadour.
Ouvrier, philosophe et économiste, on dirait sans doute « petit entrepreneur » aujourd'hui, Pierre-Joseph Proudhon est le premier en France à en référer à l' « anarchisme ». En 1840, l'année où Cabet se déclare communiste, il déclare que l'anarchisme sera « le plus haut degré de liberté et d’ordre auquel l’humanité puisse parvenir ». Marx va taxer les idées dites libertaires de « rêveries d’idéologues », blâmer les « docteurs en science sociale » anarchistes et qualifiera le Proudhon russe Bakounine, deuxième pape de l'anarchisme, de « Mahomet sans Coran » et les propositions de son Alliance de « bavardages vides de sens ».
Lorsqu'on lit les propositions de Priscilla Ludosky on est complètement dans l'esprit mutuelliste proudhonien. Le mutuellisme prône des relations économiques devant être le plus égales possibles, les prix étant basés sur la quantité de travail nécessaire à la production. Les propositions de Priscilla comme la focalisation des gilest jaunes pour la plupart sur le RIC ne sont pas ridicules ni tombées du ciel, elles correspondent à un éclatement de la classe ouvrière,qui semble la ramener au début de sa constitution en classe. La population ouvrière à l'époque des Cabet, Marx et Proudhon est encore très hétérogène. Il est parfois difficile d’opérer une distinction entre le travailleur salarié et l’entrepreneur ou encore le capitaliste. Beaucoup d’ouvriers possèdent en effet leurs propres moyens de production. Leur rémunération n’est donc pas constituée du seul salaire mais aussi d’une partie des profits et intérêts perçus en tant que propriétaires des moyens de production. L’entrepreneur peut aussi être un maître ouvrier dans le secteur artisanal employant transitoirement pour satisfaire les commandes qui lui sont adressées d’autres ouvriers artisans ou non. Par conséquent, il n’existe pas de distinction nette entre l’ouvrier et l’entrepreneur ; l’ouvrier peut devenir entrepreneur ou bien exercer simultanément les deux types d’activité. Proudhon vise les entrepreneurs à la tête de grandes unités productives, quand nos gilets jaunes visent les financiers.

L'héritage de Proudhon est plus perpétré par une fraction de l'extrême droite que par les anarchistes eux-mêmes.
Cercle Proudhon (ainsi baptisé d'après Pierre-Joseph Proudhon) est un groupe de réflexion issu du mouvement nationaliste et monarchiste (l'Action française présidée par Charles Maurras). L'ambition était de « convertir des syndicalistes à la monarchie »1. La première réunion se tient le 17 novembre 1911. Cette expérience éphémère fut d'après l'historien Géraud Poumarède un « échec patent »..
À l'origine, « le Cercle a été fondé par des nationalistes, et ne s'est dans un premier temps adressé qu'à eux ». Ses réunions ne regroupaient qu'une vingtaine de personnes en moyenne, essentiellement des monarchistes, et quelques « brebis égarées »4, puisque « les semaines passent et les syndicalistes attendus ne s'annoncent pas »5. Dès janvier 1912, les travaux sont publiés dans les cahiers éponymes au rythme d’un cahier par trimestre. Leur parution cesse à l’été 1914. Les principaux intervenants étaient Édouard Berth, ami de Georges Sorel (cependant Sorel était hostile à ce Cercle et redoutait qu'il rende « les jeunes gens moins aptes à comprendre Proudhon ») ; le jeune Camelot du roi Henri Lagrange, Georges Valois et Gilbert Maire.
Dans son livre L’Action française et la religion catholique (1913), Maurras explique comment et sur quelles bases s'est fondé, à l'Action française, le Cercle Proudhon : « Les Français qui se sont réunis pour fonder le Cercle Proudhon sont tous nationalistes. Le patron qu'ils ont choisi pour leur assemblée leur a fait rencontrer d'autres Français, qui ne sont pas nationalistes, qui ne sont pas royalistes, et qui se joignent à eux pour participer à la vie du Cercle et à la rédaction des Cahiers. Le groupe initial comprend des hommes d'origines diverses, de conditions différentes, qui n'ont point d'aspirations politiques communes, et qui exposeront librement leurs vues dans les Cahiers. Mais, républicains fédéralistes, nationalistes intégraux et syndicalistes, ayant résolu le problème politique ou l'éloignant de leur pensée, tous sont également passionnés par l'organisation de la Cité française selon des principes empruntés à la tradition française, qu'ils retrouvent dans l'œuvre proudhonienne et dans les mouvements syndicalistes contemporains… ».
Les nationalistes sionistes BHL et Sternhell qui n'en sont jamais à une affabulation près considèrent que le cercle Proudhon est le père de l'idéologie nationale-socialiste.

