PAGES PROLETARIENNES

lundi 17 décembre 2018

QUAND DES GILETS JAUNES SE PRENNENT POUR DES PETITS SUISSES


« Nous avons vu comment, en mars et en avril, les chefs démocrates avaient tout fait pour embrouiller le peuple de Paris dans un simulacre de combat, et comment ils firent tout, après le 8 mai, pour le détourner du vrai combat (…) « La France veut avant tout la tranquillité ». C'est pourquoi Bonaparte demandait qu'on le laissât faire tranquillement, et le parti parlementaire était paralysé par une double crainte, la crainte de rallumer les troubles révolutionnaires et la crainte de passer lui-même, aux yeux de sa propre classe, aux yeux de la bourgeoisie, pour le fauteur de trouble ».
Marx (Les luttes de classe en France)

Tout va très vite. On n'a même pas le temps de se retourner sur ce qui s'est passé la veille. On se dit que le gouvernement est sans doute en train de calmer le jeu avec ses « généreuses annonces » économiques et avec la décrue du nombre de manifestants samedi, mais ce lundi c'est reparti de plus belle. Il est question de bloquer Rungis... Rungis fait l'objet de barrages filtrants depuis cinq heures du matin. Castaner n'a-t-il pas menacé de nettoyer les ronds points qui ne ressemblent plus qu'à des ZAD, qu'importe ils iront ailleurs. Pourquoi pas bloquer l'Assemblée nationale, les frontières ? Car il faut... sortir de l'Europe...

Le soir BFM nous refait le coup de « l'heure est à la pédagogie »... Ne vous inquiétez pas la France a si besoin de tranquillité qu'on va continuer à vous « expliquer » comme à des enfants de cinq ans. Pourtant les envoyés spéciaux syndicaux du gouvernement en font des tonnes : et les fonctionnaires hein, objecte un bonze CGT, faudrait peut-être penser à eux ? Et les « forces de police » il faudrait penser à leur donner aussi un coup de pouce, tonne un syndicaliste policier !

La surenchère de toutes les catégories n'est-ce pas un moyen d'agacer « l'opinion » qui va penser « ils n'en ont jamais assez, et v'la que les planqués s'y mettent », et sans doute se retouver dans le « ça suffit » de Castaner... On avait fait donner l'hypnothérapeute Jacline Mouraud – profession louche – mais elle n'avait point réussi à hypnotiser les gilets jaunes ; comme le pope Gapone elle peut retourner dans son église et son opinion servile.
Au matin sur LCI, on avait invité le grand ambassadeur de Macron, le petit vieux Cohn Bendit, qui se répandit en louanges sur les flics, rappelant qu'en Mai 68 il avait été pacifique et un bon intermédiaire pour le Préfet de l'époque. Le petit rouquin blanchi s'en prit à un journaliste qui avait osé considérer que « tout est loin d'être réglé » : « Voyons ! Il ne faut pas dire ça ! Il y a tout de même dix milliards sur la table ! ». L'ancien étudiant qui a eu une vie bien remplie de député européen et qui ne veut toujours pas prendre sa retraite de petit courtier de la bourgeoisie, fut sévère pour la nouvelle recette du RIC, préférant défendre la démocratie représentative ; il pontifia :
« Le vrai débat avec les gilets jaunes c'est la démocratie parlementaire, et de l'autre tout ce qui la remet en question. Le RIC c'est un truc très local, comme on l'a vu par exemple à Notre Dame des Landes (sic) et il y avait un débat compliqué sur le périmètre électoral. Il peut y avoir des référendums au niveau des municipalités, en Suisse il y en a trois ou quatre par an. Quant à M. Chouard c'est un grand raconteur de bobards ».

