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jeudi 12 juin 2025

ENFANTS MEURTRIERS : la faute au capitalisme ?



« Nous avons à l'intérieur de nous des pulsions avouables et des pulsions inavouables ou plutôt qui ne doivent pas se réaliser. r de nous des pulsions avouables et des pulsions inavouables ou plutôt qui ne doivent pas se réaliser. ».

Catherine Eliacheff

« Eh bien ! Il fît en sorte de devenir l'ami intime de Goloubenko ; bien mieux, il demanda à être garçon d'honneur ; le jour du mariage il tint son rôle ; puis quand ils eurent reçu la bénédiction nuptiale, il s'approche du marié pour le féliciter et l'embrasser, et alors devant toute la noble société, devant le gouverneur, voilà mon Livtsov qui lui donne un grand coup de couteau dans le ventre ».

Dostoievsky

« Ceux qui préfèrent, pendant ce temps-là, brainwasher sur l’invasion du pays et les derniers faits divers". Micron

En 2006 au Liberia, à la minute où Charles Taylor, le chef de guerre devenu président, a été arrêté, c'en était fini de cet effroyable spectacle d'enfants de 10 ans assassinant la population cachés derrière des masques d'Halloween. Jeffey Gettleman

« Toutefois, deux limites liées aux sources et aux acteurs doivent être soulignées. D'abord, nous n'approchons ces affaires que par le filtre de l'institution judiciaire ou des poncifs journalistiques, qui ne favorisent pas l'émergence de revendications larges (le journaliste voulant faire sensation et le juge d'instruction voulant assigner un crime à un individu). De plus, les jeunes meurtriers qui, à l'exception de Nectoux, ont reçu une instruction très rudimentaire, ne sont pas forcément en mesure, face à des magistrats qui en plus les impressionnent probablement, de verbaliser leurs ressentis, leurs espoirs, leurs déceptions, leurs frustrations, etc. D'ailleurs, considérer a priori leurs crimes comme des protestations, c'est accepter en partie qu'ils furent commis parce que les moyens traditionnels de protestation n'étaient pas à la portée des coupables, soit qu'ils n'aient pas su ou pu dire, soit qu'autour d'eux on n'ait pas su écouter ».

Thomas Fadlallah



Dans les banlieues, on recrute apparemment sans frein des jeunes tueurs à gages, de 12 ou 13 ans : pour quelque 10.000 à 20.000 euros. Plus sensationnel, ce serait une nouveauté sociétale déplorable qu'un mineur exécute froidement une personne qu’il ne connaît pas, voire un des autres symptômes symptomatiques de la décomposition capitaliste (cf. le CCIE) dont la seule parade serait la lutte de classe rédemptrice.

Au mois de mars dernier, le journal Le Monde, reconnaissait que  « si, entre 2000 et 2019, le nombre de mineurs condamnés pour homicide ne dépassait jamais le nombre de trente par an (sauf en 2002 et 2007), il évolue depuis plutôt entre trente et quarante, pour atteindre le chiffre record de quarante-deux en 2022 ». Par ailleurs, « le nombre d’adolescents poursuivis pour assassinat, meurtre, coups mortels ou violence aggravée a ainsi quasiment doublé depuis 2017, passant de 1.207 à 2.095 en 2023 « . Le sujet est complexe et autorise les enfumages les plus simplistes. La débilité mentale ? Le trafic de drogue qui attire les plus jeunes pour un argent facile ? Les tueries à l’école : un phénomène sociétal venu des Etats-Unis, comme l'imagine une avocate inculte ?

Des constats sociologiques affligeants : Une société libérale libertaire qui aurait abattu les barrières civilisationnelles et ruiné consciencieusement la notion ringarde du bien et du mal » ? Des solutions ridicules, y aura-t-il suppression des fourchettes après celle (irréalisable) des couteaux ?

UNE VILAINE HISTOIRE SI ANCIENNE

Ce phénomène criminel existe au XVII ème siècle.