Cette thèse de « préfascisme » est contestée par Alain de Benoist dans sa préface à la nouvelle édition des Cahiers du Cercle Proudhon et dans son texte Le Cercle Proudhon, entre Édouard Berth et Georges Valois qui souligne son dogmatisme notamment quand elle est appliquée à des personnes comme Édouard Berth qui ont toujours condamné le fascisme. Elle est également contestée par Stéphane Giocanti qui souligne que, comme l'Action française, le Cercle est décentralisateur et fédéraliste, et insiste sur le rôle de la raison et de l'empirisme ; il se trouve loin de l'irrationalisme, du jeunisme, du populisme, de l'intégration des masses dans la vie nationale qui caractériseront les ambitions du fascisme, gonflé par les conséquences sociales de la guerre.
Fervent maurrassien Soral croit la révolution nationale venue
En dépit de l'appui mesuré qu'il donne à ce cercle d'intellectuels divers et indépendants, Charles Maurras tient une position plus proche de celle de René de La Tour du Pin ; Maurras ne fait pas comme Georges Sorel et Édouard Berth le procès systématique de la bourgeoisie où il voit un appui possible. À la lutte des classes, Maurras préfère opposer comme en Angleterre, une forme de solidarité nationale dont le roi peut constituer la clef de voûte. À l'opposé d'une politique de masse, il aspire à l'épanouissement de corps intermédiaires librement organisés et non étatiques, l'égoïsme de chacun tournant au bénéfice de tous. Les thèmes sociaux que traite Maurras sont en concordance avec le catholicisme social et avec le magistère de l'Église tout en relevant également d'une stratégie politique pour arracher à la gauche son emprise sur la classe ouvrière.

LA SEDUCTION SUISSE POUR LES GILETS JAUNES

5 millions de suisses, et moi et moi ? Nous sommes tous un peu ignorants. J'ai eu tendance à me moquer tout d'abord du RIC dans la référence au régime politique de la Suisse ! Quoi ce pays des coffre-forts et des cantons qui exploitent à bas prix les ouvriers immigrés ? Au lieu de me demander d'où vient cette originalité référendaire de ce petit pays ? Mais d'une très ancienne tentative de révolution. La Suisse un bâtard de la vague révolutionnaire du début du XX ème siècle, il fallait y penser ! Un historien suisse écrit ceci ! « Si l'analyse des retombées de la grève massive a varié au cours des décennies écoulées, les historiens s'accordent en général pour reconnaître que c'est l'un des événements majeurs que la Suisse moderne ait connu et son importance, tant sur la société que sur le développement des assurances sociales et les rapports entre partenaires sociaux, a été massive ».

A l'époque de la Première Guerre mondiale, et comme conséquence de celle-ci la Suisse connut plusieurs tentatives d'insurrection parallèlement à celles qui se produisaient en Allemagne et en Russie. Les révolutionnaires socialistes, appuyés par la présence de 30 000 déserteurs et réfractaires à la guerre de 14-18 et ayant trouvé refuge en Suisse, s'engagèrent dans de nombreux coups de force, dont la tentative de s'emparer des arsenaux de Zurich et Berne de bâtiments publics, d'usines électriques et de banques les 6-7 novembre 1918. Le 6 novembre, les troupes militaires furent mises en état d'alerte et repoussèrent les actions révolutionnaires. Le 10 novembre, le Comité d'Olten, gouvernement révolutionnaire parallèle en marge des institutions, organisait plusieurs grèves qui se généralisent sans qu'il ait à proclamer la grève générale, exigeant la démission du Conseil fédéral et la dissolution du parlement, le droit de vote des femmes, le travail obligatoire et la socialisation de l'armée. Le 11 novembre, le Conseil fédéral donna mission à l'armée de rétablir l'ordre intérieur. Dans les jours qui suivirent, l'armée dut faire face aux émeutes, sièges décrétés dans les principales villes et aux combats de rue. Le 13 novembre, le Conseil fédéral ordonna l'expulsion vers l'Allemagne de la légation des Soviets. Le Comité d'Olten capitula le 14 novembre et le lendemain la révolution fut stoppée, permettant au travail de reprendre à travers le pays.
Malgré l'échec de la grève en masse, celle-ci conduisit au renouvellement anticipé du Conseil national en 1919 sur la base du système proportionnel qui venait ainsi remplacer le système majoritaire prévalant jusqu'alors.
Toutefois, les meneurs de la grève générale, 3 500 personnes, en particulier les dirigeants du comité d'Olten, seront jugés et 147 d'entre eux seront condamnés. Robert Grimm verra son immunité parlementaire levée et sera condamné à 6 mois de prison, période pendant laquelle il écrira son ouvrage Histoire de la Suisse en termes de lutte des classes.