J'étais bien entendu d'accord avec la dernière partie de la réaction de Cohn Bendit, comme vous aviez pu le voir en lisant mon article précédent. Ce RIC est une tartufferie du trio Priscilla-Maxime-Eric qui ont encore fait le show avec cette théorie de la droite profonde qui va de Chouard à Soral1. Pourtant le RIC est une farce du même genre que la « démocratie participative » qui est le fonds de commerce des Cohn-Bendit, Hamon et Mélenchon. Toute cette bouillie est à des années lumières de ce qu'on entend par règne de la démocratie des Conseils ouvriers, mais attention faudra réfléchir avant de leur répondre à tous que nous on est résolument en faveur de « la dictature du prolétariat », si on ne veut pas se faire rire au nez.
Imaginez que je me présente à une assemblée de rue ou sur un plateau de TV : « hé, moi, rien à foutre de votre démocratie indirecte, directe ou participative, je suis pour la dicttaure du prolétariat ». Même les têtes de chiens de lunette arrière, spectateurs des studios me hurleraient : « dégage bolchevique ringard ! ». Il faut expliquer sans redites et sans flonflons comment seule la classe ouvrière peut ouvrir la voie à une véritable démocratie directe. Et il faut le constater une nouvelle fois, il y a dépossession de la théorie du mouvement révolutionnaire. L'exigence d'éligibilité et de révocabilité, depuis la Commune de 1871 et 1917, n'est pas applicable au peuple en général. La classe bourgeoise et les couches intermédiaires petites bourgeoises ne peuvent pas fonctionner sur ces principes. Ils délèguent des représentants d'intérêts fixes, de possédants plus ou moins possédants. Par nature ils délèguent un pouvoir qui reste conservateur.

Quand j'entends tous ces péquenots clamer « on va écrire notre Constitution », j'ai envie de leur dire : allez donc avant tout réviser la grammaire !

LE RIC : BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN

Les délégués du poujadisme citoyen
Voulez-vous mourir pour le RIC ? Mourir de rire oui. Les Priscilla et Maxime s'étaient mis en scène au Jeu de Paume et ils ont remis le costume sur les marches de l'Opéra samedi. Une opérette de plus voilant une opération des milieux d'extrême droite et de ces petits patrons de la France profonde si révoltés par les taxes. Le plus drôle lorsque l'on écoute ou que l'on se penche sur l'argumentaire en faveur d'un soi-disant référendum restaurateur de la voix du peuple, est que ces gens en réfèrent à la Suisse sans savoir comment cela fonctionne dans le principal coffre-fort du capitalisme2.
Les référendums « citoyens » sont en général des monstres juridiques qui, outre qu'ils ont pour fonction de nier les classes et à dissoudre l'expression propre de la classe ouvrière, servent d'enfumage à plein de spécialistes et juristes pour qu'on n'y comprenne que pouic. Vous avez pu lire dans la presse l'historique de cette farce de référendum depuis 1789. Il faut en retenir à mon avis qu'il fut une ficelle du boulangisme, cette variété de bonapartisme et de pré-fascisme. Le gaullisme avait fort bien compris lui aussi l'intérêt des référendums pour compléter la mystification parlementaire. La droite profonde avec la smala Le Pen en a repris le flambeau, comme tous les partis populistes européens, lesquels s'appuient sur l'exemple localiste, fédéral et péquenot de la Suisse. Le semi-clochard idéologique Houellebecq s'est mis à son tour à en chanter les vertus supposées.
Or, la potion magique suisse repose sur un système d'Etat fédéraliste pour un pays qui n'est ni une grande puissance ni un Etat garant d'une véritable démocratie. C'est le coffre-fort du capitalisme, c'est une zone où règnent les pires mafias de la drogue et de la finance3. Ce fédéralisme démocratique ne sert que de vitrine, comme le dit très bien un journaliste :

« Cette réalité a servi de formidable argument marketing pour les banques suisses, mais aussi pour les industries et le savoir-faire helvétiques. La démocratie directe n'a donc presque aucun rôle à jouer dans cette pièce. Cette fable est en bonne partie le fait de l'Union Démocratique du Centre (UDC), premier parti helvétique (26% aux élections de 2011). Ce parti populiste a fait de l'initiative populaire son principal outil de campagne, sur un ton franchement brutal (...) Avec son fondateur, le tonitruant milliardaire zurichois Christoph Blocher, l'UDC s'appuye sur un feu roulant d'initiatives sécuritaires et identitaires à un rythme quadri-annuel. Cet état de campagne permanente permet au parti de maintenir la pression sur le gouvernement et d'occuper constament le terrain médiatique. M. Blocher a démissionné début mai du Parlement où il ségeait sans conviction depuis 1979. Il a simplement déclaré qu'il y « gaspillait » son temps. Il prépare désormais pour 2016 un grand projet d'initiative au slogan alléchant : UE-Non ! Son projet, qui est aussi celui de tous les néo-fascistes européens, est très clair : un chef charismatique, un peuple subjugué, et beaucoup d'ordre et de propreté ».

