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samedi 16 mars 2024

La critique du politique CHEZ Marx

 


La critique du politique CHEZ Marx


Stathis Kouvelakis


traduction: Jean-Pierre Laffitte




DES RÉVOLUTIONS DE 1848 À LA COMMUNE DE PARIS

Dans cet essai, j’aimerais présenter certaines idées relatives à la théorie politique de Marx qui sont le résultat d’une relecture de l’un de ses plus célèbres textes : La guerre civile en France. C'est, je crois, une interprétation plutôt inhabituelle, en raison du fait qu’elle examine ces pages “à la lumière” de certains écrits antérieurs de Marx, des ouvrages écrits près de trente années plus tôt. Je fais tout particulièrement allusion aux écrits de Marx publiés dans les Annales franco-allemandes, ainsi qu’à un texte généralement mentionné sous le titre de : Le manuscrit de Kreuznach, lequel consiste en une critique des sections 261 à 313 des Principes de la philosophie du droit de Hegel. Ma thèse générale est ici que l’expérience de la Commune de Paris a poussé Marx à “remanier” la Révolution de 1848. En d’autres termes, elle a permis à Marx de retravailler et de rectifier, ou, pour être plus précis, de reprendre le mouvement de rectification des élaborations théoriques qu’il avait exposées aux alentours de 1848. Je dis “aux alentours de » parce que ces écrits chevauchent à la fois l’avant et l’après des événements de 1848. Ils couvrent une période qui a commencé avec les textes de 1843-44, mentionnés ci-dessus, en passant par les ouvrages qui faisaient le bilan de la défaite (de la façon la plus significative : Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte), ainsi que par les textes les plus emblématiques du mouvement révolutionnaire lui-même : Le Manifeste du Parti communiste et les articles publiés dans la Neue Rheinische Zeitung. Dans ces écrits, Marx en arrivait à une nouvelle compréhension de la politique révolutionnaire, dans sa double dimension qui consiste aussi bien en un moment insurrectionnel (la prise du pouvoir d’État et la destruction de ses anciennes structures) qu’en un moment de créativité et d’expérimentation de formes politiques adéquates pour l’émancipation de la classe subalterne.

1848 ET LA RÉVOLUTION PERMANENTE

Du point de vue de la théorie de Marx et de sa stratégie politique, la série d’écrits qui ont précédé 1848 sont caractérisés par un concept principal, celui de la “révolution permanente”, ou plus exactement, de la “révolution en permanence”. Pour résumer cette notion de la manière la plus rudimentaire, l’on pourrait dire qu’il existe une stratégie conceptuelle qui s’emploie à répéter le processus révolutionnaire déclenché par la Révolution française, qui a été ensuite réactivé par les événements de 1830, en visant à rendre ce processus plus radical, aussi bien au niveau national qu’européen. Je devrais insister sur le fait que cette radicalisation est la condition même de cette répétition, et non pas une sorte de supplément optionnel. Bien que la Révolution française ne puisse pas être répétée, Marx pense qu’elle devait être “reconstituée” afin de surpasser ses limitations politiques et historiques. Cela pouvait être accompli en attaquant l’institution de la propriété privée, aussi bien les fondations mêmes de la société bourgeoise que les moyens de production et d’échange. Une Révolution historique peut par conséquent produire une nouvelle révolution, effectuée par un agent historique qui est aussi nouveau : le prolétariat, dont l’émancipation redéfinit radicalement les enjeux du processus révolutionnaire lui-même. Le projet de Marx a été tout d’abord exposé dans des écrits qu’il a publiés dans les Annales franco-allemandes. Ces textes présentaient l’Allemagne comme étant le lieu potentiel d’une “révolution radicale”. Le Manifeste du Parti communiste a plus tard reformulé cette position centrale paradoxale donnée à l’Allemagne en affirmant que « c'est vers l'Allemagne que devrait se tourner principalement l'attention des communistes ». Cependant, dans Le Manifeste, les termes de l’équation ont été modifiés : l’Allemagne est au bord non pas d’une “révolution radicale”, mais d’une “révolution bourgeoise”. Puisque cette révolution bourgeoise se déroulera dans « des conditions les plus avancées », plus particulièrement avec « un prolétariat qui est beaucoup plus développé » qu’il ne l’était dans les révolutions anglaise et française, elle ne peut être que le prélude immédiat (das unmittelbare Vorspiel) à la révolution prolétarienne, et elle devrait être considérée à l’échelle européenne. Le Manifeste présente l’idée d’une séquence révolutionnaire ininterrompue, composée de moments distincts, mais pas de phases séparées par une période historique de domination bourgeoise. Au lieu de cela, le prolétariat est appelé à saisir les rênes du processus révolutionnaire et de le mener au-delà des limites de la révolution bourgeoise. Marx a fait découler de cette idée une série de thèses de nature plus stratégique. Elles concernaient aussi bien les alliances prolétariennes (notamment avec la bourgeoisie) que les relations entre les autres courants dans le mouvement ouvrier et/ou le mouvement révolutionnaire (les deux ne sont pas nécessairement synonymes) ; et elles traitent également de la configuration du “parti communiste” qui, pour Marx et Engels, n'est pas, comme nous le savons, une organisation à part, mais plutôt une tendance au sein du mouvement ouvrier considéré comme un tout (le “parti de la classe”).

L’on peut voir dans quelle mesure, depuis sa création, la théorie de la révolution chez Marx est constituée politiquement et est issue de la pensée économique ou bien de la vision évolutionniste qui suppose que seuls les pays les plus industrialisés pouvaient être “mûrs” pour la révolution prolétarienne. C'est bien sûr pour cette raison qu’une telle révolution a toujours semblé si inenvisageable pour les penseurs de premier plan de la Deuxième Inter-nationale. Par exemple, pour les “révisionnistes” tels que Bernstein, elle semblait n’être rien de mieux qu’une forme de “blanquisme” ou qu’un genre de volontarisme prôné par les minorités actives. De manière similaire, les ultra-orthodoxes tels que Kautsky ne pouvaient pas comprendre comment Marx et Engels avaient pu imaginer sauter par-dessus les “conditions objectives” et les autres “lois du développement historique”. Par la suite, pendant plus d’un siècle, toute la sagesse social-démocrate relance tout simplement ces types d’arguments.

Il est à remarquer que, si le Manifeste du Parti communiste a rendu l’idée de la révolution prolétarienne plus stratégique et pas simplement spéculative, et s’il l’a fait en modifiant la conception de la “révolution radicale” exposée dans les écrits de 1843/44, ces changements ont aussi introduit plusieurs incertitudes. Dans le Manifeste, l’accent est mis de deux manières sur la fonction révolutionnaire de la bourgeoisie. Du point de vue économique, la bourgeoisie en tant que classe est le résultat « d’une série de révolutions dans les modes de production et d’échange », mais, en même temps, à son tour, « elle ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production et donc les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux », et elle façonne ainsi un monde entier « à son image ». Du point de vue politique, la bourgeoisie a rompu avec le despotisme féodal et la monarchie absolue, et elle est capable « de s’emparer de la souveraineté (Herrschaft) politique exclusive dans l’État représentatif moderne ». L’“État représentatif” désigne ici l’État libéral moderne que Marx opposera à la démocratie, comme nous le verrons plus tard, et qu’il conçoit comme étant la seule forme adéquate de Herrschaft (c'est-à-dire de “souveraineté” ou de “domination” politique de la bourgeoisie), elle-même dans une correspondance nécessaire avec sa suprématie économique. Bien que cet État soit représentatif dans sa forme, du point de vue de sa substance il demeure simplement « un comité chargé de gérer les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière ». Dans un certain sens, c’est la bourgeoisie elle-même, considérée comme étant une fonction d’organisation, ou comme étant un instrument de coercition, qui se rend capable de s’unifier en tant que classe (en particulier en tant que classe nationale) et de dominer les classes exploitées.

Le rôle révolutionnaire de la bourgeoisie sera un facteur déterminant dans la conception de la révolution prolétarienne qui est présentée dans le Manifeste. Si évidemment une nouvelle révolution, dirigée contre la bourgeoisie, doit être le nouvel ordre du jour, elle résultera de l’articulation d’une double approche. D’une part, au niveau économique, la société bourgeoisie est parvenue à une crise qui doit être reconnue comme étant finale ou terminale, et il est acquis que la révolte des forces productives contre les formes de production résultera de la paupérisation absolue du prolétariat et de l’incapacité définitive de la bourgeoisie à garantir la subsistance de la classe exploitée et opprimée. D’autre part, au niveau politique, la lutte de classe menée par le prolétariat a déjà traversé les étapes préparatoires indispensables, et même à une vitesse accélérée, et cela lui a permis de prendre la suite de la bourgeoisie et de chercher à son tour la direction politique du processus qui scellera le destin de la classe exploiteuse. Ce processus est défini, il faut s’en souvenir, comme étant celui de « l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité » et c’est précisément ce qui le distingue de toutes les révolutions précédentes qui ont remplacé une classe (minorité) exploiteuse par une autre. Ce n'est pas non plus un détail qu'elle reste fondamentalement analogue ou symétrique à la révolution bourgeoise qui l'a précédée, tant sur le plan économique (elle libère les nouvelles forces de production des entraves des anciens rapports de production), que politique, puisqu'elle installe le prolétariat « en tant que classe dominante », ce qui signifie la même chose que la « conquête (die Erkämpfung) de la démocratie ».