En 1920, à la suite de l'échec de la révolution suisse, le Parti socialiste refusa d'adhérer à la IIIe Internationale, ce qui entraîna la scission du parti avec son aile gauche qui alla former le parti communiste en 1921. Le Parti socialiste abandonna l'idée de la révolution violente et se prononça pour la voie légale pour poursuivre ses buts marxistes, c'est-à-dire la substitution de la propriété privée par la propriété collective, la nationalisation des grandes entreprises et des banques et la socialisation de tous les moyens de production.
Des décennies plus tard, et après avoir échappé à deux guerres mondiales, mais avoir servi de no man's land aux échanges entre impérialismes, la Suisse reste un pays pour le moins conservateur et bourgeois, une société de repus repliée sur elle-même. Le pays du secret bancaire, des montres de luxe, de Davos et des référendums interdisant les minarets (bravo) n'est pas celui implique le plus ses citoyens dans les processus de décision étatique, Leurs référendums ont souvent accouché de votes catastrophiques. Des lobbies viennent ternir l'étendard de la démocratie suisse. Le puissant lobby ÉconomieSuisse s'implique énergiquement pour faire barrage aux lois et votations qui pourraient aller contre les intérêts patronaux. La participation aux votations est faible. Le système est lourd et lent, et dupliqué dans les grands pays serait catastrophique.
Le système référendaire suisse est donc disons grossièrement un bout de cette révolution suisse de 1918 car toute révolution laisse des traces. Nous vivons encore en France sous le Code Napoléon tout comme en Russie demeure une bureaucratie stalinienne et en Chine un « parti communiste » tout à fait capitaliste. Chacun est libre d'emprunter où il le veut ses réfernces mais la révolution est un tout, et ce n'est surtout pas en prenant un élément du corpus révolutionnaire du passé qu'on peut prétendre réformer le présent. Il faut rendre cependant à Martin ce qui est à Martin. Les gilets jaunes ont encore un effort à faire pour être révolutionnaires, et ce n'est pas parce qu'ils ont piqué à la révolution de 1871 à Paris les critères d'éligibilité révocable qu'ils sont devenus communistes !


Poujadisme « sortez les sortants »

Loin d'en référer aux leçons politiques fondamentales du mouvement ouvrier – hélas pour elles et eux - la plupart des figures en vue du mouvement des gilets jaunes ont montré une conscience politique comparable au poujadisme des fifties. Je livre brut de décoffrage un résumé repiqué sur le web et illustratif de ce que pourrait devenir le mouvement s'il aboutissait à un « parti jaune », non pas le fascisme comme le radotent les stupides gauchistes mais un énième parti bâtard de la république bourgeoise.