Des violences sont perpétrées entre les années 1520 et 1610 par ceux que l'historien Denis Crouzet appelait « les guerriers de Dieu », qu'ils fussent protestants ou catholiques. Denis Crouzet a fourni un travail passionnant s'opposant déjà aux interprétations de l'époque si semblables à celles d'aujourd'hui :. folie subite, exaltation de possédé pervers ou régression vers l'animalité.

« Les enfants sont les vivantes images du Christ en sa pureté et son innocence. Ce sont eux, les saints innocents, semblables à l'agneau vengeur de l'Apocalypse johannique, que l'on encourage à mutiler des cadavres de huguenots pour en révéler la malignité démoniaque. En émasculant, éviscérant, décapitant et démembrant les corps des suppliciés ou des lynchés, les enfants révèlent la satanique laideur et la puanteur de l'hérétique, dont ils purgent la cité terrestre. Leur qualité d'enfant signe en outre l'arrêt de Dieu, dont ils sont le bras armé. L'extrême violence, insoutenable, des enfants réjouit les catholiques, car ils y lisent la volonté de Dieu, révélée dans son aveuglante blancheur. A ce titre, la violence des enfants est miraculeuse, prodigieuse (elle manifeste dans l'ordre profane la présence sacrée de Dieu, en exprimant Sa colère et Sa justice), de même qu'elle est sotériologique (porteuse de salut pour les bourreaux, mais aussi pour la communauté des vrais croyants) et eschatologique. Les enfants, purs de toute inhibition culturelle et de tout intérêt social, montrent en effet la voie de la rédemption en signifiant aux adultes l'insuffisance de leurs arrêts et de leur propre violence ».

D'autant qu'en prolongeant son enquête par les rumeurs d'enlèvements d'enfants qui se répandirent dans le royaume en 1750, mais aussi, plus près de nous, par la violence des enfants tueurs hutu identifiant les Tutsi à des serpents, des chiens, des animaux sauvages qu'il fallait abattre, il nous montre que le basculement dans l'inhumain concerne toutes les époques et doit être recherché dans les psychés individuelle et collective : ces gestes d'horreur commis par des enfants peuvent se lire comme la grammaire et la syntaxe d'une société hantée par une immense volonté de violence1.

DU DIX-NEUVIEME AU VINGT ET UNIEME...

Les tables de la Gazette des Tribunaux recensent, en incluant les tentatives, vingt-six affaires d'homicides volontaires perpétrés par des individus de quatorze ans et moins entre 1825 et 1914. L'auteur part d'un postulat historique fondamental et premier dans l'ordre des explications rationnelles : le crime est plus le produit d'un milieu que l'expression d'une volonté sans entrave.  Le crime infantile peut être compris comme un moyen de contestation qu'emploie l'enfant face aux systèmes de pouvoir qui l'enserrent. C'est ce que démontre la narration judiciaire du drame : « Le procureur Denis Devallois a dressé mercredi un portrait glaçant du garçon «en perte de repère» prêt à s’en prendre à «n’importe laquelle» des surveillantes de son collège car «il ne supportait plus le comportement des surveillantes en général, qui auraient eu, selon lui, une attitude différente selon les élèves», a rapporté le magistrat. Son projet aurait été mûri dès samedi, après un incident survenu la veille : une autre surveillante l’aurait «sermonné» alors qu’il embrassait sa petite amie au sein du collège, a relaté le procureur ».

ll est tentant de considérer par ailleurs le comportement de l'enfant meurtrier comme essentiellement mimétique. Les sciences du XIXe siècle posaient déjà la question de l'imitation comme déterminant du comportement. À la fin du siècle, des anthropologues et sociologues élaborent des théories englobantes qui placent l'imitation au cœur de l'action criminelle, et qui vont culminer dans la mise en système par Gabriel Tarde des lois de l'imitation

