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mercredi 3 août 2016

Concordat avec l’islam » : et si on essayait le déshonneur ?

Le serial killer de la laïcité court toujours... 






Dans un superbe texte publié par Figarovox.fr1, Fatiha Boudjahlat, secrétaire nationale du MRC à l’Éducation, réagit aux propos prêtés par Le Canard Enchaîné au ministre de l’Intérieur, selon lesquels Bernard Cazeneuve envisagerait un « concordat avec l’islam »2. Même si ces propos ont fait l’objet d’un démenti3, on ne peut que s’interroger, comme elle le fait, sur la fonction « ballon d’essai » de leur contenu : ils s’inscrivent parfaitement dans la longue série de démissions et de compromissions qui ont ponctué les 30 dernières années en matière de laïcité. C’est aussi pourquoi il convient d’examiner de près les récentes propositions de relance ou de création d’une « Fondation » destinée à traiter le financement de l’islam.

Rappel de quelques éléments au sujet d’un régime concordataire

Un « concordat avec l’islam » serait un imbroglio juridique inextricable. Il s’agirait en effet d’étendre illégalement un statut d’exception expressément destiné à disparaître, limité dans l’espace (en France métropolitaine, à l’Alsace-Moselle) et dans ses objets (il ne concerne que quatre religions au sein desquelles l’islam ne figure pas !) – extensions rejetées par le Conseil constitutionnel chaque fois qu’il en a été question4.
Le régime concordataire est contraire à l’égalité dans l’exercice des cultes et à celle des citoyens en général, qui doivent payer pour des cultes qu’ils ne pratiquent pas ou qu’ils réprouvent. La liberté de conscience, qui comprend celle de n’avoir aucun culte, est mise à mal.
Mais il est aussi contraire dans son principe à la liberté religieuse puisqu’il consacre officiellement la légitimité d’autorités désignées par les pouvoirs religieux, et qu’il néglige nécessairement les cultes nouveaux : il lui faudrait sans cesse renégocier s’il voulait être à jour, et étendre le financement public à des niveaux imprévisibles. Où est la liberté des fidèles face à des appareils religieux accrédités par le pouvoir politique, alors qu’ils devraient être seuls à les déterminer ?
Plus généralement, une telle proposition fait comme si le libre exercice des cultes était un droit-créance (que la puissance publique devrait assurer à ses dépens notamment en rétribuant les ministres des cultes), alors qu’il s’agit d’un droit-liberté (que la puissance publique doit garantir : faire en sorte que personne ne soit empêché de l’exercer). On ne peut même pas comparer les cultes à des clubs de foot ou de break dance car ils sont par principe exclusifs sur critère d’opinion. Quant à leur utilité publique, elle ne saute pas aux yeux. En revanche on peut comparer la liberté des cultes au droit de propriété : j’ai le droit d’acheter une voiture de luxe, et si je n’en ai pas les moyens il n’appartient pas à l’État de m’y aider. La liberté des cultes n’est comparable, ni au droit à l’instruction, ni au droit à la santé, ni à aucune prestation sociale. Une autre différence est que la liberté des cultes comprend aussi sa négative : ne pas avoir de culte est une liberté, c’est un droit. Un financement public des cultes pénalise les personnes qui n’en pratiquent aucun.
La puissance publique n’a pas à aider qui que ce soit à pratiquer un culte par une intervention positive, de même qu’elle n’a pas à m’aider à acheter une voiture de luxe. En revanche, elle doit garantir la liberté de culte lorsque celle-ci est menacée, entravée ou remise en question, de même qu’elle doit assurer la liberté de circulation en faisant en sorte que la voie publique soit libre et accessible.