Ce lundi 2 janvier 1956, l'irruption de ces trouble-fête au verbe haut plus à l'aise derrière un comptoir que derrière un pupitre (à l'exception de Le Pen lui-même qui, deviendra, sous l'étiquette du CNI, le plus jeune rapporteur du budget de la Défense nationale, en 1958), n'est pas seulement un traumatisme pour une Assemblée où règnent en maîtres hauts fonctionnaires, avocats ou médecins, et parmi eux, combien d'anciens et futurs ministres ! C'est aussi un désaveu pour les deux mouvements qui, depuis la naissance de la IV° République, dix ans plus tôt, se partagent le pouvoir et les postes : les socialistes de la SFIO et les démocrates chrétiens du MRP. Et quelle humiliation pour les communistes qui, depuis l'échec du RPF du général de Gaulle, aux élections législatives de 1951, se croyaient redevenus les seuls dépositaires du vote populaire et de la protestation !
Grève de l'impôt
Poujade et le jeune Le Pen
Tout a commencé deux ans et demi plus tôt quand,le 22 juillet 1953, un papetier-libraire de trente-trois ans, conseiller municipal de Saint Céré (Lot) organise la première - et dernière - grève de l'impôt de toute l'histoire républicaine.
L'enfer étant pavé de bonnes intentions c'est, paradoxalement, une amnistie fiscale - celle décrétée par Antoine Pinay en 1952 - qui a provoqué la jacquerie. Subitement désoeuvrés, les «polyvalents», comme on les appelle alors, ont en effet concentré leur zèle sur une proie facile : le petit commerce confronté à l'éclosion des premiers drugstores et autres Prisunic.
Les contrôles pleuvent, les redressements et les faillites aussi. On se plaint, on paye, on se suicide. Jusqu'à ce jour d'été de 1953 où, dénonçant la «Gestapo fiscale», Pierre Poujade, dit «Pierrot», prend la tête de 23 commerçants de Saint Céré menacés d'un contrôle fiscal. Un pour tous, tous pour un : chacun fait de son corps un rempart pour empêcher les agents dufisc d'accéder au magasin de l'autre. Le soir, les fonctionnaires des impôts repartent bredouilles, sous les quolibets.
L'échauffourée de Saint Céré met le feu à la plaine : en quelques semaines, soixante départements connaissent des incidents similaires. On envoie les CRS ; rien n'y fait. La population s'interpose pour protéger ses commerçants ! De Lille à Marseille et de Strasbourg à Bordeaux, le nom de Poujade devient synonyme de résistance au fisc. On le consulte comme un oracle, on requiert sa présence, on se masse pour l'écouter.
Et l'on découvre que l'orateur est exceptionnel, même si son art n'a rien de spontané : avant d'entrer dans la Résistance, en 1943, Poujade a abandonné ses études d'architecte pour militer au Parti Populaire Français de Jacques Doriot, l'un des meilleurs tribuns de sa génération, du Parti communiste jusque dans lesrangs de la collaboration.
De Doriot, Poujade a gardé le style d'imprécateur, parlant volontiers en chemise, sans cravate - une curiosité, à l'époque ! -, les deux mains agrippées à la tribune. Mais aussi un mépris sans fond pour le système parlementaire.
Avec l'accent rocailleux de son Lot natal, il dénonce de meetings en meetings l'exploitation des «petits» et des «bonnes gens» par les «soupiers» de l'«État vampire», la mise en coupe réglée de la «maison France» par des «éminences apatrides» qu'il faut «pendre haut et court».
Défense des petits contre les gros au nom de la liberté d'entreprendre mais aussi de la lutte contre les «monopoles» ;antiparlementarisme forcené ; dénonciation du «totalitarisme fiscal» : voici le bréviaire du poujadisme qui n'a rien inventé mais tout concentré, au moment «t», en un cocktail explosif !
C'est alors que Poujade commet sa première erreur, qui décidera de tout : il n'est pas lui-même candidat. Un homme va en profiter au-delà de toute espérance : Jean-Marie Le Pen, qui vient d'adhérer au mouvement et a d'emblée prévenu son chef que l'aventure ferait long feu s'il ne le transformait pas en un véritable parti politique.
Le trouble-fête Jean-Marie Le Pen
A vingt sept ans,le Pen qui préside la Corpo de droit des étudiants et s'est déjà taillé une célébrité au Quartier latin, s'impose, en quelques semaines comme le seul politique du mouvement Poujade. lu, le 2 janvier 1956 député de Paris, il prend rapidement l'ascendant sur le groupe parlementaire.
Poujade, d'abord fasciné par l'allant de son jeune disciple, ne met pas six mois à se rendre compte que les absents ont toujours tort. Pour garder la main sur ses députés, il organise l'exclusion de Le Pen. C'est sa dernière victoire, et pour l'exclu, le début de la célébrité.
Poujade ne veut plus de lui ? Il se met en congé de l'Assemblée et rejoint son régiment pour aller se battre en Algérie, puis regagne son siège de député (désormais non-inscrit)pour animer, courant 1957, une campagne en faveur de l'Algérie française sous l'égide de son premier mouvement: le Front national des combattants. C'est au cours de ces mois agités qu'il perd un oeil au cours d'une rixe avec les communistes, en portant secours à son collègue Ahmed Djebbour, français musulman, en grand danger d'être lynché.
Pendant qu'à l'Assemblée, le mouvement Poujade tombe dans l'anonymat, Le Pen, le fils de pêcheur, devient, pour la droite d'alors, une sorte de Minou Drouet de la politique. Car contrairement à Poujade,cet activiste qui aime la poudre et sentira bientôt le soufre est aussi un mondain. Ses bagarres pour un oui ou pour un non le rendent pittoresque, tout comme son sens de la formule, qui fait mouche dans les dîners en ville. Pendant que Poujade se morfond à Saint Céré, on voit Le Pen chez l'ex-empereur d'Annam, Bao Dai, comme chez le marquis de Cuevas; ces dames s'encanaillent en reprenant avec lui des refrains de marins, quand ce n'est pas l'intégralité de l'Internationale, et leurs maris apprécient l'étrange allant de cet enfant de nulle part dont les parents ne figurent pas plus dans le Bottin mondain que dans l'annuaire du téléphone et qui, entre un débat de nuit à l'Assemblée et un engagement dans le Djebel, se fait photographier à Alger avec Brigitte Bardot...
Survient le 13 mai 1958, le retour de De Gaulle et, dans la foulée de la proclamation de la V° République, la dissolution de l'Assemblée élue en 1956. Seul député issu du mouvement Poujade réélu en octobre 1958, Le Pen sera à son tour battu en 1962 et commencera une traversée du désert de vingt-deux ans. Mais de Pierre Poujade, on ne parlera plus qu'épisodiquement. Tout juste se souvient-on qu'il soutint Jean Lecanuet à l'élection présidentielle de 1965, François Mitterrand en 1981 et 1988. Et Jacques Chirac en 1995. Non sans avoir milité, jusqu'à sa mort, en 2003, pour un biocarburant alternatif à base de topinambours. Sa dernière machine de guerre pour casser le monopole des «gros
Mais c'était justement la nature du fascisme que de brouiller les contradictions de classe et de faire « disparaître » la bourgeoisie derrière « le peuple ». Quand on parle de poujadisme, la question du fascisme est justement tout de suite liée.
Il est intéressant ici de voir qu'une partie de l'extrême-gauche a soutenu les « bonnets rouges » en raison de la proximité des zadistes.... mais est restée muette face au mouvement des gilets jaunes.