Le prolétariat « se servira de la suprématie politique (Herrschaft) » qu’il a obtenue « pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante », ce qui, en dernière analyse, est l’équivalent de « ce comité administratif chargé de gérer les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière », comité qui est ce que ce que l’État bourgeois représente. Dans les deux cas, l’État est en même temps un instrument qui peut être manipulé à volonté et une force organisatrice qui unifie les différentes fractions ou éléments constitutifs de la classe dominante. Le nouveau caractère de ce processus en sera la conséquence puisque ce « développement » conduira à la disparition des classes au bénéfice des « individus associés ». Cependant, l’horizon est explicitement postulé comme métapolitique (« so verliert die öffentliche Gewalt den politischen Charakter »(*)) dans la mesure où le « pouvoir public » (dans le sens de Gewalt, ce terme peut également être traduit par violence ou force) n'est plus « le pouvoir organisé (die organisierte Gewalt) d’une classe sur l’autre ». C’est sur la base de cette structure parallèle que nous devons nous attendre à mieux comprendre pourquoi la révolution prolétarienne et la chute qui s’ensuit de la bourgeoisie sont « également inévitables ». La nouvelle révolution est imminente et nécessaire, de la même façon que l’Ancien Régime de la France et son aristocratie étaient, à la veille de la convocation des états généraux, nécessairement et immédiatement sommés de céder leur place à leurs fossoyeurs, à un nouveau bloc historique dirigé par la classe bourgeoise émergente.

DE LA RÉVOLUTION À LA DÉFAITE : UNE PREMIÈRE SÉRIE DE CORRECTIONS (1849-1850)

Ce sont précisément ces incertitudes relatives au rôle du prolétariat, lequel doit être redéfini dans la « chaleur du moment » de la révolution de 1848, qui conduisent à une première série de corrections qui concernaient les fondements mêmes du projet de la révolution permanente. Je vais maintenant me focaliser sur trois aspects principaux de ces corrections.

1°) Tout d’abord, à la suite de la répression sanglante à Paris de la révolte des ouvriers de juin 1848 et de l’effet de choc qu’elle a eu à travers l'Europe, Marx, dans des articles publiés dans la Neue Rheinische Zeitung, et en particulier dans le célèbre : “La bourgeoisie et la contre-révolution”, en est venu à se rendre compte que la bourgeoisie, et en particulier la bourgeoisie allemande, ne jouerait pas un rôle révolutionnaire, même là où elle devrait faire face à l‘absolutisme et au pouvoir de l’aristocratie. Dans le contexte de la lutte contre le despotisme et les forces féodales, l’idée d’un “front commun” avec la bourgeoisie, même dans un sens minimal ou transitoire, devait être abandonnée. En d’autres termes, il n’y aura plus de « moment » révolutionnaire bourgeois au sein du processus révolutionnaire. Si la collision de plein fouet entre la bourgeoisie française et le prolétariat dans les rues de Paris est apparue comme étant entièrement prévisible, il faut noter que Marx et Engels (ainsi que Blanqui) sont parmi les rares révolutionnaires qui n’ont pas été surpris de voir le Bloc de Février se désintégrer. Cependant, le refus de la bourgeoisie allemande d’affronter l’Ancien Régime ou de tirer avantage de l’insurrection afin de jouer son “rôle” en tant que force sociale dirigeante les a vraiment pris au dépourvu.

Or la situation ne se retrouve pas nécessairement réduite à une opposition binaire : révolution ou restauration. Se sentant menacée par la ferveur populaire et percevant le poids spécifique du prolétariat, la bourgeoisie s’est orientée vers un compromis avec l’Ancien Régime, un compromis qui neutralisait sa capacité politique, tandis qu’il lui laissait les mains libres pour gérer le niveau du développement économique. L’histoire se termine(*) avec l’incapacité de la bourgeoisie française à surmonter ses dissensions internes – traumatisée qu’elle était par juin 1848, d'une manière qui n'est pas sans rappeler celle de 1814 — en agissant d'une manière qui finalement n'était fondamentalement pas du tout différente de son histoire antérieure dans laquelle elle avait choisi de confier le pouvoir d'État à un Bonaparte. Au lieu de la victoire « inévitable » de la révolution permanente, il se présente un nouveau type de contre-révolution, fondée sur un compromis entre la bourgeoisie et l’ancienne classe dominante ou entre les factions bourgeoises et les courants populistes réactionnaires. C’est le commencement de l’ère des révolutions par le sommet, l’ère du bonapartisme et du bismarckisme, qui parachève la destruction de l’idée de ce que « l’État représentatif moderne » devrait être, ainsi qu’il a été exposé dans le Manifeste, c'est-à-dire comme la forme politique suprême et l’accomplissement le plus nécessaire de la société bourgeoise.

2°) Certes, au-delà des bouleversements et des transitions contingentes et brutales qui ont lieu entre les différents régimes et formes d’État, la dialectique de la révolution et de la contre-révolution offre un aperçu d’une autre histoire, celle-ci plus régulière et “organique” : l’histoire de l’État moderne. Dans la dernière section du Dix-huit Brumaire, Marx décrit un cours différent pour l’État, lequel commence avec les objectifs centralisateurs et antiféodaux de la monarchie absolue ; ils ont été poursuivis avec le Révolution française et ils ont été ensuite perfectionnés par Napoléon et tous les régimes qui ont suivi, y compris le régime républicain qui était issu de la Révolution de février 1848. Beaucoup a été dit, et à juste titre, à propos d’un type tocquevillien de récit qui plaçait la Révolution française dans le droit fil des objectifs centralisateurs de la monarchie. Pourtant, comme nous le verrons, Marx aban-donnera cette vision des choses au cours de l’écriture de La guerre civile en France. Par-dessus tout, il est important ici de voir que Marx revient dans son texte à une série d’analyses qu’il a d’abord développées dans le Manuscrit de Kreuznach1. À cette occasion-là, il reprend son analyse de la bureaucratie et de la suprématie du pouvoir exécutif sur les pouvoirs législatifs, car il percevait celles-ci comme des caractéristiques fondamentales de l’État moderne. Cette analyse invalide la notion, diffusée plus particulièrement par les interprétations d’Althusser, et paradoxalement suivies par François Furet, selon laquelle le jeune Marx était incapable de penser la spécificité de l’État moderne en termes autres que ceux d’une pure allusion, d’une projection imaginaire (« aliénée ») de la société civile bourgeoise qui pouvait seule être considérée comme “réelle”, etc.

Derrière la succession des régimes politiques les plus variés, Marx voit une tendance manifeste à l’œuvre, à savoir la construction d’une « machine d’État (Staatsmachinerie) dotée d’une densité et de ramifications de plus en plus croissantes. Cette machine dépossède la société de ses intérêts « communs » afin de les transformer en « objets d’activités gouvernementales » et de leur confier cette machine d’État. L’intérêt « commun » devient alors « l’intérêt général », lequel doit être géré exclusivement par une machine spécialisée qui confisque les « initiatives » qui proviennent du bas. C’est cette réalité particulière qui nous empêche de réfléchir sur la révolution prolétarienne au même niveau que la révolution bourgeoise et qui nous interdit de réfléchir sur « la formation du prolétariat comme classe dominante » d’une manière analogue à celle de la bourgeoisie. Cette réalité fait référence à ce que Marx appelait l’État moderne lui-même en des termes de « machine d’État », au-delà de la multiplicité de formes des régimes politiques qui se sont succédé selon différentes conjonctions. Ainsi que Marx l’a exprimé dans le Dix-huit Brumaire, si « toutes les révolutions politiques » du passé « n’ont fait que perfectionner cette machine, au lieu de la briser », la révolution du futur, et la « centralisation de l’État » qu’elle établira, imposeront « la destruction de la machine de l’État » (die Zerstrümmung des Staatsmachinerie).

3°) La troisième et dernière correction concerne l’articulation du politique et de l’économique du point de vue de la catégorie de la crise. Ceci est destiné à provoquer une fusion des deux sous la forme d’une crise finale de la société bourgeoise, la crise économique prenant automatiquement une configuration révolutionnaire étant donné qu’elle cause la paupérisation du prolétariat, l’échec de la classe moyenne et la simplification qui en résulte des contradictions de classe. Pourtant, Marx a pris conscience, au début de l’été 1850, que la crise économique qui avait commencé en 1848, et qui a précipité la crise révolutionnaire (preuve que tout n’était pas faux dans la conception précédente), n’était pas la crise finale de la société bourgeoise. Le cycle économique donnait des signes de rétablissement, et cela a convaincu finalement Marx que la période révolutionnaire était terminée. Cette observation le conduit à rompre avec la tendance “volontariste” de la Ligue Communiste reconstituée, la “fraction Willich-Schapper”. Pour Marx, la révolution prolétarienne n’était plus nécessaire-ment « immanente », et cela parce que, d'un point de vue politique, d'autres voies que la dualité révolution/restauration se mettaient à exister, et parce qu'il estimait que la crise révolutionnaire ne pouvait pas être directement déduite du cycle économique. Même s’ils ne se distinguent pas des tendances économiques, la temporalité et le rythme des crises révolutionnaires ont leur propre spécificité, le domaine politique précisément.

