PAGES PROLETARIENNES

jeudi 29 mai 2008

LA GALAXIE COMMUNISATRICE FREMIT D’ANGOISSE

Courrier de Roland Simon le 27 mai 2008,

Cher camarade,

J’ai vu sur ton blog/site que tu t’apprêtais à publier un ouvrage sur la communisation et les communisateurs. Je ne peux que me réjouir de cette initiative et de cet intérêt.

Cependant, les quelques lignes d’annonce de ce travail présentent quelques erreurs qui ne peuvent que nuire à l’intérêt et l’importance de ton propos pour l’avenir de la révolution et de la conscience de classe du prolétariat universel. En conséquence je me permets de te signaler quelques textes dans les deux derniers numéros de Théorie Communiste (n°20 et n°21). Vu le sérieux de ta réflexion, tu as certainement lu ces deux derniers numéros mais malgré la pertinence de ton étude certaines choses ont pu t’échapper.

Dans le n°20, notre analyse de la lutte des classes actuelle et de la production, au travers de l’activité de classe du prolétariat en tant que classe des travailleurs productifs de plus-value, de la rupture révolutionnaire, a pu t’échapper.

Dans le n°21, sous le titre « TC brûle-t-il » tu as certainement noté notre critique de « Temps critiques » au sujet de l’abandon des classes et de la théorie de la valeur.

Tu as dû également lire en annexe du texte « Karl Marx et la fin de la philosophie classique allemande » ce que nous pensons de la « critique du travail », cela n’est pas bien sûr au niveau proprement sidérant de la réflexion de Bitot, mais cela mérite d’être signalé. Je t’indique tout de suite « l’annexe » car le texte lui-même sur Marx n’apprendra rien à un marxiste de ton envergure.

J’apprécie le caractère catégorique, tranché, exempt de toute interrogation de ta production théorique. Elle reprend le droit fil de ta virilité intellectuelle des vrais prolétaires qui savent donner à la théorie révolutionnaire un élan incomparable sans se perdre dans le marécage petit bourgeois germanopratin de l’innovation et de la confusion intellectuelle.

Amicalement,

R.S.

MA REPONSE

Cher Roland Simon,

Je suis très honoré de ta mise en garde (de maître d’école) à un bouseux marxiste comme moi, depuis quel trou provincial ? Ah oui Les Vignères ! J’eusse très certainement tenu compte de ces remarques mais, hélas, mon manuscrit voguait déjà vers l’imprimerie, en version PDF.

Depuis mes premiers pas politiques hésitants en 1967, j’ai toujours été un observateur narquois de la petite bourgeoisie, du fait d’une enfance pauvre et d’un père prolétaire que je voyais rentrer humilié à la maison. J’ai toujours eu en horreur l’injustice, je ne sais pourquoi. J’ai très tôt pourchassé la mauvaise foi. J’ai été insulté et battu par des agents du stalinisme. Je ne voudrais jamais avoir leur comportement même vis-à-vis d’adversaires politiques. J’étais bien conscient au départ des risques d’amalgames dans un nouveau pamphlet contre les errements de la petite bourgeoisie intellectuelle. Je prends donc un luxe de précautions d’emblée dans mon introduction qui est un pastiche d’un de tes textes, pour signaler mes éventuels manquements. J’ai eu souvent du mal à distinguer ta prose de celle de Charrier, sympathique garçon que j’ai dû croiser naguère diffusant sa feuille de chou à la sortie d’une RP du CCI.

Désolé je n’ai pas pu parcourir en tout cas toute ton œuvre. Elle est trop dense et compliqué pour un individu moyennement intelligent comme moi. Mais, rassure-toi, si je vous mets tous dans le même sac je crois savoir nuancer les différences. Entre les conneries des deux Jacouille de Temps Critiques et toi, ou Dauvé, qui avaient eu la chance de croiser les véritables idées subversives du XXe siècle, c’est tout à votre honneur de garder de beaux restes au détour d’un paragraphe. Toi-même, fils putatif de Robert Camoin je présume que tu as eu un fort mauvais père, acariâtre, fier-à-bras sans les moyens et incapable de réflexion approfondie pour les exigences du mouvement révolutionnaire moderne ; cependant, même avec ses œillères ce camarade garde une compréhension de classe de base qui fait qu’il reste au-dessus de vous tous, superficiels contempteurs du prolétariat.

Voici ma méthode pour vous analyser. Au début, comme le premier internaute venu, et malgré ma longue expérience et mon ancien combat contre le « modernisme », j’étais dans le brouillard. Dans le brouillard d’un mauvais match de football. Quelles étaient ces équipes, couvertes de boue et dont on ne distinguait plus la couleur du maillot ? Je comptais les points. J’applaudissais aux passes habiles, aux feintes imparables… Puis je m’apercevais qu’il n’y avait pas d’arbitre. Chaque joueur prétendait fixer les règles du jeu. Pour un anti-sportif comme moi, c’était galère. J’avais téléphoné à un ami fan des jeux de cirques et il ne m’avait fourni que de pauvres éléments de la règle du jeu. Puis, probablement légèrement assoupi par mes lectures embrouillées où je perdais le fil, mes yeux se sont abaissés au niveau des crampons des équipes. J’ai alors distingué d’un côté la marque Adidas et de l’autre, Nike !