Le journalistes ajoute : « En matière d'ordre et de propreté toutefois, les électeurs suisses sont plutôt habitués à une succession de campagnes de votations aussi ordurières que violentes. Plusieurs multinationales ayant installé leur siège au bord du Léman, lassées par cette constante hystérie, ont décidé de quitter le territoire suisse, occasionnant des pertes nettes d'emplois et de recettes ficales. La votation du 9 février dernier pour supprimer la libre circulation des personnes et rétablir des quotas de travaileurs étrangers, considérée comme une grande victoire de l'UDC et de Christoph Blocher en personne, a été très mal accueillie par les milieux économiques, qui anticipent des conséquences très négatives pour la compétitivité helvétique. Si la Suisse est devenue riche malgré la démocratie directe, il n'est pas exclu que cette même démocratie directe soit une source de quelques déconvenues à venir ».

Cette croyance en la trouvaille d'un référendum « direct » est une simpmlication comme le dit justement Rosenvallon :

« Le populisme est une forme de réponse simplificatrice et perverse à ces difficultés (cf. le désenchantement poltique et les scandales). C'est pour cela qu'on ne peut pas seulement l'appréhender comme un "style" politique, comme certains le disent, en le réduisant à sa dimension démagogique. Comprendre le populisme, c'est mieux comprendre la démocratie avec ses risques de détournement, de confiscation, ses ambiguïtés, son inachèvement aussi. Ne pas se contenter donc d'un rejet pavlovien et automatique pour faire du mot "populisme" un épouvantail qui ne serait pas pensé. La question du populisme est en effet interne à celle de la démocratie.
Et on peut se poser là une question : est-ce que le XXIe siècle n'est pas en train d'être l'âge des populismes comme le XXe siècle avait été celui des totalitarismes ? Est-ce que ça n'est pas la nouvelle pathologie historique de la démocratie qui est en train de se mettre en place ? Avec aussi le danger d'utiliser une notion aux contours pareillement flous. Le populisme présente quelques traits saillants. On peut d'abord dire que la doctrine de l'ensemble des partis concernés repose sur une triple simplification. Une simplification politique et sociologique : considérer le peuple comme un sujet évident, qui est défini simplement par la différence avec les élites. Comme si le peuple était la partie "saine" et unifiée d'une société qui ferait naturellement bloc dès lors que l'on aurait donné congé aux élites cosmopolites et aux oligarchies. Nous vivons certes dans des sociétés qui sont marquées par des inégalités croissantes. Mais l'existence d'une oligarchie, le fait de la sécession des riches ne suffisent pas à faire du peuple une masse unie. Autre simplification : considérer que le système représentatif et la démocratie en général sont structurellement corrompus par les politiciens, et que la seule forme réelle de démocratie serait l'appel au peuple, c'est-à-dire le référendum.
Troisième simplification - et elle n'est pas la moindre -, c'est une simplification dans la conception du lien social. C'est de considérer que ce qui fait la cohésion d'une société, c'est son identité et non pas la qualité interne des rapports sociaux. Une identité qui est toujours définie négativement. A partir d'une stigmatisation de ceux qu'il faut rejeter : les immigrés ou l'islam »4.

Cet apôtre de la gauche bobo dans le déni de la problématique de l'immigration massive5 , en bon sociologue bourgeois quoique passé par l'école du syndicalisme gauchiste, Rosenvallon a raison de souligner la « simplification » « populiste », et qui est en première ligne avec le mouvement des gilets jaunes ; ils n'ont que le mot peuple à la bouche comme si le peuple n'était pas composé de classes sociales conflictuelles, où à la couche moyenne a le plus la bougeote ; si elle est rejetée par la classe bourgeoise, elle s'efforce d'entraîner avec elle la classe ouvrière (sans la nommer puisque le système a décrété que la classe ouvrière ce n'était plus que 6 millions d'ouvriers manuels) ; c'est pourquoi ce mouvement actuel n'est pas une révolution, c'est quand la classe ouvrière entraîne derrière elle les couches petites bourgeoises qu'on est en marche vers une véritable révolution.

Le RIC ne sera qu'une mode, vite jetée à la poubelle par le régime. Le mouvement a déjà réchappé de tant de pièges que celui-ci ne devrait pas faire exception. Il est aussi gonflé à l'hélium des ballons syndicats, pour ballots. Déjà de multiples internautes dénoncent cette nouvelle esbrouffe soluble par le gouvernement. Le fleuve avance toujours cahin-caha. Il lui manque encore cette dimension qui est en lui, pas la référence invraisemblable à la révolution bourgeoise - quoique le RIC soit une très vieille mystification bourgeoise justement -  mais une résonance internationale. Allemagne, Irlande, Portugal, Serbie, Israël, le Canada... 15 pays d'Europe, d'Afrique et du Moyen-Orient ont vu fleurir des manifestations couleur jaune fluo sur le modèle français.