APRÈS LA COMMUNE OU LE “TOURNANT POLITIQUE”

C’est ainsi que, d’une façon très simplifiée et condensée, les choses se présentaient à Marx à la fin de la Révolution de 1848. C’est l’expérience de la Commune de Paris, en tant que cas sans précédent de pouvoir politique entre les mains d’une classe dominée, qui l’a incité à reprendre le cours de sa réflexion. Ceci est manifeste dans les articles publiés dans la Neue Rheinische Zeitung et de manière encore plus importante dans Le dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte. Dans cette série d’écrits, je voudrais me concentrer sur deux aspects principaux qui, à mon avis, réactivent le travail de correction que j’ai mentionné plus haut, ou plus précisément, qui réactive son analyse en la faisant avancer et en produisant de l’innovation. Ce sont 1°) la question de la « forme politique » appropriée pour le pouvoir prolétarien, et 2°) la question de la machine de l’État et de sa destruction.

Commençons par la question de la forme politique : nous avons vu que Le Manifeste associait « la constitution du prolétariat en classe dominante » à « la conquête de la démocratie », mais qu’il ne disait rien à propos des formes politiques de cette domination de classe, laquelle a sans aucun doute un caractère d’État, même s’il est transitoire. À mon avis, il y a là une importante question qui a été rarement commentée, à savoir le fait que cette « démocratie » n’apparaît pas sous la forme d’un État dans Le Manifeste, mais seulement comme un mouvement ou comme une “substance” (j’utilise ici ce terme par défaut) de la domination politique du prolétariat, une tendance que tous « les partis démocratiques » partagent, y compris les communistes. Dans des articles publiés dans la Neue Rheinische Zeitung, Marx parle également du prolétariat en tant que « l’organe de la démocratie ». Le terme de démocratie, comme opposé évidemment à celui de “république” (un mot-clé dans la France de 1848), apparaît par conséquent comme quelque chose en plus par rapport à toutes les formes politiques instituées. Nous nous trouvons ici en claire continuité avec les termes employés dans le Manuscrit de Kreuznach pour décrire la démocratie comme « la vérité de toutes les formes d’État » et comme « l’énigme résolue de toutes les constitutions ». Dans sa brochure ultérieure, La Guerre civile en France, Marx a pris une mesure plus décisive : simplement parce que « la multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a été soumise, et la multiplicité des intérêts qu'elle a exprimés, montrent que c'était une forme politique tout à fait susceptible d'expansion ». La Commune est apparue à beaucoup comme « la vérité », « l’énigme résolue » de ces intérêts et de ces interprétations, et c’est ce qui, pour Marx, fonde sa capacité d’expansion. Il continue avec une autre phrase célèbre : « Son véritable secret, le voici : c'était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs , la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l'émancipation économique du travail ». Ainsi, « l'émancipation économique du travail » requiert « une forme politique », et, comme nous le verrons plus loin, même une formule politique susceptible d’expansion. C’est cependant une forme politique originale étant donné qu’elle est le résultat de la lutte de classe des producteurs, et qu’elle est « le gouvernement de la classe ouvrière » (“gouvernement” signifiant aussi “pouvoir public“ et même “État”). L’on pourrait dire qu’elle est l’auto-gouvernement de la classe ouvrière, si l’on se réfère à une section suivante dans laquelle « les mesures particulières » prises par la Commune sont considérées comme étant « une indication de la tendance d'un gouvernement du peuple par le peuple ». Ici, nous revenons de nouveau aux définitions immanentes de la démocratie comme « auto-gouvernement du démos », lesquelles étaient déjà contenues dans le Manuscrit de Kreuznach.

Il nous reste à comprendre l’importance réelle du caractère « expansif »  de cette forme. Les commentaires de Marx concernant cette question sont brefs, mais substantiels. Il écrit : « La domination politique du producteur ne peut coexister avec la pérennisation de son esclavage social. La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases économiques sur lesquelles se fonde l'existence des classes, et donc, la domination de classe ». L’auto-gouvernement de la classe ouvrière semble donner sur un déplacement de la relation entre le politique et l’économique. Non pas dans le sens de la disparition du politique en faveur d’une sphère sociale laissée à elle-même, à sa spontanéité harmonieuse, comme l’ont affirmé ceux qui ont lu Marx comme un penseur anti- ou apolitique ; au contraire, c’est l’expansion du politique – c’est ce dernier qui détermine le pouvoir de transformation de cette expansion – qui contraint à la réévaluation des relations de classe. En d’autres termes, dans son expansivité politique immanente, la forme politique prolétarienne est confrontée à des conditions qui sont non-politiques, qui sont plus précisément socio-économiques. Elle reconnaît ces conditions comme une partie de soi-même, c'est-à-dire comme éminemment politiques dans le processus de transformation. « Sans cette dernière condition [la réussite de l’émancipation du travail] », écrit Marx, « la Constitution communale eût été une impossibilité et un leurre ». Sans proposer un programme détaillé, quelque chose qui aurait été difficile à la lumière de l’expérience limitée de la Commune, Marx expose néanmoins, d’une manière claire, un cadre général, ou plus précisément la tendance interne de cette forme expansive de politique prolétarienne : elle consiste à assumer les tâches de gestion collective de l’économie fondée sur la coopération et la planification. « L’abolition de la propriété de classe » ainsi que « la gestion de la production nationale selon un plan commun par des associations coopératives », sont les seuls moyens d’empêcher la production coopérative de se retrouver dans une impasse et de tomber dans un piège ; ce sont là les piliers de ce qui est clairement caractérisé comme étant du “communisme”.

Certes, cette vision expansive de la politique du pouvoir prolétarien resterait énigmatique si nous ne gardions pas à l’esprit un fait fondamental, à savoir que l’existence même de la Commune est une conséquence de la rupture radicale avec la machine d’État préexistante. Elle a produit cette « destruction de la machine d’État » déjà décrite dans le Dix-huit Brumaire. C'est, par-dessus tout, à ce niveau qu’elle peut s’affirmer comme une « forme positive », car elle ne se contente pas de détruire, elle construit une nouvelle structure politique sur les ruines de cette machine oppressive. Les principes de base sont bien connus, aussi n’en ferai-je que brièvement la liste, en commençant par la dissolution des corps répressifs spécialisés, l’élection et la révocation des agents de l’État, l’élection de délégués qui seront soumis à tout moment à la révocation et subordonnés au mandat impératif, la reconstruction depuis le bas d’une unité nationale en permettant une plus grande autonomie au niveau local, et la fusion des pouvoirs législatif et exécutif afin de produire un « corps agissant » plutôt qu’un « organisme parlementaire ». Ces trois dernières dispositions visent en particulier à contrecarrer la formation de relations de représentation, la fonction pratique des agents de l’État élus étant celle d’empêcher les délégués de se constituer en représentants, en doubles imaginaires qui se placent comme substituts de l’activité du peuple. La signification de ces mesures prises dans leur ensemble est claire : elles visent à détruire l’État en tant qu’instance de machine spécialisée, centralisée et strictement hiérarchique, une machine coupée de tout contrôle populaire, s’établissant par ce moyen comme une instance transcendante qui « voulait être indépendante de la nation même, et supérieure à elle », alors qu’elle est seulement « le moyen de subordonner le travail au capital ».