L'auteur note que l'enfant meurtrier n'est pas l'inventeur absolu de son comportement et ce postulat se retrouve logiquement dans toutes les études sur le crime, Cela amène à interroger la place de la violence dans la socialisation du jeune meurtrier. Deux principaux espaces de violence doivent être distingués : la cellule familiale et le groupe infantile. Selon les époques et les situations, la plus ou moins grande autonomie de l'enfant vis-à-vis de sa cellule familiale et du groupe adulte en général va accentuer l'importance de la première ou de la seconde sphère de violence. En général, les deux cohabitent dans une dynamique de violence d'abord exercée au sein du foyer puis transposée dans les relations juvéniles. Il est permis de penser que ces enfants ne sont pas capables de s'intégrer dans des relations sociales qui comprennent une part contrôlée de violence, parce qu'ils n'ont pas vécu la violence, dans leurs familles, comme un outil de la vie en commun qui se contrôle, se dose, et se rend en vue d'atteindre un certain équilibre des torts et des préjudices. Le caractère formateur de la violence familiale semble confirmé par le choix des victimes. Dans sept cas, il s'agit d'enfants beaucoup plus jeunes que leurs meurtriers. Dans les deux autres affaires, il s'agit d'un vieux domestique qui n'a plus toute sa tête et d'un camarade d'usine simple d'esprit et «Une autre caractéristique est constante chez les victimes : il s'agit d'individus aimés. Il est évidemment difficile de saisir par les archives les sentiments qui liaient les personnes touchées par le drame. Cependant, par la réaction des proches au deuil et grâce à leurs témoignages, il est possible de reconstruire au moins en partie les rapports qu'ils entretenaient avec la victime ».

« Tous les enfants visés semblaient bénéficier d'attention, de caresses, de soins, etc., qui ne furent jamais prodigués à leurs meurtriers. Ces marques d'affection peuvent provenir des parents de la victime mais également du groupe adulte dans son ensemble.  Ce comportement, qui ne semble pas mériter le meurtre pour le magistrat, y aboutit. Nous formons l'hypothèse que les jeunes criminels passent à l'acte parce que la manière dont sont traitées leurs victimes – et dont, parfois, ils doivent eux-mêmes traiter leurs victimes – leur est insupportable. Or là aussi l'analyse se révèle fiable sur ce plan, la pauvre surveillance était aimée de tous et admirée pour son dévouement et sa gentillesse.

« On est encore là dans une analyse qui concerne les siècles passés où ces crimes peuvent donc être compris comme des mécanismes de défense identitaire, autrement dit, de défense de l'idée que le criminel se fait de lui-même. Cette défense est rendue indispensable par la confrontation de l'enfance malheureuse et de l'enfance choyée. Encore faut-il expliquer cette confrontation. Avant tout, elle ne semble se multiplier que dans la deuxième partie du siècle. Cela pourrait laisser penser que la pénétration des codes bourgeois du rapport à l'enfant chez les petits propriétaires ruraux s'accélère à ce moment-là. Ces codes sont peut-être d'autant plus volontiers adoptés par ces individus qu'ils souhaitent se distinguer des prolétaires de la terre. Le crime apparaît comme lié aux distinctions de classe entre dominé et dominant, supérieur et inférieur. L'humiliation de la domesticité est à prendre en compte à cette époque-là.

«  La conjonction de la proximité et de l'inégalité de conditions explique les tensions à l’œuvre. Non seulement la proximité rend le défavorisé témoin de modes de vie plus agréables et valorisant pour l'enfant, mais elle favorise la distinction chez le favorisé qui a, sous les yeux, celui qu'il ne veut pas être. Par ailleurs, la volonté de se distinguer amène le maître à traiter ses enfants différemment, mais également ses domestiques qui, probablement, tout au long du XIXe siècle, firent de moins en moins partie des familles dans lesquelles ils étaient gagés. De plus, la distance sociale entre les meurtriers et leurs victimes est en général faible. Or la distinction par le comportement n'est jamais plus nécessaire qu'en cas de proximité de conditions (revenus, patrimoine, niveau d'éducation, etc.). Pour toutes ces raisons, les domestiques furent témoins de comportements qui ne leur paraissaient intelligibles.

Le crime comme contestation du pouvoir ?

« Dans quatre affaires, un ou plusieurs enfants de la famille du maître est tué par le domestique (dans l'affaire Merlay il s'agit de la nièce du maître). Dans une autre affaire, un domestique très apprécié par sa maîtresse est assassiné. Peut-on alors considérer le crime comme une modalité d'expression des tensions entre dominants et dominés ?

