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mercredi 11 octobre 2017

Sur le livre d'Eric Aunoble

Sur le livre : La révolution russe une histoire française
D’Eric Aunoble 

par Maël Auroux 



Le but de cette histoire laisse perplexe. C'est pourquoi l'on se pose les deux questions suivantes :
1/ Pourquoi il n'est question que de la période révolutionnaire révolution (1917) ? En réalité il faut voir tout l'arc révolutionnaire de 1917 à 1921 tout au moins.
2/ Pourquoi il n'est question que de la France car la situation est semblable pour tous les pays du monde même si l'on voulait faire un focus sur la France ?

La division en 4 périodes, me semble fort juste même si j'estime que 2 périodes avant la nôtre auraient suffi c'est à dire de 1917 à 1939 ; de1945 à 1991 puis 1991 à nos jours.
L'idée avancée pour montrer comment l'historiographie de la révolution russe doit être dépoussiérée est fort juste. Tout au long des 100 ans après la révolution, l'idéologie a masqué la réalité et ce qu'elle était en réalité et cela a arrangé la plupart des protagonistes au sein de la bourgeoisie à l'Est comme à l'Ouest.


I – Avant 1939.
C'est peut être la partie la plus faible du livre. Bien évidemment la bourgeoisie occidentale et ses médias ont eu « une réaction teintée d'hostilité » (p. 26 - Aunoble). Il ne pouvait pas en être autrement. Mais pour le milieu révolutionnaire, qu'en est-il ? On ne sait pas pourquoi, il n'y a pas eu d'études sérieuses sur la révolution elle-même.
D'abord Eric Aunoble aurait du dire que les bolchéviks, eux-mêmes, avaient interdit aux communistes hors de Russie de discuter de la question. C'était un problème russe. La discussion entre Bordiga et Staline pour le VI° Exécutif Elargi de l'IC en est l'exemple le plus clair.
A la demande de discussion de Bordiga, Staline répond : «D'un point de vue formel et de procédure, il est assurément vrai que le fait que l'Exécutif Elargi ne décide pas lui-même de ne pas aborder la question russe ne soit pas tout à fait régulier. Mais il faut envisager l'essence des choses. La position qu'a le parti communiste russe dans l'Internationale est telle que l'on ne peut pas penser qu'il soit possible de résoudre par la procédure les problèmes qui touchent les rapports entre le Parti russe lui-même, l'Internationale et les autres Partis. » (P131-132 Bordiga la défaite et les années obscures, Editions Prométhée
Et quand Souvarine avait publié en 1924 Cours nouveau de Trotsky il se fait sanctionner avant d'être exclu du PCF et de l’IC. Il se fait même critiquer par Trotsky pour l'avoir fait.

Ensuite, il n'est pas fait état de toute la perplexité des Oppositionnels communiste face à ce qui est en train de se dérouler en URSS. C'est cette perplexité qui fait hésiter les oppositionnels à revenir sur le sujet.
Les Oppositionnels ne connaissent pas les positions des Décistes1 au début des années 20 (gauche du parti en provenance de la Fraction de gauche du Parti bolchevik de 1918 (Cf. Kommunist les 4 numéros de la revue éditée chez Smolny). Ces textes commencent à être édités dans les années 1927-28 par de petits groupes. La Plateforme des 15 a été éditée par le Réveil communiste en novembre 1927 (Réédition, in La Gauche bolchevik et le pouvoir ouvrier, 1919-1927 – Michel Olivier -2012). Les oppositionnels ne connaissent pas les positions de l'Opposition ouvrière et des autres groupes oppositionnels en Russie comme La Vérité ouvrière. Ils ne connaissent surtout pas le Groupe ouvrier du parti communiste russe (cf. : les textes du Groupe et de Miasnikov in Le Groupe ouvrier du parti communiste russe – 1922-1937, Michel Olivier – 2009).
Ce n'est qu'avec l'arrivée de Miasnikov que le débat change en France et en Allemagne. Miasnikov, vieux bolchevik, utilise pour la première fois le terme de Capitalisme d'Etat déjà utilisé par Lénine et la fraction de gauche en 1918. Et c'est Albert Treint (ancien dirigeant du PCF de 1923 à 1927) qui va le populariser en publiant dans son journal L'effort communiste en mai 1933 le Programme et les statuts du Komintern ouvrier. C'est la raison pour laquelle Treint, défendant le capitalisme d'Etat en URSS, n'a pas pu assister à la Conférence de regroupement des Oppositionnels de 1933 aboutissant à la création de l'Union communiste. Treint est le premier qui en France défend la nature capitaliste d'Etat de l’URSS.

Tous les révolutionnaires étaient perplexes devant l'URSS. Ciliga écrit son livre Au pays du mensonge déconcertant publié en 1938 après celui de Miasnikov l'Ultime mensonge de 1930.

C'est tout cela qui n'est pas expliqué dans cette partie du livre. Pourquoi ?
Et l'on pourrait également parler du livre de Gide de 1936 Retour d'URSS et de Panaït Istrati sur la question russe (Vers l'autre flamme : Après seize mois dans l'U.R.S.S. (premier volume); Soviets 1929 (deuxième volume); La Russie nue (troisième volume), éditions Rieder, 1929 (édition originale). Pourquoi tout cela n'est pas cité ? Parce que cela n'a pas été imprimé dans les salons bourgeois ? Bien évidemment, pour tous sauf les révolutionnaires, il fallait taire cela.
Et si l'on sort du domaine franco-français, l'on pourrait citer les ouvrages de Karl Korsch, Mattick, Pannekoek, etc... pour ne citer que les plus connus. Dans la Gauche communiste, la branche italienne a eu beaucoup plus de mal à se déterminer sur la question de la nature de l'URSS.