En résumé, Marx a repris la ligne conceptuelle, qu’il avait déjà élaborée au cours des années 1843-44, sur l’abolition de l’État politique en tant qu’entité séparée, et, dans sa réalité, en tant qu’abstraction bureaucratique et représentative. J’ajouterais simplement que la fusion des pouvoirs législatif et exécutif, dans le contexte de « l’organisme agissant » de la Commune, devrait être lue en continuité directe avec la théorie du pouvoir législatif développée dans le Manuscrit de Kreuznach. Il faudrait aussi se souvenir que par « pouvoir législatif » Marx ne désigne pas, dans le texte de 1843, un pouvoir qui est réellement opérant dans le contexte de la séparation constitutionnelle des pouvoirs, mais plus précisément un pouvoir qui produit et transforme les constitutions, un pouvoir qui a pour modèle explicite la Révolution française et, plus franchement, la Convention jacobine, un modèle qui a été en effet pendant longtemps indépassable, avec ses nombreux comités tous subordonnés à elle, et son « corps agissant » faisant voler en éclats les limites traditionnelles de la séparation des pouvoirs (cf. la doctrine robespierriste du « gouvernement révolutionnaire »). C’est indubitablement la raison pour laquelle, au moment de la version finale de La Guerre civile en France, après avoir considéré les textes écrits durant la Commune (tous leurs auteurs se considèrent comme étant sous l’influence de l’expérience de 1792-93), Marx abandonne le discours tocquevillien du Dix-huit brumaire, qu’il avait néanmoins maintenu jusque dans le manuscrit préparatoire. Dans sa version définitive, « l’établissement de l’État moderne », centralisé et autonome, est conçu explicitement comme étant le « Premier Empire », et cela ne s’applique donc pas à la Révolution, qui est simplement créditée du fait d’avoir produit « l’énorme nettoyage » ayant balayé tous les résidus féodaux. L’année 1791 de la Révolution est réhabilitée comme un moment de rupture, au lieu d’être assimilée à la poursuite et à l’amplification de la tâche de centralisation effectuée par la monarchie. En d’autres termes, contrairement à la plupart des commentateurs de l’époque, qu’ils soient favorables ou hostiles, Marx refuse d’assimiler le projet de la Commune à un retour à des formes archaïques, ou même à un projet fédéraliste tel qu’il figure dans Montesquieu ou du type proposé par les Girondins. Cela l’a contraint à reconsidérer son analyse antérieure de l’expérience de la Révolution française. Il peut par conséquent abandonner le projet d’une centralisation rigoureuse des formes politiques révolutionnaires à un niveau national, vigoureusement défendu tout au long de la Révolution de 1848, au bénéfice d’une version plus “dialectique” qui affirme la nécessité de la centralité et de l’unité nationale en tant que processus en croissance, lequel dépasse les limites du local par la constitution d’une capacité à gouverner qui est fondée sur son autonomie. Nous savons qu’Engels donnera par la suite une plus large portée à ce thème, en faisant de la première République française un modèle pour le pouvoir prolétarien, bien que sans certaines ambigüités libérales (dans le style de Tocqueville) étant donné qu’il fait souvent référence, dans la même veine, aux États-Unis et même parfois à la Hollande ou à l’Australie.

Beaucoup ont tenté de lire le projet de Marx comme une abolition du politique, en soutenant par exemple que pour lui, le suffrage universel était un outil technique utilisé pour l’expression d’un corps social unifié plutôt qu’un moyen, à proprement parler, de délibération politique permettant de résoudre un conflit et à séparer les majorités des minorités. Dans La Guerre civile en France, Marx ne parle-t-il pas de l’utilisation du suffrage universel par le peuple constitué en communes comme étant similaire au recrutement, effectué par un employeur, d’un personnel qualifié pour son affaire ? Certes, il serait plus exact de dire que, pour Marx, le suffrage universel ne peut pas fonctionner de manière effective sans « devenir un instrument de tromperie » s’il n’est pas combiné avec une tendance à l’homogénéisation sociale (en remettant en cause les divisions de classe). Il serait également exact de dire que la division technique-fonctionnelle des tâches gouvernementales semble possible et il défend cela plus particulièrement à l’encontre de Bakounine. Cela semble même être inévitable dans des conditions développées de production, par opposition à ces petites communes rurales et artisanales si chères à la tradition libertaire, sans nécessairement devenir de manière automatique une relation de domination politique. Pour Marx, ce qui est le plus important, ce n’est pas de faire du suffrage universel un moyen purement technique de validation de l’harmonie interindividuelle préétablie, mais plutôt le contraire, de comprendre les conditions de sa politisation. C’est-à-dire de son insertion dans les mécanismes sociaux et politiques de l’auto-gouvernement populaire, à tous les niveaux, en tant qu’instrument de lutte contre « l’investiture hiérarchique » et en tant que moyen optimal pour corriger les erreurs. Opposée à la « volonté générale » rousseauiste, la volonté communale ne se définit pas comme « toujours juste », mais plutôt comme disposée à se corriger elle-même.

CONCLUSION

Il est généralement admis que la Commune de Paris a été le signe d’un tournant décisif pour le mouvement ouvrier, un tournant qui, avec un clair caractère politique, a été illustré par la dissolution de la Première Internationale et l’établissement d’un parti ouvrier nationaliste puissant. Gramsci a insisté résolument sur l’idée selon laquelle la période inaugurée par la Commune de Paris a conduit Marx à abandonner la notion de « révolution permanente » parce qu’elle avait peut-être perdu sa pertinence dans une époque de politique de masse, et aussi parce que « la révolution d’en haut » des années 1850-60 avait produit l’élargissement du suffrage universel et la stabilisation de l’État représentatif moderne. Sans souhaiter entrer dans une discussion effroyablement compliquée de son évolution dans les œuvres ultérieures d’Engels, j’ai simplement voulu faire comprendre ici que ces questions ont évolué quelque peu différemment pour Marx. Ce n’a pas tant été un abandon de la révolution permanente que la poursuite de la tâche de rectification de cette idée, qui a été entreprise dès 1848, dans le feu de l’action. J’ai tenté de montrer que cette tâche a été à la fois productive et innovatrice.

Comment pouvons-nous définir de manière plus précise cette dialectique de continuité et de rupture ? Si le travail de correction est un travail continu, nous devons admettre que Marx n’aurait plus essayé de reformuler une thèse intégrée, théoriquement et stratégiquement, comme il l‘avait fait en 1848, indépendamment des incertitudes et des points aveugles de cette dernière. Dans un sens, la Commune de Paris semble marquer la fin d’un cycle, plutôt que le début d’un nouveau. Du point de vue de la stratégie, la Commune n’a pas été d’une grande utilité. Marx lui-même a été clair sur ce point, en particulier dans la célèbre, et souvent mal comprise, lettre du 22 février 1881 à Domela Nieuwenhuis. Sa préoccupation n’était pas tant l’abandon de l’idée de « la révolution permanente », mais le fait de renoncer à une forme insurrectionnelle déterminée, marquée par l’héritage des “journées” consécutives et des barricades du Paris révolutionnaire. Pourtant, ce qui a été perdu d’un côté a été gagné de l’autre, à savoir dans la compréhension de la pratique révolutionnaire en termes d’une pratique politique qui est spécifique et expansive. Ce qui la définit en tant que telle, c’est le processus de « destruction créatrice » dans lequel la rupture avec l’ancienne machine de l’État conditionne la construction « d’institutions durables » (Marx utilise ce terme pour définir l’organisation militaire de la Commune) qui sont irréductibles à un appareil d’État, c'est-à-dire les institutions de l’auto-gouvernement populaire tendant vers la transformation de la vie économique dans son ensemble et de la vie sociale « non-politique ». À cet égard, la révolution prolétarienne cesse d’apparaître comme symétrique avec le processus de la révolution bourgeoise, non pas dans le sens métapolitique qui était encore évident dans le Manifeste, mais dans le nouvel horizon expansif du politique. Cet horizon se comprend comme un remaniement et un approfondissement de la tendance vers un auto-gouvernement populaire qui affirme depuis le début l’importance fondatrice de ses origines jacobines, lesquelles ont nourri les analyses des jeunes marxistes au sujet de la « vraie démocratie » et la fin de « l’État politique séparé ». C’est dans ce sens également que la Commune aura renouvelé la relation entre l’expérience révolutionnaire française et la théorie allemande qui est le fondement de notre modernité politique.


Traduit en anglais par Jean Klucinskas







(*)(*) Le pouvoir public perd alors son caractère politique. (NdT).

(*)(*) « Trente années plus tard » : note entre crochets de la personne (Jean Klucinskas) qui a traduit en anglais le texte initial. (NdT).

1 Voir le chapitre 5 de mon livre : Philosophy and Revolution from Kant to Marx, Londres, Verso, 2003.

vendredi 15 mars 2024

LA GUERRE généralisée c'est pour dans TROIS MOIS ?

 


Une nouvelle « drôle de guerre » ?

« C'est une guerre existentielle » Macron

« Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages de l'histoire se produisent pour ainsi dire deux fois, mais il a oublié d'ajouter : la première fois comme une grande tragédie, la seconde fois comme une farce sordide ».Marx, le dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte (1852)


Dans mon article du 29 février (Il faut prendre au sérieux Macron) j'écrivais ceci :

« Macron n'est pas un idiot. Il a fait un test, souhaité par les minorités bourgeoises qui tirent les ficelles : banquiers, militaires, industriels, etc. Il a été assuré (mais pas vérifié) qu'envoyer de jeunes troufions occidentaux au casse-pipe était une « erreur » voire presque un crime pour les Mélenchon, Le Pen et autres opposants faux-culs. La presse a exhibé un sondage montrant que 70% des « français » sont opposés à une participation de nos soldats au front ukrainien. Super ! ont exulté les opposants de pacotille, dont certains dits extrêmes, Mélenchon et Le Pen sont plutôt du côté de Poutine ».