Une chose est sûre, toute trêve est devenue impossible. Le mouvement ne cessera qu'au moment de la démission de Macron. Mais il sera peut-être trop tard pour qu'il s'en contente.



NOTES

1On peut se pencher sur l'identité des trois lascars qui font visiblement partie du même clan mais restent silencieux sur leur façon de fonctionner. Priscilla Ludovsky est une entrepreneuse de produits bio. Membre du groupe « Comment transformer sa vie (zero déchets/Fait maison/lifestyle) », elle a également défendu dans un commentaire la récente piétonnisation du coeur de Paris. Elle a également appelé les internautes à ne pas écouter le Conseil national de transition, un groupuscule complotiste ayant appelé le 14 juillet 2015 à faire un « coup d’Etat » et qui tente se de greffer au mouvement. C'est une bobo typique de cette recherche de reconnaissance des petits intermédiaires par l'Etat, et qui n'en finit pas de lister les taxes.
Le jeune routier Eric Drouet a réussi à faire parler de lui dès le départ en lançant l'acte II – ce qui est fabuleux, comme quoi le premier venu peut être une étincelle (beaucoup ont tenté à leur tour sur des thèmes comme l'immigration ou le départ de Macron, mais ça ne marche pas à tous les coups). Il n'a aucune conscience de classe, et n'est qu'un petit opportuniste inculte en histoire, et a déjà vu ses chevilles gonfler. Il a un fil à la patte, il est inculpé pour sédition ; il s'est pris pour un parti subversif à lui seul en appelant à aller envahir l'Elysée.
L'homme à la casquette, Maxime Nicolle est un individu plus trouble. Celui qui se fait appeler « Fly rider » pour faire in, navigue dans l'idéologie du RN et propage des bobards complotistes ; sans mémoire et sans conscience de classe comme le précédent, il navigue à vue mais à présent il roule pour le RIC, idéologie toute prête de ses fans de la droite profonde.
2J'ai d'ailleurs répondu, assez brutalement je le reconnais, ceci sur les réseaux : « « Le RIC ? surtout pas et vous êtes tous ignorants de la constitution bourgeoise suisse qui est un leurre, la représentation directe n'est qu'un joujou démocratique pour faire voter sur des questions accessoires pilotées par le parti populiste majoritaire, car vous voulez tous le RN au pouvoir! « l'opinion » est en général réac car le peuple est une notion facho! »
3Nos ignorants chauffeurs routiers et pétitionnaires en tutu n'ont jamais lu Ziegler. La Suisse lave plus
blanc de Jean Ziegler : « 300 à 500 milliards de dollars, tel est le montant estimé des profits réalisés chaque année sur le marché mondial de la drogue. Principal receleur de l'argent de la mort : le système bancaire suisse, qui n'a pas son pareil pour accueillir et recycler les capitaux internationaux à l'abri des regards indiscrets. Quatorze ans après la publication d'Une Suisse au-dessus de tout soupçon, violent réquisitoire contre l'hypocrisie du secret bancaire et du compte à numéro, Jean Ziegler démonte un à un les rouages du recyclage international de l'argent sale, dont Zurich est aujourd'hui la capitale. A travers des exemples précis, il montre ainsi que des multinationales du crime, disposant de réseaux commerciaux bien implantés, de laboratoires modernes, de milices entraînées par des professionnels, d'établissements bancaires fort accueillants, ont pénétré l'appareil d'Etat lui-même, et juissent, dans "l'Emirat helvétique", d'une protection efficace de la part de certains responsables politiques et judiciaires ».
4Pour ceux qui aiment bien les délires intellectuels de l'élite avec leurs conceptions tarabiscotées et complètement opaques de la dictature bourgeoise : Cet article est publié sur le site Knowledge@HEC
5Qui est un vrai problème pour les « oubliés du système » antiraciste, mais surtout une stratégie des gouvernants du féodalo-capitalisme pour dissoudre toute identité de la classe ouvrière. Lorsquune internaute a ressorti sur le web un article du Figaro du tout début Octobre où Muriel Pénicaud annonçait : « une enveloppe de 15 millions d'euros pour faciliter l'intégration professionnelle des réfugiés. Un appel a été lancé par la ministre du Travail aux organismes d'insertion et de formation qui voudraient s'impliquer. Ces derniers peuvent dès à présent postuler pour bénéficier des aides financières du gouvernement. «4000 ou 5000 réfugiés» d'ici à 2019 sont ciblés par cette mesure »... je ne vous dis pas le tollé !

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