Notons cependant que les ouvrages cités traitant des violences collectives posent tous la question de savoir à partir de quel moment un mouvement devient politique. Autrement dit, ils cherchent à identifier des soulèvements qui sont, de par les revendications plus ou moins explicites qui leur sont associées, différents de nature d'un simple sursaut de l'opinion. La même démarche peut être entreprise dans l'étude des jeunes meurtriers du XIXe siècle. Il s'agit de l'approche qu'adopte Sylvie Lapalus, lorsqu'elle rattache certains parricides à des situations de tension autour de la transmission du patrimoine. En effet, le criminel, derrière un conflit personnel avec une figure d'autorité, interroge la légitimité des usages

Pour résumer, l'enfant fragile cherche à défendre son identité à laquelle personne ne peut porter atteinte autant que le dominant (le maître et ses extensions : enfants, domestique favori ; les individus très intégrés, etc.). C'est ici que le crime de défense identitaire devient un crime de classe : l'enfant conteste à tous le droit de le définir – comme un paresseux, un vaurien, etc –, mais certains individus dans son entourage sont trop forts. Il est contraint au crime par l'asymétrie totale entre lui et les membres de son entourage qui détiennent un grand pouvoir, soit parce qu'ils sont les maîtres – auquel cas l'asymétrie découle d'une position de classe et d'un rapport juridique –, soit parce qu'ils sont beaucoup plus intégrés à la communauté – auquel cas leur pouvoir est d'origine sociale.

Il nous semble que ce crime de désespoir est lié à plusieurs éléments. D'abord, dans le cas du jeune domestique(comparable au collégien moderne) il n'a pas l'impression d'être maître de son destin : il ne choisit pas où il est placé et ne peut pas quitter ses maîtres (ses profs) sans l'accord de ses parents ou de son gardien/surveillant Ensuite, l'enfant ne parvient pas à envisager la suite de sa vie professionnelle à partir de la domesticité (d'un lycée nul), surtout quand il est très pauvre et/ou isolé. Et l'auteur de conclure :

« En définitive, nous avons voulu montrer que le crime commis par un enfant, un des crimes les plus saisissants – et dont, par conséquent, il est particulièrement tentant d'isoler les auteurs comme des êtres mauvais ou fous, en tout cas absolument autres – est peut-être parmi les moins mystérieux. Il s'agit toujours plus ou moins d'un enfant qui a subi ou observé des sévices et est confronté à la possibilité d'une enfance joyeuse qu'il ne comprend pas et qui met en péril l'idée qu'il se fait de lui-même, dans une lutte avec des dominants qui tirent leur autorité d'un système de pouvoirs dont le jeune meurtrier ne reconnaît plus la légitimité. La fragilité de l'enfant est en général renforcée par l'instabilité de son lieu de résidence et des figures d'autorité dans son parcours. Cette instabilité a souvent été pointée comme un des facteurs déterminants du crime Nous voyons qu'en plus d'être violent, l'entourage de l'enfant était souvent incertain, mouvant, et donc en cela doublement préjudiciable à son développement. Même s'il serait malvenu de vouloir enserrer dans un schéma strict des situations très diverses, les caractéristiques détaillées ci-dessus se retrouvent dans tous les cas étudiés.

À la fin du siècle, la société rurale traditionnelle n'est plus en cause. Le parent qui oblige à vivre rudement et son auxiliaire – le maître dans le cadre de la domesticité et le contremaître dans le cadre de l'usine – ne sont plus perçus comme légitimes par l'enfant qui considère qu'il a droit à un autre quotidien. Le juge d'instruction ne parvient pas à comprendre pourquoi un enfant commet un crime alors qu'il est bien nourri et qu'on ne le bat pas. Il n'a pas compris que le crime n'est que superficiellement personnel, et qu'il vise en réalité les systèmes de pouvoirs qui, depuis la coulisse, soufflent leurs rôles aux protagonistes du drame.