Au vu du discours de ce jeudi soir tout cet alarmisme militariste a été clairement confirmé, et en retournant l'accusation d'irresponsabilité contre toutes les fractions contestataires de la gauche bourgeoise pacifiste. Macron n'est ni confus ni dépassé. Il a compris avant ses contestataires de pacotille et mieux que tous ses journalistes et politiciens affidés, qu'une guerre ne se décide pas « démocratiquement » et n'a plus besoin d'un vote de crédits de guerre ; en l'espèce la consultation des députés ne fût qu'une consultation ridicule après la décision du sommet de l'Etat de lâcher trois milliards à l'Ukraine. Par contre ce qui ne change pas, malgré tous les éloges sur les nouvelles découvertes tueuses (drones, armes à longue portée, laser, IA) c'est qu'il faut encore et toujours envoyer au casse-pipe des millions de prolétaires, mener toujours plus la guerre dans le cadre urbain en y tuant le plus possible de civils, Humains qui ne savent même plus d'où viennent les projectiles qui vont les tuer. Tuer sans distinction ni précision comme savent si bien le faire les criminels de guerre Poutine et Netanyahou, mais aussi leurs homologues américains, français, chinois lorsqu'il leur faut à leur tour « préparer la paix en faisant la guerre ». Sans oublier les cliques du nationalisme palestinien, islamistes et tutti quanti. Déclencher la guerre ne relève pas d'une décision individuelle ni d'un seul Etat. Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée l'orage.

Macron est moqué. Montré du doigt car « seul » et « autoritaire », irresponsable.. Pourtant il a raison. On peut dire que c'est un salaud qui veut la guerre, même si ce n'est pas aussi simple. Car il a raison. Il y a un aveuglement sur la guerre mondiale en cours qui fait penser à l'époque de la « drôle de guerre ».

DROLE DE GUERRE ET FAUSSE GUERRE DE 1939 à 1940

Après la signature du pacte germano-soviétiqueHitler lance ses armées contre la Pologne le 1er septembre 1939, sans déclaration de guerre, comme Poutine il y a deux ans. En application de leur alliance, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l'Allemagne. En particulier, la France a garanti après 1918 par des traités d'assistance mutuelle, l'existence de la plupart des pays nouvellement créés en Europe centrale avec l'idée de créer un cordon sanitaire autour de l'Allemagne (comme Macron promet de défendre tout le cordon des anciens pays vassaux du bloc de l'Est).

La Pologne et la France ayant signé en mai 1939 un protocole qui obligeait la France à lancer l’offensive générale dès le quinzième jour de la mobilisation, en septembre 1939, les Polonais attendent, en vain, l’aide française en espérant que la France remplirait ses engagements d’allié (comme les ukrainiens attendent l'aide tardive de la France de Macron). Dès les premiers jours, l'armée française ne fait que lancer l'offensive de la Sarre avant de se replier derrière la ligne Maginot.

Etonnant imbroglio qui va durer plus de huit mois, qui sépare la déclaration de guerre des Alliés au Reich nazi, début septembre 1939, de l’offensive allemande sur la France, en mai 1940. La « drôle de guerre » reste réduite par les historiens officiels à une inertie coupable.

L'Etat de Hitler a annexé la Pologne au nez et à la barbe du monde entier, comme Poutine la Crimée et une partie de l'Ukraine. Hitler se tourne vers l'Ouest, mais il doit reporter plusieurs fois son offensive, et le front reste calme pendant plusieurs mois. Retranchés derrière la ligne Maginot, les Alliés attendent l'assaut de l'armée allemande elle-même retranchée derrière la ligne Siegfried. C'est un conflit sans combats majeurs, seulement quelques escarmouches entre patrouilles de reconnaissance. L'installation dans la routine plonge l'armée française dans une « dépression d'hiver » : l'obéissance se relâche, l'alcoolisme atteint des sommets historiques, les villages évacués d'Alsace sont pillés par des soldats français.

Notons en passant cette autre comparaison historique qui met à mal la prétention à la toute puissance des généraux, quand on pense à la surprise de Tsahal en octobre dernier alors que l'attaque du Hamas était prévisible : la plantade de la ligne Maginot. Le commandant en chef français, le général Gamelin, avait pourtant été prévenu, en janvier 1940, par des contacts militaires secrets avec les Belges, que ceux-ci avaient saisi - dans un avion qui avait fait un atterrissage forcé en Belgique - des instructions militaires montrant que l'Allemagne allait attaquer dans les Ardennes.  Sans en tenir compte...et chacun en connaît les conséquences le 10 mai 1940.

Mais ce qui nous intéresse ce n'est pas l'impéritie des généraux ou le ronflement des fantassins alcooliques, mais pourquoi ces huit mois d'attente, arme au pied ? L'échec de la révolution prolétarienne allemande datait de deux décennies, ce qui n'était pas forcément complètement rassurant pour la bourgeoisie allemande et son caïd Hitler. Côté français la fin du Front popu ne datait que d'une paire d'années. Dans la Russie de Staline les journaux officiels parlent peu de la guerre en cours, tout au plus une « opération spéciale (sic!) et militent pour un pacifisme pro-allemand ; l'URSS commerce aimablement avec l'industrie nazie et se prépare à signer un traité d'amitié impérialiste. Dans cet empire le prolétariat a été réduit à néant.

Pour qui réfléchit un peu hors des ornières des historiens bourgeois, il apparaît évident que partout les dominants s'interrogent sur les dangers de réaction du prolétariat mondial au souvenir du 1917 russe qui avait stoppé la première boucherie. Il s'avère qu'en Allemagne le prolétariat a été écrasé en 1919, mais si le prolétariat français commettait une nouvelle Commune à la 1871, n'y aurait-il pas un risque de contagion et de retournement des prolétaires allemands contre Hitler ?

La bourgeoisie française, qui va être aplatie, a tout de même de la chance grâce à la prestation « défaitiste » du parti stalinien, qui dénonce l'entrée en guerre mais au service de l'impérialisme stalinien. Ce parti « cinquième colonne » est interdit et son chef Thorez est parti se planquer à Moscou. La signature du pacte impérialiste germano-soviétique déstabilise le prolétariat du monde entier et particulièrement la classe ouvrière française. Le pacte félon stalino-nazi avait été signé fin août 1939 ; ses effets délétères - démoralisant surtout pour une classe ouvrière qui pensait que le communisme était meilleur ennemi du nazisme que le capitalisme - pourront ainsi se répandre pendant les 9 mois qui le sépare de l'invasion de la France par les troupes de Hitler.

Les historiens oublient aussi étrangement de noter que la Blizkriege n'est pas une simple astuce militaire mais une guerre rapide pour ne pas laisser souffler les soldats des deux côtés. Ce blitz en effet ne se heurte à aucune résistance, ni patriotique ni révolutionnaire de la part d'une classe ouvrière restée traumatisée et hantée par le déroulement de la Première guerre mondiale, démoralisée par l'échec du Front populaire, peu réceptive à la filmographie de Jean Renoir et ses pellicules exhibant des combattants à l'optimisme forcé. On assiste à la plus grande débandade d'une population apeurée et sans défense dans un grand pays moderne (comme ces millions d'ukrainiens ou de russes qui ont fui depuis 2022). Depuis la Belgique, depuis Paris c'est une fuite éperdue de milliers et de milliers, bombardés comme des chiens par les stukas puis massivement emprisonnés. La drôle de guerre avait été remplacée par la plus sinistre des guerres.

LES PREVENANCES DU MARECHAL  MACRON

Macron a tenu un discours de vérité et, pour en atténuer l'aspect effectivement dramatique, les oppositions bourgeoises tendent leur main tremblante à un passage en douceur de l'inévitable potion belliciste en criant « il déconne ». Ces oppositions restent benoîtement sur le terrain de la compétition électorale, qui est déjà quasi cuite pour Poutine et sans doute Trump. Les européennes de juin restent secondaires face aux exigences militaires. Macron s'occupe en sous-main de la cinquième colonne lepéniste, tout en priorisant solennellement des évidences :

  • la guerre est déjà sur le sol européen ;

  • nous devons nous préparer à nous défendre ;

  • la guerre va coûter cher à notre budget ;

  • si la Russie gagne l'Europe ne sera plus en sécurité ;

  • l'Europe ne sera plus crédible ;

  • la guerre nous ne pouvons pas l'exclure :

  • le niveau de vie sera attaqué comme jamais (hausse du gaz, des céréales...) :

    Puis une série de mensonges basés sur l'idéologie de la victimisation : nous ferons toujours la guerre pour nous défendre. La guerre c'est la faute à la Russie. Notre armée sert à la défense de notre pays. En soutenant l'Ukraine nous défendons notre propre pays.

Clou du spectacle : il faut un SURSAUT ! La guerre est une chose trop sérieuse pour la laisser aux pleurnichards pantins de politiciens professionnels aveugles et inconséquents. Qui ne veut pas préparer la guerre, prépare la défaite. Le maréchal Macron ne parle pas que pour la France mais pour l'Europe même s'il n'en est pas encore l'empereur adoubé: l'Europe doit être prête à "répondre" (puisque les USA ne veulent plus répondre) à une escalade de cette Russie "sans limites", sans jamais prendre l'initiative de l'offensive militaire; argument centenaire de toutes les démocraties bourgeoises entrées en guerre avec le prétexte défensif, avec le classique argument maréchaliste: si tu n'es pas avec moi, tu es un défaitiste au service de l'ennemi.