Par contre, Eric Aunoble s'étale beaucoup sur la suite après 1945 avec justesse.

II – Après 1945.

J'aime bien la formule de Eric Aunoble page 192 : « La mystification d'octobre participait somme toute du maintien de l'ordre dans un monde bipolaire. »
Et oui, durant la guerre froide, l'Ouest pouvait montrer l'Est comme étant l'horreur absolue, la terreur rouge, le Goulag, les tueries. Et l'Est et les staliniens pouvaient se dédouaner en disant que c'était normal d'être attaqués par l'Ouest, le « Grand Satan » qui opprimait les peuples du Tiers monde en faisant la guerre de Corée puis du Vietnam, ou un petit pays comme Cuba, etc.... Et l'on en restait encore une fois à l'idéologie. L'historiographie sur l'URSS arrangeait tout le monde. L'on pouvait ainsi s'étriper tranquillement sur tous les terrains militaires et faire des affaires!

C'est là où l'on ne comprend pas la séparation faite après 1968. On se retrouve devant la même configuration. Même si le stalinisme en a pris un sacré coup. Tous ceux qui défendent qu'il y a quelque chose d'ouvrier en URSS empêchent de poser réellement et clairement la question, sans idéologie.
La question est qu'est-ce que la classe ouvrière a gagné quand la contre-révolution est arrivée dans les années 20? La révolution n'étant pas internationale, il ne pouvait y avoir de socialisme dans un seul pays. Tous ceux qui avaient la position inverse, qu'en Russie il y avait un peu de socialisme ou ce genre de balivernes, ne pouvaient pas être dans une étude dépassionnée de la révolution d’Octobre.
Mais en fait, c’est normal car l’on en reste toujours à la même configuration car l’on ne veut pas voir ce qui s’est passé après la révolution en URSS. Eric Aunoble n’étudie uniquement que la révolution russe, puis fait un saut en 1945, en 1968 pour en arriver, avec les mêmes concepts, à aujourd’hui. Et en fait il ne voit juste qu’en 1917, en 1945 et aujourd’hui. Tout le reste est passé à la trappe.

Et pourquoi, enfin, Eric Aunoble ne parle t-il pas de tous ceux qui avaient depuis la deuxième guerre impérialiste compris que l'URSS n'avait plus rien d'ouvrier et qu'il fallait tout remettre en cause. Quand il parle de la Gauche communiste il ne parle que de Socialisme ou Barbarie ou de l'IS. C'est à dire la gauche communiste « à la mode » dans les salons bourgeois parce qu’ils n’avaient pas de passé et n’existent plus. Ils ne font pas peur car ils ne se rattachent pas au passé de l'IC. Ils n'ont pas fait une critique de l'IC depuis les années vingt. Pourquoi ne parle t-on pas de la Gauche italienne, de la Gauche germano hollandaise ni de Munis et de Natalia Trotsky ? Natalia Trotsky a su faire une critique de la nature de l'URSS grâce à la participation à la guerre impérialiste. Que se devait être dur pour elle, alors qu'elle avait participé avec Trotsky au pouvoir ouvrier en URSS !!!! Elle a été capable de se remettre en cause. C’est une grande dame.

III - Débâcle universelle ?

Débacle universelle, nous dit-il en page 195. Pour qui ? Staliniens ? Trotskistes ? Oui pour ceux-là, c'est un fait. Certainement pas pour la Gauche communiste. Eric Aunoble ne cite que les anarchistes qui « tireraient leur épingle du jeu ». Oui, peut être. Ils ont aussi du travail à faire, notamment pour les anarchistes d'Etat du style de Federica Montseny.
En réalité c'est le communisme et l'idéal de la communauté humaine qui en a pris un gros coup en général et pour longtemps avec ce qui s’est passé en URSS. C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons et cela durera tant que nous ne saurons pas nous élever au-dessus des idéologies.
C'est pourquoi, je salue la volonté d'Eric Aunoble d'aller aux textes, de décortiquer les faits comme le fait Marc Ferro (même s'il y a beaucoup d'autres critiques à faire à ce dernier en tant que défenseur de l’idéologie de la bourgeoisie). Mais il faudra aller plus loin mon petit Eric.
Nous devons être capables au moyen d'une critique radicale des cent dernières années et de ce que nous avons défendu, de développer plus fermement ce qu'est le véritable contenu du socialisme. C'est un travail très sérieux qui passe par une remise en honneur des Conseils ouvriers, la destruction de l’Etat bourgeois et l’affaiblissement progressif de l'Etat transitoire et non pas son renforcement comme en URSS, etc...
Tant que nous n'aurons pas fait ce travail de toilettage pour décrire l'humanité communiste de demain, ce sera encore et toujours la débâcle. 
 
1 Eric Aunoble parle des Décistes en page 109 pour dire « Ainsi, l'Opposition ouvrière ou celle des Décistes (centralistes démocratiques) sont réduites à la portion congrue » en parlant des travaux de Broué. Ce n’est pas peu de le dire ! Oui, ils sont réduits à la portion congrue par Eric Aunoble. Ou bien il ne fait qu'être le psittaciste de ce dernier.


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