Accoutumance et compromissions

Bien sûr, Bernard Cazeneuve et ses collègues du gouvernement n’ignorent pas ce que je viens d’écrire. Alors pourquoi laisser filtrer de telles énormités qu’on se paie le luxe de démentir, les sachant irréalisables ?
La fonction de ce pseudo-cafouillage ne peut être que politique, ce que Fatiha Boudjahlat souligne fort à propos : il importe que l’idée soit dans l’air, – idée d’un « pacte » avec « les musulmans », idée d’une concession qu’il faudrait accepter en faveur d’une religion, et bientôt en faveur de toutes, et avec elle s’insinue l’idée que, au fond, si on a tous ces ennuis, ce pourrait bien être « la faute à la laïcité » non ? En termes infiniment plus sophistiqués, c’est ce qu’avance Pierre Manent dans son ouvrage Situation de la France – dont on lira la critique dans les colonnes de Mezetulle5.
Ce ballon d’essai sert à tester l’opinion sur une remise à plat (ce qui rime souvent avec un abandon) de la laïcité. Et ce n’est pas nouveau : il s’inscrit dans une longue et tenace ligne politique d’accoutumance à plier l’échine, à s’accommoder de pratiques religieuses à prétentions politiques de plus en plus invasives et à les banaliser. C’est, de plus et en l’occurrence face à des massacres qui se réclament ouvertement d’une option religieuse, une attitude honteuse et politiquement injustifiable : il n’est plus possible d’ignorer à présent que le choix du déshonneur n’évitera pas la guerre6.
Fatiha Boudjahlat explique cela très bien :
« Étendre ce qui est perçu avec raison comme injuste dans trois départements de métropole et autant en Outre-Mer à l’ensemble du territoire n’est en rien une avancée: c’est une concession, une compromission qui récompense les offenses et les offensives des radicaux religieux. Le crime paie. Et cette tentation, lancée comme un ballon d’essai, rend brûlante d’actualité cette réplique dans le roman Les Garçons de Montherlant: «C’est une loi de la société, le crime crée l’amnistie». Une loi sociale, faite pour maintenir la paix. Ce Concordat, ou Pacte pour reprendre le terme de Jean Baubérot et de Pierre Manent, tient dans notre contexte de la logique de l’amnistie: espérer au mieux tarir ce qui nourrit le terrorisme en donnant des gages aux tenants du courant le plus radical. Le ministre communiquera pour nier une telle intention, après avoir sondé la réaction de l’opinion publique, tout en capitalisant sur le fait d’être prêt à cette compromission: ce ballon d’essai est moins destiné à la Nation qu’aux responsables politiques et religieux de l’islam en France: «nous sommes prêts à aller jusque-là… laissons l’opinion s’habituer à l’idée». »

La laïcité en proie à un serial killer protéiforme

La série des démissions remonte bien plus haut que Fatiha Boudjahlat n’a pu le dire dans son texte – où elle dénonce à juste titre « l’incapacité structurelle de la gauche à penser et à composer avec le religieux et avec les religieux sur une base autre que celle de la compromission, de l’empathie et des accommodements déraisonnables », en citant l’exemple des accompagnatrices scolaires voilées.
Il est opportun de rappeler, à la fois pour son ancienneté et pour son caractère exemplaire en matière de compromission avec l’islam le plus réactionnaire, la position de Lionel Jospin en 1989 (alors ministre de l’Éducation nationale) sur le port des signes religieux à l’école publique, soutenu par une mémorable déclaration de Danielle Mitterrand7. On se souvient aussi des accords Lang-Cloupet, et des Rapports sur la refondation de la politique d’intégration commandés par Jean-Marc Ayrault. François Hollande déclarant que « La République reconnaît toutes les religions »8 continue donc une brillante tradition, en lui ajoutant toutefois un goût certain pour le pataquès. Et la droite n’est pas en reste : que dire du Rapport Machelon, de la loi Carle, des discours de Nicolas Sarkozy à Latran et à Ryad9, et plus récemment de « l’identité heureuse » d’Alain Juppé, des déclarations haineuses de Benoist Apparu10 ou des propositions de Gérald Darmanin11 ? Quant à nombre d’élus locaux, toutes tendances confondues, on aurait bien du mal à dresser la liste de leurs complaisances communautaristes12.
Parce qu’ils visent à accoutumer l’invasion du politique par le religieux, ces éléments dignes de figurer à l’agenda d’un « serial killer » de la laïcité appellent la vigilance et doivent abaisser le seuil de réaction des militants laïques. Car si nous sommes habitués à quelque chose, c’est à voir depuis longtemps la classe politique et nombre de décideurs avancer des propositions visant à détruire la laïcité13.

Mettre de l’ordre dans la maison « islam », mais pas aux dépens du contribuable !

Il faut donc scruter de près les propositions de relance de la « Fondation des œuvres de l’islam » ou de création d’une nouvelle Fondation avancées récemment par le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur 14.
Certes, il est urgent que le culte musulman s’organise et mène en son sein les réformes que beaucoup de nos concitoyens musulmans appellent de leurs vœux et auxquelles ils sont prêts à travailler. Il est bon que les divisions qui traversent une religion soient l’objet d’un débat critique mené sur la place publique, et qu’on cesse de coaliser ses fidèles autour de ses versions les plus rétrogrades, parmi lesquelles certaines sont meurtrières. Il est bon que la puissance publique encourage cette prise en main et ce débat comme y invite le Premier ministre. Elle pourrait par exemple prévoir de sanctionner les responsables religieux qu’une espèce de « conseil de l’ordre » se chargerait de désavouer – sans oublier que l’article 35 de la loi de 1905 permet bien des choses.
Cependant, il y a un hic. Présenté comme un rempart aux financements issus de l’étranger qu’il s’agirait de bloquer (et il faudrait expliquer comment) le recours à une fondation pose la question des subventions publiques qu’elle pourrait recevoir. S’il est actuellement primordial que les Français musulmans mettent de l’ordre dans leur maison (qui apparemment compte beaucoup de pièces fort disparates…), il est impensable de solliciter le contribuable pour mener à bien ce travail : ce serait à la fois une intrusion publique dans les affaires religieuses et une accréditation du religieux comme tel dans les affaires publiques, en contradiction totale avec la laïcité républicaine. Un culte peut et doit se financer lui-même comme le fait n’importe quelle association, et cela d’autant plus aisément qu’il bénéficie d’un régime fiscal avantageux ; il peut lancer un appel à contributions au-delà même de ses fidèles – ne voit-on pas chez nombre de commerçants des affiches appelant à contribuer au denier du culte catholique ? L’idée d’un prélèvement privé (et non d’une taxe qui supposerait une fiscalisation) sur la certification « halal », déjà ancienne, est régulièrement avancée, puis régulièrement repoussée…  Financer un culte reviendrait à transformer la liberté des cultes en droit-créance alors qu’elle doit rester, dans l’intérêt de tous, un droit-liberté.