Sur BFM vieux et jeunes journalistes commentèrent par après, parfois avec pertinence, avec des courbettes, mais tous avec le souci des sondages post-interview du président. Pourtant comme leur répondit justement un politicien servile de Macron, sur la question de la guerre on n'en a rien à foutre des sondages. Si l'escalade est là, on y va, un point c'est tout. C'est nos valeurs, notre civilisation qui est en jeu ! Tous ânonnent au fond les mêmes prévenances macroniennes. Les pitres politiciens eux se succèdent dans l'inconsistance. Un Alexis Corbière lui reproche de confondre élections et guerre et de « parler trop », tout en réitérant le soutien de LFI à l'Ukraine. L'antique Alain Duhamel l'a trouvé grave ou sombre et inquiétant., mais cohérent et à la hauteur. La rédactrice en chef arabe salue cet appel à ouvrir les yeux et à sortir de la naïveté, pour assurer que « le nucléaire protège les français ». Le général de service informe que nos sous-marins nucléaires possèdent des ogives dix fois plus puissantes que les bombes à Hiroshima. Or, la protection nucléaire française face à Poutine ne serait qu'une nouvelle ligne Maginot !

Le petit maire passé du FN à la macronie salue notre président courageux car nous ne sommes pas dans l'offensive mais dans la défensive, vieille rengaine des vieux impérialismes sainte Nitouche.

Patrick Sauce résume bien :

  • on a besoin d'hommes et d'armes

  • l'effort de guerre aggravera l'endettement.

Quant à la secrétaire de rédaction de BFM on risque, en attendant, une guerre hybride, des attaques informatiques ont déjà eu lieu, que va-t-il se passer pendant les JO ? Voulait-elle faire allusion aux cinquièmes colonnes syndicales qui veulent faire chier les sportifs ? Manipulées par Moscou.

Enfin comme l'a estimé un des troncs de l'aéropage journalistique : la guerre peut avoir lieu dans trois ou quatre mois !

Seul hic, contrairement à mai 1940, la population ne peut même plus fuir mais devra se contenter de subir la glaciation nucléaire à domicile.



Nota benêts...

La condition du risque d'explosion sociale contre la guerre est là: https://www.lefigaro.fr/conjoncture/jusqu-a-3-milliards-d-euros-d-ou-viennent-les-fonds-de-l-aide-militaire-promise-a-l-ukraine-20240314

Et aussi! Il n'est pas indécent de faire du business!

"...les opportunités en Ukraine pour les entreprises françaises, à Paris, d’investir dans le pays malgré la guerre. La France est déjà un acteur économique majeur sur le territoire, le premier employeur étranger : 180 firmes sous drapeau tricolore opèrent en Ukraine et emploient 25.000 personnes. Dans la finance, BNP Paribas et le Crédit agricole s’affichent dans le top 10 des banques ukrainiennes. Dans l’automobile, Renault et Stellantis ont des concessionnaires installés aux quatre coins du pays. Dans la grande distribution et l’agroalimentaire, Auchan, qui a ouvert quatre magasins en plein conflit, réalise 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, et le géant laitier Lactalis compte trois usines. Sans oublier les entreprises dans l’agriculture, le secteur des cosmétiques et la santé. (source: Le Figaro)








mardi 12 mars 2024

ET DANS LA GUERRE IL EST OU LE PROLETARIAT, BORDEL ?



Est-il coincé dans une nouvelle affaire Dreyfus ou interpellé pour défendre les valeurs (capitalistes) bourgeoises ?

« Nous condamnons le traitement cruel infligé à la population civile des territoires occupés. La dévastation de localités entières, l’arrestation et l’exécution d’innocents pris comme otages, le massacre d’individus désarmés, sans égard à l’âge ni au sexe, qui ont eu lieu en représailles d’actes du désespoir et de légitime défense, justifient la plus sévère condamnation. La même faute commise par d’autres armées ne peut servir d’excuse. (...)

Nous mettons les gouvernements et les classes dirigeantes de tous les pays belligérants en garde contre la poursuite de ce carnage et appelons les masses laborieuses de ces pays à en imposer la cessation. Seule une paix née sur le terrain de la solidarité internationale peut être une paix sûre. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous à nouveau malgré tout ! (…)  nous refusons les crédits demandés ».

Karl Liebknecht (2 décembre 1914, traduction Robert Paris)


Nulle part ni en Ukraine ni en Palestine ! Inexistant, dissout dans les horreurs quotidiennes ! Opération banale en revanche, on assiste aujourd'hui à un entraînement conjoint de troupes russes, chinoises et iraniennes. En même temps notre Napoléon III au petit pied plaide pour l'envoi de « nos troupes » au front ukrainien. Il est intéressant par conséquent, pour comprendre où en est la dangerosité de la guerre mondiale actuellement en gestation, d'en revenir aux débuts des guerres en Ukraine et en Palestine. Le spécialiste en géopolitique du Figaro nous livre une information, étonnante pour les naïfs convaincus de la seule méchanceté de Poutine , Renaud Girard :

« Au mois de mars 2022, il y avait eu à Istanbul des négociations approfondies entre Russes et Ukrainiens et un compromis avait été pratiquement atteint. C’était une neutralisation de l’Ukraine assortie de garanties de sécurité internationales, un statut d’autonomie pour le Donbass et le report à vingt ans de la question de la Crimée.

Il y a encore un flou historique sur les raisons pour lesquelles l’accord n’avait finalement pas été signé. Est-ce parce que les Ukrainiens renoncèrent à le signer après que le premier ministre britannique Boris Johnson, en visite surprise à Kiev le 9 avril 2022, les eut dissuadés d’accepter ce compromis, en leur expliquant que les sanctions occidentales allaient détruire l’économie russe et en leur promettant une aide militaire substantielle, qui leur permettrait de chasser l’envahisseur russe de tous les territoires ukrainiens selon le droit international, y compris la Crimée ? »1.

Le spécialiste ajoute deux remarques essentielles :

« Ni les Russes ni les Ukrainiens ne vont s’effondrer. Les premiers jouissent d’une profondeur stratégique sans égal et du soutien économique des pays du « Sud global ». Les seconds ont une armée qui tient bon et ils jouissent d’un soutien militaire et financier occidental inouï depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ».

    « Dans la guerre d’Ukraine, l’événement collatéral qui pourrait changer la donne serait le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Le candidat républicain a assuré qu’il pourrait « faire la paix en 24 heures ». À quelles conditions ? Nul ne le sait aujourd’hui, sans doute même pas lui ».

Le rappel d'emblée du sabordage du compromis du mois de mars 2022 par le délégué anglais de l'impérialisme américain montre que l'agresseur ne fût pas vraiment le méchant Poutine et que ce sabordage manifesterait plutôt un affaiblissement du pachyderme US, hypothèse du CCI depuis longtemps ; lorsqu'on est obligé de provoquer quelqu'un c'est qu'on est en position de faiblesse, laquelle peut être constatée également au Moyen Orient par l'incapacité de Biden de faire cesser le massacre du néo-nazi Netanyahu, ce qui est à mon avis du cinéma du président gaga, l'Etat hébreu restant le principal mirador des intérêts US dans la région. Massacrez massacrez, il en restera toujours quelque chose...de positif pour terroriser la population mondiale, l'habituer aux massacres massifs de civils et la préparer à la nécessité de faire la guerre pour retrouver la paix.

Le front ukrainien, malgré quelques avancées ou reculs des deux camps, est pratiquement immobile depuis deux années preuve que la dictature russe n'est pas à l'agonie mais que le problème se trouve plutôt sur le versant occidental du capitalisme. Avec pour preuve que la droite bourgeoise américaine plaide pour cesser toute aide à Zelenski, contre la gauche démocrate, qui a mené toutes les guerres américaines depuis cent ans. Les républicains de droite, paradoxalement posent comme représentants d'une opinion publique pacifiste lassée par cette guerre lointaine et et qui n'a plus envie de voir partir ses boys au casse-pipe. Paradoxe pour les fans d'un prolétariat messianique et mythique, enfermé dans ses grèves corporatives et apolitiques, le principal fossoyeur de cette guerre pourrait donc être le fou furieux Trump !

Mais pas vraiment, car le retrait américain poussera l'Europe à s'armer de façon plus intensive face au besoin de l'impérialisme russe de retrouver les frontières (sans limites) de son empire stalinien, acquis en 1945 avec l'aval américain.

QUE VAUT L'ARGUMENT D'UN PROLETARIAT EUROPEEN RETIF A PARTICIPER A UNE NOUVELLE GUERRE MONDIALE ?

Cette conception défendue par une petite minorité, et que j'ai longtemps partagée, reste utopique pour l'heure . Ce ne sont pas les quelques grèves économiques qui préparent les prolétaires à lutter contre la guerre ; l'article sur le refus de la guerre en 1917 évoqué par le CCI comme une révolte ouvrière est une pure affabulation comme je l'ai déjà démontré : le vrai refus initial avait été les désertions massives des soldats et les manifestations des femmes2.