Pas peu fier de ma trouvaille, je commençais à comprendre confusément mais de plus en plus clairement. A mon humble avis de spectateur accroché à son clavier comme l’enfant à la barre de la corbeille du manège rapide de la fête à Neu-Neu. Le brouillard se dissipait : le jeu était truqué ! Il était basé sur l’oubli de la carrière des divers joueurs. Le spectacle, qui avait attiré quelques naïfs fans des anciens clubs ultra-gauches et gauchistes, se terminait toujours comme un match nul. Je pouvais donc me lasser et remettre dans mon vieux magnétoscope mes films préférés de Rossellini et de Marcel Carné, ou les films américains N&B de l’époque de la grande crise.

Ma réputation de pitt-bull dans la théorie révolutionnaire et de rétif à toute notoriété hiérarchique ne pouvait être mise à l’encan. J’ai « concrétisé » enfin. Anciens et nouveaux déçus du prolétariat, par non-immédiateté de la révolution, vous êtes comme le personnage de Romain Rolland, Jean-Christophe. Au début de cette saga, qui a enchanté mon enfance, Jean-Christophe, assis dans un pré, observe les nuages (la lutte des classes). Jean-Christophe est fasciné par ces nuages, ils sont énormes, ils occupent l’espace. Ils vont leur train, lourds de l’orage qui couve ou insouciants du soleil de plomb (capitaliste). Il décide alors de commander aux nuages avec son bâton de berger :

- nuages, allez par là !

Les nuages restent sourds à l’injonction. Jean-Christophe réitère son ordre deux fois, trois fois. Ceux-ci n’obéissent toujours pas. Il demeure longtemps perplexe. Puis, soudain, il a une idée. Avec son bâton il commande aux nuages d’aller dans le sens où ils vont. Et ça marche !

Je comprenais aussitôt votre démarche. Déçus et déprimés que le prolétariat n’aille pas dans le sens de l’immédiateté rêvée, vous avez pu vous rabattre aux côtés du soleil immobile du capitalisme. Le bâton n’était plus dans vos mains que le stylo ou plutôt le clavier de votre ordi. Tout devenait simple, vos désirs s’accordaient avec la REALITE PRESENTE. Les menaces d’orage sont alors oubliées. Tout va dans le bon sens. La conscience est apaisée.

Laissons de côté à présent la parodie. L’ultra-gauche, dont vous étiez pour la plupart les sectateurs jadis, même si vous en parlez comme quelque chose d’extérieur, a enfanté des brûlots vite disparus, mais croit renaître de ses cendres dans le bruissement de quelques cénacles de has been et sur le merdier informatique de la toile universellement aliénée.

Un peu comme avant le déluge (pardon un tsunami) les animaux égarés tendent à se réfugier en haut d’une colline. Cela n’en fait nullement une nouvelle arche de Noé, ni arche pour la révolution. Vous êtes des cosmonautes fragiles en perdition dans le néant intersidéral d’internet.

Je parvins ensuite à définir, avec tout ce que le milieu révolutionnaire comporte encore comme camarades non maqués par une secte, l’idéologie de la communisation comme suit : un couteau sans manche auquel manque la lame (merci Lichtenberg). La communisation, dis-je dans le manuel pour étudiant en communisatologie, est spéculation autour de trois/quatre moles funèbres : mort du prolétariat, mort de la transition/et du travail, mort de la valorisation.

Je conçois que, pris dans le feu des prêchi-prêchas abscons, vous n’en soyez pas conscients.

Dans un monde où la croyance superstitieuse est définitivement morte, la tentation du nihilisme et d’un hédonisme spirituel est prégnante.

Pour faire profiter les maigres lecteurs intéressés au sort du prolétariat universel, et par conséquent à celui de l’humanité souffrante tout entière, je pose donc l’équation suivante :

Les déçus de l’ultra-gauche ont donné rendez-vous aux repentis du gaucho-maoïsme pour une dernière partouze idéologique. Craignons que les lendemains de l’orgie soient tristes et plein de larmes !

A mon ultra-gauche, tous ceux (de Dauvé à toi-même) qui ont eu la chance de croiser les idées marxistes révolutionnaires, et qui en gardent des morceaux par temps agité. On ne saurait confondre cette aile communisatrice avec les deux imbéciles de Temps Critiques, lesquels ne méritent que la compassion pour leur poésie même pas burlesque. On ne saurait non plus les confondre avec, à ma droite, l’aile des repentis gauchistes (les crétins Negri et Kurz, et autres Postone, Bonarian et SINONONESTZEO). Mais vous êtes tous dans la même barque sans principes, sans pratique, perdus dans la tempête. Pire, malgré les désaccords, chacun peut ramer à la place de l’autre, mais en pagayant en rond.
Plus je regarde cet épisode supplémentaire de la dérive moderniste, plus je me sens conforté dans l’idée que le scénario n’est pas nouveau. Toi-même, scénariste à la plume agile et torve ne penses-tu pas que tu t’abuses avec ton verbe de matelot désorienté ? Imagines-tu que les millions de prolétaires aient envie de se sauver dans cette étroite embarcation qui prend l’eau et qui se prend pour le Titanic ?
Je te concède que le capitaine émérite Karl Marx a coulé par le fond depuis longtemps, mais ne nous a-t-il pas laissé son sextant et sa boussole ?

Vous n’apportez aucune nouveauté pour la révolution, vous lui tournez tous le dos et vous voudriez être applaudi. Misère de l’arrivisme !

Non, nous les « Anciens » nous ne vous permettons pas de prétendre que nous serions de gros cons catégoriques et « exempts de toute interrogation », et c’est pourquoi notre tâche est de rendre votre honteuse communisation encore plus honteuse et de la livrer au grand public, encore limité des partisans de la théorie du prolétariat.

Bien cordialement,

JLR

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire