PAGES PROLETARIENNES

samedi 31 mai 2008

Au cœur de la Caverne

des brigands de Temps critiques


Dans la librairie Teckhnê non loin de la montagne Sainte Geneviève au lieu dit « quartier latin », se tenait vendredi soir une réunion autour de la présentation du dernier livre des duettistes de Temps critiques, épais livre sur le mai rampant italien. Une vingtaine de personnes étaient présentes dont plusieurs anciens militants du CCI du cercle de Paris.

Au cours de sa présentation Jacques W. se démarqua de l’intéressant livre de Vigna (L’insubordination ouvrière) qui limite lui aussi la signification des événements de l’époque au mai français, alors que l’Italie a vu se développer peu après un mouvement autonome étendu dans le temps.

Il évoqua ensuite les particularités de la contestation à l’intérieur du PC italien, mais surtout avec un Negri hors de ce parti, dans le parti socialiste. L’Italie a été marquée par une plus grande radicalité des luttes et le développement du terrorisme. L’intensité du mouvement a été plus forte certes en France mais plus courte. La crise économique a été ensuite plus forte en Italie entraînant de nombreux licenciements dans le triangle industriel bien connu. De nombreux jeunes prolétaires du sud se sont retrouvés sur le carreau. A cette époque, conjuguée avec la répression, l’idéologie bourgeoise aboutit à dissoudre l’identité prolétarienne. Nombre des jeunes prolétaires licenciés sont renvoyés vers l’impasse d’une semi-clandestinité avec leur engagement dans les groupes gauchistes. La lutte prend la tournure d’une vendetta corse (goudron, plumes…). Le présentateur a dû ensuite parler des luttes pour les autoréductions, mais j’ai pas tout saisis dans ma mémoire de moineau. Il exhibait certainement des connaissances précises des particularités italiennes.

Devant cette présentation relativement fermée sur l’Italie, comme Vigna l’avait été sur le cas français après tout, il ne me restait plus – moi le cro-magnon du marxisme périmé – qu’à jeter successivement trois flammèches qui allaient allumer la discussion, voire l’incendier.

D’abord je demandai aux deux auteurs, au sympathique J.Guigou et au glabre J.W. de nous expliquer leur analyse de l’opéraïsme, cette scie qui sert de carburant spéculatif au milieu communisateur pour fleurir la tombe de la classe ouvrière. J’ai rappelé que cet ouvriérisme made en Italie était en fait la théorisation rêvée de l’unité étudiant-travailleur avec le gadget negriste du « salaire étudiant » dit aussi « salaire social », et que ce courant sous-produit du stalinisme prospéra sur le reflux du mouvement « rampant ».

J.W., qui tient le crachoir en public, trouva ainsi matière (ouf) à se lancer dans la description détaillée des particularités italiennes, notamment sur ce qui se passait dans les usines et les actions « extérieures ». Il fût question aussi beaucoup de nouvelles comparaisons avec le mai français par le biais des prises de parole d’autres présents. Il se dégageait tout de même de la démonstration de JW que nous assistions là à la fin d’une certaine classe ouvrière, pour ne pas dire à la fin tout court.

J’allumai donc une seconde flammèche (et qui était un piège incivil de ma part): quels liens faites-vous, vous les communisateurs, entre le mouvement divers d’insubordination en Italie et l’apparition du terrorisme ?

Dans sa longue réponse, JW, après avoir rejeté le qualificatif de communisateur, il commença à révéler que sur le fond il ne différenciait pas la classe ouvrière des partis chargés de l’encadrer. Il évoqua comme causalité du terrorisme, les réminiscences de la résistance chez les ex du PCI, l’apparition de « groupes ouvriers armés », puis la place prise par les groupes armés de Feltrinelli, le débat des brigades rouges avec Lotta Continua. Des SO (services d’ordre) vont se détacher pour former des groupes armés, création des NAP (noyaux armés prolétariens), Prima linea, etc. JW rappela que le principal responsable de l’enlèvement d’Aldo Moro était Mario Morelli, le dirigeant du comité de base Siemens. En gros, le terrorisme est ainsi défini comme lié aux « impuretés » de la classe ouvrière.