Macron est apparu bien isolé voire provocateur mais il n'est qu'une pièce de l'échiquier qui se met en place, basé sur l'inéluctabilité de la guerre. Il est donc très utile et urgent que les voies oppositionnelles de la plupart des partis, surtout de gauche contrairement aux Etats Unis s'élèvent pour protester avec véhémence, surtout rassurer à bon compte une population et une classe ouvrière « européenne », qui n'a pas besoin que des brûlots marxistes recopient à longueur de pages les honneurs déjà exposées par tous les médias pour savoir que la guerre ça pue, ça tue et ça entretue.

Mais que pèsera ce sentiment anti-guerre pour une population conditionnée depuis des décennies à « l'ennemi principal » le terrorisme planétaire, vague, inventé hors capitalisme, divers, islamiste ou d'extrême droite ? Si un attentat immense autrement plus grave que le simple meurtre d'un archiduc rase une ville entière, si Macron et Zelenski étaient « liquidés » comme Navalny ?

LA GUERRE CONTRE LES CIVILS A GAZA N'EST-ELLE PAS UNE CONTRIBUTION POUR DISSOUDRE TOUTE REBELLION INTERNE DU PROLETARIAT AU SEIN DES PAYS DE L'EUROPE?

Vérifions si cette proposition est aussi farfelue qu'elle en a l'air. Cette guerre, comme celle d'Ukraine est d'abord au service de l'impérialisme américain avec son mirador juif raciste et sanglant. L'appréhension réelle du massacre du sept octobre dernier relève de moins en moins du complotisme, depuis que récemment de jeunes soldates israéliennes ont témoigné du laisser-faire du haut commandement de l'armée « hébreu »aux ordres d'un criminel de guerre. Les armes de destruction massive ne furent que des motocyclettes et des ULM conduits par des tueurs sadiques aux ordres d'un nationalisme tout aussi sadique que celui de l'Etat « hébreu » propriétaire pour l'éternité de la « terre promise », comme vous le savez ...non pas dieu mais Lord Balfour en 1917 . C'est la bible impérialiste britannique qui a fait tomber une province de l'Empire ottoman, en chute libre, pour la refiler non pas aux troupes arabes qui combattaient aux côtés de Laurence d'Arabie mais aux juifs.

Il y aurait beaucoup à expliquer ou à déduire sur ce bizarre don aux juifs sionistes. Faire croire à la prééminence juive dans la politique mondiale à égalité avec leur rôle dans la révolution russe de 1917, confirmer l'avis des petits Hitler dénonçant les juifs comme saboteurs de l'armée allemande en 1914 ? Pression des importants lobbies juifs en Amérique ? La vraie cause est que les anglais ont été baisés peu après par les américains dont le but était et reste le contrôle des champs pétroliers ! De plus nouvel Etat bien utile après la guerre et la révolution russe (russes blancs) comme réservoir de millions de réfugiés, chassant au besoin les populations arabes présentes sur les lieux depuis des siècles.

Fidèle à cette tradition centenaire de préservations de ses intérêts pétroliers l'armada US, en totale complicité avec la clique à Netanyahu, avait tout intérêt à un « deuxième front », qui signifie non une faiblesse, mais la nécessité de confronter l'ennemi régional l'Iran, plus ou moins allié de la Russie et de la Chine.

Le massacre de Netanyahu, plus important que soupesé, ne s'avère pourtant pas si dramatique en politique virtuelle internationale que le pleurnichent les journalistes. Le monde se voit divisé en deux camps : le nord et le sud, beau remplacement de celui Ouest/Est. A l'intérieur des pays « développés » les clivages religieux sont avivés, surclassant la vieille opposition prolétariat/bourgeoisie. Fachos des kibboutz comme militaires israéliens étalent un racisme sans scrupules (« les arabes sont des rats qui rampent dans des galeries souterraines » et des « bons à rien »). Arrogance militaire sans feinte à destinations des « antisémites » (contre le massacre des arabes, sic!) : sans Tsahal vous les européens seriez envahis par les hordes islamistes !

Comptant parmi les indignés des massacres par les soldats juifs, il vaut d'examiner la blague d'un humoriste sur la radio d'Etat France Inter. Après un sketch polémique dans lequel il comparait le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à "un nazi sans prépuce", l'humoriste et chroniqueur Guillaume Meurice a reçu des menaces de mort. Par précaution, l'émission dans laquelle il tient une chronique n'a plus eu lieu en public. L'argument du prépuce était certes osé, voire déplacé, voire favorisant le nationalisme juif, mais le fond de la polémique reste : on ne peut pas qualifier un juif de nazi vu la mémoire de la Shoah imprescriptible. Certes, mais il ne faudrait pas permettre que la mémoire de l'ignoble massacre des juifs ne cautionnent les mêmes pratiques d'extermination même à une échelle limitée3. Avec ou sans prépuce Netanyahu se comporte comme un nazi raciste. Il y a eu des juifs nazis dans le parti de Hitler et même à une haute responsabilité, tel Emil Maurice (à ne pas confondre avec le petit rigolo Meurice)4Comment ne pas noter que Poutine lui aussi joue avec l'antisémitisme en même temps qu'avec l'accusation de nazisme n'importe comment.

Au total la polémique raciste, des deux côtés, induite par cette guerre de rapine impérialiste, présente tous les ingrédients pour déboussoler le prolétariat des pays centraux, rappelle par conséquent la confusion introduite par...l' Affaire Dreyfus5.

COMMENT L'AFFAIRE DEREYFUS A SERVI A PREPARER L'UNION NATIONALE EN FAVEUR DE LA GUERRE

Je crois être le seul à avoir rappelé depuis des décennies, même à mes débuts dans le CCI, que l'Affaire Dreyfus à préparer l'union nationale. Il faut rappeler que cette affaire manipulée par l'armée, accusant un innocent capitaine juif a pour facteur explosif la trahison. Or depuis la défaite en 1870 face à l'armée allemande la France est humiliée. L'armée est redevenue un sanctuaire intouchable gage de vengeance pour récupérer tôt ou tard l'Alsace et la Lorraine. L'espionite fait rage, comme on dit aujourd'hui la parano. Il a suffi qu'une femme de ménage trouve un bordereau dans la poubelle d'un officier...

La polémique va prendre des proportions inouïes, divisant la population en deux camps mais pas en deux classes. La presse se déchaîne, toutes les cliques politiques, des royalistes aux anarchistes, s'y mettent, délaissant toute question de lutte des classes.(comme seul en est capable l'antiracisme de nos jours). En parallèle au scandale public pour savoir si Dreyfus est innocent, elle permet à la plupart des juifs français de s'identifier au chauvinisme national ; ils seront parmi les premiers à aller au casse-pipe. Jusqu'en 1914 il ne sera question que de défendre la République et de se méfier des espions allemands, avec en permanence un souci populaire, sous-estimé par les partis socialistes d'aller foutre la pâtée aux boches et de reprendre les provinces perdues.


COMMENT SE PASSE UN VOTE DES CREDITS DE GUERRE EN 1914 ET EN 2024 


A Paris les crédits de guerre ont été voté unanimement même par le parti socialiste le 5 août 1914. Le même jour, le président de la République Raymond Poincaré reçoit avec la plupart des membres du gouvernement les directeurs de journaux et les félicite : « de leur attitude patriotique et la si haute compréhension qu’ils ont de leur tâche ». La famille Rothschild annonce qu’elle met son hôpital parisien à disposition des autorités militaires pour recevoir des blessés rapatriés du front. Dans la capitale, deux décisions sont prises pour qu’une partie du lycée Louis-le-Grand et des Galeries Lafayette soit transformée en hôpital.

 Le 4 août 1914, la fraction parlementaire du SPD (Parti socialiste allemand) au Reichstag avait voté également en faveur des crédits de guerre pour la Première guerre mondiale. Avec les paroles tant fameuses que mal famées de son chef de file, Hugo Haase: «nous n'abandonnerons pas la patrie à l'heure du danger», le SPD se rangea aux côtés de l'empereur Guillaume II et de son gouvernement et soutint ce qui allait être, jusque là, la plus énorme et la plus sanglante boucherie de l'histoire de l'humanité.

Le vote en faveur des crédits de guerre constituait une trahison sans précédent des propres principes « socialistes » du SPD. Rosa Luxembourg caractérisa l'événement ainsi: «Jamais, de toute l'histoire de la lutte des classes et depuis qu'il existe des partis politiques, il n'y avait eu un parti qui, en l'espace de vingt quatre heures avait cessé aussi complètement, comme ce fut le cas pour la social-démocratie allemande, d'être un facteur politique et ce, après être devenu une force de premier plan et avoir rassemblé autour de lui des millions de personnes». Elle tirait cette conclusion: «Le 4 août 1914 la social-démocratie allemande a abdiqué et l'Internationale socialiste s'est effondrée». Louable constat mais qui ignorait que en France comme en Allemagne les deux peuples n'avaient pas digéré la guerre précédente près d'un demi-siècle auparavant et que, collant à ce revanchisme, la social-démocratie avait été rongée graduellement par l'opportunisme, comme l'analysa Lénine plus lucide que Rosa.