1Entre 1830 et 1848, la prise de conscience de la dureté de la condition ouvrière entraîne un foisonnement de doctrines socialistes. Celles-ci sont imprégnées aussi bien des traditions républicaines et démocratiques que des idéaux de charité, religieuse ou non. Le socialisme français accompagne le courant républicaniste, mais ne se confond pas avec lui et s'inscrit au contraire dans une tendance plus globale d'aspiration à des réformes sociales, au droit au travail et au suffrage universel. Étienne Cabet, essayiste chrétien, apparaît comme le chef de la principale école de pensée « communiste » en France, la communauté des biens matériels étant à ses yeux la seule application possible de l'enseignement de Jésus-Christ : dans son livre Voyage en Icarie, il décrit, dans la lignée de More et de Campanella, une société idéale, fondée sur l'égalité et l'absence de propriété privée. À la fin des années 1840, Cabet et ses disciples passent de la théorie à la pratique en se lançant, aux États-Unis, dans l'aventure de diverses communautés « icariennes ». D'autres théoriciens comme Richard Lahautière, Théodore Dézamy, Jean-Jacques Pillot ou Albert Laponneraye, qui se distinguent du communisme chrétien de Cabet par une filiation plus marquée envers les traditions révolutionnaires et la pensée de Babeuf, prônent également la communauté des biens matériels. Lahautière anime en 1840 à Belleville un « banquet communiste » qui contribue à populariser le terme en France75. Les héritages intellectuels de Saint-Simon et de Fourier influencent la plupart des théoriciens socialistes français, dont Victor Considerant, qui s'emploie à synthétiser la doctrine de Fourier, Pierre Leroux qui, influencé tout à la fois par Saint-Simon et Fourier, développe une critique sociale mêlée d'utopisme et de mysticisme, ou l'économiste Constantin Pecqueur, dissident du saint-simonisme dont la pensée s'imprègne par la suite de proudhonisme et de christianisme. Lamennais associe des idées socialistes à un paternalisme évangélique et à la vision messianique d'une société régénérée. Philippe Buchez, autre représentant du courant du socialisme chrétien, envisage de résoudre le problème de la misère des travailleurs par l'association ouvrière : fondateur avec Bazard de la charbonnerie française, il entend faire une synthèse entre le socialisme, le christianisme et la Révolution française, qu'il considère comme découlant directement des principes chrétiens. Louis Blanc, journaliste et écrivain très actif, s'inspire des pensées socialistes qui l'ont précédé pour envisager des solutions à la misère ouvrière. Dans son livre Organisation du travail (1839), il prône une réorganisation du monde du travail au sein d'« ateliers sociaux » annonçant les principes de l'autogestion, ainsi que l'évolution progressive de la société vers l'égalitarisme : dans sa conception, les aspirations sociales ne peuvent être satisfaites que par le biais d'une intervention rationnelle de l'État, qui seule garantirait le passage à une société plus fraternelle. Le socialisme de Buchez ou de Blanc s'inscrit en partie dans la lignée de Saint-Simon en ces auteurs admettent la révolution industrielle, mais à condition qu'elle s'opère sous le contrôle de l'État et au service du peuple.

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