Or, en parallèle du changement de cible institutionnelle des crimes, le système de neutralisation du crime se transforme. Comme l'a montré Michel Foucault, le mobile et le portrait moral du criminel deviennent les pièces indispensables de la possibilité de punir.. Nous retenons l'explication foucaldienne selon laquelle cette importance nouvelle provient du dialogue complexe et dynamique entre les magistrats et les savoirs, qui ont pour mission de rendre le crime punissable, suite à l'effondrement du système reposant sur la riposte au crime par une atrocité plus grande encore. Nous ajoutons cependant deux hypothèses à cette interprétation. D'abord, puisque le crime n'est plus la conséquence d'un cycle de marginalisation-transgression dans le cadre de la société rurale traditionnelle, le criminel n'a pas forcément d'antécédents, et il s'agit de lui en donner, afin que Célina Doiselet, par exemple, ressemble au criminel traditionnel, c'est-à-dire à Honorine Pellois ; or, ses actes passés ne le permettant pas, il devient nécessaire d'essentialiser sa mauvaiseté.

De plus, le système institutionnel que Pellois combattait ne pouvait être remis en cause. Personne n'aurait l'idée de faire le procès de la communauté rurale traditionnelle parce qu'une petite fille y commettait ses crimes. À l'inverse, parce que des bouleversements l'agitent, le système institutionnel encadrant l'enfance dans la deuxième partie du XIXe siècle est plus fragile. La domesticité, sur le déclin – même si celui-ci ne doit pas être exagéré –, ne fait plus autant et immédiatement sens. L'autorité parentale et le travail des enfants dans les usines, malmenés dans l'affaire Nectoux, sont déjà en débat. Il est donc primordial de rattacher le crime au criminel car, sinon, le procès pourrait devenir celui de rapports sociaux dont la légitimité n'est plus ou pas encore assurée. (ce que s'efforcent de masquer les populistes contre-révolutionnaires de la clique LFI, en réduisant tous ces meurtres au rang de « faits divers comme Micron lui-même).

(…) Sur les évolutions de la perception du crime par le public. Ce dernier traverse des périodes plus ou moins paniques et construit différentes figures du criminel-type (bagnard évadé, vagabond, femme diabolique, etc.). Parmi cet ensemble de représentations, la perception de l'enfant et de son rapport au crime se transforme, tendue par les contradictions entre des visions concurrentes de l'enfance (comme agent productif supplémentaire du ménage, comme support des ambitions familiales de promotion sociale, comme citoyen non-fini que l'école doit éduquer, comme fauteur de troubles : bandit ou révolutionnaire en germe, etc.). L'histoire théorique du crime, son histoire concrète et ponctuelle et les grandes tendances de transformation de la société doivent être saisies de concert. Nous émettons l'hypothèse qu'entre des points d'équilibre relatif des structures sociales, des phases de mutation rapide mettent en péril les institutions récentes alors que d'autres sont menacées d'obsolescence. Plus que jamais, le crime de l'enfant qui, parce que son auteur est perçu comme moins libre qu'un adulte, invite à remettre en cause son environnement, doit être neutralisé (ce que les médias actuels rendent volontairement confus).

Il serait particulièrement intéressant de comparer les affaires étudiées avec les crimes commis par des enfants au XXe siècle. Il serait ainsi possible de tester les différentes hypothèses avancées et de mesurer l'influence relative de chaque facteur identifié, et surtout des violences familiales du fait de leur recul au cours du siècle dernier ; mais aussi le poids du système de pouvoirs sur l'enfant, dont on peut a priori penser qu'il est généralement moins écrasant aujourd'hui que pour un jeune domestique de la fin du XIXe siècle. Cela permettrait également de voir si un front entre des enfances heureuses et malheureuses peut encore être localisé, où si des dispositifs de ségrégation sociale plus efficaces ont été mis en place pour l'éviter. Mais cette étude serait aussi compliquée qu'éclairante, puisque la comparaison entre des variables servirait aussi bien à confirmer leur rôle de déterminants du crime infantile, qu'à élaborer un discours sur l'évolution des structures sociales encadrant l'enfance sur deux siècles »2.