Sur cette deuxième partie je m’insurge évidemment contre cette interprétation mais surtout contre l’absence de recul de l’orateur. Il prend plaisir à fouiller les détails de la radicalité « opéraïste », avec la tentative répétée de nous faire partager son émotion de croque-mort du prolétariat. Mais il ne nous dit rien, ou pas grand-chose, du reflux de la lutte générale en Europe et de la politique adoptée EN FACE par la bourgeoisie pour contenir puis vider le mouvement de sa substance. Je rappelle donc que (selon Debord et RI) mai 68 et le mai rampant ont signifié un réveil du prolétariat (un troglodyte poilu et courbé sous le poids des années ricane dans la salle sur le mot réveil), et qui dit réveil dit qu’on va pas à l’insurrection immédiatement, que les ouvriers ont pas envie de verser leur sang ou de se sacrifier inutilement pour de petits partis excités issus de la décomposition du stalinisme et qui se proposent de les envoyer au casse-pipe. En ce sens on ne peut pas dire que le terrorisme est le produit de la classe ouvrière, même « évanescente » pour utiliser un riche mot de nos communisateurs. Mais il y a autre chose que vous n’étayez pas, et pour cela il faut revenir à la politique. Nous avons – nous le prolétariat en tout cas – en face de nous des gens intelligents et armés. Comment pouvez-vous oublier l’affaire du Gladio ?

(ricanement à la tribune, cri dans la salle : « c’est encore théorie du complot ! »)

Le financement de la RAF par le bloc de l’Est c’est une blague ? L’action de la CIA en Italie une blague ? Vous oubliez la trouille de la bourgeoisie face au réveil prolétarien, et qui adapte la réponse même en payant cher. Vous êtes donc tous naïfs ici, mais la fin des années 1970 - que nombre de communisateurs spécifient, avec pertinence un peu, en « année 1977, année de la contre-révolution » (cf. lexique de mon prochain livre) - est marquée par beaucoup de choses troubles : attentats très sanglants en Italie, arrestations massives, il y a eu le Chili en 1973, il y avait eu les chars russes en 68 à Prague… C’est un jeu à plusieurs acteurs, il n’y a pas que la bourgeoisie et les indiens métropolitains dont je n’ai que foutre (J.Guigou avait fait une intervention pour rappeler l’action de ces premiers totos), il y a encore la rivalité des blocs (les chars russes pouvaient arriver plus facilement en Italie dans une situation politique non maîtrisée par la bourgeoisie locale), le rôle de la CIA qui infiltre les milieux gauchistes et fournis les armes, etc., on peut le lire sur internet (ricanement de JW et interruption : sur le net ?)

- sur le net on peut lire aussi bien que dans des livres d’histoire, et plus de vérités que dans les pages de Temps critiques ! Officiellement, je dis bien officiellement le magouillage de l’Etat a été reconnu, et c’est bien normal avec le recul et la trouille que les deux mai, italien et français ont flanqués à la bourgeoisie. Après le réveil vient le reflux, et la bourgeoisie tape.

Mon objection n’est évidemment pas entendue, voire reste méprisée. Raoul Victor, qui naguère déclarait que le terrorisme était une décomposition du gauchisme, s’étale ensuite, à la suite de la théorie de JW (des « impuretés » de la classe ouvrière), sur le désespoir de minorités (armées) de la classe, et comme tout bon nouvel adepte de la communisation, fait des parallèles historiques oiseux sur les prolétaires armés de la République de Weimar, oiseux car il y avait eu une véritable tentative révolutionnaire à l’époque, pas comparable à l’agitation italienne (et certains groupes armés, tu parles la référence Jojo, ont fini chez les nazis). Il s’allie également avec les anti-complotistes de la salle, en reprenant les arguments de JW sur les événements-qui-se-déroulent-quand-même-malgré-le-flic Gapone en 1905. Comme je ne peux pas être en même temps l’avant-centre et l’arrière latéral droit (qui en plus vient de me tâcler pour l’équipe adverse), je laisse pisser. Mais l’argument et la référence sont aussi faux que le précédent, la police est très efficace en période de reflux en lien avec des réactions « politiques » dissolvantes (participation gaulliste en France et focalisation avec le terrorisme en Italie). Dans la passe d’arme qui suit entre JW et RV, le communisateur JW a raison de trouver léger l’argument du désespoir pour expliquer le terrorisme en Italie ; mais ils ont leur petite musique à eux d’intellectuels en herbe, le prince déchu Raoul et le pince sans rire JW, ils aiment à se causer avec affectation au-dessus des crétins qui les entourent. JW insistait avec élégance et force circonvolutions que le terrorisme est un produit d’ouvriers radicalisés et reçoit la réplique suivante de ma part :