Cet après-midi 12 mars 2024 s'est tenu un simulacre de vote des crédits de guerre au parlement français

La « chambre basse »était loin d'être pleine, seuls les extrêmes étaient présents en nombre (LFI et RN). Le premier ministre, le colonel Gabriel Attal tint le discours d'un représentant de commerce en matériel d'armement, bombes au kilo, drones à la douzaine, canons à la tonne pour le principal client ukrainien. Le petit télégraphiste macronien s'en donna à cœur joie (la main sur le cœur) pour alter sur les risques d'une victoire de la Russie : un cataclysme économique pour le pouvoir d'achat, sans compter la hausse du carburant mortelle pour la bagnole du peuple. Ou devons « réagir » pour éviter à la Russie de gagner la guerre. Nous devons trouver un chemin entre indifférence et cobelligérance. Nous devons confirmer notre unité DERRIERE L'UKRAINE. Et enfin cette fleur de rhétorique de boucher pour terminer : « mes tripes en ce moment s'enroulent autour des français ».

J'avoue être assez stupéfait. C'est la première fois en France que j'entends un premier ministre parler comme un général et détailler ventes d'armée et nécessité infuse d'aller à la guerre « quand il le faudra ».

Toujours garder en arrière plan , cher lecteur, que nous ne sommes plus en 1914 où le parlement comptait encore des représentants socialistes des ouvriers, certes destinés à trahir mais quand même pas des gens ayant trahit depuis longtemps. Aujourd'hui ce ne sont même pas des traîtres mais tous les affidés de la classe dominante.

J'attribuerai la palme d'or au représentant du PS qui soutien l'accord gouvernemental. La guerre est presque toujours inévitable, assure d'emblée l'encravaté à la chevelure sauvage Louis Le Grand. Il pratique ensuite la surenchère à un armement « suffisant » avant d'envoyer des « troupes combattantes ». Face au risque d'isolationnisme américain il faut un armement plus conséquent

Le porte-drapeau de l'autre « Horizon » de guerre du grenadier Edouard Philippe récité carrément le discours du colonel Attal Sans honte bue.

C'est le parti écologique qui nous fait le plus grand plaisir de vérifier que les anarchistes (nos bobos d'aujourd'hui) sont aussi prompts pour « l'envoi d'armes » afin de défendre « l'humanitarisme européen ». Peccadille du président tout de même de ne pas les avoir consultés. Enfin cinq nécessités indispensables :

  • nécessité d'une armée européenne

  • ne plus dépendre des Etats Unjs

  • protester contre la guerre à Gaza

  • ne pas déshabiller le ministère des armées

  • arrêter de payer le gaz russe.

Monte ensuite à la tribune le seul représentant du peuple travailleur syndiqué à la CGT, le sémillant Fabien Roussel au cheveu a argenté qui fait défaillir les mémés électrices babouchkas communistes. Son père putatif Marchais aurait dit « c'est un scandâââle », mais lui hausse simplement le ton. Oui il faut soutenir l'Ukraine mais il y a des limites. On ne peut as envoyer des jeunes sous la menace nucléaire ! Sachant qu'on peut détruire toute la civilisation ! Mais...et le blé ukrainien ? C'est pas du dumping social et la mort de nos agriculteurs ! Il faut aussi cesser le feu etles crimes à Gaza ! En continuité avec toute notre histoire (sic) nous assurons que nous nous opposerons toujours à la guerre mondiale. Nous appelons le gouvernement à se ressaisir. Nous votons contre l'accord. Vous êtes majoritairement pour mais les français sont majoritairement contre.

Puis c'est la mère Le Pen qui monte au perchoir avec sa coupe oxygénée à 70%. Oui nous devons soutenir l'Ukraine mais il y a des limites. La vie de nos soldats nous est précieuse. Oui il y a eu négligence de notre matériel militaire. Nous nous abstiendrons.

Enfin débarque un élégant brushing de LFI qui parle très fort, virulemment contre la déclaration irresponsable de Macron. L'aide n'est pas aussi importante pour nos armées. Il ne faut pas affaiblir nos capacités militaires. Macron veut passer à une économie de guerre mais sans réfléchir aux conséquences sociales ! Il existe des solutions ! Il faut redonner sa chance à la démocratie ! L'ONU est garante du droit international et de l'intégrité des frontières. Il faut être au devant du combat pour la paix.

Voilà. Panégyrique assez minable de ces députaillons, même pas comparable aux députés traîtres de 1914, car, par leurs remarques patriotiques et militarisatrices au gouvernement ils sont déjà traîtres « professionnels » et des soumis à l'idéologie patriotique capitaliste depuis longtemps.

UN PROLETARIAT PRESENT PAR OMISSION

En conclusion, je peux me permettre deux remarques sur Trump et le simulacre parlementaire français. Il est sûr qu'il n'y a rien à attendre pour l'instant des prolétariats russe, ukrainien, arable, etc. Une entrée en guerre en Occident européen , comme en 14, absorberait toutes querelles religieuses dans une nouvelle union nationale « pour sauver nos valeurs », après par exemple un attentat particulièrement odieux. Les options de la bourgeoisie, aux USA comme en France, ne sont pas de l'ordre de la décomposition. La possible victoire populiste d'un Trump peut coller au dégoût de la guerre par cette importante partie « ouvrière blanche » de son électorat mais aussi de larges couches petites bourgeoises issues de parents militants contre la guerre du Vietnam. La bourgeoisie américaine sait toujours qu'une mobilisation de la classe ouvrière pour le sacrifice patriotique est toujours difficile, dangereuse et aléatoire. Elle a dû attendre septembre 1941 pour entrer en guerre grâce à l'inversion des sondages.

Idem en France, l'armée n'est appelée à entrer en guerre que un an après la déclaration de 1939. Le cirque parlementaire auquel je vous ai permis d''assister est en quelque sorte un sondage maison . LFI et le RN sont les fleurons girouettes assez représentatifs de la haine des deux guerres à Gaza et en Ukraine pour la masse des prolétaires ici. Seule mise en garde que je me permettrai ici, leur opposition n'est que fictive, le jour où ils seront convaincus de vous voir endoctriné, ils voteront tous pour la guerre capitaliste.




NOTES

2Je note avec une certaine fierté qu'un groupe antimilitariste a traduit et publié mon interview de Marc Chiric il y a 40 ans, avec mon pseudo Pierre Hempel : English – ANTIMILITARISTICKÁ INICIATIVA [ AMI ] (noblogs.org) Initiative que loue le blog du CCI, sans signaler que j'en suis l'auteur, ce qui est normal puisque je suis un « policier bavard »/

Correspondance avec Initiative antimilitariste | Courant Communiste International (internationalism.org)

3Le secrétaire du petit PCF a dû faire amende honorable pour son assimilation disproportionnée avec la Shoah, religion unilatérale qui peut rapporter gros. Le fils du couple héroïsé Klarsfed, le franco-Israélien Arno Klarsfeld (il a été réserviste de Tsahal mais à l'arrière) percevait 7 000 euros par mois en tant que membre du Conseil d’État. Pourtant il « n’y met presque jamais les pieds ». C’est en tout cas ce que révèlait Capital dans son numéro de février 2014. Le fiston de Serge et Beate avait été nommé à la plus haute des juridictions administratives françaises par Nicolas Sarkozy à la fin de l’année 2010. Soit une rémunération totale d’au moins 252 000 euros sur 3 ans.

4 D’origine juive, ami intime d’Adolf Hitler, Emil Maurice est le fondateur de la SA et du Strosstrupp Hitler (à l’origine de la SS). Compagnon de la première heure d'Adolf Hitler, inscrit dès la fin de 1919 à la DAP (embryon du futur parti nazi), bien qu'ayant un arrière-grand-père juif, il est un patriote convaincu. En 1921, il est le chef du premier service d'ordre rapproché, à l'origine de ce qui va devenir la SA. Au début de 1923, il est l'adjoint de Berchtold à la tête du Stosstrupp (embryon de la SS) et participe activement au putsch de Munich, le 9 novembre 1923. Arrêté, il est très proche d'Adolf Hitler à la prison de Landsberg, il en est en quelque sorte le majordome et en devient son ami, il sera un des rares à pouvoir le tutoyer. Il contribue d'ailleurs à la frappe du manuscrit de Mein Kampf et le sortira clandestinement de la prison. Cet ami du tribun devient son chauffeur, mais aussi le cofondateur de la SS, dont il sera le n°2 ! ? jusqu'à la brouille avec Hitler fin 1927, à cause de sa nièce, Geli Raubal. La réconciliation aura lieu en 1933 et Emil Maurice deviendra SS-Oberführer, obtiendra une dispense de Hitler pour son mariage ; il sera le seul officier SS d'origine juive à pouvoir avoir cette autorisation.

Une boutade de De Gaulle à Londres montre que blaguer sur le prépuce n'est pas antisémite. Refusant d'accueillir le chef de la milice le salaud Darnan, le général ajoute: "alors si Darquier de Pellepoix se fait circoncire, il faudra que je l'accepte!".

5C'est d'ailleurs un an après le jugement de Dreyfus que Herzl théorise la création d'un Etat juif.