LES CRIMES INFANTILES ATROCES AU RWANDA

En 1999, au moment où la population carcérale atteint son chiffre le plus élevé (cent vingt mille personnes), cinq mille enfants se trouvent en prison : ces derniers en représentent donc 4 % , la plupart sont des garçons. Plusieurs centaines d’entre eux, trop jeunes pour être poursuivis pénalement, bénéficient d’une mesure de libération en 2001. Ils ne sont donc pas jugés. Seuls les mineurs entre quatorze et dix-huit ans feront l’objet de poursuites et de jugements, bénéficiant d’un régime spécial, plus clément.

Les groupes de tueurs – les ibitero – réquisitionnent les enfants. Mobilisés pour « combattre » contre les Tutsi dans le premier cas, ils sont spectateurs des mises à mort dans le second. Cette présence enfantine dans les ibitero est symptomatique de la radicalité des tueries. En outre, celles-ci étaient devenues si banales qu’il n’était plus impératif d’en écarter ceux que le jeune âge aurait pourtant dû tenir éloignés d’un tel spectacle. Peut-être est-ce précisément cette dimension spectaculaire des massacres qui permet aussi de rendre compte de l’intégration des enfants aux cortèges macabres.

« Oui, les viols avaient lieu en public. Par exemple, moi j’ai été violée devant un groupe de personnes, en présence d’enfants. […] Et même parmi les gens qui nous violaient, il y avait des jeunes, plus jeunes que nous, nous qui étions des mères. Essayez d’imaginer des mères violées par des jeunes, des plus jeunes que la femme elle-même, par des bandits. Quand je pense à la guerre, elle vient revivre en moi ».

Au Rwanda, la majorité des enfants impliqués dans les massacres (du moins ceux qui firent l’objet de poursuites judiciaires) étaient âgés de quatorze ans ou plus, et furent, de ce fait, considérés comme majeurs sur le plan pénal. Ils ne furent toutefois pas jugés comme des adultes, un régime spécial leur ayant été appliqué. Du point de vue de la loi, ces jeunes se sont trouvés assignés dans un statut intermédiaire. Pénalement majeurs, ils ont été jugés responsables de leurs actes sans pour autant que leur manque de discernement et la contrainte exercée par les adultes soient complètement ignorés. (…) La totalité des enquêtés estiment que les « enfants » ont participé aux atrocités de leur propre chef et qu’ils devraient, de ce fait, être condamnés à la peine de mort, comme leurs aînés. Cette hypermaturité socialement attribuée aux jeunes tueurs est circonscrite au seul génocide, les personnes interrogées s’accordant sur un indispensable aménagement pénal pour les mineurs dans des conditions ordinaires. C’est donc bien la spécificité de la violence génocide qui marque le passage de l’enfance à l’âge adulte. L’événement redéfinit les frontières sociales de l’enfance ».

Tout comme elle devrait amener à questionner quelques-unes des dimensions les plus troublantes de l’événement, en particulier le rôle de la famille dans la dynamique de mobilisation meurtrière : pères et fils, mères et filles constituent parfois le premier noyau des expéditions sanglantes. L’autorité de la figure paternelle relaie ici, dans l’intimité du cercle familial, l’ordre d’extermination des Tutsi. Sans doute ces multiples voies de transmissions des injonctions meurtrières, jusqu’aux échelles les plus réduites, permettraient-elles de rendre compte de la mobilisation populaire dans les massacres. La radicalité du génocide se lit aussi à travers le sort réservé aux enfants au cours de l’événement lui-même, puis dans l’« après-coup » qui donne naissance à des formes de parentalités inédites. La question des enfants ne relève donc pas de la marge du meurtre de masse, mais en dévoile des dimensions essentielles.