L’emploi du terme « pacte » n’est pas anodin

Mais revenons à la question de l’accoutumance et de la banalisation : elle tient aussi au vocabulaire employé, aux habitudes linguistiques qui finissent par conformer la pensée. L’emploi emphatique du terme « pacte » n’est pas neutre, c’est un leitmotiv des « déni-oui-oui »15. Or le régime républicain ne comprend pas de deal avec tel ou tel groupe, il ne traite pas avec des lobbies. Le Premier ministre parle d’offrir aux musulmans, au terme d’une négociation s’inspirant de la loi de 1905 (comme si cette loi ne pouvait pas s’appliquer à l’islam et comme si elle se caractérisait par un compromis passé avec l’Église catholique), « la garantie du libre exercice du culte » : mais ils l’ont déjà ! En matière de liberté il n’y a rien à négocier, tous jouissent des libertés communes et tous doivent respecter la législation laïque.
D’ailleurs, et pour être au plus près des concepts, il n’y a pas de « pacte » entre les citoyens et la République, à moins d’entendre par là, comme le faisait Rousseau, qu’on contracte avec soi-même, car ce sont les citoyens, par l’intermédiaire de leurs représentants élus, qui font les lois. Les droits et devoirs fondamentaux ne sont pas produits en vertu d’un traitement particulier reposant sur un échange avec telle ou telle portion des citoyens : ils sont le fruit de décisions universelles, prises au nom de tous et applicables à tous.
Fatiha Boudjahlat a donc raison, en conclusion de son article, de s’adresser aux seuls agents politiques de première main, à savoir les électeurs, en les appelant à la vigilance et à la sanction des élus qui ne sont que leurs représentants temporaires :
« Quiconque l’adjectivise ou l’invective [i.e. la laïcité], quiconque laisse l’adjectiviser ou l’invectiver ne mérite pas de suffrage. Puisqu’ils n’ont pas de conviction, faisons savoir aux élus qu’ils risquent leur place, en cédant sur l’essentiel de ce qui nous a permis d’être ce que nous sommes. C’est le seul rapport de force qu’ils respectent. »
© Catherine Kintzler, 2016.

Notes

2 Voir notamment la revue de presse sur le site du Comité laïcité République http://www.laicite-republique.org/bernard-cazeneuve-reflechirait-a-un-concordat-avec-l-islam-le-canard-enchaine.html
4 Pour en savoir plus, lire l’article de Charles Arambourou sur le site de l’UFAL http://www.ufal.org/laicite/apres-le-tout-securitaire-la-tentation-bonapartiste-cazeneuve-veut-un-concordat-avec-lislam/
6 On aura reconnu la paraphrase d’une répartie célèbre de Churchill, s’adressant en 1938 à Chamberlain au sujet des accords de Munich : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre. »
7 « Si le voile est l’expression d’une religion, nous devons accepter les traditions quelles qu’elles soient » Libération du 23 oct. 1989.
9 Voir sur l’ancien Mezetulle : http://www.mezetulle.net/article-16035588.html
12 Cf sur ce site : http://www.mezetulle.fr/elus-et-complaisances-communautaristes/ . Voir le livre de Céline Pina Silence coupable (éd. Kéro). On rappellera a contrario l’utile Vademecum laïcité de l’Association des maires de France, en total désaccord avec le clientélisme communautaire http://www.mezetulle.fr/le-vade-mecum-laicite-de-lassociation-des-maires-de-france/
13 Sur les entorses à la laïcité, on lira utilement l’ouvrage de Frédérique de la Morena Les frontières de la laïcité, Issy les Moulineaux : LGDJ – Lextenso, collection « Systèmes » 2016. voir sur ce site : http://www.mezetulle.fr/frontieres-de-laicite-de-f-de-morena/

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