- ce n’est pas parce que de petits chefs gauchistes se sont laissés embarquer dans le terrorisme qu’il faut en conclure que c’est clean et de classe ! j’ai connu plusieurs délégués CGT salopards prêts à tout pour leur carrière, et cela n’en fait pas une émanation du prolétariat !

Après les avoir laissé ronronner intellectuellement avec cette douceur des mots raffinés ou des radotages confirmés, je lance ma troisième flammèche :

- la classe ouvrière a donc disparu depuis l’évanescence de l’opéraïsme ?

Magnifique provocation de ma part dans laquelle JW, qui tient encore le crachoir, plonge. Je n’ai pas pu tout noter, mais je vous assure que c’était un florilège d’imbécillités.

- et d’où qu’elle est maintenant la classe ouvrière ? les sidérurgistes ? au XIXe siècle elle transformait, elle produisait, elle a assuré le stakhanovisme après…

Je bondis :

- non seulement tu comprends pas ce qui caractérise historiquement la classe ouvrière, mais tu ne la comprends pas dès le 19e siècle où elle ne transformait rien du tout, elle était obligée de travailler, et tu déconnes avec le stakhanovisme qu’elle subissait revolver dans le dos…

Mais, heureusement, JW était coupé par d’autres interventions. Une jeune employée de bureau lui objectait que le travail restait le travail et subordination et envie de se révolter. Mais un autre n’imaginait plus que les employés post-fordistes puissent réfléchir. Le prince Raoul, qui a de beaux restes, objectait à son tour que ce qui définit le prolétaire ce n’est pas que le travail de ses mains, ce ne sont pas les catégories de l’industrie… et il prenait l’exemple des manifestations de 2003 où il n’y avait que des prolétaires qui manifestaient.

JW m’objectait, sans jamais regarder l’auditeur, qu’on ne pouvait assimiler le prolétariat d’aujourd’hui à celui du XIXe et tirait jusqu’à Spartacus pour prétendre que tout est dans tout et rien dans rien. Je répondis que pour l’essentiel le prolétaire du XXIe reste proche de celui du XIXe, et que ce n’est pas la nature du travail qui permet de le comprendre mais le fait (dixit Babeuf) qu’il est l’être qui vend sa force de travail et qui a peur du lendemain, qui est rivé sur l’avenir. Le prolétaire aujourd’hui c’est le claviste mais aussi la vendeuse, le maçon..

On ferraillait dur de tous côtés. JW s’exposa à un moment au ridicule malheureusement pour lui :

- dans ma famille j’ai beaucoup de maçons, et la conscience de maçon c’est pas…

Je suis féroce et je ne suis pas le seul à protester contre cette saille de plombier polonais intellectuel:

- c’est n’importe quoi ! des maçons on en a eu plein de révolutionnaires, la moitié des militants du FOR en France étaient maçons, des anars sont maçons, j’ai eu plus de maçons que toi dans la famille…

Mais dans le brouhaha on ne m’écoutait plus. Je fis entendre cependant que la théorie de Temps critiques n’était qu’un petit révisionnisme sociologique hautain. Il y eu encore d’autres remarques puis la réunion se termina en petits conciliabules. Jacques Guigou servit aimablement un verre à tous.

Le livre est en vente 38 euros, et on imagine que si la classe ouvrière existait encore elle ne pourrait pas se le payer.

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