 Alice Miller, qui elle aussi s'est intéressée aux nazis pour montrer combien une éducation basée sur l'humiliation et l'obéissance par la terreur pouvait être pervertissante. Le Ruban blanc, de Michael Haneke, décrit parfaitement cette pédagogie noire. Gitta Sereny annonce clairement son projet militant : se servir du cas de Mary Bell pour dénoncer le système pénal anglais concernant les mineurs. Ceux-ci sont jugés comme des majeurs sans tribunaux spécifiques, vont en prison et ne bénéficient d'aucune prise en charge psychologique. Seuls les actes sont pris en compte au mépris du contexte familial, social et de la minorité. Gitta Sereny a été beaucoup plus loin que son projet initial et j'admire sincèrement la relation qu'elle a nouée avec Mary Bell : respectueuse, pleine de tact, mais ne lui laissant rien passer en revenant inlassablement sur ses silences et ses contradictions.

Gitta Sereny a une certitude qu'elle partage avec Alice Miller : les enfants sont naturellement bons, ce sont les parents et la ­société qui les pervertissent. Il est indéniable que les parents et la société puissent pervertir les enfants. Dans le cas de Mary Bell, nous sommes devant un cas extrême de perversion sexuelle et de maltraitance. Mary Bell a confirmé les théories de Gitta Sereny, et même au-delà de ses espérances, car la journaliste n'avait pas imaginé un seul instant ce que la petite fille avait subi et qui n'avait pas intéressé les juges. Mais les enfants d'Outreau, exploités sexuellement par leurs parents, ne sont pas devenus des enfants meurtriers. Les deux assassins anglais de 10 ans du petit James Bulger ont évolué dans un milieu défavorisé, avec des parents dysfonctionnels repérés par les services sociaux, mais cela n'explique en rien leurs pulsions destructrices extrêmes. Les facteurs favorisants n'expliquent pas tout.

On considère l'enfant comme une personne à part entière et non comme un jouet manipulé par ses parents, qu'il faut aussi, par ailleurs, écouter sans jamais les exclure.

UNE CONSEQUENCE DU FASCISME CONSUMERISTE

« Quand Pasolini décrit la manière dont un nouveau fascisme, celui du consumérisme est en train de se répandre sur la planète, ce sont déjà des thèmes développés par l’école de Francfort à propos du nazisme, des « industries culturelles », par walter Benjamin, il décrit cette fascination qui va conduire au nazisme. Ou pense également à Pinocchio séduit par les deux marchands qui, à force de plaisirs stupides transforment les petits enfants en ânes et les vendent. Les petits enfants soviétiques ignoraient cela et il était légitime de vouloir porter des vêtements de meilleure qualité, c’est ce que les Chinois se sont dit avec deng Xiao Ping, en contrôlant les mouches qui entraient par la porte ouverte. Mais désormais on sait la puissance non seulement des armées du capital mais de sa « séduction » comme la décrit Glouscard. Les petits enfants peuvent toujours suivre le joueur de flute du capital alors même que son aspect destructeur, criminel, inégalitaire, s’aggrave, le système scolaire s’autodétruit et les petits enfants ne savent plus ni compter, ni lire, seulement faire des selfies sur leurs smartphones… (note de Danielle Bleitrach) »3

Chacun convient généralement dans le public qu'avec le triomphe aliéné de l'individualisme toute frustration ne peut entraîner que la violence et une violence de plus en plus meurtrière de l'adulte à l'enfant où le crime de l'enfant reste tout de même exceptionnel.

 Le méchant capitalisme a bon dos pour tout expliquer, mais des temps anciens à aujourd'hui les critères de domination puis de classe restent des causes obligées. L’influence des pairs, du groupe, de la bande peut être déterminante, particulièrement pendant l’adolescence. Si un enfant est exposé à des groupes qui valorisent la violence, il est plus susceptible de l’adopter. Le crime peut être qualifié de détresse suicidaire.

Le jeune assassin de la « surveillante » a reconnu son crime sans en être affecté. La société bourgeoise reste laxiste parce que tétanisée et impuissante. Les condamnations les plus lourdes concernent les auteurs dans le déni et les psychotiques. Avec la passivité de la "communauté internationale", les criminels de guerre Poutine et Netanyahou continuent de tuer sans honte des centaines d'enfants, innocents eux.


NOTES

2Les meurtres commis par des enfants en France au XIXe siècle : une étude sociale

Thomas Fadlallah

https://doi.org/10.4000/criminocorpus.2681


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